L'analyse économique des échanges internationaux - Colles et dissertations

Sommaire

  • La tentation du protectionnisme.
  • La spécialisation d’un pays est-elle déterminée par sa dotation en facteurs de production ?
  • Ouverture internationale et prix des facteurs.
  • Les nouvelles théories du commerce international permettent-elles de mieux comprendre l’évolution récente des échanges ?
  • Le protectionnisme est-il un moyen de sortie de crise ?
  • Le libre-échange conduit-il à un accroissement des inégalités économiques et sociales ?
  • Protectionnisme et croissance.
  • Qui sont les gagnants de la mondialisation ?
  • Quels impacts de la mondialisation sur l’emploi ?
  • Le protectionnisme est-il la solution pour lutter contre la désindustrialisation des économies développées ?
  • Commerce international : des échanges entre pays ou entre entreprises ?
  • Mondialisation des entreprises et commerce international
  • Duopole et politiques commerciales stratégiques
  • Y a-t-il des perdants à l’échange international ?
  • Les coûts du protectionnisme
  • Peut-on craindre une guerre commerciale mondiale ?
  • Mondialisation et inégalités de salaires
  • Vers la fin du libre-échange ?
  • Le débat libre échange - protectionnisme est-il encore d’actualité ?
  • Comment expliquer les échanges internationaux intra-branches ?
  • Pourquoi certains pays attirent-ils plus d’IDE que d’autres ?
  • Assiste-t-on à une guerre économique entre nations ?
  • La compétitivité française
  • Qu’est-ce qu’une économie compétitive ?

Dissertation

Facile

Sujet : Le libre-échange est-il « une théorie sans réalité et le protectionnisme, une réalité sans théorie » ? (citation de Paul Bairoch) (ECRICOME 2022, sujet 1)

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Introduction :

La crise du COVID-19 a révélé nos vulnérabilités, avec des ruptures d’approvisionnement de produits essentiels comme les médicaments, les masques ou les respirateurs. Lors de son discours en mars 2020, Emmanuel Macron s’exprimait ainsi : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché, déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres est une folie ». Pour ces problèmes de dépendance, notamment à l’égard de la Chine, Jean Claude Juncker, en tant que président de la Commission européenne parlait de « rival systémique ». Les français, eux-mêmes sont en général assez pessimistes à l’égard des effets de la mondialisation et du libre-échange. Selon  un sondage présenté dans La folle histoire de la mondialisation corédigé par Sébastien Jean et Isabelle Bensidoun, la part des français qui estime que la mondialisation est une menace est passée de 49% en 2017 à 60% en septembre 2020. 65% des français considèrent désormais que la France devrait se protéger davantage.  Déjà en 2012, dans une interview donnée au « Parisien Magazine », Arnaud Montebourd ancien ministre de l’économie et du redressement productif affirmait son désir de favoriser le « made in France » dans les rayons. Ce regain d’intérêt pour la production nationale renvoie à une volonté de limiter le libre-échange alors que la théorie économique dominante en démontre la supériorité relativement au protectionnisme. Le libre-échange est une politique d’ouverture commerciale qui porte, en première analyse sur les biens et services, mais qui peut s’étendre aux facteurs de production (travail et capital). Le libre-échange suppose de réduire (voire d’annuler) l’impact d’une frontière politique sur les échanges internationaux. Cette politique est généralement mise en oeuvre par la signature de traités commerciaux multilatéraux (à l’instar de ceux qui ont été signés dans le cadre du GATT) ou d’accords commerciaux régionaux (qui commencent avec les traités commerciaux bilatéraux). Le protectionnisme est souvent présenté comme l’opposé du libre-échange. Il s’agit d’une politique commerciale qui vise à protéger l’économie nationale de la concurrence étrangère. Des barrières tarifaires (droits de douane) et/ou non-tarifaires (comme les normes) visent à limiter les importations afin de préserver les parts de marché interne des producteurs (et donc des emplois) nationaux. Libre-échange et protectionnisme semblent diamétralement opposés dans les faits et dans la théorie. Paul Bairoch évoque même que le libre-échange est « une théorie sans réalité et le protectionnisme, une réalité sans théorie » dans Mythes et paradoxes de l’histoire économique, publié en 1994. Plus fondamentalement, il est question de se pencher sur la réalité effective des deux théories qui semblent s’opposer fermement et d’interroger l’affirmation selon laquelle le libre-échange serait fondé théoriquement mais sans applications réelles contrairement au protectionnisme.

