Jean-Claude Chesnais dans son ouvrage La démographie (PUF, 2010) rappelle que la définition la plus complète de ce qu’est la démographie est donnée par le dictionnaire démographique multilingue des Nations Unies où la démographie est présentée comme la « science ayant pour objet l’étude des populations humaines, et traitant de leur dimension, de leur structure, de leur évolution et de leurs caractères généraux, envisagés principalement d’un point de vue quantitatif. »
Les démographes étudient les évolutions des populations : la première réflexion est donc de mesurer les mécanismes qui font croitre (les naissances et les immigrations) ou diminuer (les décès et les émigrations) une population. On peut isoler d’un côté les facteurs de variation interne : le solde naturel qui établit le bilan des naissances et des décès et d’un autre côté les facteurs de variation externes : le solde migratoire qui établit le bilan des immigrations et des émigrations.
Ces mouvements permettent de définir l’équation démographique :
Cette équation démographique permet de saisir les facteurs d’évolution d’une population.
Pour étudier les populations les démographes ont besoin de données fiables, celles-ci proviennent principalement des recensements et de l’état civil.
Le recensement vise à compter tous les habitants de manière exhaustive et permet de connaître la dimension et la structure d’une population puisque le recensement recueille des données concernant l’âge et le sexe, mais aussi l’état matrimonial, la nationalité, le lieu de naissance, le lieu de résidence, l’activité, l’emploi, la scolarisation. Le recensement permet donc de connaître le nombre et la structure de la population. En revanche en France les questions sur les origines sociales, ethniques ou religieuses sont interdites. Ces données permettent de donner une photographie de la population à un moment donné, c’est une approche en termes de stock.
L’état civil, passé sous le contrôle de l’Etat au moment de la Révolution, vise à connaître les naissances, les mariages et les décès. Il s’agit avant tout d’un acte juridique. Ces données analysent donc plutôt les changements qui affectent la population, c’est une approche en termes de flux.
Néanmoins, dans les pays en développement l’accès à ces données est beaucoup plus difficile à obtenir.
Les phénomènes migratoires sont beaucoup plus difficiles à mesurer. En pratique, le solde migratoire est donc souvent évalué de manière indirecte : le solde migratoire est égal à la variation de l’effectif de la population entre deux recensements, diminuée du solde naturel enregistré durant cette période (solde migratoire= variation de la population- solde naturel).
Néanmoins, les données brutes ne permettent pas des comparaisons entre deux dates ou entre deux zones géographiques, car elles dépendent de l’effectif des populations considérées. Il faut alors ramener ces données absolues en valeur relative, exprimées sous forme de taux, généralement ramenés à 1000 habitants (taux de natalité, taux de mortalité, etc.).
La population mondiale devrait franchir la barre des 8 milliards vers 2025-2030. Ensuite, une stabilisation autour de 8 à 10 milliards semble se profiler. Le déclin démographique des pays de l’OCDE devrait se poursuivre alors que les pays en développement voient encore croitre leurs effectifs. Se dessinent alors de nouveaux enjeux économiques, politiques, voire religieux.
La démographique présente des lois, c’est-à-dire des régularités statistiques
1. Les lois biologiques
On constate tout d’abord une surnatalité et une surmortalité masculine. Ce sont les travaux de John Graunt au XVIIe siècle qui mettent en évidence que dans toutes les sociétés et à toutes les époques, il naît plus de garçons que de filles : de manière stable, il nait en moyenne 105 garçons pour 100 filles. De la même façon, on constate une surmortalité masculine, à tous les âges de la vie. La surmortalité masculine est nettement affirmée et de ce fait, dans la plupart des pays, les femmes sont en moyenne plus nombreuses que les hommes, malgré leur supériorité en nombre à la naissance.
Quelques éléments d’explications peuvent être convoqués pour comprendre ces résultats : le risque lié à la maternité est de plus en plus faible pour les femmes. La surmortalité des hommes résulte à la fois du risque lié à certains métiers exclusivement masculins, de comportements nocifs (comme l’alcoolisme, le tabagisme, la suralimentation en graisses animales), de la plus grande exposition au risque de mort violente (accident de la circulation et suicides par exemple) et enfin un facteur biologique : les hommes auraient une moindre immunité biologique face au vieillissement.
