Résumé
Le réchauffement climatique s’est imposé maintenant comme le problème majeur des sociétés humaines. Cependant, alors que l’industrie, la construction, l’énergie sont déjà parvenues à réduire significativement leurs émissions de gaz à effet de serre, il n’en va pas de même pour la mobilité qui contribue dans notre pays à 30% des émissions. Comment décarboner rapidement, efficacement et équitablement ? C’est la question que Jean Coldefy s’attache à résoudre dans ce livre. L’auteur ne plaide pas pour la décroissance, mais pour un usage raisonnable de la mobilité et de nos ressources. Si la décarbonation sera difficile, Jean Coldefy considère cependant qu’elle sera à l’avenir un puissant élément fédérateur de nos sociétés.
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Voir la note de lecture « La conversion écologique des Français. Contradictions et clivages ».
L’ouvrage
L’histoire de la mobilité, depuis toujours, est celle du temps des déplacements, et des moyens mis en œuvre pour s’en affranchir. Avant la révolution industrielle, il y avait une véritable « tyrannie de la distance, pour reprendre l’expression de Paul Bairoch dans son histoire des villes. Les progrès techniques successifs ont fait voler en éclats cette limite : avec l’accroissement des vitesses de déplacement (chemins de fer, voitures, bateaux, avions), c’est la possibilité sans cesse élargie de s’approvisionner, de vendre, de voyager et de travailler plus loin qui a été offerte aux hommes. Les mobilités sont ainsi devenues essentielles pour la vie des ménages et des entreprises.
Mais les mobilités pèsent lourd dans le bilan carbone : 30% des émissions, dont 16% pour la seule voiture. C’est la raison pour laquelle la mobilité concerne des enjeux croissants pour un pays développé comme la France : enjeux d’équité, de cohésion sociale et territoriale, d’environnement, et également économiques. Remettre du lien entre les territoires, développer l’économie, maintenir le réchauffement climatique en-dessous de 1,5°C passe nécessairement par une adaptation de notre système de mobilité.
La problématique de la mobilité suggère parfois l’illusion de la simplicité, voire du simplisme, illusion que l’on peut résumer en quelques équations sommaires, que l’on trouve régulièrement dans la littérature de vulgarisation sur le sujet : plus de vélos = moins de voitures ; des transports publics gratuits = moins de voitures ; moins d’étalement urbain = moins de voitures… Or, au-delà de ces idées simples, il est important de comprendre que ce qui se joue derrière les mobilités nécessite une approche pluridisciplinaire qui intègre le flux des transports, mais aussi la géographie, l’économie, la psychologie, la sociologie, l’aménagement du territoire et l’urbanisme. En croisant ces différentes disciplines dans une démarche qui se veut toujours scientifique, Jean Coldefy donne des clés de lecture pour analyser les mobilités du quotidien, déconstruire les idées reçues et proposer des solutions pour assurer les deux enjeux clés de la décennie qui s’ouvre, à savoir d’une part relier les territoires, les catégories professionnelles et les générations, et d’autre part décarboner les mobilités.
L’enseignement majeur de l’ouvrage de Jean Coldefy est que en adoptant une démarche rigoureuse qui part de l’analyse des faits, on peut proposer des solutions efficientes pour l’avenir afin d’adapter notre système de mobilité aux enjeux du XXIème siècle. Et il faut pour cela cesser d’opposer la rationalité technique et la décision politique, ou encore « l’éthique de conviction » et celle de la « responsabilité » (Max Weber). Si des choix sont techniquement souhaitables, ils doivent être également politiquement réalisables. En d’autres termes, on ne peut plus se cantonner à une approche technique ou « technocratique » des questions de mobilité en laissant au politique la charge de la mise en œuvre. Certes, le chemin est compliqué, entre les injonctions des militants environnementaux et les demandes des citoyens dans toute leur diversité. Mais la conclusion de Jean Coldefy est résolument réaliste et optimiste, confiante dans la capacité des générations à relever le double défi du réchauffement climatique et de la construction d’une société plus inclusive. Au passage, c’est à une conception bien particulière de l’action politique qu’invite ici l’auteur, dans laquelle « le politique est l’art de rendre possible le nécessaire » (Jean du Plessis de Richelieu, dit Cardinal de Richelieu).
Voir le regard croisé « Transport, mobilités et aménagements du territoire : comment les entreprises peuvent-elles relever les nouveaux défis ? ».
