Les défaillances de marché désignent des situations dans lesquelles le fonctionnement du marché conduit à une allocation inefficace des ressources : les mécanismes de marché aboutissent à un résultat sous optimal. Les défaillances de marché peuvent provenir d’imperfections de marché, comme l’existence d’un pouvoir de marché ou d’asymétries d’information, mais peuvent aussi résulter d’une mauvaise définition des droits de propriété. Les défaillances découlant de l’existence de biens communs, de biens collectifs ou d’externalités sont souvent liées à des questions de droits de propriété inexistants ou mal définis. Dès lors, le marché est efficace pour la fourniture de biens privés, mais il peut être défaillant pour la production des biens collectifs. Il convient donc d’analyser chacune des limites du marché. Elles sont, de manière générale, exposées comme des cas particuliers par rapport à un cadre général selon lequel la régulation par le marché permet l’allocation optimale des ressources. Il existe ainsi plusieurs situations de défaillance du marché qu’il convient d’étudier : les biens collectifs et les biens communs, les externalités, les asymétries d’information.
I. Le marché n’est pas en mesure de fournir tous les biens nécessaires au bien-être
A. Le marché n’est pas efficace pour fournir certains types de biens
L’ensemble des biens peut être classé en fonction de deux critères, la rivalité et l’excluabilité.
- La rivalité : un bien est rival lorsque l’utilisation de ce bien par une personne prive les autres personnes de l’utilisation de ce bien (Si A consomme une banane, il est impossible pour B de consommer la même banane).
Un bien est non rival lorsque son utilisation par une personne n’empêche pas d’autres personnes de l’utiliser (Le fait pour un bateau de bénéficier de la lumière d’un phare ne prive pas les autres bateaux de cette lumière).
- L’excluabilité : un bien est excluable lorsqu’il est possible d’exclure de son usage les personnes qui n’en paient pas le prix. La combinaison de ces deux critères permet de distinguer quatre types de biens :
- Les biens privés sont les biens rivaux et excluables. La régulation par le marché est efficace pour ce type de biens. Si B veut une banane, il doit révéler ses préférences, c’est-à-dire être prêt à en payer le prix, ce qui constitue un signal donné au producteur.
- les biens de club sont les biens non-rivaux et excluables. Les transports en commun constituent un exemple de ce type de biens. Ce sont des biens non rivaux. Si un train circule, il circule pour tous les passagers. Mais il est possible d’exclure, ou de faire payer des amendes, à ceux qui ne paient pas le prix. La régulation par le marché est également efficace pour ce type de biens.
Néanmoins, la régulation par le marché aboutit à une situation sous-optimale pour les biens collectifs – les biens non rivaux et non excluables – et pour les biens communs – les biens rivaux et non excluables.
B. La fourniture des biens collectifs et la protection des biens communs
Les biens collectifs sont les biens non-rivaux, comme les biens de club. Mais à la différence de ces derniers, il n’est pas possible d’exclure ceux qui ne paient pas. La régulation par le marché aboutit donc à une sous-production de ce type de biens. En effet, le comportement rationnel d’un point de vue individuel consiste dans un premier temps à ne pas révéler ses préférences tout en bénéficiant du fait que d’autres agents révèlent les leurs. Si le bien est produit, il bénéficie à tout le monde : ce comportement est celui du « passager clandestin » (free rider). Si tous les agents sont rationnels, le bien n’est pas produit. La solution à ce problème consiste à confier la production de ces biens à l’agent économique en mesure de le faire, c’est-à-dire l’État (éclairage public, activité de maintien de l’ordre, de défense nationale). Dès lors, la production n’est pas financée par les utilisateurs mais par la collectivité nationale.
Les biens communs, quant à eux, sont des biens rivaux et non excluables (ils sont en accès libre). Une régulation par le marché peut aboutir à une surexploitation de ce type de biens. Quand un individu – un particulier, une firme - exploite un bien commun, il le fait sur la base d’une comparaison entre le coût d’exploitation et l’utilité qu’il en retire. Il ne prend pas en compte dans son calcul le coût de remplacement du bien (comme l’a montré Garrett Hardin dans ses travaux en 1968). Les biens communs sont souvent constitués de ressources naturelles. Pour éviter la surexploitation des biens communs, il existe trois voies possibles. Premièrement, on peut définir des droits de propriété (comme le préconise l’économiste Ronald Coase). En définissant des droits de propriété sur les biens communs, on vise à faire correspondre la rationalité individuelle et la rationalité collective. Ces droits de propriété prennent la forme de droits d’utilisation des biens communs, qui peuvent être échangés sur un marché des droits (exemple du marché de quotas d’émission). Deuxièmement, on peut miser sur la réglementation, lorsque l’État fixe des normes d’interdiction : on peut donner l’exemple de la fixation de quotas de pêche au niveau international pour la protection du thon rouge. Enfin, troisièmement, la coopération dont parle Elinor Oström (1990) a mis en évidence des cas de gestion optimale des biens communs par des collectivités humaines sur la base d’arrangements institutionnels ne correspondant ni à la définition de droits de propriété ni à des normes d’interdiction fixées par l’État. Ces arrangements institutionnels consistent en la mise en place de procédures de coopération de la part des membres de collectivités humaines, qui permettent d’éviter la surexploitation des biens communs.
