Melchior vous propose ce décryptage pédagogique de l’article de Johanna Barasz zt Peggy Furic « La force du destin : poids des réussites scolaires et parcours scolaires », Note d’analyse de France Stratégie, septembre 2023, n°125.
Résumé
Le caractère inégalitaire de l’école française fait l’objet d’un assez large consensus scientifique. L’originalité de l’article est de croiser les rôles joués par l’origine sociale, le sexe et l’ascendance migratoire, sur les performances des élèves avec les modalités spécifiques de construction des trajectoires scolaires, à chaque étape de la scolarité.
Toutes choses égales par ailleurs, l’origine sociale, saisie par le capital économique et/ou culturel, influence de manière prépondérante tant les performances et les progressions que les choix d’orientation et de spécialisation des élèves et de leurs familles (voir le point de méthode ci-dessous). Même avec de bons résultats en début de scolarité, les enfants de familles modestes ont des parcours plus heurtés, aux débouchés nettement moins favorables que les enfants de familles favorisées : 7 ans après leur entrée en sixième, près des deux-tiers des élèves d’origine favorisée gagnent l’enseignement supérieur, contre un quart des élèves d’origine modeste. Si l’origine sociale est prépondérante, l’ascendance migratoire et le genre contribuent également à façonner les parcours scolaires. En ce qui concerne les trajectoires d’enfants d’immigrés, elles sont plus défavorables que celles des enfants sans ascendance migratoire. En moyenne, et lorsqu’on ne corrige pas par l’origine sociale, les enfants de deux parents immigrés redoublent davantage (notamment en primaire : 25% contre 15%), sont surreprésentés dans les filières spécialisées au collège, accèdent moins souvent au lycée général et technologique, et sont plus nombreux à s’orienter vers une première technologique. Ils accèdent également moins au baccalauréat, sortent plus souvent non diplômés du système scolaire, et s’engagent aussi moins dans les études supérieures. En ce qui concerne les filles et les garçons, bien que les filles affichent des performances supérieures à celles des garçons avant la scolarité, mais aussi tout au long de celle-ci, elles font des choix de disciplines et de spécialités qui les conduisent à une nette sous-représentation dans les filières scientifiques et industrielles, ainsi que dans les classes préparatoires. Bref, la scolarité des filles peut être qualifiée de « paradoxale », parce qu’elles sont globalement plus diplômées que les garçons, mais que ces diplômes sont moins « rentables » sur le marché du travail, cela faisant suite à des socialisations genrées très différentes depuis la petite enfance.
Les inégalités liées à l’origine sociale, à l’ascendance migratoire et au genre, se construisent selon un processus de stratification de couches successives, qui au passage pose la question du ciblage des politiques éducatives. Les premières années sont considérées comme déterminantes pour l’acquisition de compétences scolaires, parce que c’est dans la petite enfance que s’acquièrent les aptitudes qui exercent une influence majeure et durable sur les trajectoires scolaires et professionnelles (voir l’extrait pour la classe de première ci-dessous). Globalement, on constate que les acquis de maternelle sont souvent prédictifs des résultats constatés en fin de primaire. Ensuite, si le collège français est « unique », il n’en reste pas moins que les adolescents y connaissent des trajectoires hétérogènes qui déterminent les orientations ultérieures, sans compter les phénomènes de ségrégation sociale et scolaire plus marqués que dans l’enseignement primaire qui contribuent à la divergence des parcours. Mais c’est à la fin de la troisième que se produit la grande bifurcation avec la fin du parcours scolaire unique. C’est à ce moment que des élèves aux résultats et au parcours scolaires comparables sont orientés différemment (voir graphique ci-dessous). Et cette ségrégation se poursuit avec les choix de spécialités au lycée qui confortent les inégalités induites par l’origine sociale et rebattent les cartes des inégalités de genre. Enfin, l’accès à l’enseignement supérieur parachève la construction des inégalités de destin.
Les + de l’article :
Comprendre comment l’origine sociale, le genre et l’ascendance migratoire déterminent les « carrières scolaires ».
Comprendre la fabrication des inégalités scolaires tout au long des étapes de la scolarité.
Retrouvez l’article complet :
Les termes clés :
Captal culturel : La notion de capital culturel forgée par Pierre Bourdieu et René Passeron s’est imposée pour rendre compte des performances scolaires des enfants issus des différentes classes sociales. Ce concept représente une rupture par rapport aux visions classiques qui rendent compte du succès ou de l’échec scolaires en termes d’aptitudes naturelles, de capital économique ou de capital humain. Le capital culturel existe sous trois formes : à l’état incorporé (dispositions durables de la personne), à l’état objectivé (biens culturels) et à l’état institutionnalisé (titres scolaires).
Egalité des chances : L’égalité des chances est l’exigence qui veut que le statut social des individus ne dépende plus des caractéristiques ethniques, sociales ou de genre des générations précédentes, mais de leur seul mérite scolaire ou professionnel. Elle repose sur l’idée que seul l’effort individuel doit entrer en ligne de compte pour justifier les différences de situation entre les individus. Elle se différencie de l’égalité de droit (égalité devant la loi, nécessaire, mais qui ne suffit pas à garantir l’égalité des chances ) et de l’égalité de situation (qui vise à traiter de la même façon tous les individus, quels que soient leurs mérites).
Inégalités scolaires : Les inégalités scolaires sont une répartition inégale des biens distribués par l’école, qu’il s’agisse de parcours d’apprentissage, de diplômes ou encore de compétences, en fonction de certaines variables comme l’origine sociale, le genre ou le parcours migratoire. Les inégalités scolaires se rencontrent dans tous les pays, mais elles sont particulièrement marquées en France, et bien plus que dans les pays voisins tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, ou encore la Suisse. Par ailleurs, ces inégalités s’accroissent significativement depuis dix ou vingt ans en France. L’école française est peu efficace et de moins en moins équitable, ce qui est d’autant plus problématique dans un pays qui met en avant la « méritocratie républicaine ».
