« 3 questions à » Emmanuel Combe : La concurrence

Trois questions posées par trois élèves de Marion Firecka, enseignante de SES à Dunkerque à Emmanuel Combe, professeur à Skema Business School, en détachement depuis 2012 de l’Université Paris I (Panthéon Sorbonne) où il est professeur des Universités). Il est également Vice-Président de l’Autorité de la concurrence depuis 2012

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1) Pourquoi y a-t-il des entreprises meilleures que d’autres ? (Sohann, 2nde)

Il y a une ambiguïté dans l’idée de la capacité d’une entreprise à être « meilleure » qu’une autre. Si on considère qu’une entreprise est meilleure du point de vue du consommateur, qui préférerait tel produit plutôt qu’un autre, la réponse est assez subjective et dépend des préférences individuelles. En économie, on retiendra davantage l’idée selon laquelle une entreprise meilleure qu’une autre est celle qui réalise plus de profit. Pour juger de la performance d’une entreprise, il faut regarder ses résultats. D’après Schumpeter, c’est la capacité d’une entreprise à différencier ses produits, c’est-à-dire à proposer des produits qui présentent des caractéristiques différentes de celles de ces concurrents, qui lui permet d’être compétitive.

Deux modèles sont envisageables :

  • soit l’entreprise baisse ses coûts de production afin de proposer des prix bas et inférieurs à ceux des concurrents,
  • soit elle augmente la qualité des produits avec des prix plus élevés comme c’est le cas pour le secteur du luxe.

Pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple du secteur de l’automobile qui oppose vers le haut des entreprises allemandes haut de gamme qui vendent des véhicules de luxe, réputés pour leur qualité, et vers le bas des entreprises qui recherchent la compétitivité prix en réduisant leurs coûts à l’image de la Dacia Logan. Quelle que soit la voie envisagée, l’innovation est déterminante pour la compétitivité de l’entreprise.

2) Comment fait-on pour surveiller les cartels ? (Tom, 1ère)

Il faut commencer par rappeler ce qu’est un cartel : il s’agit d’un groupe d’entreprises qui s’entendent de manière illicite pour monter les prix de manière artificielle. Il existe deux grandes méthodes pour détecter les cartels. La première consiste à repérer les cartels potentiels en recherchant les indices de leur existence. Cela peut par exemple se traduire par une augmentation brutale des prix mais aussi lorsque l’entreprise qui remporte le marché dans un appel d’offre est toujours la même ou encore lorsqu’il n’existe pas d’importations ou d’exportations entre pays frontaliers ouverts à la concurrence dans un même secteur. C’est la méthode dite de « screening » qui consiste à repérer les signaux qui indiquent la présence de cartels. Les autorités de la concurrence peuvent ensuite agir en recherchant des preuves concrètes.

Elles ont le pouvoir d’inspecter les entreprises concernées et d’effectuer certaines saisies. Cette détection est d’autant plus délicate que les cartels usent parfois de méthodes complexes comme l’utilisation de noms de code ou de mobiles prépayés afin d’éviter qu’on les repère. La deuxième méthode repose sur la politique de clémence qui consiste à accorder l’immunité totale à l’entreprise qui dénonce le cartel auquel elle appartient. Rappelons qu’il ne s’agit pas d’une délation au sens où l’on dénoncerait un innocent mais bien une incitation à mettre fin à une infraction c'est-à-dire une pratique illicite. C’est ce qui s’est passé en 2007 avec la compagnie aérienne Lufthansa qui a dénoncé ses concurrents et qui par conséquent a été exonérée du montant de l’amende. On peut également compter sur des lanceurs d’alerte, par exemple dans le cas où des salariés qui constatent la présence d’un cartel décident de révéler son existence.

3) La concurrence est-elle toujours souhaitable ? (Maxime, Terminale)

Oui, mais ça n’est pas parce qu’elle est souhaitable qu’elle est toujours possible. Il existe par exemple des monopoles naturels qui se justifient par la nature de la production - lorsque les coûts fixes sont très importants - comme c’est le cas pour la mise en place de voies ferroviaires. Ensuite, il faut distinguer concurrence sur le marché et concurrence pour le marché. Il peut y avoir, en amont, concurrence pour entrer sur le marché même si cela se traduit ensuite par une situation de monopole, occupée par l’entreprise qui aura remporté l’appel d’offre. Dans les cas où la concurrence est rendue possible, elle aura paradoxalement tendance à sélectionner les entreprises les plus performantes, et donc à réduire le nombre de concurrents présents sur le marché. Cependant, il faut faire attention à ne pas réduire le jeu de la concurrence à la seule pression sur la baisse des prix. Les entreprises peuvent renforcer leur compétitivité en réduisant leurs coûts de production par le biais du progrès technique, qui permet des gains de productivité. La concurrence est donc souhaitable au sens où elle est facteur de productivité et de performance sur le marché.

Pour illustrer cette idée, on peut faire le parallèle avec la compétition sportive : la présence d’adversaires compétitifs stimule et pousse à se surpasser. Si la concurrence est également bénéfique pour le consommateur, lui permettant l’accès à une grande diversité de produits au prix de marché, on peut se demander si elle l’est toujours pour les salariés. On peut imaginer que la concurrence conduise à une pression à la baisse sur les salaires. Cependant, certains travaux montrent plutôt le contraire. Dans tous les cas, la concurrence est souhaitable à condition d’être encadrée par un ensemble de mécanismes de régulation qui jouent le rôle d’arbitre, pour reprendre l’image de la compétition sportive, à l’instar de l’Autorité de la concurrence. Rappelons d’ailleurs qu’il ne faut pas confondre jungle et libéralisme : comme dans toute rencontre sportive, compétition ne signifie pas absence de règles. Or, c’est justement l’encadrement du marché par ces règles qui rend la concurrence souhaitable.

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