COURS 1 : La croissance économique

Sommaire

La croissance économique renvoie à l’augmentation de la production et des richesses économiques disponibles dans un pays. L’économiste François Perroux la définit, dans L’Économie du XXe siècle comme « l’augmentation soutenue, pendant une ou plusieurs périodes longues d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global en termes réels ».  La croissance économique se mesure, ainsi, à l’échelle de la nation et avec les outils de la comptabilité nationale. Si des mesures de la croissance économique sont réalisées de manière mensuelle et trimestrielle, cette croissance est surtout observée sur une période d’une année civile.

« Le produit global » qu’évoque François Perroux est, la plupart du temps le produit intérieur brut, indicateur créé dans les années 1930, sous l’impulsion, notamment de Simon Kuznets. Le PIB a été créé comme indicateur du revenu national, en partie pour mesurer les effets de la dépression économique qui a suivi la crise de 1929. Il vise à mesurer l’ensemble de ce qui est produit sur le territoire national en une année et est considéré comme indicateur de richesse nationale car dans une optique économique, la richesse correspond à la possibilité de satisfaire un grand nombre de besoins économiques, grâce à la consommation de biens et services.  

Le taux de croissance économique est ainsi le taux de variation du PIB sur une année. Ce PIB est mesuré « en termes réels », c’est-à-dire que le taux de croissance est déflaté. En effet, la variation du PIB nominal d’une année à l’autre peut être due à la variation de la production en termes réels, mais aussi à une variation des prix : déflater le PIB permet d’évacuer cet effet de la variation des prix et de ne conserver que la variation de la production réelle. Le terme de « croissance » est souvent utilisé pour désigner les périodes où le PIB augmente. Cependant, un ralentissement du taux de croissance correspond à une période de récession, en particulier quand ce ralentissement s’installe dans la durée. On parle de crise, ou dépression économique pour désigner les périodes où le PIB baisse.

 

L’économiste Angus Maddison a mené un important travail de mesure de la croissance économique sur le long terme. Dans son ouvrage Les phases du développement capitaliste, publié en 1980, il propose de découper la croissance économique mondiale, entre 500 et 1980 en trois grandes phases :

- de 500 à 1500, la « période agraire » est marquée par une stagnation du PIB (et de la population)

- de 1500 à 1700, la « période agraire progressive » voit le PIB croître, en moyenne, de 0,3 % par an, notamment sous l’impulsion de l’augmentation de la population

- de 1700 à 1820, le « capitalisme commercial » conduit à une croissance annuelle moyenne de la production de 0,6 %

- cependant, la croissance économique mondiale « démarre » réellement à partir de 1820, avec le développement du « capitalisme ». Le taux de croissance annuel moyen du PIB est alors de 2,5 %, sous l’impulsion, notamment d’une forte croissance du PIB par tête.

Dans un ouvrage publié pour l’Ocde, L’économie mondiale. Une perspective millénaire, paru en 2001, il propose un découpage un peu différent et indique que si le taux de croissance annuel moyen du PIB a été d’environ 0,01 % de 0 à 1000 et de 0,22 % de 1000 à 1820, il est passé à 2,21 % entre 1820 et la fin du 20e siècle. Sur cette période, la croissance est particulièrement forte dans les pays « d’immigration européenne » (3,68 % par an en moyenne), en Amérique latine (3,05%), au Japon (2,75%) et en Europe de l’Ouest (2,13%, après une croissance qui était déjà de 0,34 % par an en moyenne entre 1000 et 1820).

 

Ces données laissent donc apparaître une rupture dans le rythme de la croissance économique mondiale au 19e siècle. C’est cette rupture qu’on a qualifiée de « révolution industrielle ». Parler de révolution industrielle au singulier, c’est désigner la transformation profonde qu’ont connues les sociétés passées d’une production et de structures sociales centrées sur l’agriculture à des sociétés marquées par la production industrielle de biens et de services liés à ces produits industriels (commerce, transport, services publics…). Ces sociétés industrialisées ont connu des transformations profondes par rapport aux sociétés que l’on peut qualifier de « traditionnelles », avec le développement des villes, des transports, la place centrale de la classe ouvrière…

Cependant, le processus s’est fait sur plusieurs étapes et on peut évoquer une succession de révolutions industrielles. La première révolution industrielle trouve ses origines au Royaume-Uni à la fin du 18e siècle. À cette période, la production se développe et change de nature sous l’impulsion de nombreux facteurs :

- une révolution agricole, avec de nombreuses innovations : rotation plus poussée des cultures permettant d’éviter la mise en jachère des terres, amélioration de l’outillage, sélection des semences et des espèces… Cette révolution conduit à une augmentation très forte de la production agricole, qui permet une augmentation de la population. Dans le même temps, l’amélioration des rendements et de la productivité agricole libère une main-d’oeuvre nombreuse

- un facteur central de cette première révolution industrielle est le développement simultané d’innovations dans 4 secteurs qui sont « mis en phase » selon l’historien Jacques Brasseul : le coton, le fer, le charbon et la vapeur. Ces secteurs fonctionnent de façon interdépendante. L’apogée de la « combinaison fer-charbon-vapeur » est le développement du chemin de fer à partir des années 1830

