Titre : Mobilité et décarbonation : quelles solutions ? »
Melchior vous propose ce décryptage pédagogique de l’article de Jean Coldefy « Accessibilité et décarbonation : un oxymore ? », 2023.
Publié en juin 2023, cet article de Jean Coldefy (Conseiller du Président de Transdev, Directeur des programmes d’ATEC ITS France et président du conseil scientifique de France Mobilités) permet de fournir un point d’actualité sur les chapitres du programme de spécialité Sciences économiques et sociales de Terminale « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ?» et « Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale?».
Le + de l'article
Comprendre comment l’économiste peut aider à mettre en œuvre des solutions pour lutter contre la décarbonation.
Se demander comment la décarbonation peut se faire sans éviter un accroissement des inégalités.
Résumé :
Depuis la révolution industrielle, l’accroissement de la mobilité permise par le développement de la vapeur et des moteurs à explosion (chemin de fer et voiture pour les distances nationales, bateau et avion pour les distances internationales) a accompagné la croissance économique, en augmentant la portée des échanges. Comme le dit le prix Nobel d’économie Ester Duflo, « la mobilité est l’un des principaux moyens d’égalisation des niveaux de vie et d’absorption des disparités économiques territoriales ».
Dans l’histoire de cette mobilité, la voiture a joué un rôle important. A partir de 1950, le fordisme, grâce à l’augmentation de la productivité qui fait croître le pouvoir d’achat, a permis une diffusion rapide de l’automobile. Le parc automobile français est passé de 2 millions de voitures en 1950 à 38 millions fin 2019. En 1960, 25% des ménages possédaient une voiture, et 85% en 2019. Cette démocratisation de l’automobile, et donc de la vitesse, a eu pour conséquence de multiplier les opportunités pour les personnes et les entreprises, jouant par là-même un rôle important, voir décisif, dans le processus de croissance économique. Depuis 1945, les revenus par habitant ont été multipliés par 5, et un autre aspect de cette croissance est que l’augmentation générale des revenus a aussi profité aux plus modestes, permettant une forte réduction des inégalités.
Aujourd’hui cependant, devant la nécessité de réduire les gaz à effet de serre (GES), et sachant que les voitures représentent à elles seules 16% des émissions du pays, les politiques publiques doivent effectuer un virage visant à réorganiser les déplacements au profit de la voiture électrique et d’autres modes de transport.
Source (CITEPA) : Les émissions de la voiture depuis 1990
Pour diminuer la pollution, les pouvoirs publics subventionnent le véhicule électrique qui permet de diviser par 3 les émissions de GES. Mais le problème du véhicule électrique est qu’il ne remet pas en cause la consommation importante d’espace public en ville par la voiture individuelle (espace public qui est un « bien commun »), qu’il présente une autonomie de déplacement limitée (ne répondant pas aux usages variés de la voiture), qu’il est encore plus cher à l’achat, et que sa promotion présente un coût d’évitement relativement élevé (voir le point d’éclaircissement plus bas sur la question du coût d’évitement). Il convient donc de réaliser un report de la voiture vers d’autres modes décarbonés, ce que l’on appelle le report modal, et économes en espace public pour lequel les décideurs publics ont plusieurs solutions : le train, le covoiturage, le vélo, le car express, autant de solutions qui au passage ne sont pas exclusives les unes des autres. Mais quelle solution privilégier permettant d’obtenir à la fois l’efficacité (combien de tonnes de CO2 évitées ?), l’efficience (à quel coût évite-t-on les émissions de CO2 ?), et l’équité (le service public est-il accessible à tous ?).
La réponse à ces questions repose en partie sur le critère du coût d’évitement, et aussi sur d’autres éléments comme la qualité du service rendu ou encore le vécu des utilisateurs Géographiquement la décarbonation des mobilités du quotidien passe avant tout par un report modal sur les liens périurbain-agglomérations et aussi entre agglomérations, et que compte tenu de la situation trop coûteuse du transport ferroviaire en France, il semble bien que cette décarbonation doit s’appuyer prioritairement sur l’offre de transports partagés routière (car express, mais aussi covoiturage), ce qui nécessite l’adaptation des voiries.
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Les termes clés :
- Efficacité : L’efficacité est la capacité pour un individu ou une organisation de parvenir à ses fins, et cela indépendamment des ressources mobilisées. En matière de politique publique de décarbonation, une politique efficace est celle qui réduit fortement les émissions de CO2. L’expression de Machiavel « La fin justifie les moyens » résume bien la démarche soucieuse d’efficacité.