L’âge est un facteur qui joue un rôle important sur la mortalité et la fécondité. En effet, le premier facteur de différenciation de la mortalité est l’âge : la mortalité décroît jusqu’à l’âge de 8-10 ans puis le risque de mortalité croît à nouveau lorsque l’âge augmente, d’abord de manière lente, puis exponentielle après 60 ans, signe d’une moindre résistance au vieillissement biologique. L’âge agit également sur la fertilité des femmes : la fertilité augmente de la puberté jusque vers l’âge de 20 ans, puis la fertilité culmine entre 20 et 35 ans et diminue après. Presque toutes les femmes sont stériles après 50 ans
2. La transition démographique : une loi historique
Le démographe français, A. Landry, distingue dès 1934 trois régimes démographiques :
Le régime démographique ancien ou primitif qui établit une relation étroite entre le nombre d’individus et la quantité des subsistances. La régulation de la population se fait donc par la mortalité.
Le régime démographique intermédiaire où l’adaptation de la population aux subsistances s’effectue par le contrôle de la nuptialité, le contrôle social joue alors un rôle très important puisque les couples ne se forment qu’avec l’assentiment du groupe et l’assurance qu’ils pourront élever leur descendance. Les mariages se déroulent donc à un âge plus tardif et le célibat est plus répandu.
Le régime démographique contemporain où les couples eux mêmes contrôlent leur fécondité en vue d’assurer à leur descendance des conditions de vie confortables. Pour Landry, les Lumières et la Révolution française ont en effet contribué à développer l’individualisme et à diminuer l’influence de la religion.
L ‘analyse de Landry ouvre la voie au concept de transition démographique qui propose un schéma qui est commun à toutes les sociétés. Le phénomène de la transition démographique est universel dans son principe, il ne diffère que dans sa mise en œuvre.
La transition démographique désigne le passage d’un régime traditionnel associant forte natalité et forte mortalité à un régime moderne associant faible natalité et faible mortalité. Le phénomène le plus important se déroule dans la phase de transition entre ces deux régimes.
Le régime traditionnel est donc marqué par une fécondité élevée mais aussi une mortalité élevée due à des périodes de famines, d’épidémie, ou de guerre. L’accroissement naturel de la population est donc très faible.
La phase de transition se déroule en deux étapes
La première phase est marquée par un recul de la mortalité alors que la natalité se maintient à un niveau élevé. Au cours de cette période l’accroissement naturel est donc important.
La baisse de la mortalité est due au progrès de l’hygiène (avec la mise en place de l’eau potable, des égouts, de l’hygiène publique), de l’alimentation, de la médecine (la découverte des vaccins et des antibiotiques) mais aussi à la stabilité politique et à l’organisation administrative qui permettent de faire reculer les grands fléaux (famines, épidémies, guerres et massacres) et favorise la diffusion des innovations sanitaires et la croissance économique. La hausse du niveau d’instruction permet également de réduire de manière notable la mortalité.
La deuxième phase correspond à une situation où la mortalité continue de diminuer mais à un rythme plus lent alors que la natalité diminue également. La baisse de la natalité s’explique en partie par le recul de la mortalité (les couples ont moins d’enfants car ils sont plus nombreux à survivre) et en partie par une moindre influence des règles morales, religieuses ou sociales. Les mutations des structures socio-économiques : industrialisation, urbanisation, montée de l’instruction, élévation du coût de l’enfant favorisent également cette réduction de la fécondité. La hausse de l’instruction, en particulier celle des femmes, joue un rôle plus important que la hausse des revenus sur le recul de la fécondité car elle se traduit en effet par un recul de l’âge du mariage. Par ailleurs, avec la hausse de l’instruction l’enfant n’est plus une main d’œuvre, mais un coût pour les parents, ce qui contribue aussi à freiner la fécondité.
Le régime moderne se caractérise par une faible mortalité liée aux mêmes phénomènes de progrès de la médecine de l’alimentation et une faible natalité (qui peut être liée à l’existence de moyens de contraception). L’accroissement naturel est à nouveau faible.
Ce schéma uniforme va être remis en cause dans les années 1960, on ne parle plus de transition démographique au singulier mais au pluriel la phase de transition pouvant être très variable d’un pays à l’autre.