- une amélioration des réseaux de transport (routes et canaux notamment), qui facilite le commerce et le déplacement des personnes

- le développement de la « proto-industrie » pour reprendre l’expression de Franklin Mendels, système aussi appelé « putting-out system » où des matières premières (la laine dans un premier temps, puis des activités de petite métallurgie) sont transformées par des travailleurs à domicile pour le compte d’un « marchand ». Cette proto-industrie cède peu à peu sa place au « factory system », c’est-à-dire la production en usines, qui permet la concentration de l’énergie et l’utilisation de machines de grande taille

- une augmentation du commerce extérieur (en particulier, une augmentation des importations de produits « exotiques » et des matières premières) et la création de nouveaux débouchés pour la production nationale

- le développement des banques joue aussi un rôle central, facilitant le financement des activités nouvelles

 

Si la première révolution industrielle trouve sa source au Royaume-Uni et concerne d’abord l’industrie textile, puis le transport ferroviaire, elle s’essouffle à partir des années 1870. Une nouvelle phase d’innovations importantes se développe entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, avec l’exploitation de nouvelles sources d’énergie (électricité et pétrole) et de nouvelles technologies telles que le moteur à explosion, qui permet le développement de l’automobile, mais aussi les industries sidérurgiques et chimiques, qui bouleversent les manières de produire et la consommation. Ces innovations sont à l’origine de ce qu’on appelle la « seconde révolution industrielle », qui trouve son foyer aux États-Unis et en Allemagne.

Certains économistes et historiens évoquent une « troisième révolution industrielle » pour désigner les effets des innovations dans les secteurs de l’électronique, de l’informatique, de la pharmacie, des biotechnologies ou encore de l’aérospatiale à partir des années 1970 (en particulier au Japon et aux États-Unis). Si les innovations sont nombreuses et modifient bien le quotidien et les structures sociales, leurs effets sur la croissance économique paraissent moins forts que lors des première et seconde révolution industrielle.

 

Il est à noter que la notion de révolution industrielle est discutée parmi les économistes et historiens. Cette expression a été forgée par Karl Marx et Friedrich Engels dans Le Manifeste du parti communiste pour insister sur les transformations économiques, sociales et politiques générées par le passage d’une production « traditionnelle » à une production industrielle. Il a ensuite été repris par tous ceux qui voulaient désigner les bouleversements générés par les changements techniques. Cependant, des historiens comme Fernand Braudel ou des économistes comme Joseph Schumpeter critiquent la notion de « révolution » industrielle, en invitant à relativiser les ruptures du 19e siècle et en montrant que des innovations techniques ont toujours été introduites dans la production. Braudel donne ainsi l’exemple du développement des moulins au Moyen-Âge pour montrer que des bouleversements techniques ont aussi eu lieu sur cette période.

Dans les pays concernés, c’est-à-dire principalement les pays d’Europe occidentale (d’abord le Royaume-Uni, puis la France et enfin l’Allemagne notamment) et les États-Unis, le « long 19e siècle » (que l’on étend en général jusqu’en 1913) est donc marqué par une forte croissance économique. Ainsi, selon des données compilées par Thomas Piketty dans son ouvrage Le capital au 21e siècle, le taux de croissance annuel moyen de la production par habitant est de 0,9 % dans le monde entre 1820 et 1913, ce taux est de 1,0 % en Europe et de 1,5 % en Amérique. Si la première guerre mondiale marque une rupture, la croissance repart fort dans les années 1920, qu’on a qualifié d’années « folles ». Cette croissance économique est particulièrement forte aux États-Unis qui voient se développer la production de masse, notamment dans le secteur automobile, avec la généralisation de « l’organisation scientifique du travail », et du travail à la chaîne. C’est aussi une première période d’essor de la consommation.

En 1929, une crise économique de très forte ampleur se produit et plonge les pays industrialisés dans une « grande dépression » économique. Ainsi, entre 1929 et 1933, la production industrielle chute de moitié. Cette crise se propage aux autres pays, les taux de croissance deviennent négatifs, de nombreuses entreprises font faillite et le chômage augmente. Il faut attendre le New Deal en 1933 pour voir la tendance s’inverser.

La période qui suit la seconde guerre mondiale peut être considérée comme « l’âge d’or de la croissance économique » pour les pays riches. C’est la période que Jean Fourastié a appelé les « Trente Glorieuses », désignant ainsi les années allant de 1946 à 1975 dans son ouvrage paru en 1979 : Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible. De tous ces pays, la France est l’un de ceux qui connaît la croissance la plus forte puisque de 1950 à 1970, le taux de croissance annuel moyen y est de 5 %. Si cette croissance s’expliquer en partie par la reconstruction et la modernisation de l’économie (qui correspond en partie à un rattrapage technologique), elle s’explique aussi par un cercle vertueux entre production de masse et consommation de masse dans le cadre du « compromis fordiste » : l’économie est pilotée par des politiques conjoncturelles, la production, standardisée, augmente vite, ce qui conduit à des hausses de salaires, qui alimentent une forte demande pour les biens de consommation et d’équipement. Les Trente Glorieuses sont marquées, non seulement, par une forte croissance économique, mais aussi par le plein-emploi.

