Osons l'Europe des nations

Christian Saint-Etienne
Ecouter le podcast   Télécharger le podcast

L'ouvrage

Christian Saint-Etienne dresse dans cet ouvrage un constat préoccupant de l’état de l’économie française, dont la langueur persistante et les difficultés structurelles s’inscrivent sur le plan économique et politique dans la crise du projet européen. L’auteur décrypte dans ce nouvel essai à la fois les racines de notre stagnation économique, mais aussi les causes de la défiance actuelle qui frappe les institutions européennes : il plaide énergiquement pour ce qu’il appelle un « saut fédéral intergouvernemental » d’ici à 2020, dans la mesure où l’élection d’Emmanuel Macron a ouvert selon lui une fenêtre historique qui se refermera bien vite si l’on fait le choix du statu quo et de l’immobilisme, à l’heure où les Etats-Unis et la Chine développent dans la mondialisation une volonté politique de puissance pour peser sur les évolutions technologiques, financières et géostratégiques.

En rappelant les grandes heures de la construction européenne depuis le début des années 1950, il souligne le fait que la France a souvent été le pays qui a impulsé une relance politique de l’Union européenne lorsqu’elle était enlisée (« la construction européenne est une idée française ! Elle n’a progressé que lorsque la France en a pris l’initiative »), et qu’elle pourrait bien se trouver dans cette situation encore aujourd’hui. Alors même que l’ordo-libéralisme prôné par l’Allemagne, dominant mais a-stratégique, car centré sur la stabilité des institutions de l’Etat de droit et de l’économie de marché, est dans l’incapacité selon lui d’éclairer l’avenir de l’union politique : il devient urgent pour la France alors d’assumer le leadership de la refonte des institutions de la zone euro et de l’Union européenne.

Sur le même sujet cours de  Terminale ES : Quel est l'impact de la construction européenne sur l'action publique

Les erreurs de Maastricht

Pour Christian Saint-Etienne, c’est lors du moment décisif du Traité de Maastricht, en 1992, que l’Union européenne s’est engagée dans une mauvaise voie : celle d’une double logique d’intégration fédérale sur la base d’un traité et celle, dans le même temps, d’une coopération intergouvernementale avec la nécessité d’un vote à l’unanimité (qui donne un droit de véto aux petits pays) sur les questions fiscales et sociales, tandis que certains pays obtenaient par dérogation le droit de se soustraire au projet de la Monnaie unique (comme l’Angleterre). Ce système défaillant a alors organisé le déchaînement mortifère de la concurrence par les normes fiscales et sociales, et, « sous l’apparence d’un renforcement des souverainetés partagées, s’est effectivement mise en place une Europe des égoïsmes et de la prédation fondée sur l’affirmation du principe de concurrence fiscale et sociale entre les peuples européens ».

S’il a depuis l’origine coexisté deux conceptions de la construction européenne, l’une axée sur une grande zone de libre échange tournée vers les Etats-Unis (portée par l’Angleterre), l’autre sur une Europe-puissance intégrée, Maastricht a fait, d’après Christian Saint-Etienne, le jeu de la conception britannique en organisant l’impuissance politique. Fondamentalement, Maastricht aurait dû imposer toutes les clauses du Traité à tous les pays, sans exception, autoriser l’harmonisation du contrat fiscal entre les Etats membres (règles fiscales, architecture de la protection sociale, fonctionnement du marché du travail), et délimiter précisément les frontières de l’Union.

Au lieu de cela, il a conduit à exacerber trois contradictions selon l’auteur : la construction européenne a été imaginée comme un processus apolitique alors que, depuis ce Traité, elle a été appelée à prendre des décisions intrinsèquement politiques sans en avoir véritablement la légitimité démocratique ; l’Union européenne a été construite sur le renoncement des Etats à une politique de puissance ce qui a conduit l’Union a l’impuissance stratégique dans la mondialisation face au «  G2 » sino-américain ; enfin, malgré le Traité, les pays membres de l’Union européenne ne partagent pas les mêmes objectifs concernant la finalité de l’Union.