Le libre-échange n’est-il effectivement qu’une théorie qui ne se vérifie pas empiriquement face à la réalité du protectionnisme dans l’espace et dans le temps ? Le protectionnisme n’a-t-il aucun fondement théorique ? Est-il pertinent d’opposer libre-échange et protectionnisme théoriquement et empiriquement ?

Après avoir validé le postulat selon lequel le libre-échange est fondé théoriquement mais non empiriquement, nous montrerons que contrairement à ce qu’affirme Paul Bairoch, les théories du libre-échange ont pu parfois se vérifier dans les faits ; et que le protectionnisme possède des fondements théoriques indéniables. Pour finir, nous montrerons que l’analyse de P. Bairoch peut être largement nuancée en affirmant que d’un point de vue théorique et empirique, libre échange et protectionnisme ne doivent pas forcément être opposés.

 

I/ Le libre-échange est fondé théoriquement mais ne s’impose pas dans les faits

A/ Les théories classiques et néoclassiques du libre-échange

C’est avec l’école classique qu’apparaît un fondement théorique solide au libre-échange. Prolongeant la théorie des avantages absolus d’A. Smith (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations,1776), D. Ricardo construit la théorie des avantages comparatifs en 1817 dans Principes de l’économie politique et de l’impôt qui demeure le principal fondement théorique du libre-échange que l’on retrouve dans les traités du Gatt défendus par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).  Cet économiste anglais montre que tous les pays, en se spécialisant dans les productions pour lesquelles il dispose de la productivité relative la plus forte, gagnent au libre-échange. La spécialisation internationale en fonction des avantages comparatifs favorise des gains de productivité et une augmentation de la quantité produite à l’échelle nationale et internationale. Elle permet de rationaliser l’utilisation des facteurs de production à l’échelle internationale. Les auteurs de l’approche néoclassique, Eli Heckscher, Bertil Ohlin et Paul Samuelson ont actualisé le modèle ricardien en introduisant l’analyse marginaliste, ce qui a donné naissance au modèle HOS. L’analyse part de deux économies nationales fermées qui produisent deux biens mais les nations se distinguent selon des critères différents dans les deux modèles. Tandis que chez Ricardo, ce sont les techniques de production qui diffèrent, dans la version HOS, ce sont les dotations relatives en facteurs de production. Selon la formule de B. Lassudrie-Duchêne, « là où tout se révèle semblable, il est inutile de rien échanger », cette différence en dotations factorielle est donc fondamentale. C’est donc au début du XXème siècle, que deux Suédois, E. Heckscher (The effect of foreign trade and the distribution of income, (1919)) et B. Ohlin (Interregional and international trade (1933)) ont renouvelé la théorie de l’avantage comparatif en l’expliquant, initialement, par des observations empiriques et quelques intuitions. Par la suite, P. Samuelson (Foundations of Economics Analysis, (1947)) en déduit les conditions mathématiques sous lesquelles la prédiction d’Heckscher-Ohlin est vérifiée. Le modèle HOS, qui reprend les hypothèses du modèle standard de concurrence pure et parfaite, affirme ainsi que « les pays exportent les produits qui utilisent de façon intensive les facteurs de production qu’ils ont en abondance et importent les produits qui utilisent de façon intensive les facteurs de production qui, chez eux, sont rares » selon Peter H. Lindert.  De plus, c’est dans ce cadre qu’a été énoncé le théorème de Stolper – Samuelson (Protection and real wages, 1941) selon lequel l’échange international engendrerait le rattrapage économique entre nations, l’échange tendant à égaliser la rémunération d’un même facteur entre les pays sans qu’il y ait mobilité internationale de ces facteurs. Le passage au libre-échange conduit à une spécialisation internationale en fonction des avantages comparatifs, ainsi, le facteur relativement plus utilisé par la branche dont le prix relatif augmente bénéficie d’une augmentation de sa rémunération et l’autre facteur voit sa rémunération diminuer. Cette théorie du libre-échange concluant aux bienfaits de l’ouverture économique a longtemps  dominé en économie et servi de fondement aux principes libéraux défendus par les institutions internationales comme l’OMC, le FMI et la Banque mondiale pour justifier l’ouverture des frontières à la circulation des biens et des services. Ainsi nous comprenons mieux le propos de P. Bairoch qui affirme que « le libre-échange est une théorie ». Cependant, elle serait une « théorie sans réalité » selon lui.

B/ La théorie du libre-échange ne se vérifie pas toujours empiriquement.