Ce modèle s’essouffle peu à peu et le choc pétrolier de 1973 met définitivement fin aux Trente Glorieuses. À partir de cette période, la croissance économique ralentit fortement dans les pays européens, et à un degré moindre aux États-Unis, alors qu’elle accélère en Asie (voir partie suivante). Au début des années 2000, cependant, la croissance économique repart à un rythme relativement élevé, et surtout constant aux États-Unis, et ce, sans créer d’inflation, c’est la période de « Grande modération » selon la formule popularisée par Ben Bernanke. La crise des « subprimes » à partir de 2008 marque la fin de cette période et si la croissance est finalement assez vite repartie aux États-Unis, la pandémie de Covid-19 a encore créé une dépression économique en raison des confinements décidés, et des fragilités qu’ont connus certains secteurs.

L’observation empirique de la croissance économique montre que, même entre les pays riches, il y a des écarts et des décalages concernant les grandes phases de croissance. C’est encore plus vrai à l’échelle du monde entier.

C’est un point qu’a théorisé l’économiste William Rostow dans Les étapes de la croissance économique, publié en 1960. Dans cet ouvrage, il propose de schématiser le processus de croissance économique que connaissent les pays en insistant sur le fait que, si tous les pays sont appelés à passer par ces étapes, ils peuvent le faire avec une intensité variable, et surtout, avec un décalage dans le temps. Son modèle se présente en 5 étapes (voir « Grands concepts et mécanismes »).

Le modèle de Rostow est très linéaire et très centré sur les étapes connues par les pays européens, mais il a le mérite de mettre en évidence le fait que les différents pays peuvent connaître les différentes phases de croissance, et en particulier le « take-off ».

L’évolution de la croissance économique par pays ou régions du monde va dans ce sens. Selon les données compilées par Thomas Piketty, entre 1820 et 1913, l’Asie et l’Afrique sont à l’écart de la révolution industrielle et leur croissance économique reste proche de 0 % en taux de croissance annuel moyen.

Ce taux de croissance passe à 0,9 % en Afrique sur la période 1913-1950 mais reste à 0,2 % en Asie. Dans les années 1950-1970, c’est l’Asie qui connaît la croissance économique la plus forte en moyenne, en particulier avec le « décollage » du Japon, qui connaît plusieurs années consécutives avec un taux de croissance de son PIB supérieur à 10 %. Sur cette période, l’Afrique connaît une croissance accélérée par rapport aux périodes précédentes (TCAM de 2,1%), mais inférieure à la moyenne mondiale (2,8%). La période allant de 1970 à 1990 est marquée par un ralentissement de la croissance mondiale, avec un taux de croissance annuel moyen du PIB de 1,3 %, mais l’Asie reste au-dessus de la moyenne, avec notamment le « relais » pris par les pays de l’Asie du sud-est ou encore la Corée du Sud. Dans les années 1990 et 2010, la croissance annuelle en Asie atteint 3,8 % en moyenne, sous l’impulsion de la Chine qui devient l’un des principaux moteurs de la croissance mondiale. Si la situation du continent africain est contrastée entre les pays, au total, la croissance économique y reste moins élevée qu’ailleurs de 1970 à 2010.

Adam Smith place la question de la croissance au coeur de son analyse économique, même s’il ne mobilise pas ce terme. Dans ses Recherches sur la cause et la nature de la richesse des nations, en 1776, il s’intéresse à la façon de dépasser « l’état stationnaire », celui d’économies qui ne connaissent pas d’accroissement de leur richesse. Pour lui, c’est la division du travail qui est le principal moteur de la croissance. Cette division du travail est la conséquence du « penchant naturel à l’échange », qui pousse chacun à se spécialiser pour produire une monnaie d’échange lui permettant d’obtenir ce que les autres font mieux que lui. Elle est favorisée par l’accroissement de la taille du marché, ce qui pousse Smith à prôner le libre-échange. La division du travail entraîne une augmentation de la « puissance productive du travail » (ce qui peut être assimilé à la productivité du travail), qui accroît la richesse produite. Cette division du travail, selon Smith, peut être étendue à l’échelle internationale et l’échange international peut donc être un moteur de croissance.

À la suite d’Adam Smith, David Ricardo formalise davantage les sources de la croissance économique. Il pose le fait qu’il existe trois facteurs de production, dont la mobilisation peut être à l’origine de la richesse nationale : le capital, le travail et la terre. Il se penche sur la rémunération de chacun de ces facteurs : les propriétaires terriens reçoivent une rente qui, selon le modèle proposé par Thomas Malthus est « différentielle » : chaque terre reçoit une rente correspondant à la différence entre ses coûts de production et ceux de la terre la moins fertile. Avec l’accroissement de la production, des terres de moins en moins fertiles sont utilisées et la rente tend à augmenter. C’est de cette rente que dépend le prix des denrées (en particulier alimentaires), qui détermine, selon Ricardo, le salaire. Là aussi, donc, plus la production augmente et plus les salaires tendent à s’accroître. Or, la rémunération du capital est une sorte de surplus, c’est ce qui reste aux capitalistes une fois la rente et les salaires payés. On voit bien qu’avec l’accroissement de la production, ce profit tend à diminuer. Pourtant, c’est ce profit qui détermine la croissance économique car de lui dépend l’investissement et donc l’accumulation du capital. Dans ce modèle, l’économie est donc vouée à connaître un arrêt de la croissance, un « état stationnaire ». Ricardo identifie alors un facteur principal permettant de repousser cet état stationnaire en restaurant les profits, et qui est donc facteur de croissance : le commerce international.

