Remarque : sujet ESSEC 2017.
C’est en 1974 que F. Perroux affirme cette idée qui semble être encore aujourd’hui particulièrement d’actualité. Idée d’un arbitrage à faire entre une extension de la zone euro et son approfondissement. C’est d’ailleurs au nom de ce principe que la France a voté contre l’adhésion des Balkans (Albanie et Macédoine du Nord) lors du sommet européen d’octobre 2019. Il faudrait approfondir l’Union européenne avant de l’élargir. Le renforcement de l’intégration serait alors un préalable à l’élargissement de l’Europe. Cela signifie davantage de pouvoir aux institutions européennes, davantage de politiques communes avec une harmonisation des moyens et des objectifs à l’échelle européenne. Ces conditions semblent être nécessaires à l’intégration de nouvelles économies, d’autant plus que l’histoire économique des Balkans diffère profondément des pays d’Europe de l’Ouest. L’intégration d’économies hétérogènes supposerait donc un fonctionnement solide des institutions européennes. Or, l’UE fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques : son processus d’intégration semble inachevé et elle doit faire face à un manque d’harmonisation des politiques économiques et sociales.
Comment s’est construite l’UE ? Sur quelles bases économiques, sociales et politiques ? Comment fonctionne-t-elle ? Comment fait-elle face au dilemme entre approfondissement économique et élargissement géographique ? Comment gère-t-elle l’hétérogénéité des économies des pays membres ?
1. Le contexte de création historique
Contexte de création de l’UE se trouve dans l’après 2nde Guerre Mondiale. Europe fragmentée et déchirée par les conflits, dans un contexte de guerre froide et d’une montée des tensions politique qui doit faire face à 3 défis :
- Assurer la reconstruction économique
- Garantir la stabilité politique
- Faire face à l’Union Soviétique
2 pistes possibles pour la création de l’Europe :
1) Coopération économique : impulsée par les aides à la reconstruction accordées par les Etats-Unis via le plan Marshall (1947). Pour répartir les crédits du plan Marshall, création de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) en 1948. En accordant cette aide, les Etats-Unis souhaitent la construction d’une Europe forte, partenaire dans la lutte contre le communisme.
2) Association politique : Congrès de La Haye (mai 1948) exprime l’idée d’une Europe politique et débouche sur la fondation du Conseil de l’Europe, formalisée par le traité de Londres du 5 mai 1949. Cette organisation vise à la promotion de l’union entre les Etats européens et à la défense de valeurs humanistes communes. Elle aboutit en 1953 à l’entrée en vigueur d’une Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la mise en place d’un tribunal pour en faire respecter la lettre : la Cour européenne des droits de l’Homme. Hommes politiques notables : les français Jean Monnet et Robert Schuman, le chancelier allemand Konrad Adenauer et l’italien Alcide de Gasperi qui mettent en place la stratégie des « petits pas » avec l’idée d’aboutir progressivement à une intégration européenne de plus en plus poussée.
3 conceptions s’opposent au congrès de la Haye :
- Europe constituante : il s’agit d’établir une Constitution européenne.
- Europe fédéraliste : construction d’une Europe fédérale, autorité politique européenne.
- Europe souverainiste : abandons de souveraineté partiels uniquement.
Remarque : Ces oppositions se retrouvent encore aujourd’hui, on oppose une conception fédéraliste de l’Europe qui vise à davantage d’intégration, de pouvoir à l’UE avec à terme une intégration politique comme c’est le cas pour les Etats-Unis (fédération d’Etats où l’Etat fédéral domine les Etats fédérés). Au contraire, la conception souverainiste souhaite que le pouvoir politique soit au maximum conservé par les Etats souverains. La dynamique de coopération prend plutôt la forme de l’interétatisme, des décisions sont prises avec des accords inter-gouvernementaux (Europe des Nations).
C’est la conception souverainiste qui l’emporte, notamment sous la pression de la Grande Bretagne.
Aujourd’hui, le fonctionnement des institutions européennes est le reflet d’une construction hybride entre fédéralisme et interétatisme.
2. La coopération économique avant l’association politique
C’est dans les années 1950 que se développe véritablement l’Europe avec une volonté de coopération économique mais des réserves sur le plan politique :
Traité de Paris (18 avril 1951) : instaure la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier). Il s’agit de la véritable première réalisation européenne avec 6 membres fondateurs : Allemagne, France, Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) et Italie afin de mettre en commun des productions de charbon et d’acier.
Si l’aboutissement de la CECA marque une volonté de coopération économique, des réserves apparaissent au niveau politique avec un refus d’abandonner la souveraineté nationale en termes de défense en adoptant le projet de CED (Communauté européenne de défense) en 1954. La France de Charles de Gaulle refuse l’abandon de la souveraineté militaire et les pays émettent des réserves quant au réarmement allemand. Cela impacte fortement les directions prises par la suite : faute de pouvoir prendre le pas sur la souveraineté nationale des pays membres, la dynamique de construction européenne sera économique, davantage que politique.
Cette construction économique se poursuit avec la signature du traité de Rome (25 mars 1957) par les 6 membres européens qui marque à la fois la naissance de la CEE (Communauté économique européenne) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Le traité pose les bases de la construction d’un marché commun avec un calendrier progressif :
- union douanière (effective en juillet 1968). Suppression des barrières douanières entre les pays de la CEE et politique commerciale commune à l’égard des pays tiers.