I- Le diagnostic : la mobilité, l’une des premières sources d’émission dans le monde
Les derniers rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) montrent clairement les impacts du changement climatique, et surtout l’accélération du phénomène. Pour contenir le réchauffement climatique à +1,5°C par rapport à 1900, il nous faut réduire de 55% d’ici 2030 nos émissions, et assurer la neutralité carbone d’ici 2050.
Or, les mobilités sont l’un des premiers postes dans le monde et en France d’émissions de Gaz à effet de serre (GES). C’est la raison pour laquelle la Stratégie nationale bas-carbone française (SNBC) s’est fixée comme objectif une diminution de 24 % des émissions de la mobilité en 2030 par rapport à 2019, et l’Union européenne de 56% également par rapport à 2019. L’objectif européen constitue une rupture par rapport aux résultats passés : en 30 ans, les émissions des voitures sont restées stables. Cela nécessite une action particulièrement vigoureuse.
Quand on examine en détail les trajets quotidiens des Français (Enquête nationale transports et déplacement), on constate que 30% des émissions de la voiture sont dues à des trajets supérieurs à 80 kms et 70% à des trajets inférieurs à 80 kms, dits du quotidien. Ces émissions du quotidien sont liées au phénomène de métropolisation des emplois qui s’est renforcé au cours du temps, et qui a alourdi le poids des distances domicile-travail, puisque les mobilités résidentielles, c’est-à-dire les déménagements, sont plus compliqués dans les métropoles, compte-tenu du coût de l’immobilier. Dans ces conditions, il est clair que l’enjeu de la décarbonation ne se situe pas dans les centres villes des agglomérations, mais dans les liens centres-périphéries, et au sein de la seconde couronne que l’on appelle le périurbain. En effet, la compilation des enquêtes ménages-déplacements sur 60 agglomérations (données Cerema) révèle que les allers et retours vers le travail sont dans les grandes agglomérations de 32kms par personne et par jour, tous modes confondus, représentant 50% des kms parcourus, et 60% avec les déplacements liés aux études. Ces déplacements sont réalisés très majoritairement en voiture, à plus de 75%.
L’enjeu essentiel de la décarbonation des mobilités est donc très clairement l’usage de la voiture, au sein et entre les aires urbaines. Or, cet usage varie énormément en fonction des territoires, un ménage parisien effectuant en moyenne 6 fois moins de kms en voiture qu’un ménage habitant en zone rurale. La décarbonation des mobilités pose dès lors à l’évidence un problème d’équité sociale et territoriale. Quand on examine la part du budget des ménages consacrée aux déplacements, on constate que celle-ci est passée de 11% en 1960 à 17% en 2007, mais avec de fortes disparités selon la localisation. Globalement, plus on habite près des centres villes, moins on fait de kms, le travail constituant le principal facteur qui motive ces déplacements. Et plus on est riche, plus on se déplace, mais plus on prend les transports en commun. Et c’est un point qu’il faut souligner : les classes sociales aisées prennent plus souvent les transports en commun parce-que ceux-ci leur sont accessibles. C’est ainsi que les ouvriers prennent leur voiture pour 87% des kms parcourus contre 76% pour les cadres. Et qu’inversement les cadres prennent les transports en commun pour 18% des distances parcourues et 7% pour les ouvriers.
II- Quelques fausses solutions sur la mobilité
Puisqu’il faut prendre au sérieux la nécessité de décarboner les transports, on a vu apparaître ces dernières années un florilège d’actions qui peuvent avoir une pertinence locale, mais qui ne constituent en rien une solution globale. Toutes se fondent implicitement sur la croyance au principe de substitution. Au vu des médiocres résultats des vingt dernières années, on ne parle plus de report modal (le report modal est le transfert d’une partie du flux associé à un mode de transport spécifique vers une autre catégorie de transport. Il pourra s’agir notamment du transfert d’un certain nombre d’automobiles vers le train, ou encore des passagers prenant habituellement l’avion vers un bateau), mais on promeut la ville du quart d’heure, la gratuité des transports collectifs, les zones à faibles émissions, la baisse des vitesses, l’usage du vélo. Toutes ces actions ne sont pas à rejeter, mais elles ne concernent en général qu’une faible partie des déplacements, ceux propres aux centres villes qui ne réalisent que 3% des distances parcourues et des émissions de gaz à effet de serre.