Karl Marx propose une relecture critique du modèle de Ricardo. Dans le premier volume du Capital, publié en 1867, il indique que le mode de production capitaliste repose sur une logique d’accumulation, et donc de croissance. Selon lui, les capitalistes cherchent à accumuler une « plus-value », qu’ils obtiennent en exploitant les travailleurs, puisque le travail est seul créateur de richesse. Cette plus-value permet l’accumulation de capital qui, à son tour, doit favoriser l’exploitation des travailleurs. Dans l’optique d’augmenter la plus-value, les capitalistes doivent chercher à augmenter la productivité, ce qui est rendu possible par l’augmentation du capital mobilisé pour produire. Cependant, cette augmentation de la part du capital dans la production diminue à long terme les possibilités de plus-value et crée des crises de surproduction. Selon Marx, la dynamique du capitalisme est alors marquée par la survenue régulière de crises, jusqu’à ce qu’éclate celle qui mettra fin au capitalisme.

 

Dans un premier temps, les néoclassiques se penchent peu sur la question de la croissance économique, question qui est aussi peu présente dans les travaux de Keynes, qui n’étudie la croissance que sur le court terme.

Schumpeter place l’innovation au coeur des explications de la croissance économique. L'innovation correspond à l'application économique d'une invention. Cette innovation peut prendre différentes formes , dont les deux principales sont l’innovation de produit et celle de procédés. Cette innovation est introduite par un « entrepreneur », qui renvoie à un type spécifique de personnalité (voir : le cours de première ci-dessous : Question 3. L'entrepreneur et l'organisation du travail) . L’entrepreneur brise la routine économique et est une sorte d’aventurier de l’économie. Il est celui qui met à profit des inventions pour en tirer des avantages d’un point de vue économique. L’innovation tend à prendre la forme de grappes, constituées autour d’une innovation « fondamentale ». Par exemple, l’introduction d’une nouvelle source d’énergie comme l’électricité donne lieu à de nombreuses applications dans différents secteurs d’activité. L’innovation est alors à l’origine d’un processus de « destruction créatrice » : elle met en difficulté les anciens secteurs d’activité (qu’elle tend à « détruire ») et crée de nouveaux secteurs. C’est l’innovation qui génère la croissance, mais de ce fait, la croissance tend à être cyclique. On observerait, selon Schumpeter, des « cycles longs » (que Schumpeter nomme cycles « Kondratiev ») marqués par des phases de croissance d’une vingtaine d’années, puis des phases de récession, de croissance moindre, du fait de l’essoufflement des effets des innovations. Une nouvelle phase d’innovation permet, au bout d’un certain temps, d’impulser un nouveau cycle. Cependant, Schumpeter est relativement pessimiste quant à l’évolution de long terme de la croissance. S’inspirant des travaux du sociologue Max Weber, il indique que l’on assiste à une « rationalisation des activités », sous l’impulsion de l’État. Cette rationalisation se traduit par le développement de la bureaucratie, dans l’administration publique comme dans les entreprises et une moindre prise de risque. C’est la figure de l’entrepreneur qui tendrait alors à disparaître, et avec cette disparition, il y a un risque que l’innovation cesse.

Plusieurs économistes s’inspirent des travaux de Schumpeter pour réfléchir au rôle que jouent les innovations dans le processus de croissance économique. Les économistes « évolutionnistes », tels que Richard Nelson et Sidney Winter insistent sur le fait que le processus d’innovation dans les firmes est plus complexe que celui proposé par Schumpeter : pour eux, les firmes mettent en place des « routines » et innovent et il y a une sorte de sélection par l’environnement économique des plus performantes. Dans cette optique, Giovanni Dosi montre que si l’innovation est bien la source de la croissance, il faut percevoir cette innovation non seulement du côté de la firme, de l’entreprise, mais bien en lien aussi avec la demande. Il invite alors à étudier les « systèmes capitalistes modernes d’innovation ». Ceci peut être rapproché de la thèse de l’économiste Mariana Mazzucato qui, dans L’État entrepreneur, paru en 2020 en France, montre que l’innovation est largement impulsée par l’État, que ce soit par le fait que l’État investit largement dans la recherche et est à l’origine d’inventions qui permettent les innovations, ou bien par son rôle de financeur. La rationalisation des activités ne semble donc pas incompatible avec la croissance économique.