L’histoire révèle certains paradoxes relativement à la théorie du libre-échange traditionnelle qui invalide empiriquement cette théorie. L’historien P. Bairoch montre que les périodes de développement économique ne coïncident pas exactement avec les périodes où le libre-échange est prédominant. Il affirme en effet qu’ « au 19ème siècle, le monde est encore un océan de protectionnisme avec quelques îlots de libre-échange » dans cette période où la révolution industrielle s’accompagne d’une croissance sans précédent.  Ainsi dans Mythes et paradoxes de l’histoire économique publié en 1994 il met en évidence plusieurs mythes, notamment celui selon lequel ce serait le libre-échange qui favoriserait la révolution industrielle, le décollage économique et le développement. Le Tiers monde fournissant la preuve que l’ouverture économique favoriserait plutôt une dynamique de sous-développement. Au contraire, selon cet historien, ce serait plutôt le protectionnisme qui serait à l’origine du développement à l’instar de l’Allemagne au XIXème siècle. Les théories libérales ont en outre du mal à expliquer la grande dépression européenne de 1870-1872 à 1891-1893 qui commença au moment où les politiques commerciales atteignaient leur phase la plus libérale. Preuve là encore que libre-échange et développement économique ne vont forcément de pairs contrairement à ce que prédit la théorie néoclassique standard. De plus, la théorème Stolper-Samuelson a fait l’objet de tests empiriques qui l’invalident. En analysant notamment le cas de de l’Inde entrés dans la mondialisation dans les années 1990, A. V. Banerjee et E. Duflo (2020, Economie utile pour des temps difficiles) montrent qu’il est très difficile de conclure à la justesse des prédictions du modèles : «  D’un côté, cette croissance lui a permis de réaliser une transition en douceur, répondant aux prédictions optimistes du commerce. De l’autre, le fait qu’il lui a fallu plus de dix ans pour accélérer, à partir de 1991, semble décevant ». Les taux de croissance en Inde se sont fortement accrus entre 2010 et 2018, et, dans le même temps, les inégalités se sont également envolées. De plus, un grand nombre de pays à bas revenus se sont ouverts au commerce international et se caractérisent par une baisse des salaires des travailleurs les moins qualifiés par rapport aux plus qualifiés, ce qui est contradictoire avec les prédictions du théorème. C’est le cas du Mexique, de la Colombie, du Brésil, de l’Argentine du Chili et de l’Inde.

En outre, le célèbre travail empirique mené par V. Leontieff et présenté dans Domestic production and foreign trade : the American capital position re-examinated publié en 1953 a semé un doute important sur les apports de la théorie du libre-échange. En analysant environs 200 firmes de cinquante secteurs d’activités aux Etats-Unis, il montre que les exportations américaine sont plus riches en travail que les importations et ont une plus faible intensité capitalistique que ces dernières.  Le travail de Leontief révèle que les industries des produits importés aux Etats-Unis utilisent 30% de plus de capital par travailleur que celles des produits exportés. Ce résultat est nommé « paradoxe de Leontief » et semblait initialement invalider la théorie de HOS pour les Etats-Unis, pays mieux théoriquement mieux doté en facteur capital. Une autre étude empirique de référence est celle réalisée par H. Bowen, E. Leamer et L. Sveikauskas (1987, « Multicountry, Multifactor Tests of the Factor Abundance Theory »). Cette étude montre que pour la plupart des facteurs (les deux tiers), le contenu en facteurs du commerce ne correspond aux dotations relatives que dans moins de 70 % des cas. L’étude menée par Bowen confirme donc que le modèle factoriel peine à expliquer efficacement la structure globale du commerce international.

La théorie du libre-échange des classiques et néoclassiques postulent en outre le développement d’un commerce inter-branche entre pays de niveau de développement différent et de ce fait, n’explique pas le développement des échanges intra-branches entre pays similaires. B. Lassudrie-Duchêne et J.L Mucchielli, dans Les échanges intra branche et la hiérarchisation des avantages comparés dans le commerce international, (1979) montrent que  l’échange intrabranche ne peut être compris dans un modèle supposant deux pays, deux facteurs, deux produits, mais il l’est si l’on prend en compte davantage de pays.

Ces constats empiriques laissent à penser que la théorie du libre-échange est « sans réalité » comme l’affirme P. Bairoch.

 

II/ Néanmoins, contrairement à ce qu’affirme Paul Bairoch, les théories du libre-échange ont pu parfois se vérifier empiriquement ; et le protectionnisme possède des soubassements théoriques.