- marché commun (en 1986 avec l’Acte unique européen)
Si les bases du marché unique sont posées dès la fin des années 1950, la réalisation effective se fera progressivement.
3. Une intégration économique fondée sur les principes du libéralisme
Idée de J. Viner justifie le choix de l’Union douanière (The Custom Union Issues, 1950) : après la formation d’une union douanière entre les pays A et B, l’un des partenaires cessera d’acheter à un pays tiers pour privilégier le partenaire de l’union douanière. L’union douanière vise à supprimer les barrières tarifaires et non tarifaires (quotas par exemple). Les Etats renoncent également à un instrument de la souveraineté économique nationale : la libre fixation des droits de douane vis-à-vis des pays tiers.
Après le ralentissement économique provoqué par les contrecoups du choc pétrolier de 1973, les Etats européens sont affectés par des tentations protectionnistes. Paolo Cecchini dans son rapport intitulé Les coûts de la non-Europe (1988), identifie les gains attendus de la libéralisation du marché commun (4,5 à 7% de PIB en 5 ans). L’idée est que la concurrence est bénéfique pour l’activité économique sur le plan micro comme sur le plan macroéconomique en permettant une baisse des prix favorable aux consommateurs, une allocation optimale des ressources, l’élimination des entreprises le moins compétitives, des économies d’échelle. Il met également en avant les obstacles à surmonter dans l’UE pour la réalisation pleine et entière du marché commun :
- les droits de douane ont été réintroduits sur les produits agricoles par le biais des montants compensatoires destinés à amortir les effets des mouvements de change.
- les quotas ou contingents, eux aussi en principe démantelés, ont été remis en place dans les domaines de l’acier et de l’agriculture.
- il existe des disparités en matière de réglementation, notamment sanitaire et technique.
L’idée est de poursuivre la dynamique d’intégration afin de bénéficier des effets économiques positifs prônés par le libéralisme économique : bienfaits du libre-échange et allocation optimale des ressources via le marché de CPP. Dans cette optique, l’Union européenne franchit petit à petit les étapes de l’intégration économique selon la typologie mise en évidence par B. Balassa (Théorie de l’intégration économique, 1961). Il existe 5 degrés d’intégration économique :
1.La zone de libre-échange se caractérise par une diminution des barrières douanières à l’intérieur de la région. Chaque membre est maître de sa politique extérieure envers les pays tiers. Il existe cependant un risque de contournement : pour importer dans un pays de la zone où le tarif douanier est élevé, les marchandises vont d’abord transiter dans un pays de la zone dans lequel le tarif est plus faible.
Remarque : L’UE n’est pas passée par l’étape de ZLE, elle est directement passée à l’union douanière.
2.L’union douanière est une zone de libre-échange dans laquelle les membres décident d’adopter une politique commerciale commune vis-à-vis du reste du monde.
3.Le marché commun ajoute à l’union douanière une libre circulation des marchandises et des facteurs de production (capital, travail, brevets etc.).
Remarque : Après le traité de Rome de 1957, l’usage était de parler de « marché commun » pour désigner l’union douanière. Or, le marché commun au sens de B. Balassa ne se réalise qu’en 1993 avec l’entrée en vigueur du marché unique européen.
4.L’union économique peut se définir par l’adoption de politiques économiques communes. Cela inclut une politique monétaire commune.
Remarque : Certains économistes distinguent l’union économique et l’union monétaire. C’est en 1992 avec le traité de Maastricht que l’UE s’engage sur la voie de l’union économique et monétaire (UEM).
5.La fédération d’Etats constitue le degré ultime d’intégration économique, c’est ce que B. Balassa appelle « l’intégration totale » : à l’union économique et monétaire s’ajoute la constitution d’un pouvoir politique fédéral avec l’harmonisation de politiques fiscales et sociales.
Faute d’un engagement plus poussé vers la voie du fédéralisme et de l’association politique, l’Europe approfondit la coopération économique en franchissant petit à petit les étapes de l’intégration économique vers la construction de l’UEM.
1. La construction du marché unique
La dynamique d’approfondissement de l’intégration économique se poursuit avec la signature de l’Acte unique européen à la Haye en 1986, qui vient relancer le projet européen après la période de doute et d’euroscepticisme de la fin des années 1970. Il s’agit de créer « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée » (art. 13). La libre circulation des personnes se fait progressivement avec la mise en place de l’espace Schengen (accords de Schengen signés en 1985).
Le « marché unique » vient remplacer le « marché commun ». Sa réalisation est effective au 1er janvier 1993. Il poursuit les objectifs de libéralisation économique en supprimant les barrières aux échanges, tarifaires ou non.
2. L’importance de la politique de la concurrence
La mise en place d’une véritable politique de la concurrence à l’échelle européenne accompagne la dynamique de construction du marché unique. L’idée est de généraliser la libre concurrence à l’échelle européenne pour profiter des avantages énoncés dans le cadre de la théorie libérale. Cette idée puise ses sources dans 2 origines :
- Le contexte économique des années 1980 avec la crise des idées keynésienne au profit du monétarisme et des thèses libérales. Période de ralentissement de l’activité économique, de l’installation d’un chômage de masse et de longue durée et d’une inflation durable, déclenchés par la crise du 1er choc pétrolier en 1973. Ce contexte économique débouche sur un retour des thèses néoclassiques et une contre révolution monétariste hostiles à l’interventionnisme étatique. Pour Milton Friedman (monétariste), la forte inflation des années 1970 aurait été évitée si la FED avait suivi la prescription d'une croissance modérée et stable de la masse monétaire. La concrétisation politique de ce libéralisme se réalise par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 et de Donald Reagan en 1980.