D’autres économistes, que l’on peut également qualifier de « néo-schumpéteriens » se sont penchés sur les cycles d’innovations en s’interrogeant à la fois sur les sources de ces innovations et sur leurs effets. Dans un ouvrage paru en 2002, Carlotta Perez propose de revisiter la théorie des cycles longs en découpant les effets des innovations en trois phases : celle de l’installation, celle du déploiement ou développement, puis celle de la maturité. Pour elle, à partir des années 1970, un nouveau cycle s’installe centré sur Internet et les télécommunications, ainsi que sur la finance globalisée. Elle voit arriver le développement de ces innovations (c’est-à-dire leurs effets sur la croissance) à partir des années 2010 qui voit s’installer une nouvelle économie de la connaissance. Cependant, elle insiste sur le fait que les gains en termes de croissance ne sont pas automatiques et dépendent de facteurs institutionnels et de choix politiques qui peuvent permettre d’aller vers un « âge d’or », dans lequel la croissance profite à tous. Sinon, on risque la survenue d’un « âge plaqué or », dans lequel les gains liés aux innovations sont mal partagés et globalement faibles.

De son côté, Philippe Aghion, que ce soit dans ses travaux avec Peter Howitt ou dans son ouvrage Le pouvoir de la destruction créatrice, co-écrit avec Céline Antonin et Simon Bunel et paru en 2020 (lire ci-dessous), cherche à formaliser la théorie de Schumpeter sur la destruction créatrice et le rôle moteur de l’innovation. Il nuance le rôle de l’entrepreneur en montrant à quel point cette innovation dépend des institutions (par exemple, les droits de propriété ou la recherche fondamentale). Par contre, il rejoint bien Schumpeter en faisant de l’innovation le principal moteur de la croissance économique. Cette innovation est aussi à l’origine d’un processus de destruction créatrice, qui rend obsolète certaines qualifications et crée du chômage, mais ouvre aussi de nouvelles opportunités. Pour lui, les cycles d’innovations se construisent autour d’une « technologie générique », qui bouleverse le fonctionnement de l’économie et ses institutions. Sur la période récente, ce sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui jouent ce rôle. Les effets de ces nouvelles technologies sur la croissance peuvent tarder à se faire sentir car elles ne sont pas du « prêt-à-porter » et il faut du temps pour qu’elles trouvent des applications efficaces dans la production. Se pose aussi la question de la mesure de la croissance tirée par cette production immatérielle : le PIB peinerait à mesurer correctement la valeur de ces activités. Quoiqu’il en soit, le modèle de croissance proposé par Aghion et Howitt, que l’on peut rapprocher des modèles de croissance endogène (voir plus bas) met l’accent sur l’innovation comme source de croissance. Cette innovation devient d’autant plus centrale que le pays est proche de la frontière technologique et ne peut plus tirer sa croissance d’un simple rattrapage des pays les plus en avance technologiquement. Une politique de l’innovation est alors indispensable.

Plusieurs économistes tentent, à partir de la fin des années 1930, de formaliser les théories keynésiennes sur la croissance, pour étudier les conditions d’une croissance de plein-emploi. C’est le cas de Roy F. Harrod, qui part d’une fonction de production à deux facteurs : le travail et le capital. Il pose l’hypothèse d’une complémentarité parfaite du travail et du capital, c’est-à-dire qu’il est impossible de substituer l’un à l’autre. Cette hypothèse est justifiée par le fait que le modèle se place, comme la théorie de Keynes, sur un horizon de court terme. Elle néglige donc les possibilités de substitution du capital au travail que peuvent entraîner le progrès technique.

Il reprend l’idée de Keynes selon laquelle le revenu national se répartit entre consommation et épargne. Dans ce cadre, l’épargne est vue comme proportionnelle au revenu. Dans le même temps, et selon le principe de « l’accélérateur », l’investissement est proportionnel aux variations du revenu, car les décisions d’investissement dépendent de la demande anticipée, qui est elle-même fonction des variations du revenu.

La condition d’équilibre macroéconomique sur le marché des biens et services est que l’investissement soit égal à l’épargne. Il existe, selon lui, un taux de croissance garantissant cet équilibre, qu’il appelle le taux de croissance « garanti ». Celui-ci permet de faire en sorte que la décision d’investissement, qui dépend des anticipations des producteurs, et donc de l’accélérateur coïncide avec la décision d’épargne, qui, elle dépend simplement du revenu et de la propension marginale à épargner. Pour que la croissance conduise à l’équilibre, il faut donc que le taux de croissance observé (« effectif » selon l’expression de Harrod) coïncide avec le taux de croissance garanti. Cependant, si cette condition est nécessaire à l’équilibre, elle n’est pas suffisante : il faut aussi que la croissance se fasse au même rythme que celle de la population active, pour permettre l’équilibre sur le marché du travail. Autrement dit, les deux taux de croissance doivent être égaux au taux de croissance « naturel », qui dépend de facteurs démographiques et du progrès technique. La coïncidence de ces trois taux de croissance a donc très peu de chances de se produire, d’autant plus qu’ils résultent de facteurs indépendants les uns des autres. L’équilibre ne peut se produire que par hasard et il est très peu probable qu’il se maintienne. La croissance se situe donc sur le « fil du rasoir » et est la plupart du temps déséquilibrée (notamment, elle coexiste avec un sous-emploi sur le marché du travail). Harrod retrouve donc une conclusion importante de Keynes : l’équilibre de plein-emploi ne peut être obtenu qu’à la condition d’un « pilotage » de l’économie par les pouvoirs publics, dans le cadre de politiques conjoncturelles.