 

A/ La théorie du libre-échange portée par les classiques et néoclassiques a fait l’objet de vérifications empiriques qui ont pu démontrer sa validité

Bien que la relation soit difficile à généraliser, Paul Bairoch (1994) rappelle que la libéralisation des échanges au Royaume-Uni après 1846, signifia pour le pays la confirmation des théories libérales.

Certaines études empiriques visant explicitement à tester le modèle HOS ont permis de valider les thèses libérales. Le test de Mac Dougall  (1951) confronte empiriquement la thèse de Ricardo à l’analyse du commerce entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour l’année 1937. Pour 80% des activités industrielles testées, des exportations plus importantes de la part des Etats-Unis reflètent une productivité plus élevée, conformément à la théorie.  Ce test est renouvelé en 1962 et confirme à nouveau le résultat.  Il y a bien une corrélation entre le rapport des productivités du travail et les performances relatives à l’exportation. Ces tests valident donc la théorie HOS dans les faits.

En outre, l’énigme du paradoxe de Léontief a été percée par lui-même. Dans l’interprétation de ses résultats, il propose de prendre en compte l’hétérogénéité internationale du travail. Dès lors que l’on introduit une distinction entre le travail qualifié et non qualifié, les exportations américaines sont plus intensives en main-d’œuvre qualifiée et en savoir technologique que les importations. Ces conclusions ne sont donc plus paradoxales : elles correspondent bien aux avantages comparatifs des États-Unis prédits par la théorie libérale.

 

B/ Le développement de théories protectionnistes

Nous oublions souvent que le protectionnisme moderne est né aux Etats-Unis, aujourd'hui symbole du libre-échange. A. Hamilton, ministre des  Finances de 1789 à 1795 du premier gouvernement américain, rédige en 1791 son Rapport sur les manufactures qui est considéré comme le premier  texte énonçant la théorie moderne du protectionnisme, comme le rappelle P. Bairoch dans Mythes et paradoxes de l'histoire économique (1994). En outre, l'économiste allemand F. List, a développé au XIXème siècle une théorie justifiant le protectionnisme pour "les industries naissantes". Il estimait que le protectionnisme était nécessaire à court terme pour amorcer le développement d'une industrie. La position d’Adam Smith, souvent classé parmi les économistes libéraux est elle-même plus nuancée en ce qui concerne la production dans des secteurs clés. Il écrit ainsi en 1776 « A la vérité, si quelque fabrique particulière était nécessaire à la défense nationale, il pourrait bien n’être pas très sage de rester en tout temps dans la dépendance de ses voisins pour l’approvisionnement ; et si une fabrique de ce genre ne pouvait pas se soutenir chez nous sans protection, il serait assez raisonnable que toutes les autres branches d’industrie fussent imposées pour l’encourager ».   L’économiste anglais N. Kaldor a avancé quant à lui une théorie analogue mais pour les industries vieillissantes, donc en déclin. Comme la concurrence est ruineuse et conduit à la faillite de ces vieilles entreprises, il peut s’avérer utile, pour préserver l’emploi, surtout localement, de mettre en place un protectionnisme défensif et sélectif afin de favoriser une reconversion progressive des unités de production et des travailleurs. L’Accord Multifibre (1974-2005) limitant les importations des textiles des pays en développement illustre cette volonté d’accompagner les restructurations des industries textiles des pays anciennement industrialisés.

 

III/ D’un point de vue théorique et empirique, libre échange et protectionnisme ne s’opposent pas

A/ Dans une perspective théorique libérale, il est possible d’envisager que le protectionnisme soit admis temporairement si le libre-échange reste le but ultime.