- Efficience : L’efficience se rapporte à la relation entre les objectifs attendus de l’action et les moyens mobilisés pour y parvenir. Être efficient, c’est atteindre les objectifs fixés en utilisant le minimum de ressources, donc utiliser les « meilleurs moyens » pour arriver à la fin poursuivie. La différence entre efficacité et efficience réside donc dans la relation moyens-fins. Une politique efficiente de décarbonation met en rapport le coût attendu de cette politique avec la réduction d’émission de CO2 espérée.
- Equité : L’équité est un concept différent de l’égalité. L’égalité vise à traiter tout le monde de la même manière. L’équité consiste à reconnaître les différences entre individus et à adopter les mesures de correction en fonction des besoins et de la situation de chacun. C’est ce que Aristote appelle une « égalité proportionnelle ». En matière de politique de transport public par exemple, la gratuité de ces transports est une mesure égalitaire. Elle n’est pas forcément équitable car elle traite tout le monde de la même façon, quel que soit son statut social ou son revenu.
Le point d’éclaircissement : Comment calculer le coût d’évitement du carbone ?
Le coût d’évitement du carbone est un rapport. Il se calcule en mettant au numérateur le surcoût que la société envisage de payer pour mettre en œuvre les différentes solutions pour décarboner l’économie (coûts privés supportés par les ménages et les entreprises, et coûts supportés par le secteur public) et au dénominateur la performance réalisée par ces différentes solutions en matière de réduction des émissions de GES. L’idée est de privilégier les solutions qui mobilisent au minimum les fonds publics et privés pour un maximum de tonnes de tonnes de CO2 évitées.
Quelques illustrations :
L’Autorité de régulation des transports (ART) permet de calculer le coût du train. Les TER ont en France un coût élevé de l’ordre de 35 euros/kilomètre, ceci s’expliquant en grande partie par le fait que le ferroviaire français a une productivité faible (notamment due à un des plus forts nombre d’employés de réseau par kilomètre de ligne : 1,73 agent/kilomètre, quasiment 2 fois plus que l’Allemagne).
Le car, quant à lui, est évalué à 3,5 euros/kilomètre, soit 10 fois moins que le train. Quant à la voiture thermique, elle coûte en moyenne 0,35 euro/kilomètre. Evidemment, il faut corriger cela par le nombre de personnes transportées (ce qui ramène par exemple le cout de la voiture à 0.25 €/passager.km). En moyenne, un car emporte 65 personnes et un TER 360 personnes par rame. En termes d’émissions, un car émet 1,3 kg de CO2 au kilomètre, un TER diesel 5,4 kg, un TER électrique 0,65 kg, et une voiture thermique 0,165 kg, selon le périmètre d’émission considéré.
Avec ces données, on peut calculer aisément les coûts de la tonne de CO2 évitée par un report de la voiture sur le train ou le car : par exemple, pour des trajets de 20 kilomètres avec un taux de remplissage de 90 personnes pour le TER (selon l’ART, le taux d’occupation des TER est en moyenne de 26%), cela donne -90 euros pour le car, et 12 euros pour le TER. Les solutions alternatives comme la voiture électrique ou le covoiturage présentent un coût de la tonne évitée beaucoup plus fort compte tenu des subventions publiques. D’où la conclusion : si on change l’usage de la route en développant des transports en commun plus performants, on peut répondre aux enjeux territoriaux de mobilité et de décarbonation.
L’extrait pour la classe de Terminale : Un report modal inefficace ?
« Lors du Grenelle de l’environnement en 2007, un objectif de 20% des émissions des transports avait été fixé par un déploiement massif d’infrastructures de transports en commun. Entre 2000 et 2020, nous y avons ainsi consacré 83 milliards d’euros, 21 milliards pour le TGV, 62 milliards pour les transports en commun urbains, dont une part très notable en Ile de France (Source Comptes transports de la nation). Dans le même temps, la part modale kilométrique de la voiture n’a baissé que de 3%. On pourrait trop rapidement en conclure que le report modal est inefficace et qu’il faut chercher d’autres solutions pour décarboner les mobilités. La réalité est plus complexe, et c’est en analysant territorialement les mobilités que l’on peut expliquer cette faible performance……
La moitié des kilomètres parcourus par les ménages français étant liés au travail, ce sont les flux pendulaires qui constituent l’essentiel des kilomètres parcourus, ce que confirme l’analyse locale des déplacements via les enquêtes ménages déplacements du CEREMA. 25 à 30% des actifs des métropoles y travaillent sans y habiter. Mais du fait d’une urbanisation émiettée et non concentrée autour des pôles de transport en commun, et d’un système TER 3 à 4 fois inférieur à la demande, ces trajets périurbain-agglomérations se réalisent aujourd’hui en voiture. Les villes centres des grandes agglomérations représentent 8% de la population française, celle qui fait le moins de kms par jour puisque tous les services et le travail sont disponibles à proximité. Le périurbain et les premières couronnes, 50% de la population du pays, n’a que très peu d’alternatives à la voiture et vient donc saturer les villes centre avec la voiture. Voilà pourquoi des centaines de milliers de voitures engorgent les grandes agglomérations aux heures de pointe. À Lyon, 220000 personnes font la navette entre la métropole et le périurbain, le système TER saturé en heures de pointe ne dispose que de 35000 à 40000 places par jour.