Dans le même temps, Evsey Domar construit un modèle de croissance assez proche de celui de Harrod, mais qui insiste davantage sur l’investissement. Dans ce modèle, Domar s’intéresse au fait que l’investissement crée à la fois une plus forte demande (effet multiplicateur) et augmente l’offre (effet accélérateur). Une croissance équilibrée suppose que ces deux effets soient d’ampleur comparable, ce qui paraît peu probable car, là aussi, ils sont le résultat de facteurs indépendants. Les conclusions de Domar rejoignent alors celles de Harrod : la croissance ne peut être équilibrée qu’à condition d’une intervention des pouvoirs publics via des politiques monétaire et budgétaires. Ce sont ces modèles de croissance qui justifient les interventions des pouvoirs publics par des politiques de « stop&go », c’est-à-dire l’alternance de politiques de soutien à l’activité (relance) et de politiques de ralentissement (rigueur).

Si les conclusions concernant la capacité d’autorégulation des économies sont pessimistes, la vision de long terme est plus optimiste chez les keynésiens. Keynes, lui-même, dans un célèbre article intitulé « Perspectives économiques pour nos petits-enfants » et publié en 1930, postule que si la croissance crée des déséquilibres que l’on peut assimiler à une sorte de chômage technologique, ses effets sur le long terme sont bénéfiques, puisqu’elle permet l’enrichissement global, ce qui devrait permettre de résoudre le « problème économique », c’est-à-dire celui de la satisfaction des besoins « primaires » et laisser la place à la satisfaction de besoins « secondaires ». Il renoue donc, en quelque sorte, avec les thèses de l’état stationnaire, mais avec une approche très optimiste de cet état.

Plusieurs économistes keynésiens, à la suite de Joan Robinson et Nicholas Kaldor placent la question de la répartition au coeur du processus de croissance. Selon Robinson, la croissance dépend, comme l’avait indiqué Ricardo, de l’accumulation du profit. Celui-ci résulte de l’investissement des entreprises, qui cherchent à réinvestir leur profit, mais rémunèrent aussi le facteur travail. La répartition capital/travail tend à être conflictuelle, mais les entrepreneurs ont l’avantage de pouvoir générer de la richesse par leur investissement. Michal Kalecki, un autre économiste keynésien, a résumé ce principe par une phrase célèbre selon laquelle : « Les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent, les salariés dépensent ce qu’ils gagnent ».

Dans cette perspective, Joan Robinson interroge le lien entre les équilibres de court terme et l’équilibre de long terme. Elle montre que l’équilibre de long terme peut supposer un taux d’investissement élevé, incompatible avec l’équilibre de courte période nécessitant une augmentation des salaires.

Dans une perspective néoclassique, Robert Solow cherche à expliquer la croissance à partir d’une fonction de production à deux facteurs : le travail et le capital. La croissance économique, qui est assimilable à la croissance de la production doit alors pouvoir être décomposée entre la croissance du facteur travail et celle du facteur capital.

Dans l’article A contribution to the Theory of Economic Growth, qu’il publie en 1958, il propose d’estimer, de façon économétrique, la contribution de chacun de ces facteurs à la croissance économique. L’augmentation du facteur capital peut être identifiée à l’investissement, tandis que celle du facteur travail correspond à une augmentation de la population active. Il arrive à la conclusion que la contribution de ces deux facteurs, pris isolément est assez faible puisqu’environ 80 % de la croissance ne s’explique ni par l’investissement, ni par la hausse de la population active. La part inexpliquée de la hausse peut être considérée comme la « productivité globale des facteurs », c’est-à-dire une amélioration conjointe dans l’utilisation des deux facteurs. Pour Solow, cette productivité globale des facteurs (PGF) est la « mesure de notre ignorance » selon la formule de Moses Abramovitz, mais elle peut être assimilée au progrès technique.

Dans l’optique de Solow, c’est donc le progrès technique, au sens large, qui est la principale explication de la croissance économique. Cette dernière devient de plus en plus « intensive », tirée par une amélioration de la qualité de la combinaison productive et de moins en moins « extensive », tirée par une augmentation de la quantité de facteurs. Le progrès technique, autrement dit, joue un rôle de plus en plus prépondérant. Selon Solow, ce progrès technique est le facteur qui permet une substitution du capital au travail et qui fait que la croissance équilibrée est probable, contrairement à ce qu’avançaient les keynésiens. L’importance du progrès technique dans la croissance joue dans le sens d’une convergence des économies : les économies en rattrapage peuvent plus facilement connaître un progrès technique car elles adoptent les technologies et manières de produire des pays « les plus avancés ». À l’inverse, ces pays « les plus avancés », ceux qui sont à la frontière de production, doivent innover pour connaître un fort progrès technique.

De nombreux travaux, à la suite de Solow, cherchent à estimer la contribution du progrès technique à la croissance économique. En France, le plus célèbre d’entre eux est celui mené par Jean-Jacques Carré, Pierre Dubois et Edmond Malinvaud qui, en 1972 montrent que sur un taux de croissance annuel moyen du PIB de 5 % sur la période allant de 1951 à 1969, 2,5 points correspondent à la contribution de la productivité globale des facteurs. La PGF, et donc le progrès technique, explique donc la moitié de la croissance sur la période. Elle peut donc être considérée comme un facteur essentiel, et des politiques d’innovation, de recherche et développement doivent être mises en place pour stimuler la croissance.

