Auteurs :
- Jacques Barthélémy est avocat conseil en droit social (honoraire), ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier et fondateur du Cabinet éponyme
- Gilbert Cette est Professeur d’économie associé à l’Université d’Aix-Marseille (AMSE)
- Gépy Koudadje est Avocate à la Cour et chargée d’enseignement à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne
Dans le cadre du choc du Covid-19, les partenaires sociaux de plusieurs branches sont parvenus à négocier rapidement des accords sur la prise des congés payés pour tenter d’amortir la crise liée à l’épidémie du coronavirus ou encore à diffuser des recommandations visant à poursuivre l’activité et assurer la sécurité des travailleurs. La crise sanitaire a ainsi illustré que la branche professionnelle reste un niveau pertinent sinon incontournable pour apporter des réponses communes à des difficultés rencontrées par l’ensemble des entreprises relevant d’un même secteur d’activité.
Cette actualité vient rappeler l’intérêt majeur du chantier de restructuration des branches professionnelles en cours depuis 2014 et visant à remplacer un paysage conventionnel morcelé par des branches professionnelles en nombre nettement plus réduit, plus cohérentes et aux moyens étendus pour renforcer à ce niveau l’effectivité du dialogue social. Comme le détaille le pré-rapport Ramain[1], ce processus est ambitieux et vise à aboutir à un nombre limité de branches, inférieur à la centaine contre près de 700 en 2014. Les récentes transformations du droit social, via les ordonnances travail de septembre 2017 et la loi Pénicaud de mars 2018, ont renforcé, par la technique de la supplétivité, la place des normes conventionnelles définies par la négociation collective de branches et d’entreprises vis-à-vis des normes légales et réglementaires ainsi que l’autonomie de l’accord d’entreprise à l’égard de la convention de branche. Cette évolution est l’aboutissement d’un très long processus ouvert dès les lois Auroux en 1982. Elle permet aux acteurs de la négociation collective de définir des normes plus à même de concilier efficacité économique et protection des travailleurs qu’un tissu légal et impératif. Ces modifications sont en effet par nature homogènes, et ignorent les spécificités des besoins et attentes très hétérogènes entre branches et entreprises. Mais l’effectivité de cette évolution nécessite désormais au niveau des branches une réelle capacité à mieux élaborer des normes via le dialogue social. L’émiettement des branches est l’un des obstacles à une telle capacité.
Dans le contexte de la restructuration en cours, le rôle régulateur de la branche mériterait d’être plus précisément défini pour articuler plus clairement les rôles respectifs des branches et des entreprises dans l’élaboration des normes, mais aussi dans les réponses à apporter à différents défis parfois complexes. Le niveau de la branche paraît le plus adapté pour de nombreux aspects relevant des questions de protection sociale (lorsqu’est poursuivi un objectif de solidarité), de formation professionnelle ou encore d’adaptation face au choc de la digitalisation ainsi qu’à l’impératif de transition écologique et énergétique impactant les métiers d’entreprises concurrentes dans un même secteur d’activité.
La disparition progressive des petites branches qui se caractérisaient par une carence du dialogue social, une petite taille ou une existence territoriale etc. est largement avancée. Les prochaines restructurations dans les mois ou années à venir pourraient donc concerner des entités avec un nombre de salariés et/ou un poids économique plus important et/ou même parfois un dialogue social plus dynamique.
Reste que le chantier de restructuration présente deux types de difficultés qui pèsent sur les acteurs des branches professionnelles. Une première difficulté est de pouvoir identifier les rapprochements pertinents, au regard de conditions sociales et économiques proches. Une seconde difficulté concerne la transition d’une convention collective d’une branche donnée vers la nouvelle convention collective ayant un champ plus vaste en trouvant un équilibre entre le principe d’égalité de traitement des salariés ne relevant pas initialement de la même convention collective, la protection des salariés et l’efficacité économique. Cependant, la réponse à ces difficultés peut résider dans l’articulation renouvelée du dialogue social dans les branches et les entreprises. La négociation collective au niveau de l’entreprise permet de construire des dispositions conventionnelles spécifiques et adaptées à la meilleure conciliation microéconomique entre l’efficacité économique et la protection des travailleurs. Cela rend indispensable une réflexion théorique sur la notion de branche qui gagnerait à être alimentée en s’appuyant sur le concept d’unité économique ayant déjà servi à définir juridiquement l’entreprise en droit du travail. Cela permettrait de plus de cerner le domaine de ‘l’ordre public professionnel’ auquel un accord d’entreprise ne peut déroger[2].
Un moratoire de quelques années peut être utile à un stade de la restructuration afin de porter à leur terme les regroupements engagés et afin de bien considérer les nouveaux regroupements pertinents dans un paysage totalement transformé, surtout que le périmètre des activités et métiers est en transformation permanente du fait de la vie économique, des transformations de l’emploi, et des regroupements en cours. Ne pas envisager une telle respiration serait prendre le risque d’engager des regroupements peu performants. Les difficultés évoquées plus haut, inévitables dans un processus d’une telle ambition, appellent une articulation renouvelée du dialogue social dans les branches et les entreprises. L’enjeu est de taille pour notre pays. Le contexte de l’après covid-19 se prête à une telle pause permettant une réflexion de fond sur la dynamique des restructurations.
[1] AEF, Dépêche n°621030, Atteindre l’objectif de moins de 100 branches nécessite des évolutions législatives (rapport non définitif de P. Ramain).
[2] Voir sur ces questions J. Barthélémy (2016) : « L’ordre public professionnel », Les cahiers Lamy du DRH, n°235, oct. ; J. Barthélémy et G. Cette (2018) : « L’accord d’entreprise pris en sandwich entre la branche et le contrat de travail », Les cahiers du DRH, n°258, nov. ; J. Barthélémy (2019) : « Branche et ordre public professionnel », Les cahiers Lamy du DRH, n°268, oct.