QUESTION 4. COMMENT COMPRENDRE LA VOLATILITE ÉLECTORALE?

Synthèse

 

Déroulé du chapitre :

QUESTION 1. COMMENT INTERPRETER LA PARTICIPATION ELECTORALE À PARTIR D’INDICATEURS ?

QUESTION 2. COMMENT COMPRENDRE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE?

QUESTION 3. POURQUOI LE VOTE EST-IL A LA FOIS UN ACTE INDIVIDUEL ET UN ACTE COLLECTIF ?

QUESTION 4. COMMENT COMPRENDRE LA VOLATILITE ÉLECTORALE?

 

Conforme au programme officiel (BO)

 

1. Le phénomène de la volatilité électorale

 

L’expression est empruntée au vocabulaire de la chimie, qui désigne l’aptitude d’une substance à passer d’un état à un autre, par exemple de l’état liquide à l’état gazeux. Appliquée au comportement électoral, elle désigne une variation de l’expression des préférences partisanes pendant ou entre des élections de même nature et successives ou bien concomitantes, et traduit un phénomène d’hésitation d’un grand nombre d’électeurs. Or, l’analyse de celle-ci se révèle complexe, car l’acte de voter, de plus en plus privatif, imbrique des ressorts à la fois affectifs (sensibilité aux personnalités et aux discours) et rationnels.

Volatilité électorale, l’une des formes du désengagement politique

Ce changement des préférences exprimées dans le comportement électoral peut être considéré comme l’une des deux formes de l’abstentionnisme en général, qui touche les démocraties occidentales depuis les années 1970. Alexis de Tocqueville observait dans De la démocratie en Amérique que les citoyens de sociétés ayant connue une révolution violente avaient plus tendance (la France plus les USA) à se décharger de leurs engagements politiques sur l’État. Mais la volatilité électorale aujourd’hui prend un autre sens que l’abstention électorale : établir une distance par rapport au vote et une faible loyauté à l’égard des partis politiques, c’est autre chose que décider de ne pas voter. 

Volatilité et abstentionnisme : deux profils différents

L’abstention électorale peut reposer sur trois motifs très différents : la passivité (désintérêt pour la politique et méfiance à l’égard de la classe politique), le combat politique (comportement de « gladiateur » selon la terminologie des politistes de l’École du Michigan) ou bien un haut degré de satisfaction vis-à-vis du régime politique tel qu’il est incarné. Les enquêtes menées depuis le début des années 1980 ont montré cependant que les profils majoritairement associés à l’abstentionnisme (passivité, méfiance et faible capital culturel) et à la volatilité électorale (compétence politique revendiquée, cohérence idéologique) étaient très contrastés.

 

2. Les formes variées de la volatilité électorale

Cette hésitation de l’électeur contemporain, individualiste et informé, prend des formes multiples.

L’indécision pendant une campagne électorale

Une enquête publiée par le CEVIPOF (14 août 2018) a montré que lors de l’élection présidentielle de 2012, 51% des électeurs avaient changé au moins une fois d’avis au cours des six derniers mois de la campagne. Cette tendance s’est amplifiée lors de l’élection présidentielle de 2017 (document 2).

L’intermittence du vote

Le vote intermittent consiste à passer d’un vote actif à l’abstention, soit une tendance à aller plus loin dans le désengagement politique. On retrouve ici, le temps d’une élection, les motifs potentiels de l’abstentionniste, qui selon la formule de Daniel Gaxie reste, après analyse de l’offre politique « dans le jeu » ou bien bascule à moyen terme « hors-jeu ». Au cours des quatre derniers scrutins nationaux, la part du vote intermittent est passée de 40% à 50% des inscrits (document 1).

Le changement des préférences électorales

L’érosion des préférences partisanes peut se traduire par un changement de comportement entre deux scrutins successifs de même nature, ou entre des scrutins concomitants mais de nature différente. Dès 1990, le politiste Georges Lavau observe que l’identification partisane se transmet moins fréquemment que naguère de génération en génération. Sur une période de quinze à vingt ans environ, les deux tiers des électeurs ont au moins une fois changé leur vote. Récemment en France, les électeurs ont successivement voté pour des candidats de centre droit aux élections municipales, exprimé un vote de conviction fragmenté au premier tour de la présidentielle et un « vote utile » au second tour, choisi l’abstention par rejet des institutions et voté largement « hors-système » et écologiste aux européennes.