Cet argument rejoint notamment celui de F. List (Système national d’économie politique, 1841), lorsqu’il affirmait que : « Le protectionnisme est notre voie, le libre-échange est notre but ». Dans les années 1980, la théorie traditionnelle du commerce international est concurrencée par « une nouvelle théorie du commerce international » dont l’initiateur le plus connu est Paul Krugman. Face aux faiblesses des analyses traditionnelles, ces nouvelles théories cherchent à expliquer le développement du commerce international entre nations identiques ; le commerce intrabranche, le rôle des firmes multinationales et le commerce intrafirme. Ces nouvelles théories sortent du cadre standard de la concurrence pure et parfaite du modèle HOS et postulent l’existence d’une concurrence imparfaite. Désormais, sont pris en compte l’existence de rendements croissants et la différenciation des produits. Ces théories permettent d’expliquer les mutations contemporaines du commerce international et considèrent également que le protectionnisme peut se justifier à court terme si la finalité est d’aller vers plus de libre-échange à long terme.  C’est ce que l’on peut déduire de l’article de J. Brander et B. Spencer publié en 1983, « International R&D rivalry and Industrial Change » relatif à la guerre commerciale  entre  Airbus et  Boeing  pour  dominer  le  marché  aéronautique. En reprenant cet exemple, Paul Krugman (La mondialisation n’est pas coupable, 2000) en conclut que les gouvernements ont le pouvoir d’influencer les spécialisations internationales sans même établir des obstacles aux échanges internationaux, puisque les firmes subventionnées peuvent entrer les premières dans une production ou rattraper des firmes étrangères déjà installées dans le secteur. L’octroi d’une subvention européenne à Airbus permet en effet de diminuer les coûts de production d’un nouvel appareil. Elle permet notamment de réduire ses coûts de recherche-développement qui représentent des coûts fixes, et ainsi d’entrer sur le marché de l’aéronautique pour in fine rattraper son retard grâce aux économies d’échelle engendrées par l’augmentation des parts de marché.  Bien que cet exemple montre que le protectionnisme puisse finalement accroître le degré de concurrence sur le marché (en passant d’un monopole à un duopole), Paul Krugman fait part de ses craintes à l’égard du protectionnisme qui auraient tendance à  produire un  enchaînement  de contre-mesures ayant des effets dévastateurs sur le commerce international, à l’instar de ce qui s’est passé dans les années 1930. C’est pourquoi, en 1993 dans « The narrow and broad arguments for free trade », Paul Krugman  affirme que « l’on peut très bien être persuadé que l’économie internationale n’admet qu’une ressemblance lointaine avec le monde de concurrence pure et parfaite et à rendements constants de la théorie d’avant 1980, et, nonobstant, continuer parallèlement à soutenir le libre- échange comme étant la meilleure politique susceptible d’être effectivement suivie. C’est la position que je fais personnellement mienne ». Plus tard, il conclut que « le libre- échange n’est pas dépassé, mais c’est une théorie qui a à jamais perdu son innocence », cependant, « la sagesse enseigne que c’est dans la pratique la meilleure solution dans un monde où les politiques sont aussi imparfaites que les marchés » (La mondialisation n’est pas coupable, 2000). Tous ces éléments montrent que théoriquement, le libre-échange peut justifier une certaine dose de protectionnisme.

 

B/ Dans les faits, protectionnisme et libre-échange cohabitent

Dans les faits, les politiques commerciales des pouvoirs publics ne sont jamais purement libre-échangistes ou protectionnistes.

Comme le montre F. Lordon, dans un texte intitulé « La menace protectionniste, ce concept vide de sens » publié dans un ouvrage collectif Le protectionnisme et ses ennemis dirigé par J. Sapir et alii (2012), considérer que le protectionnisme menace le libre-échange, c’est supposer qu’initialement les caractéristiques institutionnelles des économies soient celles du libre-échange et du libéralisme économique. Or c’est loin d’être le cas, les économies nationales se caractérisent par des institutions qui protègent les hommes des effets potentiellement dévastateurs du marché libre. Ainsi, préconiser le passage au libre-échange par un abaissement de tarifs douaniers comme négocié dans le cadre des accords du Gatt puis de l’OMC n’est pas justifié si les institutions et la réglementation sont différentes d’un pays à l’autre. L’abaissement des barrières douanières au nom du libre-échange encouragent en effet les nations à se protéger de la concurrence étrangère par d’autres moyens comme le dumping social, fiscal ou environnemental qui conduisent au moins disant social, fiscal et environnemental. Par conséquent, si certains principes du libre-échange peuvent s’observer comme l’abaissement des barrières de douanes, par ailleurs des mesures protectionnistes existent sous une autre forme.

Ainsi, même pendant que les principes du GATT et de l’OMC se diffusaient, des pratiques protectionnistes demeuraient. Comme le montre J.M. Rainelli dans L’OMC  (2011), l’Europe adopte encore des mesures protectionnistes comme la PAC (Politique agricole commune) en 1962 qui subventionne les exportations agricoles. Cette politique fut d’ailleurs source d’un conflit important dans le cadre de l’OMC entre les Etats-Unis, l’Europe et les PED (groupe de Cairns). En outre, comme le montre  l’article de C. Bellora  et  L. Fontagné intitulé « L’UE en quête d’un mécanisme d’ajustement carbone compatible avec l’OMC » (2022), un mécanisme d'ajustement carbone à la frontière (MACF) visant à réduire les fuites de carbone devrait voir le jour en Europe en 2022-2023. De plus, les guerres commerciales ne cessent jamais, en témoignent les conflits entre la Chine et d’autres pays sur différentes questions comme l’Inde, l’Australie, les Etats-Unis. Enfin, la crise du covid-19 a montré les limites du libre-échange en révélant l’intérêt de la relocalisation. Comme le montre C. Coutansais, dans La relocalisation du monde (2021),  le Made in monde devrait décliner au profit du Made in local notamment sous l’influence de la contrainte écologique mais aussi géopolitique.