Performances scolaires: Les performances scolaires montrent dans quelle mesure les élèves ont acquis les connaissances et compétences essentielles pour participer pleinement à la vie sociale et économique. Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) évalue les compétences en lecture, en mathématiques et en sciences, ainsi que dans des domaines innovants tels que la résolution de problèmes ou la pensée créative. Les résultats PISA montrent que les performances des élèves ont fortement baissé en mathématiques et en lecture entre 2018 et 2022, mais que certains systèmes éducatifs sont plus résilients que d’autres (Japon, Corée, Lituanie, Taipei chinois). Comme bon nombre de pays, La France voit également ses performances baisser. Si elle se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE, elle se caractérise cependant par des écarts de performance importants entre les élèves issus de milieux favorisés et défavorisés.
Le point de méthode : Appréhender les écarts de parcours scolaire selon l’origine sociale
On considère un échantillon d’élèves qui sont entrés en sixième au cours de l’année scolaire 2007-2008 et on suit leur parcours scolaire jusqu’à l’entrée dans l’enseignement supérieur, soit 7 ans plus tard. Ces élèves sont répartis en deux origines sociales : l’origine « modeste » (ouvriers et employés pour simplifier ) et l’origine « favorisée » (cadres supérieurs et intermédiaires pour simplifier).
On observe tout d’abord qu’un pourcentage relativement important d’élèves d’origine modeste présentent un retard scolaire, à peu près 1 élève sur 5 (voir l’extrait pour la classe de terminale ci-dessous), ce qui est beaucoup moins fréquent pour les élèves d’origine favorisée. Apparemment, le collège unique remplit sa mission en scolarisant les élèves des différentes origines sociales avec finalement assez peu de pertes, bien que le décrochage soit déjà bien présent, notamment pour les garçons d’origine modeste, et que les établissements scolaires soient très hétérogènes. C’est à l’entrée en classe de seconde que les choses se jouent, puisque 8 élèves sur 10 d’origine favorisée sont scolarisés en seconde générale et technologique contre seulement un peu plus de 3 élèves sur 10 pour ceux qui sont d’origine modeste (ces derniers étant beaucoup plus orientés en seconde professionnelle et en CAP). Et à l’issue de la seconde, un nouveau tri est effectué avec un peu plus d’1 élève sur 2 d’origine favorisée orienté en première générale, alors qu’ils ne sont que 16,3% pour les élèves d’origine modeste. Finalement, on a 3 fois plus de chances d’aller dans l’enseignement supérieur quand on est d’origine favorisée que quand on est d’origine modeste. Pour l’essentiel, le « tri » des élèves s’effectue donc au lycée.
L’extrait pour la classe de première : Les fondations de l’inégalité scolaire :
« Les premières années sont considérées comme déterminantes pour l’acquisition des compétences scolaires. Dans la petite enfance s’acquièrent des aptitudes qui exercent une influence majeure et durable sur les trajectoires scolaires et professionnelles…. Or, les facultés développées par les jeunes enfants sont largement déterminées par les activités proposées dans le cadre familial… Les parents les plus favorisés, et surtout les plus instruits, ont par exemple tendance à utiliser un vocabulaire plus riche, à lire avec leurs enfants, à chercher à développer leur esprit critique et leur autocontrôle. Les modèles éducatifs des parents participent à la « maturité scolaire » et influent sur l’intériorisation des règles scolaires ainsi que sur les apprentissages à la maternelle…. Un résultat fait consensus au sein de la littérature internationale : les enfants qui vivent dans les foyers à faibles revenus, ceux dont la mère a un faible niveau d’éducation ou ceux issus de l’immigration ont le plus à gagner des modes d’éducation formels, notamment collectifs comme la crèche. Or, en France, seuls 5% des enfants de moins de 3 ans appartenant aux 20% des ménages les plus pauvres sont accueillis en crèche, contre 22% des enfants des parents les plus aisés…. De ce point de vue, la France se distingue des autres pays européens par un accueil plus important des plus favorisés, si bien qu’elle figure en tête des pays où l’accueil formel est le plus inégalitaire selon le niveau de vie des parents….
La contribution de la maternelle à l’évolution des inégalités n’est pas aisée à établir en l’absence de données sur la progression des élèves entre la petite et la grande section. Les études disponibles suggèrent cependant que la scolarisation en maternelle est favorable aux enfants défavorisés et aux enfants d’origine immigrée. La scolarisation à 2 ans, elle, profite entre autres aux enfants d’ouvriers et plus clairement encore aux enfants qui ne parlent pas le français à la maison. Les écarts de performance à l’issue de la maternelle entre les élèves issus des différentes catégories sociales ont en tout cas tendance à se réduire dans le temps, parallèlement à une amélioration globale des acquis au début du CP. Pour autant, l’école maternelle n’efface pas les écarts initiaux d’origine et de genre, en particulier ceux liés aux pratiques culturelles et éducatives des familles (lecture partagée, activités culturelles, etc.). C’est aussi un moment de cristallisation des différences de genre entre garçons et filles, en partie sous l’effet des interactions pédagogiques. Ces écarts dans les acquis de la maternelle sont en partie prédictifs des différences de résultats constatées en fin de primaire ».
Les sujets qui font débat :
A quel moment du parcours scolaire faut-il agir le plus pour réduire les inégalités face à l’école ?
Faut-il instaurer des classes de niveau pour augmenter le niveau général des élèves ?
L’augmentation du salaire des enseignants est-elle une condition nécessaire pour accroître l’efficacité de l’école ?