Il n’en est pas de même parmi celles-ci pour la gratuité des transports collectifs, puisqu’ils concernent les relations centre-périphérie des villes. Mais les transports gratuits signifient-ils automatiquement moins de voitures ?
Contrairement à ce que l’on peut penser, la gratuité ne réduit pas le trafic routier parce-que le problème n’est pas la demande de transports publics (qui bien sûr augmente en cas de baisse des prix, et encore plus en cas de prix nul), mais l’offre. Si des centaines de milliers de voitures rentrent chaque jour dans les métropoles, c’est en raison du manque de transports en commun. On estime ainsi qu’il faudrait trois fois plus de transports en commun depuis les périphéries des grandes agglomérations et au sein des premières couronnes pour pouvoir délaisser sa voiture et répondre à la demande. La gratuité ne peut se justifier que dans les petites villes ou certaines villes moyennes qui ne sont pas congestionnées. Mais la situation des grandes villes est tout autre. D’ailleurs, les villes pionnières de la gratuité qui se situent aux Etats-Unis (Portland, Austin, Denver) sont toutes revenues en arrière pour financer le développement de leurs agglomérations par des réseaux de transport en commun.
En effet, outre le problème de la demande que l’on vient d’évoquer (problème renforcé par la saturation du réseau, puisque la gratuité met les piétons et les cyclistes dans les bus et les tramways), la gratuité débouche sur une augmentation des impôts. Si on ne veut pas augmenter la pression fiscale qui pèse sur les électeurs, ce sont les entreprises qui sont sollicitées via le versement mobilité. Cette taxe affectée au financement des transports publics est assise sur le coût du travail, de l’ordre de 2% de la masse salariale. Ce sont par exemple les mutuelles à Niort, et Arcelor Mittal ainsi que le port à Dunkerque, qui financent la gratuité pour ces deux villes. On peut à l’évidence se demander si le financement par les entreprises est une bonne chose dans un pays où le taux de marge est le plus faible d’Europe (dix points séparent la France de la moyenne européenne), les rendant ainsi plus fragiles en cas de chocs et moins capables d’investir pour développer de nouveaux services et produits. Ajoutons à cela que la gratuité n’est même pas une mesure sociale, parce qu’elle revient à confondre équité et égalité. Si on définit l’équité sociale comme le fait de faire plus pour ceux qui peuvent le moins, à quoi sert-il de reporter sur la collectivité via l’impôt une charge qui pourrait être assumée par ceux qui en ont les moyens ?
Au total, il semble bien que la gratuité des transports collectifs soit néfaste pour répondre aux enjeux d’équité territoriale et de réchauffement climatique. Ce sont en fait les candidats aux élections qui proposent la gratuité en privilégiant le court terme (les bénéfices électoraux de la mesure) plutôt que le long terme (la décarbonation et le lien social et territorial).
Voir l’étude de cas « Transdev et la lutte contre la fraude dans les transports publics »
III- Vers des mobilités justes et bas carbone
La baisse des émissions de 40% d’ici 2030 (par rapport à 2019) oblige à se focaliser sur des moyens à court et à moyen termes, et à prendre en considération le fait que 40% des émissions proviennent des liens centre-périphérie des grandes villes, 40% des déplacements au sein de la première couronne, et 20% des liens à l’intérieur des villes.
Pour la longue distance, c’est par la voiture électrique que passera la décarbonation. En France, compte-tenu du mix énergétique très décarboné (En Allemagne, un véhicule électrique est aujourd’hui plus carboné qu’un véhicule essence), la voiture électrique a le potentiel de diviser par trois les émissions de CO2 avec les technologies actuellement connues. Mais le véhicule électrique n’est pas la solution miracle. Avec le taux de renouvellement des véhicules, on estime que l’on atteindra 25% des parts de marché de véhicule électrique en 2030, ce qui est loin de l’objectif européen fixé à 55%. De plus, le véhicule électrique affecte lourdement les finances de l’Etat. Par exemple, en Norvège, les subventions pour aider au déploiement du véhicule électrique (pays le plus avancé au monde, avec 70% de part de marché) coûtent environ 1400 euros la tonne de CO2. Dans ces conditions, la priorité actuelle des politiques nationale et européenne sur le déploiement de la voiture électrique comporte un angle mort important : on n’atteindra pas la neutralité carbone sans report modal.