- La tradition de l’ordolibéralisme allemand. Il s’agit d’une conception selon laquelle le principe de concurrence permet l’allocation optimale des ressources à condition d’un encadrement strict par la loi qui garantit le bon fonctionnement du marché. L’ordolibéralisme est le pilier du modèle d’économie sociale de marché porté par le chancelier Erhard dès les années 1950.
La politique de la concurrence a pour but de protéger la concurrence à travers les actions suivantes :
- Surveiller et contrôler les opérations de concentration comme les opérations de fusions-acquisitions qui facilitent la création de monopole, augmentent le pouvoir de marché et réduisent les gains à l’échange.
- Lutter contre les cartels de producteurs, interdits par la loi car ils faussent le jeu de la concurrence.
- Eviter les abus de position dominante lorsqu’une entreprise dominant un marché profite de cette situation pour imposer des conditions de vente déloyales (prix abusifs, accords de vente exclusifs, dissuasion d’entrée des concurrents etc.).
- Contrôle des aides des Etats qui pourraient fausser la concurrence en accordant par exemple des subventions aux entreprises nationales.
L’Acte unique européen s’accompagne ainsi de la création d’un Conseil de la concurrence. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) définit les domaines de la politique de la concurrence. E. Cohen évoque ainsi une « quasi-constitutionnalisation de la politique de la concurrence » en Europe.
3. Une démarche d’approfondissement politique
La création du marché unique s’accompagne d’une dynamique d’approfondissement politique de l’Europe avec une modification progressive des règles de gouvernance européenne. Le traité de Maastricht (1992) s’accompagne de dispositions politiques essentielles pour la poursuite de la construction européenne en dotant la CEE d’instruments juridiques spécifiques :
- Extension du vote à la majorité qualifiée (pondération des voix selon la taille de la population de chaque pays) au Conseil des ministres pour ce qui touche à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur, à l’exclusion de la fiscalité et des dispositions concernant les travailleurs. L’abandon du recours à l’unanimité permet des avancées plus significatives car aucun pays ne dispose d’un droit de veto en ces matières.
- Entrée en vigueur du principe de reconnaissance mutuelle plutôt que d’opter pour un long processus d’harmonisation réglementaire au niveau européen, il est ainsi décidé que les Etats-membres doivent accepter la commercialisation sur leur sol de tout produit fabriqué selon les normes en vigueur dans un autre Etat-membre, quand bien même cela ne satisferait pas à la législation du pays dans lequel la vente s’effectue. L’idée est donc que les normes de produit, de procédé et de qualité en vigueur dans les Etats sont considérées comme équivalentes, sauf s’il est prouvé qu’elles font courir un danger (en matière notamment de sécurité publique ou de protection de l’environnement). Enfin, un statut de société européenne est instauré en 2004. Il intéresse plus particulièrement les entreprises opérant dans plusieurs Etats-membres : elles peuvent ainsi créer une société de droit européen, ce qui leur permet d’adopter un régime unique de gestion comptable.
- Introduction du principe de subsidiarité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union européenne, le principe de subsidiarité entend protéger la capacité de décision et d’action des États membres, et il légitime l’intervention de l’Union si les objectifs d’une action ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l’être mieux au niveau de l’Union, « en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée ».
Si la logique d’intégration européenne repose avant tout sur un moteur économique, elle s’accompagne également d’une dynamique d’association politique avec la mise en place d’institutions et d’organes de décision politique à l’échelle européenne. Le traité de Maastricht marque ainsi une nouvelle étape dans le processus d’intégration, en marché vers une union économique et monétaire.
1. De Bretton-Woods au serpent monétaire européen
L’intégration monétaire ne semble pas encore nécessaire lors de la création de la CEE en 1957. Les 6 pays fondateurs s’inscrivent dans le SMI des accords de Bretton Woods (1944) dans lequel les différentes monnaies européennes fluctuent par rapport au dollar. Il existe un système de compensation multilatérale, l’union européenne des paiements (UEP) qui vise à assurer la convertibilité dollar de chaque monnaie.
Au fur et à mesure que se révèlent les faiblesses du SMI de Bretton Woods se pose la question de la mise en place de mécanismes de convergence des monnaies européennes. L’instabilité des cours fait en effet courir un risque de change. Or, celui-ci est susceptible de ralentir les échanges intra-communautaires, mettant ainsi en danger la réalisation du marché intérieur. En 1969, la conférence de la Haye projette pour 1980 la création d’une union économique et monétaire (UEM). Cette conférence est suivie du rapport Werner (1970) qui propose des mesures comme la libre circulation des capitaux, l’intégration des marchés des pays européens, la création d’une monnaie commune et la mise en place d’une banque centrale à l’échelle européenne.
En 1971, la suspension de la convertibilité or du dollar débouche sur l’effondrement du système de changes fixes, ce qui augmente encore le risque de change et renforce les coûts de transaction (notamment les coûts de conversion des monnaies). Pour tenter de stabiliser les taux de changes des monnaies européennes entre elles et par rapport au dollar, les pays membres de la CEE créent le serpent monétaire européen (1972-1978) par les accords de Bâle en avril 1972 avec des marges de fluctuations très limitées entre les monnaies européennes (2,25%) et leur flottement concerté par rapport au dollar (+ ou – 2,25% c'est-à-dire 4,5%).