Les erreurs françaises

Christian Saint-Etienne considère que, dès la fin des années 1990, la voix de la France et sa crédibilité internationale se sont affaiblies en Europe en raison de trois erreurs magistrales de stratégie économique : la croyance des élites dans le fait que nous serions passés à une ère post-industrielle et post-travail qui justifiait de partager les heures de travail (réduction du temps de travail à 35 heures), le laxisme devant la dérive de nos coûts salariaux alors que nous entrions dans une zone euro qui nous liait à l’Allemagne comme étalon de la compétitivité, et une gestion calamiteuse de nos dépenses publiques, dans un contexte d’aggravation de l’endettement public, de creusement de nos déficits extérieurs, et de montée implacable d’un chômage de masse (« une France épuisée de dettes et de chômage ne valait que commisération de moins en moins polie »). C’est la raison pour laquelle Christian Saint-Etienne considère que « c’est surtout de ses choix économiques et sociaux internes que viendra une éventuelle restauration de sa capacité de leadership ».

Alors même que les Etats-Unis et la Chine se préparent à dominer les affaires du monde, notamment sur le plan technologique, l’Europe reste un « ventre mou », ravagé par une concurrence sociale et fiscale féroce (« l’Union européenne est brûlée à l’acide de la concurrence fiscale et sociale »), tandis que ses élites s’obstinent à refuser de conduire une stratégie ambitieuse de puissance, alors que nous entrons dans ce qu’il appelle « l’iconomie entrepreneuriale ». Celle-ci, globale et totale, va bouleverser en profondeur les structures de nos économies avec la révolution numérique, la robotisation de l’industrie, et l’intelligence artificielle, mais, se demande l’auteur : « où est la stratégie européenne pour revenir dans la course au sein de la troisième révolution industrielle ? Avec quelques acteurs et quels moyens ? »   

En ce qui concerne la zone euro, Christian Saint-Etienne plaide pour un gouvernement économique (qu’il ne faut pas confondre avec une simple gouvernance économique actuelle basée sur des normes peu contraignantes) qui vise à favoriser la croissance non inflationniste la plus forte possible en utilisant les trois instruments de la politique économique (politique monétaire, politique budgétaire, politique de change) en optimisant ainsi le policy mix. Dans ce domaine, le temps presse car la zone euro n’est pas sortie des ronces selon lui, notamment parce que la politique monétaire de soutien de la BCE, certes nécessaire, n’a pas résolu le problème de la divergence des performances entre le Nord et le Sud, qui résulte de la désorganisation originelle des institutions de la zone.

Pour cela, il faudrait aller vers une fédéralisation économique avec la mise en place d’un gouvernement économique, un budget fédéral et un fédéralisme fiscal permettant de limiter les écarts de niveaux de vie malgré les spécialisations des économies, et un encadrement strict de la concurrence sociale et fiscale. Pour rendre la conduite du policy mix européen plus efficace, Christian Saint-Etienne propose que l’Eurogroupe, qui n’est aujourd’hui qu’une instance de discussion informelle, devienne officiellement le Conseil Ecofin de la zone euro et définisse clairement les orientations de sa politique de change. L’Eurogroupe serait alors l’instance du renouveau de la coordination des politiques économiques dans la zone euro.  

 

Sur le même sujet :

Vers une fée carolingienne ?