 

Conclusion :

La théorie du libre-échange a été fondée au XIXème puis approfondie au XXème siècle. Elle semble se vérifier dans la réalité à travers la volonté libre-échangiste d’après-guerre au moment de la signature du GATT, mais se heurte toujours à des tentatives protectionnistes. Ce dernier bien que décrié trouve des justifications théoriques dans un monde où les tensions géopolitiques, sanitaires et écologiques sont plus vives. La recherche en économie devient alors plus fondamentale et l’on redécouvre l’importance des politiques commerciales. Dès lors la citation de Bairoch peut paraître vraisemblable au XIXème siècle (même si le protectionnisme est déjà théorisé) mais elle semble s’invalider au XXème où le libre-échange devient progressivement une réalité incontestée et que le protectionnisme gagne en profondeur théorique avec la nouvelle théorie du commerce international et les tensions actuelles. Libre-échange et protectionnisme ne sont en réalité pas contradictoires, c’est pourquoi il est possible d’y trouver des fondements théoriques et des applications empiriques, notamment parce que nous vivons dans un monde où la concurrence n’est ni pure et ni parfaite.

Une question fondamentale reste non résolue : est-il possible de trouver un optimum relatif au degré d’ouverture des économies qui prenne en compte non seulement les intérêts économiques mais également sociaux et écologiques ?

Introduction

La mondialisation, processus d'intégration croissante des économies et des sociétés à l'échelle mondiale, a façonné les relations internationales depuis la fin du XXe siècle. Ce phénomène, caractérisé par la libéralisation des échanges, l'interconnexion des marchés financiers, et la diffusion rapide des technologies et des idées, a transformé les dynamiques économiques et sociales à travers le globe. Cependant, depuis les crises économiques, politiques, et sanitaires récentes, certains observateurs évoquent un phénomène de "démondialisation", c'est-à-dire un recul ou une remise en cause de cette intégration globale. 

Cette possible inversion de la mondialisation soulève des questions cruciales : assistons-nous réellement à un processus de démondialisation, ou bien s'agit-il d'une reconfiguration de la mondialisation? 

Pour répondre à cette question, nous analyserons d'abord les signes d'un possible ralentissement de la mondialisation, puis nous examinerons les forces qui s'opposent à la démondialisation, avant de conclure sur les perspectives d'une mondialisation reconfigurée.

I. Les signes d'un ralentissement de la mondialisation

  1. La fragmentation des chaînes de valeur mondiales
    Depuis les années 1990, les chaînes de valeur mondiales (CVM) se sont complexifiées, avec une production fragmentée entre plusieurs pays. Cependant, ces dernières années, on observe un certain retrait, marqué par la relocalisation ou la régionalisation de certaines productions, notamment dans les secteurs stratégiques. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, entamée en 2018, a accentué cette tendance, les entreprises cherchant à réduire leur dépendance à des fournisseurs étrangers potentiellement vulnérables aux tensions géopolitiques.

  2. La montée du protectionnisme et des politiques économiques nationales
    Le protectionnisme, autrefois perçu comme une relique des politiques économiques du début du XXe siècle, a fait un retour en force, particulièrement après la crise financière de 2008 et la pandémie de COVID-19. Les gouvernements ont multiplié les mesures protectionnistes, comme l'augmentation des droits de douane ou la promotion des industries nationales, pour préserver l'emploi local et sécuriser leurs économies face à des chocs externes.

  3. Le déclin du commerce international
    Les flux commerciaux internationaux, après des décennies de croissance ininterrompue, ont montré des signes de stagnation. Selon la Banque mondiale, la croissance du commerce mondial a ralenti depuis la crise financière de 2008, et ce, malgré une reprise modeste dans les années 2010. Les disruptions causées par la pandémie de COVID-19 ont encore exacerbé cette tendance, réduisant les échanges transfrontaliers et augmentant les coûts logistiques.