Les banques centrales interviennent lorsque le cours de la monnaie nationale s’approche trop des marges (serpent ou tunnel). Le FECOM (Fonds européen de coopération monétaire créé en 1973) est chargé de coordonner l’action des banques centrales, en assurant notamment la compensation des créances et dettes entre elles.
Le mécanisme du serpent monétaire se révèle rapidement inefficace :
Utilisation du dollar comme point d’ancrage du dispositif, alors même que les autorités américaines inaugurent leur stratégie de benign neglect (« douce négligence ») et font flotter leur monnaie librement.
Un système trop asymétrique. Lorsque les monnaies prises deux à deux voient leurs cours s’éloigner, c’est à la banque centrale de la monnaie la plus faible que revient la charge d’en soutenir la valeur, tandis que les pays aux monnaies fortes se voient déchargés de toute responsabilité.
Divergences de politiques et de performances économiques des pays européens après le premier choc pétrolier. Cela démontre combien il est complexe de mettre en place une convergence des monnaies sans concordance plus large des politiques conjoncturelles.
L’expérience du serpent est un échec : le serpent sort du tunnel dès mars 1973 et les monnaies européennes vont flotter sans limite de marges vis-à-vis du dollar. Les écarts se creusent entre les monnaies fortes (mark allemand et florin néerlandais) et les monnaies faibles (franc français et lire italienne) en liaison avec un important différentiel d’inflation. Le serpent constitue un mécanisme insuffisant face aux déséquilibres liés à la crise économique et aux désordres provoqués par les changes flottants impurs.
2. Du « serpent monétaire européen » au système monétaire européen (SME)
Face à cet échec, le Conseil européen de Brême propose la mise en place du Système Monétaire Européen dès 1978, effectif en 1979. Il s’agit d’assurer une relative stabilité monétaire, indispensable dans cette période de crise économique pour stimuler l’investissement et l’activité économique sans accepter pour autant l’inflation. 3 éléments assurent son fonctionnement :
Création de l’ECU (European Currency Unit) : monnaie fictive ou « monnaie panier ». L’ancrage devient un panier de monnaies européennes (l’écu) qui correspond à la moyenne pondérée des monnaies qui appartiennent au SME. L’écu est une simple unité de compte qui définit un « cours pivot » autour duquel s’organisent des parités bilatérales entre deux monnaies nationales.
Instauration de parités fixes : les monnaies nationales peuvent fluctuer entre elles dans des marges prédéterminées autour de cours pivots bilatéraux exprimés en écus, à plus ou moins 2,25% dans les premiers temps (avec possibilité de choisir une bande plus souple de plus ou moins 6%). En 1993, les marges sont portées à plus ou moins 15%. Enfin, les interventions des banques centrales, lorsque les cours de deux monnaies s’éloignent du pivot, se doivent d’être symétriques, la monnaie qui s’apprécie s’échangeant contre la monnaie qui se déprécie.
Le FECOM émet des écus, fournit des financements et des soutiens monétaires aux banques centrales qui en ont besoin pour défendre le cours de leur monnaie.
Le SME se traduit par des résultats non négligeables. Il a permis de limiter l’instabilité des monnaies européennes face aux chocs monétaires qui ont marqué les années 1980 et 1990. Il a également contribué à réduire les écarts dans les performances économiques des pays européens en favorisant la convergence des politiques monétaires, notamment pour combattre l’inflation. Par exemple, la France a adopté des politiques de désinflation compétitive à partir de mars 1983 pour soutenir la parité entre le franc et le mark.
3. Du système économique européen à l’union économique et monétaire (UEM)
Si le SME se révèle être un premier outil de coopération monétaire en Europe, il ne remplit cependant pas tous ses objectifs :
La fixité des cours n’a pas toujours été obtenue et les réajustements sont nombreux (17 réajustements entre 1979 et 1993).
Il ne parvient pas à rompre avec les asymétries antérieures. Le mark, monnaie forte, devient la monnaie européenne de référence et l’Allemagne est par conséquent le seul pays à conserver l’autonomie de sa politique monétaire. Les pays détenant des monnaies faibles ont été contraints de fournir l’essentiel des interventions pour défendre la parité de leurs monnaies, pratiquant des taux d’intérêts plus élevés qui ont nui à la croissance et à l’emploi.
Après « l’âge d’or » (remarquable stabilité entre 1987 et 1992), il fait face à d’importantes fluctuations liées à la spéculation. En juillet 1993, une spéculation intense provoque une crise du SME avec des marges de fluctuations portées à 30%.
Il fait face au « triangle des incompatibilités » mis en avant par R. Mundell et popularisé par T. Padoa-Schioppa : il n’est pas possible de concilier à la fois des taux de changes fixes, une mobilité des capitaux et une autonomie des politiques monétaires nationales.
Or l’Europe a fait très tôt le choix des changes fixes, l’intégration économique a conduit à instaurer non seulement la libre circulation des marchandises mais aussi des
capitaux. L’Acte unique prévoit au 1er janvier 1991 l’unification du marché des capitaux. Dès lors, il n’est pas possible d’avoir des politiques monétaires autonomes. Pour résoudre ce problème, l’Europe a fait le choix du passage à la monnaie unique.