II. Les effets externes comme limites du marché
A. Les externalités positives
Les externalités sont les modifications, positives ou négatives, entrainées par l’activité d’un agent sur la situation d’autres agents, sans que celles-ci ne transitent par le système de prix. Les externalités sont des effets externes, c’est-à-dire des effets non pris en compte par les agents économiques dans leurs décisions de production et de consommation. En effet, les agents économiques tiennent compte dans leurs décisions des coûts et bénéfices privés, et non des coûts et bénéfices sociaux (qui correspondent à la somme effets privés-effets externes). Par rapport à l’optimum collectif, il y a par conséquent sous-production des biens à externalités positives, et surproduction des biens à externalités négatives.
Les externalités positives correspondent aux effets externes positifs. On peut envisager par exemple les effets positifs de l’ouverture par une entreprise d’un centre de loisir privé dans une commune sur le chiffre d’affaire des restaurants et des boutiques, des hôtels de cette commune, du fait de l’afflux de touristes. La décision d’ouverture (ou de non-ouverture) du centre de loisir est prise par l’entreprise en fonction des coûts et des recettes privées attendus. Elle n’intègre pas les effets positifs attendus sur le chiffre d’affaire des autres commerces de la commune. Dans le cadre des activités économiques, l’externalité positive n’étant pas rémunérée, il y a donc sous-production des biens à externalité positive. La solution peut alors consister à verser une subvention au producteur des biens à externalités positives pour qu’il y ait correspondance entre le bien être privé (ou la recette privée) et le bien-être social. Le versement de cette subvention permet d’internaliser l’externalité.
B. Les externalités négatives
Les externalités négatives se caractérisent par des effets externes négatifs. Elles correspondent à des situations où il y a dégradation de l’environnement, pollution, nuisance sonore, embouteillage, épuisement des ressources alimentaires ou naturelles. Elles peuvent également correspondre à des situations de licenciement économique effectué par une entreprise, qui peut se justifier du point de vue de la gestion de l’entreprise et de la maîtrise de ses coûts, mais qui augmente les dépenses sociales (assurance chômage), qui ne sont pas prises en compte directement par cette entreprise. On peut ici prendre l’exemple de la décision pour une entreprise de développer une activité (ou de ne pas la développer) qui dépend des coûts et des recettes privées attendus, mais n’intègre pas l’effet négatif externe correspondant à la dégradation de l’environnement. Il y a par conséquent surproduction de l’activité à externalité négative. Comme l’avait montré l’économiste Arthur Cecil Pigou, la solution consiste à faire payer une taxe à l’entreprise qui correspond au montant de l’effet externe négatif. Si l’externalité négative correspond à de la pollution, cette taxe consiste à faire appliquer le principe « pollueur – payeur ». Elle a pour effet d’internaliser l’externalité négative et de fixer le coût privé de production pour l’entreprise au niveau du coût social.
III. Les problèmes d’information comme échecs du marché
A. Les imperfections de l’information
L’économie de l’information étudie les comportements d’agents confrontés à des problèmes d’acquisition d’information. Elle s’est développée suite à un article de G. Akerlof (1970) traitant des problèmes liés à la difficulté de connaître véritablement la qualité des voitures d’occasion. L’économie de l’information utilise certains résultats de l’économie de l’incertain : un agent confronté à des problèmes d’acquisition d’information doit gérer des situations risquées. Par exemple, un consommateur qui décide d’acheter un ordinateur dans un magasin sans prospecter dans d’autres points de vente prend le risque de payer un prix relativement élevé. L’objectif de l’économie de l’information est donc d’étudier des situations avec information asymétrique dans lesquelles certains agents sont mieux informés que d’autres.
L’information est imparfaite dès lors qu’un agent ne peut accéder à la totalité de l’information dont il a besoin pour prendre ses décisions. En présence d’imperfections de l’information, les transactions sur le marché sont plus risquées pour les agents, par exemple un consommateur risque d’acquérir un produit de mauvaise qualité, ou bien une entreprise risque d’embaucher un travailleur dont la productivité est plus faible que prévue, etc. Pour se prémunir contre ces risques, les agents ont intérêt d’adopter des contrats spécifiques, car le contrat « standard » sur lequel repose une transaction marchande n’est pas adapté. Quelques précisions sont nécessaires pour décrire ces contrats. On distingue deux types de variables relatives aux transactions : d’une part les variables observables, que l’on peut mesurer, d’autre part les variables vérifiables, pour lesquelles l’agent peut disposer d’une preuve, valable pour un tiers ou sur le plan juridique. Par exemple, il est possible que l’employeur d’un salarié puisse observer l’effort fourni par le salarié, mais ne puisse pas le vérifier (il n’existe pas de « preuve » de son effort). On distingue alors trois types de contrats :
- le contrat explicite : toutes les variables sont à la fois vérifiables et observables ;
- le contrat implicite : certaines variables sont observables mais ne sont pas vérifiables ;
- le contrat incomplet : certaines variables ne peuvent être intégrées, car elles ne sont pas observables.