Les différents pays du monde en sont à des stades très différents de la transition démographique: la baisse de la mortalité est étendue à l’ensemble de la planète, en revanche la baisse de la fécondité est beaucoup moins étendue.
La période entre la baisse de la mortalité et la baisse de la natalité peut être plus ou moins longue en fonction des cultures des populations concernées : dans les pays où le statut de la femme demeure traditionnel, la baisse de la fécondité met plus de temps à être visible. Par ailleurs lorsque la mortalité chute, la population en âge de procréer augmente fortement et constitue un autre élément qui va retarder le recul de la fécondité. En règle générale, plus le phénomène est tardif, plus la hausse de la population est importante.
Le régime moderne classique se caractérise dans certains pays par un recul important de la fécondité, parfois en dessous du seuil de 2,1 enfants par femme, seuil de remplacement des générations. Une nouvelle théorie, celle de la seconde transition démographique vise à rendre compte de ce phénomène
Les conséquences du phénomène de transition démographique
- 1/ Un effet d’échelle : la transition démographique a entrainé une croissance démographique mondiale très forte, qui s’est accélérée dans les années 1950 avec le baby boom et l’entrée de pays en développement dans la phase de transition. La population mondiale a été multipliée par deux entre 1950 et 1987 et atteint 6 milliards d’être humains en 2000. Depuis la croissance de la population mondiale ralentit un peu.
Le ralentissement de la croissance de la population est lié à la baisse de la fécondité plus ou moins forte selon les régions du monde. Les régions du monde qui connaissent encore une croissance forte de la population sont l’Afrique sub-saharienne et l’Asie.
- 2/ Une effet de structure : une modification de la structure par âge de la population
Le vieillissement démographique :
La transition démographique se traduit aussi par le vieillissement de la population. La baisse de la fécondité et l’allongement de l’espérance de vie entrainent un vieillissement de la population. C’est lors de la deuxième phase de la période de transition que s’amorce le vieillissement démographique. En effet au cours de cette deuxième phase, la fécondité diminue, la proportion de moins de 15 ans diminue dans la population, cela correspond à un processus de vieillissement par le bas. La sous fécondité est aujourd’hui généralisée dans les pays occidentaux. Mais les étapes suivantes de la transition démographique accentuent ce phénomène de vieillissement, cette fois-ci essentiellement grâce au recul de la mortalité qui accroît la part des plus de 60 ans (on parle alors de vieillissement par le haut). La sous fécondité et l’allongement de l’espérance de vie se traduisent par une accélération du vieillissement (et ce d’autant plus que le solde migratoire est faible). A l’horizon 2100, à l’échelle mondiale, la part des plus de 80 ans pourrait dépasser celle des moins de 20 ans.
Le Japon est aujourd’hui le pays le plus marqué par ce phénomène de vieillissement : les plus de 65 ans représentent 34,3% de la population et l’âge médian y est de 48,4 ans. L’Europe et les Etats Unis voient ce processus prendre de l’ampleur, en particulier avec l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération nombreuse du baby-boom. Le vieillissement soulève des questions liées au financement des retraites mais aussi des questions portant sur la prise en charge de certaines dépenses médicales ou de la dépendance.
Le dividende démographique
Le dividende démographique (encore appelé bonus ou fenêtre d’opportunité démographique) correspond à une situation où le ratio entre personnes actives et personnes à charge (les moins de 15 ans et les plus de 65 ans) augmente. Cette fenêtre apparaît dans la deuxième phase de la transition démographique. Les individus en âge de travailler disposent donc de plus de ressources que les autres générations et peuvent ainsi investir dans le capital humain de leurs enfants, consommer et épargner. L’Etat doit également moins investir pour les plus jeunes et les plus âgés et peut s’appuyer sur une population active importante. Néanmoins, les offres d’emploi doivent être suffisantes pour permettre d’absorber la hausse des actifs.
- 3/ La transition migratoire : la transition démographique contribue à une inversion des flux migratoires. Alors que l’Europe et le Japon étaient des terres d’émigration, elles tendent à devenir des terres d’immigration. Néanmoins tous les Etats n’ont pas les mêmes degrés d’ouverture au monde et donc ces tendances peuvent être très différentes d’un pays à l’autre.