A partir de la fin des années 1980 se multiplient les rapports et les mesures en faveur de l’union économique et monétaire. L’UEM s’impose comme une nouvelle étape dans la dynamique d’intégration européenne.
Le rapport J. Delors, qui institue les étapes de passages à la monnaie unique, est adopté en 1989. 3 étapes sont définies :
Phase I (1990-1993) : coordination des politiques monétaires, libéralisation totale des marchés financiers, obligation d’indépendance des banques centrales.
Phase II (1994-1997) : les Etats doivent rejoindre les 5 critères de convergence :
- Inflation ne doit pas dépasser de plus de 1,5% la moyenne des meilleures performances nationales.
- Le taux d’intérêt de long terme ne doit pas dépasser de plus de 1,5% la moyenne des trois meilleurs taux.
- Monnaie doit être contenue dans les marges du SME depuis au moins 2 ans
- La dette publique ne doit pas excéder 60% du PIB
- Le déficit public ne doit pas excéder 3% du PIB
Remarque : les deux derniers critères sont ceux adoptés par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 1997.
Phase III (1998) : mise en place du SEBC (système européen des banques centrales auquel adhèrent toutes les banques centrales de l’UE) et de la BCE.
Au 1er janvier 1999, tous les pays de l’UE-15 adhèrent à l’euro à l’exception du Royaume-Uni, du Danemark, de la Suède et de la Grèce. Entre 1999 et décembre 2001, l’euro remplace progressivement les monnaies nationales qui ont adhéré à la monnaie unique. Les pays qui intègrent l’UE après Maastricht doivent rejoindre à terme la zone euro.
Remarque : Le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne le 31 janvier 2020, plusieurs années après le référendum du 23 juin 2016. Le Royaume-Uni devient dont un pays-tiers de l’UE.
Pour la zone euro, la définition de la politique monétaire revient à la BCE. L’article 127 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne lui assigne pour mission principale le maintien de la stabilité des prix. Faute d’un cadre politique fixé par les gouvernements des Etats-membres, c’est le Conseil des gouverneurs de la BCE qui s’est chargé d’en préciser le contenu : il s’agit de veiller à ce que les taux d’inflation soient proches de 2% à moyen terme.
En ce qui concerne la politique de change, il y a un partage des tâches entre gouvernements et BCE. Les orientations politiques sont donc définies à l’échelon inter-gouvernemental (mais contraintes par le respect de l’objectif de stabilité des prix) tandis que la mise en œuvre technique est aux mains de la BCE, par le biais des taux d’intérêt à court terme et des réserves de change. Au niveau décisionnaire deux entités coexistent : le Conseil Ecofin, qui rassemble les ministres de l’Economie et des Finances de l’ensemble des Etats de l’Union européenne, et l’Eurogroupe, qui ne comprend que ceux des dix-huit membres de l’UEM. Lors des réunions du Conseil Ecofin (puisque l’Eurogroupe, bien que consacré par le traité de Lisbonne, n’est qu’informel), les décisions concernant le pilotage de la zone euro se prennent avec suspension des droits de vote de ceux qui n’en font pas partie.
Les avantages attendus du passage à l’euro sont nombreux. Ils sont mis en avant en 1990 dans le rapport Emerson :
- Elimination des coûts de transaction liés aux taux de changes.
- Disparition de la volatilité des taux de changes et donc de l’incertitude quant à l’évolution des prix.
- Atténuation de la contrainte extérieure.
- Réduction de la prime de risque sur les taux d’intérêts des Etats grâce au partage de la souveraineté monétaire.
- Possibilité de concurrencer le dollar comme monnaie internationale.
- Résolution du triangle des incompatibilités.
- L’adoption de l’euro concrétise donc la dynamique d’intégration européenne avec le franchissement d’une nouvelle étape, celle de l’intégration monétaire.
1. La politique agricole commune accompagne la création du marché commun
La politique agricole commune (PAC), mise en place en 1962, est l’une des réalisations les plus connues en termes de politique économique commune. Elle constitue encore à ce jour la 1ère et unique politique économique sectorielle de l’Union européenne.
Elle prend place relativement tôt dans la construction de l’UE, au sein d’un contexte particulier. Au sortir de la 2nde Guerre Mondiale, l’Europe est encore marquée par les pénuries alimentaires, le rationnement est encore en place dans de nombreux pays. L’objectif initial est de parvenir à l’autosuffisance alimentaire sur le continent européen. Le traité de Rome prévoit la libéralisation du secteur agricole, ce qui pose problème à de nombreux pays – notamment la France – qui ne souhaite pas laisser la politique agricole aux seules mains du marché. La PAC prend donc la forme d’une politique d’organisation du marché.
5 objectifs :
- Accroître la productivité de l’agriculture, notamment grâce au progrès technique.
- Assurer un niveau de vie équitable aux producteurs.
- Stabiliser les marchés agricoles.
- Garantir la sécurité alimentaire des approvisionnements en visant l’autosuffisance.
- Assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
3 principes :
- Principe de libre circulation : il s’agit de réaliser l’unicité du marché agricole en supprimant les barrières tarifaires et non tarifaires.
- Principe de préférence communautaire : protectionnisme douanier à l’égard des pays tiers et mécanismes de subventions aux exportations.
