La mondialisation économique des années 1980 est bien souvent considérée comme un phénomène inédit se caractérisant par la constitution d’un vaste « village planétaire » décrit par le professeur de littérature anglaise Marshall Mc Luhan dans The Medium is the Message paru en 1967, c’est à dire un « village global » où circulent librement des biens, des services et des facteurs de production. Présenté comme un phénomène automatique, inévitable, voire nécessaire pour les défenseurs du libéralisme économique, celle-ci permettrait l’extension du système capitaliste à l’échelle planétaire qui assurerait une allocation optimale des ressources. Ainsi, la mondialisation aurait atteint un niveau d’intégration plus étroite des pays et des peuples engendrant le passage d’une économie internationale à une économie mondialisée.
Toutefois, Suzanne Berger, dans Notre première mondialisation– Leçons d’un échec oublié (2003) montre qu’il convient de réfuter l’idée selon laquelle « nous serions sur le point d’entrer dans un monde radicalement nouveau ». La mondialisation contemporaine nous renvoie en réalité à une période assez lointaine : celle d’avant-guerre. En effet, la période de 1870 à 1914 était marquée par le développement des IDE (Investissement direct à l’étranger) dans un contexte de droits de douane élevés et de flux migratoires importants : «L’internationalisation […] atteignit dans les domaines du commerce et la mobilité des capitaux, un niveau qu’elle ne retrouverait qu’au milieu des années 1980 ». Paul Krugman souligne lui aussi qu’il faut attendre au moins les années 1970 pour retrouver le même taux d’ouverture de l’économie mondiale qu’avant la Première Guerre mondiale. C’est effectivement cette guerre qui portera un coup d’arrêt à cette « première mondialisation ».
Il faut cependant remarquer, grâce à Suzanne Berger, ce que notre « deuxième mondialisation » a de spécifique. En effet, la première mondialisation prend surtout la forme d’une mondialisation des biens, alors que la deuxième s’apparente davantage à une mondialisation des facteurs de production. La « décomposition internationale des processus productifs » autrement dit l’internationalisation de la chaîne de valeur, serait alors plutôt une caractéristique de la vague de mondialisation contemporaine.
Pour Joseph Stiglitz dans La Grande Désillusion (2002), la mondialisation actuelle correspond à «l’intégration plus étroite des pays et des peuples du monde qu’ont réalisée, d’une part, la réduction considérable des coûts de transport et des communications, et d’autre part, la destruction des barrières artificielles à la circulation transfrontière des biens, des services, des capitaux, des connaissances et (dans une moindre mesure) des personnes». La seconde mondialisation serait ainsi le résultat d’innovations technologiques et d’une volonté politique de faire triompher le libéralisme économique sur l’interventionnisme étatique, cette orientation politique conduisant à la suppression des entraves à la mobilité des biens, des services et des capitaux.
Pour bien comprendre la dynamique de la mondialisation économique contemporaine, il importe donc de répondre à plusieurs questions : Quelles sont les spécificités de la mondialisation économique contemporaine ? Pourquoi les thèses libre-échangistes se sont-elles imposées ? Le protectionnisme est-il dépassé ? Comment expliquer les différences de performances commerciales entre nations ? La mondialisation détruit-elle des emplois ? Est-elle responsable de la remontée récente des inégalités ? L’intégration régionale remet-elle en cause la libéralisation multilatérale des échanges ? La gouvernance mondiale est- elle capable de répondre aux grands défis que pose la mondialisation économique ?
Le commerce international concerne les échanges de biens et de services. Sur longue période, depuis le XIXème siècle, le commerce international progresse deux fois plus vite que la production. Mais cette évolution a été freinée durant la période de l’entre deux-guerres du fait de la crise de 1929 et du retour au protectionnisme. De 1820 à 1913, le volume des échanges est multiplié par 25. La période de l’entre deux guerres est marquée par un taux de croissance des échanges internationaux inférieur à celui de la production ; ce qui se traduit par un moindre degré d’ouverture des économies. La crise des années 1930 se traduit même par une diminution absolue du commerce international. Après la Seconde Guerre mondiale, l’essor du commerce international reprend. Jusqu’au premier choc pétrolier, cette croissance s’explique principalement par un phénomène de rattrapage. Mais le mouvement se poursuit après la crise : le commerce international a plus progressé depuis 1973 que de 1880 à 1980. On entre ainsi dans la période de la seconde mondialisation qui est elle-même marquée par deux coups d’arrêt récents : la crise des subprimes et la crise du Covid 19. Depuis 2008, la croissance moyenne du commerce de marchandises reste légèrement supérieure à celle du PIB réel. Comme la crise des subprimes, la crise du COVID 19 a donné un sérieux coup de frein au commerce international. Tandis que le PIB mondial diminue de 3,8% en 2020, le volume du commerce mondial de marchandises accuse une baisse plus importante puisqu’il diminue de 5,3%.
