L'ouvrage
Si les Etats Unis laissaient le dollar se déprécier afin d'accélérer la sortie de crise et doper leurs exportations, la pression deviendrait alors insoutenable sur les finances publiques de certains pays européens (le déficit public de la France atteindra déjà 5 % du PIB en 2009, 6 % en Espagne et 11 % en Irlande selon la Commission européenne) qui pourraient alors être contraints de quitter l'Union économique et monétaire. Christian Saint Etienne plaide pour une prise de conscience des Etats européens et une rapide mise en œuvre d'un réel gouvernement économique et d'un fédéralisme budgétaire qui mettraient un terme aux stratégies non coopératives de concurrence fiscale et sociale eu sein de la zone euro.
La zone euro sous tensions
Les débats théoriques préalables à la création de l'euro comportaient des éléments particulièrement éclairants : les réactiver permet de prendre réellement la mesure des difficultés actuelles. Tout d’abord, l’histoire économique montre qu’il ne peut y avoir de divergence durable entre souveraineté politique et souveraineté monétaire : « tôt ou tard, la zone monétaire s’unifie politiquement, ou bien elle éclate » selon Christian Saint-Etienne. Mais la théorie économique enseigne surtout qu’un certain nombre de conditions doivent être réunies pour qu’un groupe de pays ait intérêt à choisir une zone monétaire de parités fixes plutôt que conserver des parités flottantes et donc décider d’une union monétaire. Le Prix Nobel d’économie Robert Mundell insiste sur la nécessaire mobilité des facteurs de production (travail, capital) au sein de la zone, et sur la présence d’un budget suffisant pour amortir les chocs frappant les économies.
D’autres critères ont été ajoutés dans des travaux ultérieurs, comme la proximité du degré d’ouverture des économies, ou les préférences homogènes des pays participants (taux d’inflation, productivité, partage des revenus). La zone euro réunit certains critères, comme le degré d’ouverture et l’intensité des échanges commerciaux entre les membres, mais ne remplit pas totalement celui de mobilité des facteurs, et ne dispose pas d’un budget suffisamment important pour exercer les compensations nécessaires en cas de crise. Par ailleurs, la divergence des politiques économiques au sein de la zone explique en grande partie l’hétérogénéité des performances économiques (la contribution des exportations à la croissance a été ainsi bien plus forte en Allemagne qu’en France, confrontée à une érosion rapide de ses parts de marché ces dernières années).
Christian Saint Etienne remarque ainsi que les résultats enregistrés par les pays membres de la zone euro ne sont pas supérieurs à ceux des pays qui n’en sont pas membres, au sein de l’Union européenne (les trois grands pays de la zone euro, la France, l’Allemagne et l’Italie ont d’ailleurs enregistré une faible croissance de leur PIB/habitant sur la période 1999-2008). Le recul historique montre aussi que la période préalable à l’euro, au sein du système monétaire européen (1979-1999), affiche de meilleurs résultats matière de croissance. Si la monnaie unique constitue un solide bouclier contre la brutalité des crises monétaires et financières, le coût en termes de croissance et d’emploi s’avère élevé en l’absence d’un gouvernement économique qui autoriserait une meilleure coordination des politiques économiques.
Les effets de la crise mondiale
La crise affecte la zone euro de trois manières : elle conduit à un désendettement rapide des ménages et des entreprises qui force les Etats à compenser par une croissance de l’endettement public pour soutenir la demande globale. Elle réduit les perspectives de croissance des pays développés en raison d’un ralentissement des échanges avec les pays émergents. Enfin, l’endettement élevé des acteurs économiques entraîne une montée des primes de risques imposées par les marchés financiers, et implique une élévation des taux d’intérêt réels (en période de pressions déflationnistes) qui obèrent d’autant les marges de manœuvre pour une relance concertée. Mais l’effet à craindre sur la solidité de la zone euro concerne surtout la divergence croissante de la situation économique des Etats membres, dont les intérêts deviennent parfois contradictoires.