C’est la raison pour laquelle si pour les trajets inférieurs à 5kms, le vélo, en particulier électrique, peut apparaître comme une bonne solution (dans les premières couronnes et dans les villes moyennes), il faudra installer dans les grandes villes un report modal de la voiture vers les transports en commun. Et cela n’est pas seulement une question de transport en commun, mais aussi et surtout une question d’organisation de l’espace à l’échelle des bassins de vie. Cela suppose de mettre en place des couronnes périurbaines autour des axes de transport en commun (ce que les urbanistes appellent le Transit Oriented Development- TOD), et donc de densifier les bourgs de 4000 à 5000 habitants, taille minimale pour la viabilité des commerces de proximité, et de n’urbaniser qu’à 1 ou 2 kms des pôles de transport en commun, à l’instar de ce que Copenhague et Stockholm ont déjà fait il y a quelques années. C’est autour des pôles de transport en commun qu’il faut organiser l’habitat et l’emploi.
La mise en œuvre de telles solutions (et de toutes les autres) pose le problème du financement. Les experts du GIEC estiment que pour maintenir la température à +1,5°C, il faut investir 3% du PIB chaque année pour décarboner notre économie. En France, cela signifie plus de 70 milliards par an. C’est le montant de l’impôt sur le revenu (faut-il le doubler ?). Cela représente également 50% de la TVA (faut-il l’augmenter de 50% ?), ou encore deux fois la TICPP : taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (faut-il multiplier par deux la taxe sur l’essence ?).
Toutes ces mesures sont très impopulaires. En tout cas, il paraît exclu de financer par la dette, qui reporte le fardeau sur les générations futures. Dans ces conditions, la taxe carbone apparaît comme une solution acceptable. Par exemple, la Suède a généralisé la taxe carbone pour un montant de 120 euros la tonne. Et les résultats sont là : une baisse de 40% des émissions par habitant depuis 20ans en Suède et une augmentation simultanée du PIB de plus de 50%. Mais puisque pour des raisons sociales évidentes, il est peu probable que l’on arrive au niveau européen à intégrer la voiture au marché du carbone, il semble assez pertinent de se tourner vers l’usager automobiliste, étant donné qu’il n’est pas juste de taxer uniformément des ménages en situation de mobilité très différentes, et cela pour assurer le financement du programme de décarbonation de la mobilité. A cet égard, le péage urbain, qui interpelle pourtant la culture française, semble être un dispositif assez juste, car il permet de distinguer les situations dans les territoires et évite le prélèvement uniforme sur les contribuables. Evidemment, l’acceptation d’une telle mesure par les Français suppose que l’on surmonte la représentation qui l’identifie comme une mesure anti sociale. Pour parvenir à ce résultat, trois conditions sont requises : l’existence d’une alternative efficace à la voiture, une équité territoriale faisant participer aussi les habitants des hypercentres, et la fourniture d’un bénéfice direct avec un transport en commun permettant au contributeur de faire des économies significatives.
Voir la synthèse « Les dilemmes de la fiscalité écologique : l’exemple de l’écotaxe » et la synthèse : " La taxe carbone".
Quatrième de couverture
Les mobilités sont l’un des premiers facteurs d’émissions de gaz à effet de serre en France. La crise des Gilets jaunes a cependant montré que décarboner les mobilités nécessite de prendre en compte les différences de situations. Quels sont les enjeux territoriaux et sociaux des mobilités ? Comment décarboner les déplacements de manière équitable ? Combien cela coûtera-t-i et qui paiera ? Comment compenser pour les plus fragiles ? Quels impacts sur la gouvernance publique ? Telles sont les questions auxquelles ce livre essaie de répondre en analysant précisément les enjeux et en déconstruisant les simplismes en vogue. Parvenir à une neutralité carbone est un challenge immense. Les solutions existent et nécessitent plus de cohésion sociale et territoriale. La crise climatique pourrait ainsi aider la société française à se trouver un destin commun.
L’auteur
Ingénieur de l’Ecole centrale de Lille, Jean Coldefy est directeur des programmes d’ATEC ITS France et conseiller du président de Transdev. Il a été adjoint du service de mobilité urbaine de la métropole de Lyon après avoir été responsable de l’activité sur les mobilités et l’innovation dans une société de conseil. Elu local pendant 12 ans, il est membre du comité scientifique de France Mobilités et a participé à l’écriture de la loi d’orientation des mobilités. Il assiste des entreprises et des collectivités dans leurs projets de mobilité. Il intervient dans plusieurs écoles du supérieur et universités.