a : La domination britannique au XIXème siècle
C’est la révolution industrielle qui va favoriser l’essor du commerce international grâce à la progression sans précédent des quantités produites ainsi qu’à la diversification des produits qu’elle permet. Durant le XIXème siècle, on observe une déconnexion forte entre le rythme d’augmentation du commerce international et celui de la production mondiale. En effet, tandis que la production par tête est multipliée par 2,2, le commerce par tête est quant à lui multiplié par 25 entre 1800 à 1913. La mondialisation commerciale s’affirme à cette époque comme en atteste l’ouverture commerciale croissante des pays qui participent aux échanges, au premier rang desquels on trouve les pays européens. La part des exportations dans le produit national brut est passée de 4,4% en 1830 à 13,2% en 1910. En 1913, les importations européennes représentent plus de 60% des importations mondiales. Parmi les grandes puissances de l’époque, le Royaume- Uni domine largement le commerce international, ses exportations représentant 17,5% de son PNB en 1910, suivi par la France (15,3%) et l’Allemagne (14,6%). De leur côté, les États-Unis et le Japon, bien que parties prenantes au commerce international, ne s’imposeront dans ce domaine qu’à la fin du XIXème siècle.
b : Essor et déclin relatif de la puissance commerciale américaine au XXème siècle
Dans l’entre deux-guerres, en plus d’un moindre degré d’ouverture des économies, on assiste à une transformation de la hiérarchie entre les puissances commerciales. À la fin des années 1920, bien que le Royaume-Uni soit toujours le premier exportateur mondial de produits manufacturés, il est progressivement concurrencé par les États-Unis et l’Allemagne qui ont comblé leur retard commercial. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne devient le premier exportateur mondial de produits manufacturés, elle est à l’origine de de 23,4% des exportations de ces produits en 1937 contre 22,4% pour le Royaume- Uni, 20,3% pour les États- Unis.
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’aux années 1960, les États-Unis dominent nettement les échanges dans un contexte de bipolarisation liée à la Guerre froide. Mais ensuite, la domination commerciale américaine sera contestée par les pays européens et le Japon. Les pays du Sud de leur côté restent largement en retrait des échanges commerciaux.
c : La montée en puissance des pays émergents depuis les années 1970
A partir des années 1970, la hiérarchie des puissances commerciales se modifie par l’apparition par vagues successives de pays émergents qui bénéficient de faibles coûts de main-d’œuvre comme les nouveaux pays industrialisés d’Asie (Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong-Kong) puis la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande et les Philippines. La contestation des puissances commerciales occidentales est encore plus visible depuis les années 1990 avec la montée en puissance de quatre économies émergentes, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (BRIC). La Chine notamment s’est hissée au premier rang des pays exportateurs de marchandises et au 4ème rang des pays exportateurs de services.
Avant le XIXème siècle, prédomine un commerce d’indisponibilité entre pays. Les pays importent les biens qu’ils ne peuvent pas produire. Cependant, à partir du XIXème siècle et plus particulièrement au cours du XXème siècle, la structure par produit du commerce international va évoluer en profondeur.
a : Jusqu’au milieu du XXème siècle prédomine un commerce interbranche
Avec l’industrialisation des pays, la part des produits primaires (agricoles, miniers) dans le commerce international, prépondérantes jusqu’aux années 1950, décline au profit de celle des produits manufacturés. Ces derniers représentent 65% du commerce de marchandises. Si les échanges de marchandises restent largement majoritaires, la part des services progresse pour représenter environ un quart des échanges de biens et services aujourd’hui. Les échanges internationaux sont, jusqu’au milieu du XXème siècle, essentiellement « interbranches », c’est-à-dire des biens issus de branches différentes (textile, métallurgie…) en lien avec les spécialisations des nations.