- Principe de solidarité financière entre les Etats membres : instauration du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) qui reçoit les prélèvements agricoles sur les importations à bas coûts, une partie des TVA nationales et des droits de douane pour garantir les prix payés aux agriculteurs. Lors de « marathons agricoles » annuels sont fixés les prix de référence, à savoir les prix que les Etats-membres souhaitent atteindre pour les différentes denrées. A partir de là est défini un prix de seuil, inférieur au prix de référence, qui est le prix minimum auquel les importations en provenance des pays tiers sont autorisées à pénétrer sur le marché communautaire. Lorsque le prix d’une importation est inférieur au prix de seuil se déclenche la taxe appelée « prélèvement ». Enfin, le prix d’intervention, placé à environ 90% du prix de référence, est le prix à partir duquel entrent en action les mécanismes de soutien aux revenus des agriculteurs. En effet, lorsque des excédents se créent et font baisser le cours d’un produit agricole, des organismes d’intervention achètent ce surplus aux exploitants, de manière à faire remonter les prix. Il doit donc garantir les prix (section garantie) mais il a également pour mission la modernisation des structures agricoles (section orientation).
La PAC remplit certains objectifs :
- L’Union européenne atteint l’objectif d’autosuffisance alimentaire dès la fin des années 1960.
- Le volume des échanges intracommunautaire est multiplié par 6 entre sa mise en place et les années 1990.
- L’UE devient le 2e exportateur mondial dans les années 1990 et rivalise avec les Etats-Unis.
- La productivité augmente au sein des exploitations avec une baisse du nombre d’actifs (division par 2 entre les années 60 et les années 1990).
- Les marchés se sont globalement stabilisés et les revenus agricoles augmentent même si ce constat est remis en cause aujourd’hui.
Mais elle fait également face aux critiques :
- Les fluctuations des taux de changes à la fin des années 1970 impactent fortement les prix et contraignent les pays membres à instaurer des montants compensatoires. Les exportations des pays à monnaie forte doivent être subventionnées, celles des pays à monnaie faible doivent être taxées.
- Elle est victime de son succès : des excédents de production importants apparaissent dans les années 1980, elle doit en partie les racheter pour garantir les prix ce qui contribue à un gaspillage considérable de ressources.
- La PAC coûte cher : elle représente à elle seule 73% du budget européen en 1985.
- Elle s’inscrit dans un courant protectionniste ce qui crée des tensions au sein du GATT.
Elle fait donc l’objet de réformes :
Pour faire face à ces limites, la PAC se doit d’être réformée. Les objectifs des réformes qui ont lieu dans les années 1980 et 1990 ont pour double de contrôler les excédents et de minimiser les distorsions de concurrence internationale. C’est ainsi que des baisses des prix d’intervention sont décidées, des quotas mis en place (notamment dans le domaine laitier) et des incitations à la jachère proposées.
En 2003, les accords du Luxembourg réforment la PAC autour de 3 principes :
- Principe de découplage : les aides ne sont plus liées au volume de la production.
- Principe de conditionnalité : les aides sont liées à certains critères comme le respect de l’environnement et des animaux.
- Principe de modulation : baisse progressive des aides pour les grandes exploitations.
Si la PAC se heurte à de nombreuses difficultés, elle n’en demeure pas moins un des exemples les plus aboutis de politique économique européenne. Malgré le besoin continu d’en remodeler le fonctionnement, la PAC constitue un des exemples les plus aboutis de grandes réalisations européennes.
2. Une politique industrielle insuffisante ?
La priorité donnée à la construction du marché intérieur amène à négliger la politique industrielle. A priori, politique de la concurrence et politique industrielle semblent répondre à des objectifs opposés. Tandis que la politique de la concurrence veille au respect de la libre concurrence sur le marché en luttant contre les monopoles, abus de position dominante et le pouvoir de marché, la politique industrielle vise au contraire à développer des champions ou conglomérats à l’image des konzerns allemands, compétitifs sur le marché mondial.
La politique de la concurrence n’est pas inscrite dans les textes. Elle semble pourtant manquer dans une Europe fragilisée par la désindustrialisation. L’Europe connait une première vague de désindustrialisation dans les années 1980 qui touche principalement les secteurs de la sidérurgie, l’automobile et le textile. Une deuxième vague de désindustrialisation touche l’Europe à la fin des années 1990. Cela se traduit par un déclin de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale, de la part de l’industrie dans l’emploi total et par l’existence d’un déficit commercial industriel structurel.
Les grands projets industriels tels qu’Airbus (1970) ou Ariane (1973) se réalisent dans le cadre d’accords intergouvernementaux. Même si l’Acte unique européen et le traité de Maastricht prévoient des réalisations communes, le terme de politique industrielle n’y figure pas en tant que tel. L’orientation industrielle concerne surtout le domaine de la recherche et développement (R&D). L’UE met en avant la notion de « compétitivité industrielle ». Le traité de Maastricht autorise la création d’entreprises communes nécessaires à la mise en place de programmes de recherche. Le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000) met l’accent sur la recherche de la compétitivité dans le domaine des NTIC. La stratégie Europe 2020 insiste sur la nécessité d’une politique industrielle mais dans les faits celle-ci ne dispose pas d’un budget significatif et reste principalement du ressort des Etats.
En l’absence de stratégie industrielle commune, on peut alors craindre que les Etats européens se fassent concurrence, notamment en matière d’emploi et mettent en place des stratégies non coopératives.