3. Les régularités sociales
Les plus démunis ont une espérance de vie inférieure aux plus favorisés, cet écart est particulièrement marqué dans les pays en développement où les fractions les plus favorisées ont accès aux progrès de la médecine mais où les plus démunis vivent à l’écart de ces avancées.
On peut souligner également que les hommes sont plus touchés par les inégalités sociales que les femmes : les écarts d’espérance de vie selon l’origine sociale sont deux fois plus élevés en France entre les hommes qu’entre les femmes.
Par ailleurs, il y a bien un lien entre revenu et fécondité, mais celui-ci varie avec le niveau de développement. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles, c’est le raisonnement de Malthus qui prévaut : la hausse du revenu conduit à accroitre la fécondité (Malthus était partisan de la suppression de la loi sur les pauvres car selon lui les aides distribuées par l’Etat aux pauvres leur permettaient de nourrir un plus grand nombre d’enfants et donc les incitaient à procréer) , alors que dans les société plus modernes, la croissance et l’augmentation du niveau de vie qui l’accompagne, tendent à limiter les naissances.
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Trop ou pas assez nombreux ?
Deux théories s’opposent : le stagnationnisme et le néomalthusianisme.
Pour A. H. Hansen, dans les années 1930, le ralentissement de la croissance de la population diminue les occasions d’investir et donc crée chômage et dépression. C’est donc la thèse stagnationniste qui souligne que l’absence de croissance démographique pénalise la croissance économique. Ester Boserup s’inscrit également dans cette même ligne avec sa thèse de la pression créatrice qu’elle met en évidence dans son ouvrage Evolution agraire et pression démographique (1965). Avec cette thèse, elle réfute la proposition de Malthus selon laquelle les méthodes agraires imposaient la taille de la population (la quantité de nourriture disponible détermine une taille de population), Boserup démontre que c’est au contraire la pression démographique qui pousse à l’innovation des techniques agricoles. La quantité de nourriture disponible peut ainsi s’adapter à la taille de la population.
Jean Claude Chesnais montre que si la croissance de la population présente des charges lourdes pour les familles et les collectivités publiques, la densification de la population présente également des avantages économiques : elle permet tout d’abord une intensification des techniques productives (comme Boserup l’a montré avec le cas de l’Inde), elle rentabilise des projets d’investissement grâce à l’augmentation de la taille du marché, elle accroît la valeur du capital foncier et immobilier (ce qui permet l’apparition de rente favorable à l’accumulation primitive du capital nécessaire au démarrage économique), enfin elle permet de mettre en place une division du travail.
En revanche le néomalthusinisme reprend les thèses de Malthus.
Les thèses de Thomas Robert Malthus sont exposées dans Essai sur le principe de population dès 1798 et soulignent que ce sont des lois naturelles qui permettent de comprendre l’écart entre le rythme de croissance de la population et le rythme de croissance de la production. La production agricole est soumise à la loi des rendements marginaux décroissants mise en évidence par Turgot, la production agricole croît donc selon une progression arithmétique. En revanche la croissance de la population résulte de « la passion réciproque entre les sexes », pour reprendre l’expression de Malthus, qui conduit à une croissance selon une progression géométrique de la population. « Ainsi au grand banquet de la nature », il n’y a pas de couverts pour tous les convives…
Pour remédier à cette situation, Malthus proposait deux solutions : la contrainte morale qui correspond à une limitation volontaire des naissances par la chasteté et les mariages tardifs. Les individus ne doivent procréer que s’ils peuvent subvenir à l’éducation de leurs enfants. Malthus préconise également la suppression de l’aide aux pauvres qui ne résout pas selon lui l’insuffisance des denrées alimentaires mais entretient les pauvres dans la pauvreté.
Le malthusianisme correspond à une volonté de limiter la croissance de la population. Le néomalthusianisme s’est affirmé après la Seconde guerre mondiale, face à la croissance de la population (en particulier dans les pays en développement). Le recours aux méthodes de contraception, au planning familial, à l’instruction, voire à la légalisation de l’avortement sont aujourd’hui les méthodes mobilisées pour lutter contre la croissance de la population.