II. Les forces qui s'opposent à la démondialisation

  1. La résilience des entreprises multinationales
    Malgré les défis, les entreprises multinationales continuent de jouer un rôle central dans l'économie mondiale. Elles ont su s'adapter aux nouvelles contraintes en diversifiant leurs sources d'approvisionnement, en numérisant leurs opérations, et en adoptant des stratégies plus flexibles. Les géants technologiques, par exemple, restent fortement ancrés dans des réseaux mondiaux complexes.

  2. L'interdépendance technologique et financière
    Le développement technologique, en particulier dans les domaines de l'information et de la communication, a accentué l'interdépendance entre les nations. De plus, les marchés financiers restent profondément intégrés, comme l'illustre la rapidité avec laquelle les chocs économiques se propagent à travers le globe. La globalisation financière est donc loin de reculer, malgré les tensions géopolitiques.

  3. Les initiatives multilatérales pour relancer la coopération internationale
    Face à la montée du protectionnisme, certaines initiatives multilatérales continuent de promouvoir la coopération internationale. Par exemple, l'Accord de Partenariat Économique Régional Global (RCEP) en Asie-Pacifique, signé en 2020, démontre une volonté de certaines régions de maintenir et même d'approfondir leurs liens économiques, en dépit des tendances isolationnistes ailleurs.

III. Vers une mondialisation reconfigurée ?

  1. Une régionalisation croissante des échanges
    Plutôt qu'une véritable démondialisation, on pourrait assister à une régionalisation accrue des échanges. Les accords commerciaux régionaux, comme l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), illustrent cette tendance. Cette régionalisation pourrait offrir une alternative à la globalisation totale, en permettant aux pays de sécuriser leurs échanges tout en réduisant leur vulnérabilité aux chocs externes.

  2. La transition vers une économie plus durable et inclusive
    La prise de conscience des défis environnementaux et sociaux incite à repenser les modèles économiques mondiaux. Les entreprises et les gouvernements se tournent de plus en plus vers des pratiques commerciales plus durables, qui pourraient restructurer la mondialisation autour de nouveaux critères, tels que la réduction de l'empreinte carbone et le respect des droits de l'homme.

  3. L'impact de la numérisation et de l'intelligence artificielle sur la mondialisation
    La révolution numérique pourrait également reconfigurer la mondialisation. L'essor du commerce électronique, l'automatisation, et les technologies de l'intelligence artificielle modifient les chaînes de valeur et les modes de production, créant de nouvelles formes d'interconnexion globale. Cette évolution pourrait engendrer une mondialisation plus digitale, moins dépendante des échanges physiques traditionnels.

Conclusion

Si certains signes indiquent un ralentissement de la mondialisation, voire une démondialisation partielle, il semble plus juste de parler d'une reconfiguration de la mondialisation. Les forces économiques, technologiques, et multilatérales continuent de pousser vers une intégration mondiale, mais sous des formes renouvelées, plus régionales et plus durables. 

 

Problématisation

Le déficit commercial de la France, qui s’est établi à -164 milliards d’euros en 2022, soulève d’importantes questions quant aux déséquilibres économiques du pays. Ce déficit ne se limite pas à un simple déséquilibre des flux commerciaux, mais il est aussi le reflet de tensions plus profondes dans l’économie, telles que l’insuffisance de la compétitivité industrielle et une dépendance énergétique accrue. Dans ce contexte, l’analyse du déficit commercial nécessite une approche globale, qui prenne en compte les interrelations entre les différents soldes économiques, notamment le solde budgétaire et le solde investissement-épargne, tels qu’ils sont formalisés dans l’équation emplois-ressources.

Introduction

En 2022, la France a enregistré un déficit commercial record de -164 milliards d’euros, ce qui marque un tournant préoccupant pour son économie. Ce chiffre, le plus élevé jamais enregistré, reflète non seulement une désindustrialisation continue, mais aussi une dépendance énergétique exacerbée par des conditions économiques mondiales défavorables. L’étude de ce déficit implique une compréhension approfondie des mécanismes économiques sous-jacents, notamment ceux illustrés par l’équation emplois-ressources, qui met en relation les différentes composantes du PIB : la consommation (C), l'investissement (I), les dépenses publiques (G), les exportations (X) et les importations (M). Cette équation, Y=C+I+G+(X−M)Y = C + I + G + (X - M)Y=C+I+G+(X−M), souligne l’importance du solde commercial, qui, en interaction avec les soldes budgétaire et investissement-épargne, conditionne la santé économique globale du pays. Ainsi, quelles sont les conséquences de ce déficit sur la croissance économique, la dette et la souveraineté économique de la France ? Pour répondre à cette question, nous analyserons successivement les effets macroéconomiques immédiats du déficit commercial, les défis structurels auxquels il renvoie, ainsi que ses implications à long terme sur la souveraineté économique du pays.