Ainsi, la relation entre le salarié et l’employeur peut reposer sur des contrats implicites. De même, la théorie de la firme s’appuie aujourd’hui sur l’incomplétude des contrats, pour comprendre pourquoi l’entreprise préfère faire en interne plutôt que de faire faire à un autre agent. D’après la théorie de l’agence, la firme ne sait pas toujours si les agents avec lesquels elle est en relation réalisent bien les tâches prévues (par exemple, elle ignore si un prestataire de service réalise correctement son travail). Si le contrat avec un agent extérieur à la firme est incomplet, elle peut alors adopter deux comportements : soit elle « internalise » l’activité, en embauchant par exemple un salarié supplémentaire, de façon à pouvoir contrôler directement son travail, soit elle met en place dans le contrat avec l’agent des mécanismes d’incitation ou de sanction adaptés (primes d’objectif, pénalités, etc.).
B. L’anti-sélection et l’aléa moral
La notion d’antisélection (on parle aussi de sélection adverse) désigne le fait que, faute d’une information parfaite, certains agents peuvent être conduits à sélectionner des produits de mauvaise qualité. L’asymétrie d’information se situe ex ante. Ces problèmes de sélection adverse surviennent notamment lorsque certaines caractéristiques d’un bien ne sont pas observables par l’acheteur. Il y a donc asymétrie d’information dans la mesure où le vendeur ne divulgue pas certaines caractéristiques du produit, indécelables par l’acheteur. C’est le cas notamment des vendeurs de voitures d’occasion, qui seuls connaissent la qualité véritable des véhicules qu’ils vendent. Les acheteurs savent qu’il existe des véhicules d’occasion de bonne qualité et des véhicules de mauvaise qualité. Comme ils ne peuvent déterminer la qualité d’un véhicule, ils refusent de payer un véhicule d’occasion au-delà d’un certain prix. Mais les vendeurs, eux, au prix que sont prêts à payer les acheteurs, ne vendent que des véhicules de mauvaise qualité. Le prix n’est plus un bon signal de l’information. C’est ainsi que G. Akerlof montre, dans son étude du marché des véhicules d’occasion, que l’asymétrie d’information et les comportements des acheteurs et des vendeurs sur un tel marché conduisent finalement à l’exclusion des véhicules de bonne qualité de ce marché, voire à la disparition du marché. L’anti-sélection correspond ainsi à un effet pervers qui élimine des échanges les produits de bonne qualité. Le modèle d’Akerlof peut s’appliquer à de très nombreuses situations et montre que le laisser-faire peut avoir des conséquences négatives pour les agents économiques : élimination des bons produits, voire absence d’échange. Dans ce cadre, une réglementation assurant la révélation de tout ou partie de l’information, ou encore instituant des procédures de recours efficaces contre les ventes de produits de mauvaise qualité, permet d’améliorer le fonctionnement des marchés.
La notion d’aléa moral (ou risque moral), quant à elle, provient de la théorie des assurances. Le risque moral apparaît dans les situations où certaines actions des agents, inobservables par les assureurs, ont une conséquence sur le risque de dommage. On parle aussi de relation principal-agent. C. Shapiro et J. Stiglitz ont par exemple développé le modèle du « tire-au-flanc » : l’agent qui ne dispose pas de l’information ne peut pas observer l’action de son partenaire. Ce dernier peut alors en « profiter » et déclarer que les mauvais résultats de son action ne lui sont pas imputables. C’est le cas par exemple des travailleurs dont l’effort est imparfaitement observable par leur employeur. Ils peuvent alors avoir intérêt à « tirer au flanc » tout en déclarant que les mauvaises performances de l’entreprise ne sont pas le résultat d’un relâchement de leur effort.
Lorsqu’il y a risque moral, le problème est alors d’inciter l’agent qui dispose de l’information à prendre une décision optimale pour l’agent non informé. L’asymétrie d’information se situe ex post. On peut cependant noter que de nombreuses transactions de ce type sont inscrites dans la durée. Plus la transaction est longue, plus le principal accumule des informations sur l’agent, qui ainsi se dévoile peu à peu : l’information devient alors de moins en moins asymétrique.
En définitive, les défaillances du marché que nous avons décrites justifient un certain niveau d’intervention publique, à la fois pour lutter contre les externalités négatives (et soutenir les externalités positives), corriger les problèmes d’information sur les marchés, mais aussi pour fournir à la collectivité le niveau souhaitable de biens collectifs et protéger les biens communs.
- Le consommateur est-il rationnel ?
- Coût fixe, coût marginal.
- Comment peut-on expliquer les choix des consommateurs ?
- Surplus du producteur, surplus du consommateur : quels usages en économie ?
- Les biens collectifs : une prérogative exclusive de l’État ?
- Les asymétries d’information