b : La progression du commerce intrabranche à partir des années 1960
A partir des années 1960, le commerce international devient pour 1/3 environ un commerce intrabranche (échanges de biens issus de mêmes branches) et représente par exemple plus de 80 % des échanges franco-allemands. Parmi les flux intrabranches, J.-L. Mucchielli distingue les échanges horizontaux de produits différenciés (échanges de produits de valeur comparable au même stade de fabrication comme les échanges de véhicules automobiles entre la France et l’Allemagne par exemple), les échanges de gamme (échanges de produits au même stade de fabrication mais de valeurs unitaires différentes comme les échanges de voiture de luxe contre des voitures bas de gamme), ainsi que les échanges verticaux de produits décomposés (produits, sous- ensembles de produits ou de composants) qui ne sont pas au même stade de fabrication mais appartiennent à la même branche d’activité (importation de pièces détachées d’automobile et exportation de moteurs assemblés ou de véhicules complets). Ces flux intrabranches verticaux de produits décomposés s’expliquent par la décomposition internationale du processus de production (DIPP) au sein des firmes multinationales et correspond à un commerce intra-firme, un commerce de tâches dont la part progresse à un rythme important à partir des années 1990. Ces échanges « intra- firmes », c’est- à-dire entre maisons- mères et filiales et entre filiales d’une même FMN représentent environ un tiers des échanges commerciaux aujourd’hui.
c : Une régionalisation des échanges dans la période récente.
Le commerce intra-régional, c’est-à-dire les échanges entre pays d’une même zone géographique (par exemple les États- Unis avec le Canada et le Mexique) représente plus de la moitié du commerce mondial aujourd’hui.
d : Les mutations de la DIT
Au XIXème siècle, les pays européens exportent principalement des produits manufacturés (60 % de leurs exportations) et importent à 90 % des produits primaires. Cette structure des échanges ne correspond pas exactement à la division internationale du travail (DIT) ricardienne car les exportations de produits bruts sont majoritairement issues des pays industrialisés. Les pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine exportent essentiellement des produits de base et importent des produits manufacturés. Depuis les années 1980, la DIT se transforme car tous les pays sont aujourd’hui présents dans l’industrie. Les Pays développés à économie de marché (PDEM) se spécialisent dans les produits manufacturés à haute valeur ajoutée, les pays en développement (PED) dans les produits manufacturés à plus faible valeur ajoutée. Seuls, certains PED restent cantonnés dans les exportations de produits bruts.
En outre, le développement du commerce intra-firme dans les années 1990 rend la DIT beaucoup plus fine comme en atteste la décomposition internationale des processus productifs opérée par les FMN qui se traduit par des échanges intrabranches verticaux de produits décomposés. Les tâches à plus forte valeur ajoutée demeurent localisées dans les PDEM tandis que les PED réalisent une part importante des tâches à faible valeur ajoutée.
a : Des facteurs économiques
La croissance économique entretient une relation de causalité réciproque avec le commerce international. Les périodes de croissance sont corrélées avec un commerce international dynamique. Les exportations permettent le financement des importations nécessaires à la production domestique et en retour elle contribue également à élargir la taille des marchés en soutenant la demande globale du pays. Les théories du commerce international démontrent les effets positifs sur la croissance des échanges internationaux, ces derniers favorisant une allocation optimale des ressources qui assurent l’augmentation de la richesse des nations.
En outre, les stratégies des firmes multinationales participent au dynamisme du commerce international.
b : Le rôle du progrès technique
Le progrès technique joue un rôle déterminant dans le développement du commerce international. Au XIXe siècle, c’est le rail et la force vapeur qui rapprochent les nations grâce au chemin de fer et au bateau à vapeur. L’introduction de la machine à vapeur dans le transport maritime favorise des économies d’échelle sans précédent en augmentant le tonnage de la flotte. En outre, la réalisation de grands canaux comme celui de Suez, inauguré en 1869, réduit de 40 % la distance entre Londres et Bombay. Durant cette période, le coût moyen de transport (assurance et frais annexes compris) est presque divisé par 3 entre 1830 et 1910. La baisse des coûts dans le transport maritime atteint 70% entre 1840 et 1910.
Au XXème siècle, le progrès technique se poursuit dans le domaine des transports (bateau à vapeur, avion à réaction, porte conteneur, réseau autoroutier, infrastructure portuaire…). La circulation des marchandises s’accélère. Les coûts du fret maritime sont divisés par près de 4 entre 1960 et 2000. La généralisation de l’usage des conteneurs standardisés pour le transport maritime inventés en 1956 par Malcolm Mc Lean génère des économies d’échelle importantes en optimisant le stockage par bateau. En transportant de très nombreux conteneurs tout en conservation la taille de l’équipage (15-20 personnes), ces conteneurs permettent d’amortir le coût du transport qui devient presque négligeable pour chaque marchandise transportée. De plus, le conteneur est conçu de manière à être aisément manipulé ce qui le rend plus facile à remplir et à vider. Enfin, ses dimensions standardisées permettent une standardisation de sa gestion et une rapidité de manutention.
Au XXème siècle, ce sont aussi les progrès en matière de communication et d’information comme la naissance du télégraphe, du téléphone, des ordinateurs, puis d’internet… qui font circuler rapidement l’information sur tous les territoires et réduit considérablement les coûts de transaction. Entre 1960 et 2000, les coûts de l’information sont divisés par 64. Grâce à ces technologies, il est possible de fragmenter la production entre des pays différents tout en maîtrisant l’organisation de la production, la logistique. Les flux de services sont eux aussi fortement concernés : en quelques décennies, il est devenu bien plus facile d’exporter des services comme le tourisme, les conseils, la finance.
c : Une volonté politique libre-échangiste
Sous le Second Empire, la France suit le cap libéral défini par la Grande Bretagne en adoptant une politique commerciale plus libre-échangiste. Ce tournant est marqué par la signature avec la Grande Bretagne du traité de libre-échange Cobden-Chevalier en 1860. Dans celui-ci, on trouve déjà la clause de la nation la plus favorisée dans laquelle chaque pays s’engage à faire bénéficier les pays signataires des baisses de tarifs douaniers accordées à l’un d’entre eux. Ce traité est suivi d’autres accords de libre-échange avec plusieurs pays européens, notamment en 1862, avec le traité entre la France et le Zollverein. Les États-Unis et le Japon conservent une attitude beaucoup plus protectionniste. Cependant, l’ouverture des économies est freinée par l’entrée dans la Grande Dépression (1873-1896) ou plutôt la Grande Déflation qui fait ressurgir les réflexes protectionnistes. En France, J. Méline, ministre de l’Agriculture, obtient un relèvement des tarifs douaniers pour les produits agricoles (« tarif Méline », 1892). En 1897, la « loi du cadenas » autorise une augmentation automatique des droits de douane en cas de surproduction agricole. D’autres pays se montrent protectionnistes : l’Allemagne de Bismarck, la Russie (tarif Mendeliev) ou encore les États-Unis avec les tarifs Mc Kinley de 1890 et Dingley en 1897. Selon P. Bairoch (Mythes et paradoxes de l’histoire économique, 1999), la croissance du commerce en Europe n’est pas freinée par le retour au protectionnisme. Le commerce international poursuit son essor : émergence de puissances comme la Russie ou le Japon, importance croissante des échanges entre métropoles et colonies (dans le cadre du Pacte colonial), croissance économique. Avec la Grande Guerre (1914-1918) et la crise de 1929, les nations se tournent à nouveau vers des politiques protectionnistes : tarif Smoot-Hawley aux États-Unis (1930), dévaluation de la livre sterling en 1932, repli sur les empires coloniaux. Entre 1929 et 1933, le commerce mondial baisse de 69 % en valeur et de 25 % en volume.
Mais au sortir des deux grandes guerres mondiales, les politiques commerciales deviennent véritablement libre-échangistes. Et depuis les années 1960, on assiste à une baisse des mesures protectionnistes reposant sur des barrières tarifaires (droits de douane) et non-tarifaires (Contingentement, normes techniques et sanitaires…). Ces politiques s’inspirent du paradigme libéral du « doux commerce » de Montesquieu. En effet, dans De l’esprit des Lois, publié en 1798, ce philosophe des Lumières défend l’idée selon laquelle : « Le commerce guérit des préjugés destructeurs et c’est presque une règle générale que, partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. (…) L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. » Ainsi, la volonté au sortir de la guerre de nouer des relations économiques pour pacifier les relations entre les nations est résolument inscrit dans les fondements du GATT (1947) puis de l’OMC (1995). Les grandes puissances ne souhaitent pas refaire les erreurs de l’entre-deux-guerres.
En 1948, sous la pression des Etats-Unis et dans le cadre de l’ONU (Organisation des Nations Unies) va ainsi se mettre en place le GATT (General Agreement of Tariffs and Trade ; accord général sur les droits de douane et le commerce) avec 23 pays signataires. Deux principes président à cet accord : le libre-échange et le multilatéralisme. Le principe du libre-échange repose sur l’interdiction des restrictions quantitatives et des mesures protectionnistes déloyales (subvention, dumping) ainsi que sur un abaissement progressif des droits de douane sans pouvoir revenir en arrière dans le cadre de cycles de négociations. La règle de consolidation favorise un processus progressif et cumulatif d’accentuation du libre-échange et donc par symétrie, de diminution progressive du protectionnisme. La règle de réciprocité (ou principe du donnant-donnant) permet en outre qu’un pays qui reçoit des avantages commerciaux soit tenu d'en accorder en retour.
En outre, le second principe fondé sur le multilatéralisme se traduit par la coopération de trois États au moins dans le but d'instaurer des règles communes. Les règles s’appliquent à tous les pays signataires et il est interdit de réaliser des accords bilatéraux qui compromettraient le multilatéralisme. Ce principe est encadré par la « clause de la nation la plus favorisée » : un pays membre s’engage à accorder à tous les pays signataire le tarif douanier bilatéral le plus avantageux. Cette clause se fonde sur un principe de non-discrimination entre les pays signataires.
Le GATT organise de grands cycles de négociations multilatérales, des « rounds » entre les pays dans le but de réduire les tarifs douaniers et les restrictions quantitatives (barrières non tarifaires). Ainsi vont se succéder pour les principaux le Kennedy Round, le Torquay Round, le Tokyo Round et l’avant dernier, l’Uruguay Round au terme duquel sera mis en place l’OMC en 1995.
En raison de nombreux changements dans le commerce international comme l’importance prise par les services dans le commerce international, mais également la participation accrue des pays émergents à la mondialisation, la nécessité d'une autorité arbitrale pour régler les différends s’est imposée. L’OMC (Organisation mondiale du commerce) est créée le 15 avril 1994, à Marrakech, par la signature des 125 ministres des pays membres. En plus du commerce des biens, l'OMC s'intéresse désormais aux services et à la propriété intellectuelle. C’est véritablement le 1er janvier 1995 que l’OMC est née. Sa mission est de favoriser la liberté des échanges. Les accords de l'OMC poursuivent deux objectifs principaux. Le premier est celui de favoriser autant que possible la liberté des échanges et de poursuivre progressivement la libéralisation par voie de négociation (“… to ensure that trade flows as smoothly, predictably and freely as possible”, trad. : « veiller à ce que les échanges commerciaux soient aussi fluides, prévisibles et libres que possible »). Le second est d’instituer un moyen impartial de règlement des différends par la création d’un ORD (Organe de Règlement des différends).
Grâce au GATT (1947) puis à l’OMC (1995), les droits de douane diminuent fortement : de 40 % de la valeur des produits manufacturés en 1945 à 5 % aujourd’hui. Les nombreux accords régionaux signés depuis les années 1950 et 1980 tirent le commerce international. De 1947 à 1994, le bilan est plutôt positif en ce qui concerne la diminution des droits de douane sur les produits industriels, mais plutôt négatifs pour les produits agricoles. La baisse des droits de douane s’est accompagnée d’une explosion des échanges internationaux avec une hausse de plus de 1 600% entre ces deux dates et une hausse de plus de 600% du PIB réel mondial. Il semble donc y a voir une corrélation positive entre le développement du libre-échange et la croissance des échanges internationaux. Mais, si le discours officiel des nations reste libre-échangiste, force est de constater que les tentations protectionnistes n’ont pas disparu comme en attestent les difficultés du cycle des négociations commerciales multilatérales de Doha depuis 2001. Parallèlement, on assiste à une montée en puissance du patriotisme économique : promotion du made in, sous-évaluation de certaines monnaies pour favoriser les exportations (yuan par exemple), achat préférentiel de produits nationaux.
L’échange international de biens et de services n’est pas la seule modalité d’ouverture des économies. Celle-ci s’apprécie également dans sa dimension productive via la mobilité des facteurs de production (travail et capital). Les firmes multinationales sont les vecteurs privilégiés de cet aspect de l’ouverture des économies à travers leurs investissements directs à l’étranger (IDE).
a : Des flux principalement émis par les PDEM au XIXème siècle
Le trait caractéristique de la « première mondialisation » (1870-1914) est la mobilité du facteur travail en provenance du vieux continent. L’émigration européenne s’élève à 50 millions d’Européens entre la fin des guerres napoléoniennes et la première guerre mondiale pour diverses raisons (famine irlandaise de 1845, Grande Dépression de 1873, etc.). Le continent américain, et en particulier les Etats-Unis constituent une terre d’accueil importante. Le XIXème siècle est un siècle d’émigration massive pour les Européens dont la population augmente fortement sous l’effet de la transition démographique. En complément de ces flux de main-d’œuvre, le décollage des flux d’IDE est lui aussi assez significatif. À cette époque, les IDE sont principalement émis par la Grande-Bretagne qui détient la moitié du stock mondial d’IDE entre 1870 et 1914. Elle est suivie dans l’ordre par les États-Unis, l’Allemagne et la France.
b : La montée en puissance des FMN américaines durant l’entre deux-guerres
Entre 1914 et 1939, dans un contexte difficile pour les échanges internationaux, le stock d’IDE double et les multinationales américaines tendent de plus en plus à s’imposer, face à la domination britannique. La part du Royaume-Uni dans le stock d’IDE passe de 45 % à 40 % contre 30 % pour les FMN américaines.
c : Domination des FMN américaines et IDE Nord-Nord
De 1945 jusqu’au début des années 1970, on note la prédominance des FMN originaires des États-Unis qui s’explique par l’accroissement du niveau de vie aux États-Unis et de l’admiration des Européens pour le « modèle américain ». Dans les années 1960, les firmes américaines contrôlent la moitié des IDE mondiaux. Les flux s’orientent davantage vers les pays développés qui deviennent la zone privilégiée des IDE.
d : Depuis les années 1970, diversification des IDE et migrations Sud-Nord
Les flux d’IDE se sont considérablement accrus depuis la fin des années 1970 avec une nette accélération à partir des années 1990. En 1980, le flux d’IDE entrants représente environ 50 milliards de dollars, en 2019 il atteint plus de 1744 milliards. À partir de la fin des années 1970, les pays européens (Allemagne, France, Royaume-Uni) ainsi que le Japon tendent à s’affirmer de plus en plus en matière d’internationalisation du système productif mais depuis les 1990, c’est l’accroissement des flux d’IDE à destination des PED qui est le phénomène le plus marquant. Depuis 2009 les pays en développement et les pays en transition absorbent plus de la moitié des flux mondiaux d’IDE. Cette hausse masque toutefois des évolutions très contrastées selon les régions : les PMA attiraient moins de 1% des IDE en 2019 alors que la Chine en recevait plus de 10 fois plus à elle seule (11 % du total des IDE). La Chine est ainsi devenue le deuxième pays d’accueil derrière les États-Unis, qui eux reçoivent 20% des IDE. Notons également que la crise du covid 19 a freiné les IDE, ces derniers chutant de 40% environ en 2020. Ce déclin s’est concentré dans les économies développées, où les flux d’IDE ont chuté de 69% pour atteindre seulement 229 milliards de dollars, cette baisse est de 49% aux Etats-Unis. Les pays en développement n’accusent qu’un léger recul (-12%). L’Inde et la Chine ont observé une tendance contraire, en résistant mieux à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19. Par exemple, la Chine, qui s’est rapidement relevée de la pandémie, arrive en tête du classement des plus grands bénéficiaires. Les flux d’IDE vers la Chine ont augmenté de 4% pour atteindre 163 milliards de dollars, faisant du pays le premier bénéficiaire mondial depuis 2020.
Selon les chiffres des Nations unies, il y a aujourd’hui plus de 280 millions de migrants sur la planète, soit environ 3,6 % de la population mondiale en 2020. Si cette proportion est relativement stable, le nombre de migrants tend à croître puisqu’ils étaient environ 80 millions en 1970. Par opposition au XIXème siècle, la seconde mondialisation se caractérise par une mobilité du travail qui part des PED vers les pays développés.
D’après Jean-Louis Mucchielli, on peut considérer comme multinationale toute entreprise possédant au moins une unité de production à l’étranger. C’est donc la logique de production qui domine pour caractériser les firmes multinationales. Une entreprise ne sera vraiment multinationale que si elle produit tout ou partie de ses produits à l’extérieur de son territoire national. C’est en réalisant des IDE qu’une firme devient multinationale.