Ce poids important du progrès technique incite de nombreux économistes à essayer de « réduire le résidu », c’est-à-dire à affiner la combinaison productive pour expliquer une part de ce que l’on n’explique pas. Ainsi, en 1967, Edward Denison, dans Why growth rates differ ?, estime qu’une partie du résidu peut s’expliquer par des variations dans la « qualité » du travail : durée du travail, qualification, niveau d’éducation…

Robert Solow voit le progrès technique comme une « manne tombée du ciel ». Autrement dit, pour lui, la dynamique du progrès technique est indépendante de celle de l’économie, ce qui justifie d’autant plus des politiques de soutien à la recherche-développement et à l’innovation. Cependant, les effets du progrès technique ne sont pas garantis et les innovations tardent parfois à exercer des effets sur la croissance économique. C’est ce que Robert Solow met en évidence avec le paradoxe qu’il énonce en 1987 (qu’on appelle depuis le « paradoxe de Solow ») selon lequel « les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de la productivité »). Il pointe, de cette manière, le fait que la très forte informatisation des activités ne semble avoir aucun effet sur la productivité du travail : les manières de produire sont bouleversées, mais sans effet probant sur la croissance. Ce paradoxe se résout en mettant en évidence le fait que les technologies supposent un temps d’adaptation, d’apprentissage, mais aussi des institutions permettant de les utiliser efficacement.

Le fait d’identifier le principal facteur de croissance économique comme un facteur exogène à l’économie est assez peu satisfaisant. Il est en effet presque frustrant de penser que la dynamique de l’économie sur le moyen terme proviendrait d’un facteur technologique, qui n’aurait qu’un rapport lointain avec la dynamique générale de l’économie.

De ce fait, à la fin des années 1980, plusieurs économistes ont proposé de « nouvelles théories de la croissance », qui s’appuient sur les comportements microéconomiques d’investissement, notamment en recherche et développement et d’épargne pour tenter d’endogénéiser le progrès technique.

Paul Romer, par exemple, part d’un modèle selon lequel la production dépend non seulement de l’accumulation des facteurs travail et capital, mais aussi de celle de connaissances. Ces connaissances, qui s’accumulent suite à des dépenses de recherche et développement, notamment, sont à rendement croissant. Elles génèrent aussi des externalités positives, c’est-à-dire qu’elles créent des conséquences positives sur d’autres agents, sans que ces derniers n’aient à payer celui qui leur procure cet avantage. Ainsi, quand une entreprise accroît le stock de connaissances, que ce soit par des innovations, ou la formation de ses salariés, les autres entreprises ont des chances d’être à même d’en tirer des avantages. Ces externalités positives repoussent l’état stationnaire car se met en place un cercle vertueux : l’accumulation de connaissances génère de la croissance, qui, à son tour, favorise l’accumulation de connaissances. La croissance est alors considérée comme un phénomène auto-entretenu.

Dans le même ordre d’idées, Robert Lucas identifie comme source de croissance endogène l’accumulation de capital humain. Ce concept, qu’il reprend notamment à Theodore Schutz et à Gary Becker renvoie à la « qualité » du facteur travail. Schutz le définit ainsi comme «l'habilité, le savoir et toutes les capacités permettant d'améliorer la productivité du travail humain». Comme pour les connaissances, l’accumulation de capital humain est créatrice d’externalités positives et l’accumulation de capital humain peut permettre la survenue d’une croissance économique auto-entretenue.

De son côté, Robert Barro montre que la croissance économique dépend de la qualité des infrastructures, et en particulier des infrastructures publiques. Le « capital public », qui peut être composé à la fois d’éléments institutionnels (par exemple les droits de propriété ou encore la défense du libre-échange) et d’infrastructures (de communication et de transport) génère des externalités positives, source d’une croissance auto-entretenue. Il en va de même pour les infrastructures de santé et d’éducation.

Le modèle de croissance développé par Philippe Aghion et Peter Howitt (voir section II.II) peut également être considéré comme un modèle de croissance endogène, puisqu’il identifie comme source principale de croissance la diffusion des innovations qui, là aussi, génère des externalités positives. 

Dans ces modèles, les externalités positives jouent donc un rôle central. Or, en présence d’externalités positives, il y a un risque de sous-investissement car l’optimum social suppose une dépense supérieure à celle qui correspond à l’optimum privé. Cela appelle une intervention des pouvoirs publics qui peuvent investir eux-mêmes ou stimuler l’investissement. Les modèles de croissance endogène concluent donc à l’importance des politiques structurelles en soutien de la recherche et développement (politiques d’innovation), des infrastructures ou encore de l’éducation.

Au même moment que se développent les modèles de croissance endogène, une question centrale émerge, que ce soit parmi les institutions internationales ou les économistes universitaires : celle des écarts de croissance entre pays. Si cette question recoupe largement celle du développement, elle invite aussi à interroger les sources de la croissance économique.

