Sujets de colles :
- Les facteurs de la localisation géographique des entreprises
- Le commerce international depuis 1945
- Quelles sont les causes de l'ouverture ou de la fermeture des économies depuis le XIXe siècle ?
- Les différences entre la mondialisation contemporaine et celle d'avant 1914
- Les écarts de coûts de main-d'œuvre expliquent-ils la multinationalisation des firmes ?
- Les firmes multinationales : acteurs centraux de la mondialisation
Dissertation
Sujet : La Division Internationale des Processus Productifs fragilise-t-elle les économies nationales ?
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Introduction :
Dans son dernier rapport (Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2022), le FMI a révisé à la baisse ses prévisions de croissance mondiale en lien avec les pressions inflationnistes qui ne cessent d’alimenter les débats publics et plus récemment les conflits sociaux comme celui dans la production de carburants. Parmi les raisons de ce ralentissement généralisé et plus marqué qu’attendu, les économistes de l’organisation mondiale évoquent la crise du coût de la vie, la crise géopolitique avec la guerre en Ukraine et les effets persistants de la pandémie de Covid-19. L’inflation rampante, voire galopante dans certains pays, et le ralentissement économique généralisé s’expliquent notamment par des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement à l’international. C’est initialement, la crise du Covid-19 qui a révélé combien l’économie française, et bien d’autres, était dépendante d’économies étrangères (de la Chine notamment) pour s’approvisionner en matériaux très stratégiques (masques, médicaments et même vaccins). Ces pénuries relatives ont, semble-t-il, sonné le glas d’une « mondialisation heureuse », pour faire allusion au titre de l’ouvrage (1993) du globaliste Alain Minc. Ce sujet renvoie notamment à la division internationale des processus productifs (DIPP) présentée par B. Lassudrie Duchêne dans son article de 1982 ainsi que dans son ouvrage de 1986, Importation et production nationale, coécrit avec Berthélémy et Bonnefoy, qui décrit cette stratégie industrielle menée par les firmes multinationales (FMN) décomposant les étapes de leur processus de production pour les réaliser (ou les faire réaliser) à l’étranger, en s’appuyant sur les avantages comparatifs des pays concernés/d’accueil. Ce phénomène est à rapprocher également de ce que l’on nomme plus communément depuis une trentaine d’année, et sans doute dans une perspective plus pessimiste, la fragmentation des chaînes de valeur. L’indépendance des économies nationales regroupant les activités de production et de répartition de la production par des acteurs économiques résidents sur un territoire national semble remise en cause par ces stratégies internationales.
Dans cette optique, il est légitime de se demander si les économies nationales peuvent tirer profit des stratégies de DIPP mises en œuvre par les FMN dans la mondialisation ? Les Etats-nations doivent-ils ériger le bouclier protectionniste pour freiner la DIPP et regagner en termes de souveraineté économique ? Est-ce bien efficace en termes de développement économique, d’emplois et de bien-être ?
Bien que la DIPP des FMN apporte certains avantages aux nations, elle peut contribuer à les fragiliser. Cependant, les économies nationales disposent de moyens pour faire de la DIPP une opportunité économique.
I) La DIPP des FMN est une stratégie qui peut être favorable au développement économique des économies nationales (A), à certaines formes d’emploi (B) ainsi qu’à la réduction de de certaines inégalités (C)
A/ La stratégie de DIPP des FMN en fonction des avantages comparatifs permet d’augmenter la compétitivité-prix et hors-prix des FMN, ce qui accroît le bien-être des économies nationales qui tirent profit de produits moins coûteux et/ ou de meilleure qualité.
Les avantages comparatifs des économies nationales diffèrent selon le niveau de développement. D. Ricardo dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt (1817) montre que si un pays se spécialise dans la production pour laquelle sa productivité est la plus forte (ou la moins faible) par comparaison avec ses partenaires, il accroît sa richesse nationale. En localisant les activités nécessitant une main-d’œuvre peu qualifiée dans les pays en développement qui disposent de cet avantage comparatif, les FMN améliorent leur compétitivité prix, le produit réexporté à l’échelle mondiale et a fortiori dans les Pays développés à économie de marché (PDEM) est vendu moins cher, ce qui améliore le surplus des consommateurs (différence entre le prix de marché et la disposition à payer des consommateurs).
De même, la localisation des activités nécessitant de la main d’œuvre qualifiée dans les PDEM améliore la compétitivité hors-prix des FMN et permet la distribution de produits innovants et de meilleure qualité.
La DIPP permet donc d’augmenter la compétitivité prix et hors prix des firmes, ce qui améliore le bien-être des consommateurs des économies nationales qui importent ces produits bénéficiant d’un meilleur rapport qualité-prix grâce à une allocation optimale des ressources à l’échelle mondiale.
B/ Par la DIPP, les FMN peuvent favoriser l’emploi qualifié
D’après le Théorème Stolper-Samuelson issu en 1941 du modèle Heckscher- Ohlin- Samuelson (HOS), la spécialisation internationale en fonction des avantages comparatifs dont tirent profit les FMN dans le cadre de leur DIPP augmente la demande travail qualifié dans les PDEM, ce qui accroît les rémunérations de cette catégorie de main-d’œuvre, et réduit aussi le chômage de cette catégorie dont l’effectif augmente avec la massification scolaire. La DIPP, en s’appuyant sur les avantages comparatifs spécifiques des économies nationales des PDEM, renforcent les spécialisations et permet de conserver, voire d’accroître le volume et le niveau de qualifications professionnelles riches en valeur ajoutée. C’est ce qu’illustre la « courbe du sourire » énoncée la première fois par le fondateur d’ACER pour mettre en évidence le problème des producteurs chinois enfermés dans le bas de la courbe et donc dans les activités peu intensives en valeur ajoutée comparativement aux PDEM.
C/ La DIPP permet enfin de réduire les inégalités de niveau de développement entre les économies nationales, en favorisant le rattrapage économique.
La DIPP exploite les avantages comparatifs, renforce la division internationale du travail dans une logique plus fine que ce que prédisait le modèle classique proposé par D. Ricardo et prolongé par HOS mais dans le fond, les mécanismes à l’œuvre favorisent une réduction des écarts de développement. La répartition inégale des facteurs de production induit une spécialisation qui dépend des dotations spécifiques des pays en capital ou en travail, ce qui induit des spécialisations qui sont fonction du niveau de qualification de la main-d’œuvre. Le modèle proposé par les économistes suédois Eli Heckscher (1919) et Bertil Ohlin (1933) puis par Paul Samuelson (1948), appelé modèle HOS montre que la spécialisation en fonction des dotations relatives permise dans un contexte de libre-échange favorise une égalisation des prix relatifs des facteurs de production et des prix des biens à l’échelle mondiale. En effet, dans les PDEM généralement spécialisés dans les productions intensives en capital, la hausse de la demande de capital provoque une augmentation de son prix relatifs, ce qui accroît le prix relatifs des biens exportés. De leur côté, les PED plus souvent spécialisés dans les productions intensives en travail vont voir leur taux de salaire réel augmenter, ce qui accroît le prix relatif des biens exportés. L’échange international permet une convergence économique des nations en réduisant les inégalités de développement, ce qui semble plutôt aller dans le sens d’une augmentation du bien-être des résidents des économies nationales.
II/ Cependant, la DIPP peut aussi déstabiliser les économies nationales en fragilisant le déclin de la souveraineté industrielle (A), en alimentant les inégalités internes (B) ainsi qu’en remettant en cause la capacité des Etats-nations à les juguler (C)
A/ La DIPP favorise la désindustrialisation des PDEM au point d’engendrer leur dépendance à l’égard de l’étranger pour bénéficier de produits et machines, en particulier de produits dits stratégiques, en disposant sur le territoire national de l’outil productif industriel qui réponde à ces besoins.
Depuis les années 1970, de nombreux PDEM ont connu une très forte désindustrialisation qui s’explique, entre autres, par la DIPP. En nous appuyant à nouveau sur le théorème de Stolper-Samuelson (Protection and real wages, 1941), nous voyons que les PDEM spécialisés dans les étapes de production riches en travail qualifié, ont abandonné ceux qui utilisent intensivement du travail peu qualifié aux pays à bas salaires. Cela produit une hausse du chômage des travailleurs les moins qualifiés, qui peinent à se reconvertir avec le déclin de l’emploi industriel mais également un perte de souveraineté économique, pour des pays confrontés à la crise du Covid 19 qui nécessitait une production industrielle de masques, de gels hydro alcooliques, de vaccins. La DIPP, en provoquant dans la plupart des PDEM, une désindustrialisation à compromis la capacité des économies nationales à résister efficacement à une telle crise que celle du covid 19.
B/ La DIPP, en s’appuyant sur les avantages comparatifs en fonction des dotations factorielles, accentue les inégalités internes
Le théorème Stolper-Samuelson (1941) permet de montrer une hausse des inégalités internes dans les PDEM. En se spécialisant dans les activités les plus capitalistiques, la demande de travail des travailleurs hautement qualifiés accroît mécaniquement leur rémunération, tandis que celle des travailleurs les moins qualifiés décline tirant les salaires vers le bas en les rapprochant de ceux avec qui ces dernier sont directement en concurrence, soit les travailleurs des pays à bas salaire (PED). Empiriquement, depuis la fin des années 80, on observe bien une hausse des inégalités aux USA entre travailleurs qualifiés et non qualifiés et un accroissement significatif du chômage des travailleurs non qualifiés en Europe.
D’un autre côté, les PED ne sont pas moins concernés par le creusement des inégalités internes, mais celles-ci sont d’une autre nature, comme le montre Pierre- Noël Giraud dans L’inégalité du monde (2019) qui distingue les emplois nomades (soumis à la concurrence internationale) et les emplois sédentaires (des secteurs abrités de la concurrence internationale). En nous appuyant sur l’exemple de la Chine, nous pouvons montrer que les inégalités internes augmentent entre les deux groupes de travailleurs en raison de la DIPP réalisée par les FMN résidentes des PDEM : les nomades sont directement connectés à la mondialisation et bénéficient d’un marché du travail attractif ; tandis que les sédentaires (en particulier ceux des campagnes) ne bénéficient pas du même effet d’entraînement, ce qui induit en moyenne que leur salaire est quatre fois moins élevé. Les inégalités internes qui résultent de la DIPP minent la cohésion des économies nationales.
C/ Les stratégies de DIPP des FMN fragilisent à la souveraineté politique et la capacité des Etats à mener des politiques de redistribution pour favoriser la justice sociale au sein des économies nationales
Pour attirer la localisation des activités productives des FMN, les Etats sont tentés de mener des politiques de dévaluation interne, notamment lorsqu’ils ont perdu leur souveraineté monétaire comme dans la zone euro. M. Aglietta montre dans Zone euro. Eclatement ou fédération (2012) comment les Etats-membres de la Zone Euro tentent d’attirer les FMN sur leur territoire et d’exporter leur chômage par des politiques visant le moins disant social et fiscal. Ces politiques non coopératives ont de lourdes contreparties pour les économies nationales comme la remise en cause des systèmes de protection sociale, la baisse des salaires, la baisse des dépenses publiques donc des services publics etc, ce qui favorise un alignement par le bas qui risque d’accroître les tensions entre les Etats-membres. Ainsi, pour M. Aglietta, viser la compétitivité par le rognage de la protection sociale et la baisse des salaires est un véritable « passeport pour la ruine ».
De plus, les FMN, dans le cadre de leur DIPP, mettent en œuvre des stratégies de contournement fiscales. La DIPP permet de répartir la chaine de valeur entre plusieurs, ce qui permet aux FMN de déclarer leur profit sur les territoires ou la fiscalité est la plus faible. Dans La richesse cachée des nations(2017), Gabriel Zucman montre combien la DIPP permet aux FMN d’échapper aux impositions sur les bénéfices les plus élevées des Etats-nations.
III/ Les moyens dont disposent les économies nationales pour faire de la DIPP une opportunité et non une fatalité
A/ Retrouver de la souveraineté industrielle
Il ne s’agit pas de favoriser un repli sur l’économie nationale par un protectionnisme généralisé qui réduirait le surplus des consommateurs mais plutôt un protectionnisme sélectif sur des secteurs stratégiques. Le but est d’éviter les problèmes de dépendance à l’égard du reste du monde dans des domaines stratégiques comme la production de médicaments en relocalisant ces activités mais aussi de diversifier les sources d’approvisionnement pour les autres secteurs
Il faut revoir la politique industrielle qui doit être horizontale et non plus verticale comme l’indiquent V. Dutraive et R. Arena dans l’article intitulé « Industrial Economics and Policy: Recent History and Theoretical Foundations publié en 2016. En effet, il ne s’agit plus de mettre en place du protectionnisme comme le soutien direct aux entreprises par des subventions et de sauver des entreprises condamnées à disparaître faute de rentabilité mais d’agir sur l’environnement des entreprises afin d’attirer les activités productives créatrices de valeur ajoutée. Ainsi en favorisant la naissance et le développement de pôles de compétitivité, les pouvoirs publics peuvent favoriser la recomposition d’un tissu industriel innovant et dynamique. Il s’agit de favoriser le progrès technique par le soutien aux dépenses de recherche et développement pour accumuler du capital technologique, l’investissement dans le capital humain et les infrastructures collectives, c’est-à-dire dans les capitaux dont le financement stimule une croissance cumulative et autoentretenue (Théories de la croissance endogène de Lucas (1986), Romer (1987) et Barrow (1988)) tout en attirant les activités productives des FMN dans le cadre de leur DIPP.
B/ Les Etats des économies nationales doivent prendre acte de la mondialisation de la production et coopérer en vue de mettre en place une fiscalité internationale
Afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale qui résulte des stratégies de contournement fiscal des FMN grâce à la DIPP, les Etats doivent harmoniser leur fiscalité à l’échelle internationale. La proposition de l’OCDE d’un impôt des sociétés minimal et mondial va dans ce sens. C’est aussi le cas des positions récentes de Joe Biden pour taxer les filiales des FMN américaines qui se trouvent à l’étranger.
C/ Lutter contre le discrédit de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) en lui donnant un pouvoir d’action sur les FMN et leurs stratégies de DIPP qui fragilisent les économies nationales
L’OMC est en crise à cause de l’enlisement des négociations internationales sur des thématiques comme la régulation des IDE, la transparence des marchés publics, la libéralisation des produits agricoles, la lutte contre le dumping social et fiscal mais aussi à cause du fonctionnement de son ORD (Organe de règlement des différends) qui peinent à faire respecter les accords multilatéraux. Bref, une grande partie de ces difficultés est liée au pouvoir croissant des FMN et à leur stratégie de DIPP. Les Etats ont donc intérêt à s’appuyer sur une institution mondiale afin de retrouver des marges de manœuvres pour réguler les actions des FMN qui sont devenues avec la DIPP des firmes globales qui font fi des régulations nationales. C’est une nouvelle forme de gouvernance mondiale qu’il s’agit de construire, celle qui inclut des Etats dont les représentants ont été élus démocratiquement et non celle qui s’organise autour d’acteurs privés puissants comme les FMN qui dominent les Etats-nations. L’OMC pourrait être à l’origine d’une plus grande coopération internationale face aux stratégies des FMN (dont celle de DIPP).
Conclusion :
Les effets de la DIPP sur les économies nationales sont contrastés. La DIPP menée par les FMN renforce les spécialisations des nations en fonction des avantages comparatifs, ce qui peut favoriser le développement économique en améliorant le bien-être des consommateurs grâce à des prix plus compétitifs et à la consommation de produits innovants et/ou de meilleure qualité. Le but de la DIPP est de rationaliser le processus productif à l’échelle mondiale, ce qui améliore l’allocation des ressources et donc l’efficacité productive et contribue in fine à améliorer le surplus des consommateurs. En outre, la DIPP semble davantage profiter aux travailleurs qualifiés en renforçant leur spécialisation dans les activités hautes en valeur ajoutée. Enfin, à l’échelle internationale, la DIPP participe à la réduction des inégalités de développement en permettant la réalisation d’une division internationale du travail plus fine qui favorise le rattrapage économique des pays en développement. Cependant, la DIPP a aussi des effets néfastes : elle accroît les inégalités internes, diminue la souveraineté industrielle des Etats et fragilise la souveraineté politique dans la lutte contre les inégalités. Toutefois, si les économies nationales peuvent être fragilisées par la DIPP, des solutions sont envisageables sans pour autant tomber dans le repli protectionniste. A l’échelle nationale, c’est la conduite de la politique fiscale et industrielle qui est à revoir. A l’échelle mondiale, la définition d’une forme de gouvernance mondiale qui renforce le poids des acteurs publics face aux FMN est indispensable pour réguler les FMN et lutter contre les effets pervers de la DIPP. En respectant le principe de subsidiarité, l’OMC pourrait être l’institution supranationale en mesure de réguler les comportements des acteurs globaux comme les FMN.
Pour autant, les Etats parviendront-ils à coopérer et à transférer une partie de leur souveraineté à l’échelle supranationale ? Les difficultés de la zone euro dans le domaine social et fiscal révèlent déjà les problèmes que cela soulève dans une zone qui ne comprend que 28 pays. Qu’en sera-t-il dans le cadre d’une coopération plus large comme celle qui pourrait être menée à l’échelle de l’OMC ?
Introduction
Le commerce international, moteur essentiel de la mondialisation, se définit comme l'échange de biens, services et capitaux entre les nations. Si les théories économiques classiques, comme celles de David Ricardo avec l'avantage comparatif, présentent le commerce international comme un vecteur de croissance mutuelle, il est aussi source d'importantes inégalités. En effet, la libéralisation des échanges a des effets redistributifs qui ne sont pas uniformes : elle peut accentuer les disparités économiques tant au sein des pays qu'entre eux. L'un des symboles les plus révélateurs de ces inégalités est la "courbe de l'éléphant", popularisée par l'économiste Branko Milanović. Cette courbe illustre comment les gains de la mondialisation ont été répartis de manière très inégale entre différentes classes de revenu globales. Ainsi, la question centrale est de savoir dans quelle mesure le commerce international contribue à l'accroissement des inégalités économiques. Pour répondre à cette problématique, il convient d'examiner l'impact du commerce international sur les inégalités de revenus entre les pays (I), les inégalités de revenus au sein des pays (II), et les réponses politiques possibles pour atténuer ces effets (III).
I. Le commerce international et les inégalités de revenus entre les pays
A. Théorie des avantages comparatifs et divergence des niveaux de développement
David Ricardo, dans ses Principes de l'économie politique et de l'impôt (1817), a souligné que chaque nation pouvait tirer parti de ses avantages comparatifs. Cependant, en pratique, cette théorie a parfois conduit à des divergences entre les économies développées et les économies en développement. Par exemple, les pays du Nord se sont spécialisés dans des produits à haute valeur ajoutée, tandis que les pays du Sud sont souvent restés cantonnés à l'exportation de matières premières, créant ainsi une divergence dans les niveaux de développement économique.
B. L'effet de la spécialisation sur les économies en développement
Les études empiriques, comme celle de Jeffrey Sachs et Andrew Warner (1995), montrent que la spécialisation excessive dans des produits primaires a souvent piégé les pays en développement dans une situation de "malédiction des ressources". Les revenus générés par ces exportations sont insuffisants pour financer le développement industriel et technologique, ce qui creuse davantage l'écart avec les économies développées.