Pour éviter la désagrégation de l’Union européenne, Christian Saint-Etienne milite pour que les décideurs politiques prennent rapidement trois décisions : 1) une politique stratégique autonome pour s’imposer dans la troisième révolution industrielle 2) la définition d’un mécanisme démocratique de fixation des frontières externes de l’Union 3) la fixation des règles minimales d’harmonisation fiscales et sociales. L’auteur préconise alors de créer une fédération d’Etats-Nations où des réformes pourraient s’opérer à partir d’un noyau dur politiquement homogène de pays ayant les mêmes valeurs et les mêmes intérêts et pouvant accepter une prise de décisions communes à la majorité qualifiée. Il s’agirait d’une Fédération économique européenne (Fée) composée de 9 pays (avec possibilité d’en accueillir d’autres respectant les principes d’organisation) : Allemagne et Autriche, les trois du Bénélux (Pays-Bas, Belgique et Luxembourg), France, Italie, Espagne et Portugal, soit approximativement l’ancien empire de Charlemagne (les 9 pays carolingiens). Cette « Fée carolingienne » serait alors immédiatement un acteur global comme première puissance commerciale, et troisième puissance économique et industrielle de la planète. Dotée d’un budget fédéral et d’un gouvernement économique, elle pourrait développer des investissements en infrastructures publiques, notamment pour réduire les écarts entre le Nord et le Sud de la zone, et elle deviendrait un acteur géopolitique en mesure de peser face au duo Chine/Etats-Unis. Selon lui, « en s’appuyant sur une base solide de coopération économique, énergétique, scientifique et technique, la Fée orienterait les politiques d’une Union européenne élargie, dans une direction d’action forte et cohérente ». Christian Saint-Etienne pense que la France, membre historiquement moteur de l’Europe, pourrait assumer ses responsabilités, et pousser les feux de cet ambitieux projet, même s’il reconnait que les chances qu’il voit le jour restent faibles.

Sur le même sujet :  lien vers des ressources sur les « Entretiens Enseignants Entreprises 2016 » consacré à l’Europe :

Mais pour jouer ce rôle, argumente Christian Saint-Etienne, il faudrait que la France retrouve sa crédibilité en Europe et réforme son système économique et social, même si, « en dépit de l’élection d’Emmanuel Macron qui a redonné un peu d’optimisme aux acteurs politiques et économiques français, le pays reste fragile au début de 2018 ». Les performances macroéconomiques de la France demeurent décevantes en raison de problèmes structurels d’offre productive : « cela signifie que les entreprises françaises ne produisent plus les biens et services que les Française souhaitent consommer ! » Dans son diagnostic, Christian Saint-Etienne évoque la désindustrialisation, la structure des coûts de production incompatible avec le positionnement en termes de gamme de produits, l’insuffisante profitabilité des entreprises hexagonales. Le défi industriel français, pour rattraper notre retard dans « l’iconomie entrepreneuriale », serait alors de monter en gamme et de robotiser la production pour regagner en compétitivité, tout en accélérant l’innovation et en accroissant le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour rattraper nos concurrents. Il faut selon l’auteur accélérer les réformes structurelles pour redresser notre croissance potentielle, avec une diminution forte des dépenses publiques, une réforme plus ambitieuse du marché du travail avec un allongement de la durée du travail, une baisse drastique de la fiscalité du capital, un relèvement des seuils sociaux pour les entreprises, ainsi qu’un investissement dans la formation et la qualification de la main-d’œuvre. Si des réformes ont été engagées, elles restent pour l’heure insuffisantes estime Christian Saint-Etienne, mais elles seules peuvent faire entrer la France de plein pied dans la révolution industrielle et lui permettre de retrouver son leadership politique pour sauver l’Europe.

Quatrième de couverture

Peut-on sauver la construction européenne ? Et faut-il sauver cette Europe maintenant vieillissante et impuissante ?

À l'heure où les États-Unis et la Chine dominent la mutation numérique, son économie n'a pas effacé les effets de la crise. L'Union a été rejetée par ses propres citoyens. Et son influence internationale ne cesse de se réduire. Principal levier de la désintégration de l'Europe ? Maastricht. À l'origine d'une gigantesque faille dans la construction européenne, le traité de 1992 fut un véritable marché de dupes, plutôt que le ciment d'un bloc indestructible.

La création d'un puissant noyau dur d'États européens prêts à relever le défi de notre époque (troisième révolution industrielle, nouvelle hiérarchie des nations) est une nécessité vitale si l'Europe veut continuer d'exister comme acteur de l'Histoire. Il est urgent de refonder une vraie puissance européenne, en faisant confiance aux nations ! Nous en avons actuellement l'opportunité. Mais la fenêtre d'action se refermera vite.

L’auteur

Président de l'Institut France Stratégie, titulaire de la chaire d'économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers, Christian Saint-Étienne a travaillé au FMI et à l'OCDE. Il est l'auteur de nombreux essais dont L'Incohérence française (Grasset) et France : état d'urgence (Odile Jacob).

Téléchargez la note de lecture en PDF

Télécharger en PDF

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements