Comment penser l’avenir des mobilités urbaines ?

Titre : Comment penser l’avenir des mobilités urbaines ? 

 

Melchior vous propose ce décryptage pédagogique de l’article de Jean Coldefy « L’indispensable révision du modèle économique des transports publics »,  La Grande Conversation, 2023.

Publié en juin 2023, cet article de Jean Coldefy (Directeur des programmes ATEC ITS France et président du Think Tank de l’URF) permet de fournir un point d’actualité sur les chapitres du programme de spécialité Sciences économiques et sociales de Première « Quelles sont les principales défaillances du marché? » et de Terminale « Quelle action publique pour l’environnement ?».

Le + de l'article

  • Faire un point sur les coûts de la mobilité urbaine.

  • Comprendre à quelles conditions on peut organiser un report de la voiture individuelle vers les transports collectifs.

Résumé :

La mobilité dans les pays développés repose encore aujourd’hui essentiellement sur l’usage de la voiture thermique. Or, la nécessité de décarboner les mobilités remet en cause cet état de fait. En France l’essentiel des émissions de Gaz à effet de serre (GES) est lié aux mobilités du quotidien et en particulier des liens entre le périurbain et les agglomérations par des ménages qui travaillent en ville sans y habiter et qui n’ont la plupart du temps pas accès aux transports publics. Dans ces conditions, il convient de mettre en œuvre des solutions qui mobilisent la voiture électrique pour les zones peu denses, et les transports collectifs ou individuels (cars express, trains, covoiturage, vélo…) en zones denses ou pour y accéder. Il faudra privilégier les solutions maximisant les économies de CO2 en mobilisant au minimum les budgets publics.

Globalement, si on s’en remet aux trajets du quotidien (inférieurs à  100 kilomètres), il y a un intérêt collectif pour la société française à développer les transports en commun là où ils sont les plus efficaces.

Source : Jean Coldefy, op.cit.

 

Pour les trajets domicile/travail et les jours ouvrés, donc quand la voiture est assez peu occupée et que les transports en commun sont fortement utilisés (ce qui permet de réduire le coût par passager kilomètre), on constate que ces transports collectifs coûtent 2 fois moins cher que la voiture en semaine, et 2,5 fois moins cher si l’on considère les trajets entre le domicile et le travail. Par contre globalement la voiture coute en moyenne 50% plus cher à la société que les transports en commun. En effet, d’une part la voiture a un taux d’occupation plus élevé les WE et en vacances, ce qui réduit le cout au passager kilomètre, d’autre part de nombreuses lignes de transports en commun, urbain comme TER sont très peu fréquentées. Il y a donc des situations très contrastées.

Mais le développement de ces transports collectifs ne peut se faire qu’en mobilisant davantage la dépense publique, même si des solutions de délégation de service public existent également (voir le point d’éclaircissement sur les « biens de club »). Actuellement, la voiture individuelle assure près de 90% des kilomètres du quotidien tout en mobilisant 21% des dépenses publiques de transport. Quant aux transports publics, ils représentent 8% des kilomètres parcourus pour 60% des dépenses publiques. Or, ce transport public est largement déficitaire, ce qui en soit n’est pas anormal, mais ce qui l’est plus c’est que cette situation n’a cessé de se dégrader depuis les années 1990. Comme on le voit dans le tableau ci-dessous, sur les agglomérations de plus de 100000 habitants, alors que la collectivité déboursait 0,75 euro en 1995 par voyage en transports publics, elle en dépense en 20151,70 euros, soit une augmentation de 144%. Cette situation a encore dérivé puisqu’en 2019 nous en sommes à 1.9 € de déficit par voyage.

 

D’où vient cette faible performance des TER (Trains express régionaux) et des transports en commun urbains ? En ce qui concerne les TER, elle est due au monopole public de la SNCF qui impose des coûts unitaires très élevés à la collectivité nationale et régionale, ainsi qu’à un taux d’occupation trop faible des trains (selon l'Autorité régionale des transports, le taux d’occupation des TER est de 26% en moyenne avec des situations très disparates selon les lignes). Au niveau des transports en commun urbains, c’est l’extension des réseaux dans les couronnes des agglomérations qui explique les coûts moyens très élevés, extension qui est elle-même le résultat de l’éclatement communal français, qui conduit à ce que chaque commune souhaite disposer de sa ligne et de ses arrêts de transport, même pour de faibles populations.

Si on veut déployer beaucoup plus de transports en commun entre les périphéries et les zones d’emploi des agglomérations, il faut donc faire en sorte que le bien public rare qu’est le transport collectif soit géré de manière plus efficiente. Et pour y parvenir, il faut agir simultanément sur les coûts et les recettes des transports collectifs.

Au niveau des coûts, il faut agir sur les quantités et sur les couts unitaires. Sur le premier point, il faut supprimer ou raccourcir les lignes trop peu fréquentées et renforcer dans le même temps l’accès à ces lignes en voiture et en vélo par des parkings relais (sécurisés pour les vélos) et par des pistes cyclables. On pourrait alors renforcer les fréquences sur ces lignes qui seraient bien positionnées dans le temps et l’espace, ce qui renforcera fortement leur fréquentation. Vouloir chercher les gens devant chez eux dans des zones peu denses ne fonctionne pas, la voiture étant évidemment bien plus performantes. Sur le second point c’est par la mise en concurrence des TER et des transports publics en Ile de France que l’on fera baisser significativement les prix pour la collectivité comme cela a été constaté sur les premiers appels d’offres TER. (Au contraire de la concurrence, le monopole, donc celui de la SNCF, impose ses prix et ses conditions de qualité de service au reste de la société). Au niveau des recettes, puisque l’option de l’augmentation des impôts n’est guère réaliste, il faut s’orienter vers l’augmentation globale de la contribution de ces usagers, ce qui ne signifie pas pour autant une augmentation généralisée des tarifs (voir l’extrait pour la classe de première). En effet la tarification actuelle a été mise en place en 1975. Or aujourd’hui bon nombre de personnes travaillent à temps partiel, avec des horaires décalées, télétravaillent, sont autoentrepreneur…etc. Pour ceux là l’abonnement n’est pas intéressant et les tarifs au ticket sont plus élevés que la voiture. Il faut revoir la tarification des transports en commun pour qu’elle corresponde mieux aux usages et prenne en compte les revenus. 

Retrouvez l’article complet :

Les termes clés :

  •  Agglomération urbaine :  Une agglomération urbaine est un ensemble de villes concentrées dans une zone géographique, comportant un noyau central et les municipalités dont les territoires se touchent.

  • Biens collectifs : Les biens collectifs sont de plusieurs types (« purs » ou « impurs »), en fonction de la combinaison des critères d’exclusivité et de rivalité (voir plus bas le point d’éclaircissement).

  • Mobilité urbaine : La mobilité urbaine désigne l’ensemble des déplacements des personnes dans un espace urbain. Elle concerne les activités quotidiennes liées au travail, aux achats domestiques, et aux loisirs.

  • Périurbain : L’espace périurbain est un espace situé en périphérie d’une agglomération urbaine. C’est une catégorie officielle de l’INSEE depuis 1996, bien qu’il soit difficile de saisir le fait périurbain : il se situe dans l’aire d’attraction d’une ville, mais s’étend parfois assez loin dans l’espace rural.

  • Report modal : C’est le passage d’un mode de transport à un autre, visant le plus souvent à favoriser le mode de transport le plus respectueux de l’environnement. Le report modal représente aujourd’hui un enjeu considérable pour les pouvoirs publics, dans la perspective de l’optimisation de la performance des réseaux de transport.

Le point d’éclaircissement sur les biens de club :

Dans la typologie de Samuelson élaborée en 1954 (« The Pure Theory of Public Expenditive »), on distingue les biens selon les critères d’exclusivité et de rivalité. Un bien est rival quand la consommation de celui-ci peut empêcher sa consommation par un autre individu (et inversement pour la non-rivalité), et exclusif quand on peut empêcher une personne de consommer ce bien (et inversement pour la non-exclusivité). Aux deux extrêmes de cette typologie, on trouve les biens privés (rivaux et exclusifs) fournis par le marché et les biens collectifs purs (non-rivaux et non-exclusifs) fournis par la puissance publique (l’exemple le plus classique étant l’éclairage public). Les deux autres types de biens, à savoir les biens de club (non-rivalité et possibilité d’exclusion) et les biens communs (rivaux et sans possibilité d’exclusion) sont des biens collectifs dits « impurs » pouvant être fournis soit par le marché, soit par la puissance publique, ou encore par des solutions intermédiaires, en fonction des choix opérés par la collectivité. 

Les infrastructures comme les réseaux autoroutiers ou les transports publics sont des biens de club, parce-que la possibilité d’exclusion existe mais que ce sont des biens non-rivaux (l’accès d’une personne supplémentaire dans un transport public ne réduit pas l’accès à d’autres consommateurs, au moins jusqu’au point de saturation). Pour produire ce type de biens, le choix entre un établissement public ou une entreprise privée est un choix politique, sachant que le problème le plus important est le prix que doit payer l’usager (puisque la non-rivalité a pour conséquence que le coût marginal pour servir un utilisateur supplémentaire est nul).

Prenons brièvement le cas des autoroutes pour illustrer ce point. La « privatisation » de celles-ci en 2005 (ou plutôt l’attribution de concessions à des sociétés privées) peut avoir pour conséquence un prix jugé élevé du péage (qui s’éloignerait du « juste prix »), engendrant une rentabilité élevée pour les sociétés autoroutières dans un modèle économique parfois qualifié de « sans risque ». Mais la même privatisation permet à l’Etat de bénéficier de rentrées d’argent (rachat des parts de réseaux par les entreprises privées), de faire payer moins d’impôt puisque ce sont désormais les utilisateurs qui financent le service et non les contribuables, et d’éviter également les dépenses pour assumer l’entretien des routes et certaines opérations d’investissement. Il est bien difficile quand on examine l’ensemble du dossier d’affirmer que la « privatisation » des autoroutes bénéficie avant tout au profit des sociétés autoroutières. On ne peut répondre à cette question sans prendre en compte le modèle économique particulier qui est celui de la concession autoroutière. En tout cas, cela montre bien que le choix entre un service public ou privé est un choix politique : est-on avant tout sensible aux inégalités d’accès générées par le prix du péage ou à l’intérêt de désengager l’Etat de la fourniture de certains services quand cela est possible ?

Voir l'étude de cas : Le cas Vinci

L’extrait pour la classe de Première : Comment envisager la tarification de la mobilité ?

« Les transports en commun coûtent pour l’usager en moyenne deux à trois fois moins cher que la voiture : 0,07 euro/passager au kilomètre pour le TER et 0,11 pour les TCU contre 0,22 pour la voiture (et beaucoup plus encore si l’on considère les seuls trajets en semaine ou pour se rentre au travail). Cependant, si on distingue les abonnements des tarifs au ticket (voyageurs dits « occasionnels »), le prix payé par les voyageurs occasionnels est similaire à celui de la voiture. Pour ceux qui ne se déplacent pas tous les jours – les temps partiels, les télétravailleurs, les multi-employeurs, etc. – les tarifs abonnés ne sont pas intéressants et les tarifs au ticket trop coûteux…… Comme les occasionnels constituent la moitié des voyageurs, mais réalisent seulement 25% des voyages, il y a là un gisement important du report de la voiture vers les transports en commun. L’abonnement induit par ailleurs une surconsommation des transports en commun sur de courtes distances : que vous preniez le transport une fois ou cent fois, c’est le même prix, ce qui explique que 25% des trajets fasse moins de deux arrêts avec des temps de parcours proches de la marche et supérieurs à ceux du vélo. La saturation aux heures de pointe a pour conséquence, compte tenu de l’inconfort, un report des transports publics vers la voiture pour les voyageurs devant réaliser des trajets longs. Il faudrait ainsi adapter la tarification pour que les occasionnels le soient moins et que les abonnés utilisent les transports publics à meilleur escient. L’espace public de transport public est un bien commun et doit être économisé. Imagine-t-on tarifer l’eau ou l’énergie de manière forfaitaire ? C’est portant ce que l’on fait avec les transports en commun, seul service à fonctionner de la sorte.

Pour y parvenir, une tarification à l’usage semble la piste la plus prometteuse et les technologies le permettent aujourd’hui ……. Par exemple, une tarification à la distance et en fonction des revenus, ce qui recueille un très large assentiment de la population. Dans tous les cas, une tarification spécifique pour les faibles revenus et les familles devra être préservée. De tels dispositifs permettraient d’enclencher un cercle vertueux : plus de confort, moins de voiture ; l’inverse exact des conséquences de la gratuité dans les agglomérations ».

Les sujets qui font débat :

  • Le monopole dans les transports collectifs conduit-il nécessairement à l’inefficacité ?

  • L’exigence du service public dans les transports implique-t-elle forcément le maintien de lignes de transport peu fréquentées ?

  • Y a-t-il une tarification de la mobilité qui puisse satisfaire à la fois aux critères d’efficacité économique et de justice sociale ?

Pour aller plus loin :

Liens melchior

Partie pédagogique

Réalisée par Judith Leverbe

1- QCM : sur l'avenir des mobilités urbaines

Plusieurs répPlusieurs réponses sont possibles

3- L’enjeu du coût des transports en commun

« Les transports en commun coûtent pour l’usager en moyenne deux à trois fois moins cher que la voiture : 0.07 €/passager au km pour le TER et 0.11 pour les transports en commun urbains contre 0.22 pour la voiture​​. Cependant, si on distingue les abonnements des tarifs au ticket (voyageurs dits « occasionnels »), le prix payé par les occasionnels est similaire à celui de la voiture. Pour ceux qui ne se déplacent pas tous les jours, les tarifs abonnés ne sont pas intéressants et les tarifs au ticket trop coûteux. Les personnes aux revenus faibles non éligibles aux tarifs sociaux sont alors incités à utiliser la voiture… ou à frauder les transports publics. La structure de la tarification a un impact direct sur la fraude, (…). Comme les occasionnels constituent la moitié des voyageurs, mais réalisent seulement 25% des voyages, il y a là un gisement important de report de la voiture vers les transports en commun. L’abonnement induit par ailleurs une surconsommation des transports en commun sur des courtes distances : que vous preniez le transport une fois ou cent fois, c’est le même prix, ce qui explique que 25% des trajets fasse moins de deux arrêts avec des temps de parcours proches de la marche et supérieurs à ceux du vélo. »

Source : La grande conversion

4- Quelle tarification pour favoriser les transports collectifs ?

« Une tarification à l’usage semble la piste la plus prometteuse et les technologies le permettent aujourd’hui ; un système avec un prix d’accès au réseau et un prix par trajet : par exemple 5€ fixe + 1 € / déplacement à l’image de ce que faisait intelligemment le Grand Nancy ; autre possibilité : une tarification à l’abonnement pour les seuls trajets domicile-travail (40 trajets par mois pour un temps plein, 20 pour un mi-temps) et un tarif de 2 € pour les autres trajets ; ou encore : une tarification à la distance et en fonction des revenus, ce qui recueille un très large assentiment de la population. »

Source : La grande conversion

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