L’ONU dénombre en 2016 plus de 83 000 FMN contrôlant environ 800 000 filiales étrangères dont les ventes représentent près de 30 milliards de dollars. Elles étaient au nombre de 37 000 au début des années 1990 et possédaient moins de 70 000 filiales dans le monde. Le stock d’IDE mondial atteint près de 25 000 milliards de dollars en 2015, il a été multiplié par 12 par rapport à 1990 (2 077 milliards de dollars). Les IDE ont cependant connu de fortes baisses à la suite des crises de la bulle Internet au début des années 2000 et des « subprimes » de 2007 (baisse de 16 % en 2008) et du covid 19 (baisse de 40% en 2020). La production des FMN est cependant très concentrée sur un petit nombre d’entre elles. Les cent plus grandes FMN non financières représentent près de 0,1 % du nombre total de multinationales, mais comptent près de 30 % de l’ensemble des filiales et près de 60% de la valeur ajoutée mondiale des FMN. Les filiales étrangères de firmes multinationales emploient environs employé 69 millions de personnes et crée 7 000 milliards de dollars de valeur ajoutée ; ce qui représente environ 10 % du PIB mondial. Ces multinationales sont à l’origine d’environ les deux tiers du commerce mondial (dont la moitié est du commerce intra-firme). Leur impact sur la sphère productive est donc d’une ampleur considérable. Si les multinationales restent très largement originaires des pays développés : États-Unis, Europe, Japon, le nombre des firmes multinationales originaires des pays en développement et en transition progresse ; ce qui reflète l’essor de ces pays dans l’économie mondiale. Au cours de l’histoire des FMN, une succession de stratégies peut être mise en évidence parmi lesquelles Wladimir Andreff se propose de distinguer les stratégies « banales » et stratégies « globales ».
a : Les stratégies banales
Jusqu’au début du XXème siècle, les premières FMN adoptaient une stratégie d’approvisionnement. Les IDE avaient pour but d’approvisionner la société mère en ressources naturelles. Cette stratégie existe encore aujourd’hui dans les secteurs miniers et énergétiques qui dépendent des ressources en matières premières. Dans ce cas, on peut parler d’intégration verticale en amont (IDE vertical).
Au XXème siècle se développent les stratégies de marché dont le but est de prolonger l’activité d’exportation par une production sur le marché étranger. Les filiales relais produisent des produits identiques à ceux de la société mère. Dans ce cas, il s’agit d’un IDE horizontal. Pour contourner les obstacles aux échanges, et réduire les coûts de transport affectant leur compétitivité, les FMN peuvent préférer s’implanter à l’étranger en y assurant, comme dans son pays d’origine, les différentes étapes du processus de production afin de servir le marché local.
Au cours des années 1960 se développent des stratégies de rationalisation de la production. Les IDE permettent, dans ce cas, de localiser différents fragments du processus de production dans plusieurs pays. Les filiales ateliers produisent les composants des produits de la société mère et les exportent vers le pays d’origine ou vers des filiales localisées dans d’autres pays. Cette stratégie a été adoptée par les FMN dont la production peut être segmentée et dans laquelle une décomposition internationale du processus productif (DIPP) est possible. La FMN arbitre entre les pays d’accueil en fonction de leurs avantages comparés pour chaque opération du processus productif. Elle vise à optimiser le processus de production à l’échelle mondiale.
b : Les stratégies globales
De nouvelles stratégies apparaissent dans les années 1980 qui ont en commun d’être « globales », au sens où les firmes intègrent dans leur stratégie l’ensemble des paramètres dans la localisation de leurs activités (stratégie d’approvisionnement, de marché, rationalisation de la production) en cherchant à maximiser leur rentabilité financière pour répondre aux exigences de leurs actionnaires. Les FMN adoptent alors une vision mondiale (« globale ») de leur stratégie et cherchent à tirer profit de toutes les opportunités. Cette stratégie contribue au développement d’IDE qui s’inscrivent dans une logique conglomérale ainsi que des opérations de fusions-acquisitions internationales. Dans le premier cas, les unités de production achetées à l’étranger se trouvent dans d’autres branches d’activité et la motivation de l’achat n’est pas productive mais financière puisque la finalité est de s’implanter sur de nouveaux secteurs où les perspectives de rentabilité sont fortes. Les opérations de fusions-acquisition répondent, dans le second cas, à une logique d’économies d’échelles puisqu’elles permettent d’atteindre à travers les restructurations d’entreprises une taille critique qui améliore la compétitivité –coût de la FMN et sa rentabilité.