 

3. La volatilité électorale, reflet de l’affaiblissement d’un vote de classe

La baisse du sentiment d’appartenance collective et de l’identification partisane

L’évolution du vote ouvrier aux élections présidentielles en France (document 3) illustre bien ce double processus. Traditionnellement orienté à gauche, avec une forte corrélation entre classe ouvrière et vote communiste, et classes moyennes salariées et vote socialiste, il bascule durablement à droite après les élections nationales de 1995. Le déclin de la mobilisation partisane s’explique par le fait que le vote devient plus individualisé et moins associé à des intérêts socialement identifiés, après l’effondrement de grandes institutions partisanes et religieuses comme les mouvements de jeunesse catholiques ou le Parti communiste.

La recomposition de certaines variables sociopolitiques

Le déclin de la loyauté partisane et l’augmentation de la volatilité électorale s’expliquent en partie par la baisse de pertinence, mais aussi la recomposition de certaines « variables lourdes » socioéconomiques dégagées par le modèle de l’université de Columbia dans les années 1940 (documents 4). Ainsi, le lieu d’habitation, le statut socioéconomique et la religion expliquaient dans ce contexte américain la stabilité du vote. Aujourd’hui, les travaux des démographes Hervé le Bras et Emmanuel Todd montrant que l’habitat groupé accentuant le sentiment de promiscuité et ceux du géographe Christophe Guilly sur l’habitation en zone péri-urbaine expliquent en partie le glissement vers un vote d’extrême-droite.

L’épuisement progressif du clivage idéologique Gauche/Droite

Progressivement depuis les années 1990, le clivage traditionnel gauche/droite, qui existe depuis la Révolution, est remis en cause. De nombreuses enquêtes depuis une quinzaine d’années montre qu’une majorité de Français rêvent d’une vie politique plus consensuelle, d’où l’hésitation face à une offre politique clivante car structurée par le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Une enquête sur la base d’un sondage réalisé par Viavoice publié par Libération un mois avant l’élection présidentielle de 2017 a dégagé un paradoxe apparent : 29 % des Français s’autopositionnent à gauche, 36% à droite, et 22% ni à gauche, ni à droite, ni au centre ; cependant 66% considèrent que le clivage gauche-droite n’est plus pertinent. Autrement dit, l’ancrage profond dans les valeurs de gauche ou de droite demeure, mais le positionnement partisan est considéré comme obsolète. Les travaux menés depuis 30 ans par Gérard Grunberg ont montré que l’instabilité concerne un électeur sur deux mais se traduit essentiellement par l’hésitation entre participation et l’abstention, alors que l’ensemble des transferts entre la gauche et la droite ne concerne qu’environ 5% des électeurs inscrits.

 

4. La volatilité électorale, reflet d’une montée en puissance de l’électeur stratège

L’adaptation des électeurs aux modes de scrutin

Le déclin des institutions partisanes et religieuses conjugué au développement de l’individualisme ont conduit la plupart des politistes à observer l’avènement d’un électeur éduqué, éclairé et capable d’une mise en cohérence idéologique de ses infidélités partisanes. Les modèles explicatifs successifs (ceux – holistiques – des Écoles de Columbia puis du Michigan analysant la stabilité du vote par des déterminismes socio-économiques et liés à la socialisation politique ; ceux – stratégiques – critiquant le déterminisme des « variables lourdes » qui orienteraient un électorat passif) se sont adaptés à ces mutations.

Le « vote sur enjeu » brouille les clivages partisans

Les variables contextuelles d’un vote tiennent à la perception des enjeux et au type d’élection. Le vote comme acte individuel a été analysé par des modèles « stratégiques » traduisant la capacité des électeurs à évaluer les avantages qu’ils pourraient tirer de la victoire d’un candidat plutôt qu’un autre, et à décrypter les enjeux du moment. Ainsi, lors d’une campagne électorale, ils sont présumés analyser correctement la mise sur agenda de grand thèmes (l’insécurité lors de l’élection présidentielle de 2007), les grilles de lecture du moment (lutter contre les inégalités sociales VS restaurer la compétitivité des entreprises) et le filtrage opéré par les médias de critères de performances (faire de la « politique autrement » en 2017, document 6).

Notions

Changement dans le choix partisan d’une élection à une autre, voire entre les deux tours d’un même scrutin.
Variables socioéconomiques qui sont statistiquement prédictives de l’orientation du vote. Il peut s’agir du genre, de l’âge, de la PCS ou encore de la pratique religieuse.

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