C. L'effet du libre-échange sur les pays les moins avancés (PMA)
Les pays les moins avancés (PMA) sont souvent marginalisés dans le commerce mondial. En 2022, les PMA représentaient moins de 1% des exportations mondiales, malgré une population totale de plus d'un milliard de personnes. Ce déséquilibre reflète une inégalité structurelle qui limite leur capacité à se développer économiquement.
II. Les inégalités de revenus au sein des pays exacerbées par le commerce international
A. La courbe de l'éléphant et la distribution des revenus mondiaux
La courbe de l'éléphant, conceptualisée par Branko Milanović, illustre l'évolution des revenus réels entre 1988 et 2008 pour différentes classes de revenu globales. Elle montre que les classes moyennes des pays émergents, notamment en Asie, ont vu leurs revenus augmenter de manière significative, tandis que les classes moyennes inférieures des pays développés ont stagné, voire décliné. En revanche, les 1 % les plus riches de la population mondiale ont capté une part disproportionnée des gains de la mondialisation. Cette courbe montre comment le commerce international a contribué à une redistribution inégale des richesses au niveau global.
B. L'impact sur les travailleurs peu qualifiés dans les pays développés
L'ouverture des économies nationales a souvent eu des effets négatifs sur les travailleurs peu qualifiés dans les pays développés. Par exemple, l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001 a intensifié la concurrence internationale, conduisant à la délocalisation de nombreuses industries manufacturières. Cela a provoqué une baisse des salaires réels pour les travailleurs peu qualifiés et une augmentation des inégalités de revenus dans des pays comme les États-Unis.
C. La polarisation des revenus dans les pays émergents
Dans les pays émergents, l'intégration dans le commerce mondial a parfois conduit à une polarisation des revenus. Les secteurs tournés vers l'exportation, souvent concentrés dans les grandes villes, ont vu une augmentation significative des salaires, tandis que les régions rurales ou les secteurs non exportateurs sont restés en marge du développement économique. En Chine, par exemple, le coefficient de Gini est passé de 0,30 en 1980 à 0,47 en 2020, reflétant une augmentation marquée des inégalités.
III. Politiques pour atténuer les effets inégalitaires du commerce international
A. Redistribution et politiques fiscales
Pour contrer les effets inégalitaires du commerce international, les États peuvent mettre en place des politiques fiscales redistributives. Des impôts progressifs sur les revenus et les bénéfices des entreprises multinationales peuvent financer des programmes sociaux et éducatifs pour les populations les plus touchées par la mondialisation.
B. Politiques de formation et reconversion des travailleurs
Les politiques de formation et de reconversion professionnelle sont essentielles pour atténuer les effets négatifs de la concurrence internationale. Par exemple, l'Union européenne finance des programmes de formation pour les travailleurs touchés par les délocalisations, dans le cadre du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM), créé en 2006.
C. Régulation du commerce international
Une régulation plus stricte du commerce international, à travers des accords multilatéraux, pourrait également contribuer à réduire les inégalités. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) pourrait, par exemple, inclure des clauses sociales et environnementales dans ses accords pour assurer une distribution plus équitable des bénéfices du commerce mondial.
Conclusion
Le commerce international, bien qu'il soit un vecteur de croissance économique globale, contribue également à l'accentuation des inégalités économiques. Les inégalités de revenus entre les pays, exacerbées par la spécialisation et la marginalisation des PMA, ainsi que les inégalités au sein des pays, dues à la polarisation des revenus et à la concentration des richesses, montrent que la libéralisation commerciale n'est pas un processus neutre. La courbe de l'éléphant de Milanović symbolise bien cette distribution inégale des bénéfices de la mondialisation. Pour atténuer ces effets inégalitaires, des politiques redistributives, de formation, et une régulation plus stricte du commerce international sont nécessaires.
À l'avenir, la question sera de savoir comment les nations pourront coopérer pour rendre le commerce mondial plus équitable et durable.