Développement

I. Les effets macroéconomiques immédiats : la croissance et l’équation emplois-ressources

Accroche : L’équation emplois-ressources permet de comprendre l’impact direct du déficit commercial sur la croissance économique et l’équilibre global des ressources du pays.

  1. Impact sur le PIB via l’équation emplois-ressources : L’équation emplois-ressources Y=C+I+G+(X−M)Y = C + I + G + (X - M)Y=C+I+G+(X−M) montre que le solde commercial (X−M)(X - M)(X−M) est une composante clé du PIB. En 2022, le déficit de -164 milliards d’euros a directement réduit la contribution des exportations nettes à la croissance, amputant ainsi le PIB de 0,7 point selon l'INSEE.

  2. Lien avec le solde budgétaire : Le déficit commercial est souvent lié à un déficit budgétaire accru. En 2022, la France a également enregistré un déficit public de -4,7 % du PIB. La nécessité de financer ces déficits par des emprunts extérieurs alourdit la dette publique et augmente la vulnérabilité économique.

  3. Conséquences sur le solde investissement-épargne : Le déficit commercial reflète également un déséquilibre entre l’investissement et l’épargne nationale. En 2022, l’investissement a représenté 24,3 % du PIB, tandis que l’épargne n’a pas suffi à le financer, d’où un besoin de financement externe accru.

II. Les défis structurels : compétitivité, déséquilibres internes et dépendance énergétique

Accroche : Les déséquilibres mis en lumière par l’équation emplois-ressources révèlent les défis structurels majeurs auxquels l’économie française est confrontée, en particulier en matière de compétitivité et de dépendance énergétique.

  1. Faible compétitivité industrielle : La compétitivité des entreprises françaises, déjà affaiblie par un coût du travail élevé et une faible productivité, a souffert en 2022, avec des exportations représentant seulement 13,4 % du total de la zone euro. Ce déficit est un indicateur de la perte de parts de marché à l'international.

  2. Dépendance énergétique accrue : La hausse des importations énergétiques, notamment après l'invasion de l'Ukraine, a exacerbé le déficit commercial. Les dépenses en énergie ont atteint 68 milliards d’euros en 2022, accentuant la dépendance de la France vis-à-vis des importations de gaz et de pétrole.

  3. Interrelation entre les soldes économiques : Le déficit commercial est intrinsèquement lié aux autres soldes macroéconomiques. Le déséquilibre entre l’investissement et l’épargne intérieure, exacerbé par un faible taux d’épargne des ménages, se traduit par un besoin accru de financement extérieur, renforçant ainsi la dépendance économique.

III. Les implications à long terme : dette extérieure et souveraineté économique

Accroche : Un déficit commercial persistant, combiné à des déséquilibres budgétaires et de financement externe, a des implications graves pour la souveraineté économique et la stabilité financière de la France.

  1. Aggravation de la dette extérieure : L’accumulation de déficits commerciaux se traduit par une hausse de la dette extérieure, qui atteignait 2 900 milliards d'euros en 2022. Cette situation accroît la vulnérabilité de la France aux aléas des marchés financiers internationaux, en particulier en période de resserrement des conditions monétaires.

  2. Risques pour la souveraineté économique : La dépendance croissante de la France aux financements extérieurs et aux importations stratégiques, notamment en matière d’énergie, fragilise sa souveraineté économique. Ce phénomène est particulièrement préoccupant dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.

  3. Pression sur la balance des paiements : À long terme, le déficit commercial exerce une pression sur la balance des paiements. Si la France continue de financer son déficit par l’endettement extérieur, elle pourrait être contrainte d’adopter des politiques économiques plus restrictives, compromettant ainsi la croissance et l'emploi.

Conclusion

Le déficit commercial record de la France en 2022, tel que capturé par l’équation emplois-ressources, illustre les défis économiques structurels auxquels le pays est confronté. Ce déficit, combiné à des déséquilibres budgétaires et d’investissement-épargne, entraîne des conséquences profondes sur la croissance, l’emploi, et la souveraineté économique. Pour surmonter ces défis, il est essentiel de renforcer la compétitivité industrielle, de réduire la dépendance énergétique, et d'améliorer l'équilibre entre l'investissement et l'épargne. Ces mesures sont cruciales pour inverser la tendance du déficit commercial et garantir une croissance durable à long terme.

 

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