3. Quelle stratégie de croissance pour l’UE ?
Si l’UE se construit dans une période de prospérité économique, celle des 30 Glorieuses (Jean Fourastié) avec un TCAM avoisinant les 5% sur la période, elle rencontre aujourd’hui des difficultés économiques. La crise des subprimes marque profondément l’Europe. Tandis que les Etats-Unis se remettent progressivement de la crise, l’UE européenne peine à surmonter les difficultés rencontrées. En 2012, elle est marquée par la crise des dettes souveraines. Les taux de chômage continuent d’augmenter dans la quasi-totalité des pays membres. Les perspectives de croissance sont faibles. Aujourd’hui encore, la croissance potentielle de certains pays comme l’Italie ne dépasse pas les 0% tandis que la croissance potentielle de l’UE est estimée à 1,5%. La croissance potentielle est une estimation du taux de croissance du PIB lorsque les facteurs de production sont utilisés de manière optimale, en l'absence de tension sur le marché des biens et services et sur celui du travail (c'est-à-dire avec une inflation stable). Elle est basée sur une estimation de l'évolution de la quantité de travail disponible, de l'évolution du capital disponible et des gains de productivité réalisés par les entreprises (PGF) favorisée par le progrès technique (PT).
La mise en place de politiques structurelles fait débat. Tandis que certains prônent l’approfondissement du marché intérieur et des principes de la concurrence dans une optique libérale, d’autres insistent sur la nécessité d’aller vers davantage d’intervention à travers la mise en place d’un fédéralisme budgétaire. P. Artus affirme ainsi que l’agenda de libéralisation de l’Europe n’a pas produit les effets escomptés, qu’il faut aller vers la construction d’un grand budget européen avec une possibilité de transferts entre les différents pays selon les besoins.
Jusqu’à la stratégie de Lisbonne (2000), il n’existe pas de stratégie formelle de croissance pour l’UE. L’Acte unique européen et le traité de Maastricht ont mis l’accent sur la libéralisation du marché. Art. 120 du TFUE précise ainsi que « les Etats membres et la Communauté agissent dans le respect d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant l’allocation efficace des ressources ». La stratégie de Lisbonne met l’accent sur la nécessité d’investir dans la R&D afin de stimuler la compétitivité de l’UE, en décrochage par rapport aux Etats-Unis. Elle préconise ainsi que 3% du PIB soit investi en R&D. La stratégie Europe 2020 (2010) prolonge et réforme la stratégie de Lisbonne par une gouvernance plus étroite au sein de l’UE. Elle a pour but de relancer l’économie européenne en développant une croissance « intelligente, durable et inclusive, accompagnée d’un haut niveau d’emploi, de productivité et de cohésion sociale ».
3 moteurs de croissance :
1.Une croissance intelligente : développer une économie fondée sur la connaissance et l'innovation.
2.Une croissance durable : promouvoir une économie plus efficace dans l'utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive.
3.Une croissance inclusive : encourager une économie à fort taux d'emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale.
5 objectifs :
- Investissement dans la Recherche et le développement (R&D) : améliorer les conditions de la recherche et développement (R&D), afin en particulier de porter à 3 % du PIB le niveau cumulé des investissements publics et privés dans ce secteur.
- Taux d’emploi : remonter le taux d'emploi à au moins 75 % contre 69 % aujourd'hui.
- Environnement : réaffirmer les objectifs de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique (dits "20/20/20"), qui sont déjà parmi les plus ambitieux du monde (y compris le fait de porter à 30 % la réduction des émissions si les conditions adéquates sont remplies).
- Inclusion sociale : réduire le taux de pauvreté de 25 %, ce qui reviendrait à faire sortir de la pauvreté 20 millions de personnes.
- Education et enseignement supérieur : améliorer les niveaux d'éducation en réduisant le taux d'abandon scolaire à 10 % et en portant à 40 % la proportion des personnes de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur ou atteint un niveau d'études équivalent.
Si l’UE met aujourd’hui en avant une véritable stratégie de croissance économique, de nombreux économistes insistent sur la nécessité d’accompagner cette stratégie par une réforme de la gouvernance européenne. Pour A. Bénassy-Queré (« Les obstacles à la croissance européenne », Cahier du Cercle des économistes, 2006) la réalisation de la stratégie de croissance est aujourd’hui compromise par les lacunes de la gouvernance européenne. Elle met en évidence un triangle d’incompatibilité entre la stratégie de Lisbonne, le Pacte de stabilité et de croissance (1997) et l’existence d’une concurrence fiscale entre les pays européens. En effet, le PCS oblige les Etats à respecter un niveau de déficit public contraignant sans prendre en compte les investissements favorables à la croissance. La concurrence fiscale favorise la mobilité des travailleurs qualifiés au détriment des entreprises innovantes. La stratégie de croissance devient alors le « côté faible » du triangle.
1. Un élargissement progressif
La dynamique de construction de l’UE est également fondée sur une démarche d’extension qui vise à repousser sans cesse ses frontières. Cette dynamique d’élargissement constitue un défi pour l’UE qui doit progressivement intégrer des pays aux niveaux de développements différents. En 1993, le sommet de Copenhague fixe les critères d’adhésion à l’UE : les pays doivent avoir un régime démocratique, une économie de marché et s’engager à adhérer aux acquis communautaires (règlements et directives de l’UE).
- Le 1er élargissement a lieu en 1973. Le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark rejoignent la CEE. Si l’Irlande apparaît en net retard par rapport aux autres pays de la CEE, elle entame néanmoins un processus de rattrapage très rapide.