Ainsi, le couple franco-allemand, traditionnellement moteur de la construction européenne, est également sous pression : la France spécialisée dans l’exportation de produits de gamme moyenne sensibles à la compétitivité-prix a besoin d’un euro faible pour enrayer la dégradation de son commerce extérieur, alors que l’Allemagne, positionnée sur des produits industriels hauts de gamme se satisfait aisément d’un euro fort qui lui permet d’acquérir des biens intermédiaires à des prix plus faibles. Or ces divergences sont parfaitement perçues par les marchés financiers, conscients des difficultés éventuelles de remboursement futur de la dette : c’est précisément cette raison qui avait déclenché de violentes secousses monétaires au sein du système monétaire européen au cours des années 1990.
Le coût du manque d'Europe
La marche vers l’Union politique de l’Europe devient urgente au moment où la zone euro subit de plein fouet la crise mondiale qui jette une lumière crue sur ses contradictions institutionnelles : en l’absence d’une véritable légitimation démocratique des dirigeants politiques de l’Union et de réelles instances de coordination des politiques macroéconomiques, la concurrence fiscale et sociale s’exacerbe entre des Etats membres tentés par les stratégies non coopératives. L’Allemagne a ainsi mis en œuvre depuis plusieurs années une politique de compression de ses coûts salariaux pour soutenir son commerce extérieur mais le freinage de la demande a pesé sur les exportations françaises.
En effet, la politique monétaire unique de la Banque centrale européenne (BCE) fait face à la tentation des pays de réduire le poids de leur fiscalité et la surface de leur protection sociale pour stimuler leur compétitivité internationale, avec le risque d’une paupérisation de la puissance publique et d’alignement par le bas. Christian Saint-Etienne plaide notamment pour une meilleure gouvernance de la zone euro avec notamment un réel dialogue entre le président de la BCE et le président de l’Eurogroupe, notamment au sujet de la politique de change. Des bases solides seraient alors jetées pour une meilleure coopération monétaire internationale avec les Etats-Unis, le Japon et la Chine, dans le cadre d’une « négociation permanente quadripartite » que l’auteur appelle de ses vœux.
Pour éviter une stagnation durable, la France n’a d’autre choix que de mettre en œuvre de profondes réformes structurelles et ériger un modèle de croissance stratégique basé sur une offre productive en phase avec la demande mondiale (dans les nouvelles technologies notamment). Elle doit également améliorer l’attractivité de ses territoires en misant sur la recherche et le capital humain, et réduire son écart avec l’Allemagne en matière de PME compétitives sur les marchés mondiaux. Seul un Etat stratège en France serait dès lors en mesure de contribuer à restaurer la stabilité au sein de la zone euro, désormais menacée d’éclatement.
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L'auteur
Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers, professeur à l’université Paris-Dauphine et membre du Conseil d’Analyse économique (CAE). Il est président de l’institut France Stratégie. Il est docteur d’Etat ès sciences économiques et titulaire d’un master d’économie de la London Schools of Economics et d’un master d’économie mathématique de Carnegie Mellon University. Il a été économiste au Fonds monétaire international et à l’OCDE. Christian Saint-Etienne est l’auteur de plusieurs ouvrages pour lesquels il a obtenu de nombreux prix.
Table des matières
Avant-propos
Chapitre 1 . La zone euro est-elle optimale ?
Chapitre 2 . L'euro va-t-il survivre ?
Chapitre 3 . Quel avenir pour la construction européenne ?
Chapitre 4 . Sur quelles bases reconstruire la zone euro ?
Chapitre 5 . Que peut faire la France face au risque d'implosion de l'euro ?
Annexe : le modèle de croissance stratégique
Quatrième de couverture
L’euro, qui vient de fêter ses dix ans, passe pour être une monnaie forte, rivale du dollar, et à la pérennité assurée. Ce n’est pas l’avis de Christian Saint-Etienne. Non seulement la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale, mais son avenir lui paraît gravement compromis. Au lieu d’accroître la coopération entre les Etats membres, les disparités et rivalités s’aggravent. Une concurrence fiscale de plus en plus exacerbée s’est installée. Mais plus inquiétant encore, l’Allemagne ne cherche-t-elle pas à faire éclater la zone euro pour en reprendre le contrôle ? Aujourd’hui, quel est l’avenir de l’euro ? Quel impact va avoir la crise économique et financière sur lui ? Que penser de sa probable implosion ? Que vont faire les grands pays concernés ? Dans cet essai court et limpide, Christian Saint-Etienne nous décrit la situation actuelle de l’euro, les risques qu’il court et les différents scénarios possibles pour éviter le pire, s’il en est encore temps.