C’est dans les villes centre que nous avons déployé les transports en commun, puisque l’objectif n’était pas le carbone mais la qualité de la vie en ville et des espaces publics. Cette politique a été efficace puisque partout l’usage de la voiture a reculé dans les villes, et que les centres villes ont été embellis, mais du point de vue du carbone, cela a concerné les personnes qui faisaient déjà le moins de kilomètres et disposaient en partie d’alternatives à la voiture. L’analyse territoriale montre que le lien entre les villes-centres des agglomérations et leur périurbain forme le cœur des émissions des mobilités du quotidien. Ce lien pèse 25 fois plus que la circulation interne aux villes-centres, qui compte pour une portion congrue : 0,2%. »
Les sujets qui font débat :
La décarbonation s’accompagne-t-elle nécessairement de la réduction de la croissance économique ?
A quelles conditions l’avenir des mobilités du quotidien peut-il passer par le train ?
Peut-on décarboner les mobilités sans réduire celles-ci ?
Voir le cours de terminale sur les limites et les contraintes de l’action publique pour l’environnement
Pour aller plus loin :
Voir la note de lecture du livre de Jean Coldefy ainsi que la vidéo
Partie pédagogique
Réalisée par Judith Leverbe
Exercices :
1- Efficacité et efficience 2- Les principes d’équité dans les transports en commun 3-L’évolution de la place de la voiture dans les années 50-60
4 - Les enjeux du report de la voiture particulière vers les transports collectifs
« Lors du Grenelle de l’environnement en 2007, un objectif de 20% des émissions des transports avait été fixé par un déploiement massif d’infrastructures de transports en commun. Entre 2000 et 2020, nous y avons ainsi consacré 83 milliards d’euros, 21 milliards pour le TGV, 62 milliards pour les transports en commun urbains, dont une part très notable en Ile de France (Source Comptes transports de la nation). Dans le même temps, la part modale kilométrique de la voiture n’a baissé que de 3%. On pourrait trop rapidement en conclure que le report modal est inefficace et qu’il faut chercher d’autres solutions pour décarboner les mobilités. La réalité est plus complexe, et c’est en analysant territorialement les mobilités que l’on peut expliquer cette faible performance……
La moitié des kilomètres parcourus par les ménages français étant liés au travail, ce sont les flux pendulaires qui constituent l’essentiel des kilomètres parcourus, ce que confirme l’analyse locale des déplacements via les enquêtes ménages déplacements du CEREMA. 25 à 30% des actifs des métropoles y travaillent sans y habiter. Mais du fait d’une urbanisation émiettée et non concentrée autour des pôles de transport en commun, et d’un système TER 3 à 4 fois inférieur à la demande, ces trajets périurbain-agglomérations se réalisent aujourd’hui en voiture. Les villes centres des grandes agglomérations représentent 8% de la population française, celle qui fait le moins de kms par jour puisque tous les services et le travail sont disponibles à proximité. Le périurbain et les premières couronnes, 50% de la population du pays, n’a que très peu d’alternatives à la voiture et vient donc saturer les villes centre avec la voiture. Voilà pourquoi des centaines de milliers de voitures engorgent les grandes agglomérations aux heures de pointe. Sur Lyon, 220000 personnes font la navette entre la métropole et le périurbain, le système TER saturé en heures de pointe ne dispose que de 35000 à 40000 places par jour.
C’est dans les villes centre que nous avons déployé les transports en commun, puisque l’objectif n’était pas le carbone mais la qualité de la vie en ville et des espaces publics. Cette politique a été efficace puisque partout l’usage de la voiture a reculé dans les villes, et que les centres villes ont été embellis, mais du point de vue du carbone, cela a concerné les personnes qui faisaient déjà le moins de kilomètres et disposaient en partie d’alternatives à la voiture. L’analyse territoriale montre que le lien entre les villes-centres des agglomérations et leur périurbain forme le cœur des émissions des mobilités du quotidien. Ce lien pèse 25 fois plus que la circulation interne aux villes-centres, qui compte pour une portion congrue : 0,2%. »
Source : La grande conversation