- Les second et troisième élargissements tournent l’Europe vers la Méditerranée (inclusion de la Grèce en 1981, puis de l’Espagne et du Portugal en 1986). Ces trois pays, à la traîne en matière en développement industriel, profitent toutefois des fonds structurels et des politiques communes (notamment la PAC) pour se moderniser et connaissent une croissance rapide.
Les défis apparaissent de manière beaucoup plus nette avec l’intégration progressive des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) au cours des cinquième (Chypre, Malte, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie et Slovénie en 2004), sixième (Roumanie et Bulgarie en 2007) et septième (Croatie en 2013) élargissements, qui font entrer dans l’Union des pays marqués par l’influence de l’Union soviétique. Ces derniers présentent des retards de développement importants, ce qui accroit considérablement l’hétérogénéité de la Communauté européenne. Avec l’élargissement de 2004, la population de l’UE augmente de 20% tandis que son PIB progresse seulement de 7,5%. Le niveau de vie de ces nouveaux entrants atteint seulement 50% de la moyenne de l’UE-15 et les salaires y sont inférieurs de moitié.
Cette dynamique d’élargissement fait apparaître 3 difficultés économiques majeures :
- Dans le domaine de l’agriculture : la part du secteur primaire dans la VA et l’emploi global est encore élevé dans les PECO. Les exploitations agricoles y sont caractérisées par une extrême fragmentation et une faible productivité. L’intégration à la PAC met donc ces petites exploitations en concurrence directe avec les producteurs des anciens Etats-membres, beaucoup plus efficaces en termes de production. Cela se traduit, dans les premières années de l’adhésion, par une disparition des structures les plus fragiles et par une augmentation de la pauvreté dans les zones rurales, surtout en Pologne et en Roumanie.
- Le problème des flux migratoires : la libre circulation des facteurs de production et des citoyens européens au sein de l’espace Schengen a favorisé à la fois une « fuite des cerveaux » dans les pays aux économies peu compétitives. Cela crée également une pression à la baisse des salaires.
- Le problème de la concurrence fiscale et sociale : l’intégration de pays aux systèmes de protection sociale et aux droits du travail moins développés crée un risque majeur de dumping fiscal et social au sein de l’UE.
Outre les difficultés de convergence économique, l’Union européenne doit repenser sa gouvernance. Entre 2004 et 2013, le nombre de pays membres double pratiquement puisque l’UE passe de 15 à 28 pays. Le traité constitutionnel européen (TCE) de 2003 vise à adapter le système institutionnel de l’UE dans la perspective de l’élargissement mais il est rejeté par le référendum de 2005 par la France et les Pays-Bas qui n’adhérent pas à la logique fédéraliste. Aujourd’hui encore, cela reste un chantier pour l’Europe. La sortie du Royaume-Uni avec le brexit du 23 juin 2016 représente également un défi institutionnel, économique et politique pour l’UE.
2. Une politique régionale pour assurer la cohésion des économies européennes ?
Dès le traité de Rome, la CEE met l’accent sur la nécessité de « renforcer l’unité des économies » et de « réduire l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisés » (art. 174 du TFUE). Elle met ainsi en place la Banque européenne d’investissement (BEI) qui permet le financement de grands projets d’investissements. En 1958 est créé le Fonds social européen (FSE) et en 1962 le Fonds européen d’orientation de garantie agricole (FEOGA). Ils visent tous deux à assurer une certaine redistribution entre les territoires.
C’est avec l’entrée en 1973 de l’Irlande que la CEE est véritablement confrontée aux écarts de développement. Elle crée en 1975 le Fonds européen de développement régional (FEDER) qui permet de financer des investissements productifs et de moderniser les infrastructures. Ces écarts continuent de se creuser avec l’élargissement à l’Espagne et au Portugal puis aux PECO. Jacques Delors (président de la Commission européenne) insiste sur la nécessité d’adopter une politique régionale forte lors de la signature de l’Acte unique. Le traité de Maastricht met en place une politique de cohésion économique qui s’articule autour de 3 axes :
- La convergence
- La compétitivité régionale et l’emploi
- La coopération territoriale
Elle dispose de plusieurs instruments :
- Fonds de cohésion : il concerne les pays dont le niveau de vie est inférieur à 90% de la moyenne de l’UE. Il concerne l’aménagement de l’environnement et des infrastructures.
- FSE : il se spécialise dans la lutte contre le chômage des jeunes et de longue durée autour de politiques dites « actives » du travail qui visent le retour à l’emploi notamment par le biais de la formation.
- FEDER : il accompagne la modernisation des structures et la reconversion productive pour les secteurs en difficulté.
- BEI : dotée d’un capital de 232 milliards d’euros, elle accompagne les grands investissements en émettant des titres sur les marchés financiers.
Depuis 2014, les dépenses globales de la politique de la cohésion approchent les 40%. Pour certains pays en difficulté économique, les fonds reçus peuvent représenter jusqu’à 4% du PIB. Il s’agit davantage de soutenir la compétitivité que d’assurer une simple redistribution monétaire. La politique de cohésion économique permet dans une certaine mesure le rattrapage des pays en retard de développement qui connaissent en partie une croissance plus forte ces dernières années que pour les pays d’Europe occidentale. Cependant, la politique régionale manque également de moyens dans une Europe fragilisée par la récession de la fin des années 2000.