À la suite de Douglas C. North, de nombreux économistes mettent en lien les différentiels de croissance avec les écarts dans la qualité des institutions (voir la synthèse  les institutions et la croissance ci-dessous). Ces institutions peuvent être vues, pour simplifier, comme les « règles du jeu » de l’économie. Douglas North propose de les définir comme « les contraintes établies par les hommes qui structurent les interactions humaines ». Il distingue les contraintes « formelles » (les lois, les règles, les constitutions), qui sont des règles écrites et les contraintes « informelles » (des normes de comportement, des conventions...), qui sont des règles qu’on pourrait qualifier de plus « sociales », diffuses. Les institutions joueraient un rôle central dans la croissance économique car elles permettent une utilisation efficace des facteurs de production, que ce soit le travail ou le capital, ou encore le capital humain et les technologies. Par exemple, les droits de propriété peuvent stimuler les innovations, mais la diffusion de comportements encourageant l’innovation est aussi importante pour permettre la croissance. Cependant, l’approche institutionnaliste de la croissance insiste bien sur le fait que les institutions favorables à la croissance ne sont pas que des institutions « purement » économiques et établit un lien entre les institutions démocratiques et la croissance économique. Cette approche institutionnaliste est largement adoptée par les institutions internationales et nourrit les politiques de développement.

L’école de la régulation développe une approche qui met aussi en avant les institutions dans la croissance. Des économistes comme Michel Aglietta et Robert Boyer montrent que le capitalisme fonctionne comme la succession de « modes de production », qui se mettent en place suite à des crises économiques et permettent la croissance économique. Dans chaque mode de production, les institutions peuvent être plus ou moins favorables à la croissance et à sa dynamique contemporaine, que ce soit en termes de financement des entreprises, des normes de consommation, de la régulation de l’emploi…

Les économistes institutionnalistes posent alors la question des « bonnes » institutions. La réponse la plus simple est sans doute d’identifier comme « bonnes » les institutions des pays qui connaissent la plus grande croissance économique, les meilleures performances économiques. Cependant, les institutions fonctionnent en système et une institution est bonne quand elle interagit efficacement avec d’autres. Dès lors, les politiques tentant de « calquer » des modèles institutionnels d’autres pays tendent à échouer car les institutions efficaces d’un pays peuvent échouer à s’adapter aux autres pays.

Pour comprendre les sources de la croissance, il peut être utile de se pencher sur les travaux d’économistes s’interrogeant sur ce qui peut freiner la croissance.

Dans les années 1930, Alvin Hansen formalise le concept de « stagnation séculaire » (voir la synthèse  : Pourquoi évoquer la stagnation séculaire ci-dessous). Pour lui, la grande dépression n’a pas été causée seulement par la crise de 1929, elle a aussi des causes structurelles : les structures de l’économie empêchent une croissance forte et continue. Parmi les éléments qui vont dans ce sens, Hansen met particulièrement en avant les raisons démographiques. La première guerre mondiale a créé, particulièrement en Europe, des générations « creuses », et la population active est faible, insuffisante pour produire en grande quantité. Cependant, le facteur démographique n’est pas seul en cause : Hansen insiste aussi sur le ralentissement du progrès technologique, l’excès d’épargne (qui, dans la perspective « keynésienne », qui est celle de Hansen grève la demande effective et donc la production), ainsi que la fermeture des frontières. Tous ces éléments concourent, selon Hansen, à ce que la croissance soit ralentie pour une longue période, d’où le concept de stagnation séculaire. Ce concept est assez proche de celui de l’état stationnaire, même si ses causes ne sont pas les mêmes que dans l’analyse classique (par exemple, la croissance démographique rapproche de l’état stationnaire chez Malthus et Ricardo, elle éloigne la stagnation séculaire). En creux, ce concept de stagnation séculaire aide à comprendre la forte croissance des 30 Glorieuses, période marquée par une forte croissance démographique (baby boom), une accélération de la consommation, un intense progrès technique et une ouverture des économies.

Suite à la crise de 2008, Lawrence Summers a remis au goût du jour cette thèse de l’état stationnaire. Pour lui, la croissance économique précédant cette crise a reposé sur des bulles spéculatives et a donc eu un caractère illusoire et la faiblesse de la reprise économique s’inscrirait dans la logique d’une « croissance potentielle » en berne et proche de la stagnation. Cette stagnation s’expliquerait notamment par un excès d’épargne au niveau mondial, tirée en particulier par les pays fortement exportateurs, ainsi que par un vieillissement démographique, à la fois par le haut de la pyramide des âges (augmentation de l’espérance de vie) et par le bas (chute de la natalité).

Dans une optique assez proche, Robert Gordon identifie des « vents contraires » à la croissance, c’est-à-dire des éléments qui ralentissent la croissance économique potentielle. Dans un article de 2012, il identifie 6 « vents contraires » :

- la montée des inégalités

- le poids de la dette

- le ralentissement démographique

- la baisse du niveau éducatif (et donc de la qualification du travail)

- l’impact de la mondialisation

- la hausse des prix de l’énergie

Cette conceptualisation permet donc d’identifier des facteurs favorables à la croissance économique et met l’accent sur le fait qu’il n’y a pas un facteur unique de croissance économique. C’est aussi un travail qui se situe dans la logique selon laquelle la répartition joue sur la dynamique de l’économie.

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