Dans les années 1950, le modèle Coale-Hoover s’appuie sur le cas indien pour montrer que l’explosion démographique constitue un frein au développement économique et maintient le pays dans le sous développement ; ce modèle met en évidence une relation inverse entre taux d’épargne et fécondité. Ces thèses de l’excès de population sont encore reprises aujourd’hui car la question de l’insuffisance des denrées alimentaires face à la pression démographique n’a pas encore disparu. La question écologique ajoute une préoccupation supplémentaire comme le montrent les travaux du rapport Meadows appuyés par le Club de Rome en 1972 : la croissance de la population face à des ressources limitées conduit à une catastrophe écologique.
2. Le rôle de l’Etat
Les Etats mettent en place des politiques de contrôle de la natalité, soit pour chercher à réduire la natalité, soit, au contraire, pour chercher à la solliciter.
Pour soutenir la natalité, l’Etat vise à limiter le poids du coût de l’enfant supporté par les familles soit par des allocations familiales, des allocations logements, des incitations fiscales mais aussi par la facilité de la prise en charge de la garde d’enfants…Si les pays peuvent avoir intérêt à réduire leur natalité pour déduire leurs charges (c’est la fenêtre d’opportunité démographique) celle ci se referme à plus long terme lorsque ces générations déficitaires arrivent aux âges productifs. Trois pays ont déjà mené des politiques d’incitation (donc non coercitives) en faveur de la natalité qui se sont avérées efficaces : la France des années 1940 et 1950, l’Allemagne de l’Est de 1976 à 1989 et la Suède depuis 1983.
Les données révèlent que l’immigration ne peut constituer une solution à la baisse de la natalité car les immigrés tendent à adopter assez rapidement les comportements démographiques des autochtones et diminuent également leur progéniture.
Selon Chesnais, le dynamisme démographique ne peut être créé qu’en couplant une politique nataliste et une politique migratoire ouverte mais sélective.
Pour limiter les naissances, les Etats peuvent promouvoir l’accès à l’éducation, à la contraception, voire à l’interruption volontaire de grossesse, et à la stérilisation forcée (En 1952, l’Inde promeut la stérilisation et l’applique de force entre 1975 et 1977). Des mesures portant sur l’âge au mariage et/ ou le nombre d’enfants peuvent également être mises en place. Certains avantages peuvent être réservés aux familles peu nombreuses.
La Chine a mis en place un programme de contrôle des naissances dès 1971 qui reposait sur le recul de l’âge au mariage, l’espacement des naissances et la limitation du nombre d’enfants, ce contrôle des naissances est renforcé en 1979 par la politique de l’enfant unique (jusqu’en 2016).
Le mode de vie correspond à l’ensemble de manières de vivre et des habitudes de consommation propres à un individu ou, plus généralement à un groupe social. Pour appréhender les transformations des modes de vie depuis le XIXe siècle, il faut faire la synthèse de l’ensemble des éléments évoqués dans le chapitre.
Les gains de productivité et le recul de la fécondité ont permis d’accroitre le niveau de vie des individus. Cette amélioration du niveau de vie, conduit, conformément à la loi d’Engel, à une modification de la structure des dépenses : en particulier, la part des dépenses alimentaires recule au profit de l’augmentation d’autres postes budgétaires.
Les gains de productivité et l’évolution de la demande engendrent également une évolution sectorielle (loi du déversement) et une évolution des groupes sociaux : ainsi peu à peu la part des agriculteurs diminue d’abord au profit des ouvriers, puis d’autres groupes sociaux. Ces modifications de la structure sociale ont pour effet inévitablement des modifications des modes de vie.
La massification scolaire modifie également les comportements de consommation et les modes de vie. La salarisation, l’augmentation du taux d’activité des femmes sont à l’origine des changements considérables dans l’organisation de la vie quotidienne.
La période des trente glorieuses fait entrer les pays occidentaux dans l’ère de la consommation de masse qui correspond au fait que les individus consomment au delà de leurs besoins.
Néanmoins ces grandes tendances ne doivent pas occulter que la société, malgré ces changements demeure hiérarchisée. Les sociétés contemporaines sont des sociétés de classe qui produisent de la différenciation, voire des inégalités. Différenciation en matière de consommation, de pratiques culturelles et de loisirs mais aussi d’habitat (on peut évoquer ici à la fois le confort intérieur des logements, l’espace disponible mais aussi la ségrégation géographique). Pierre Bourdieu, dans la lignée des travaux de Edmond Goblot, Thorstein Veblen et Maurice Halbwachs souligne que la consommation est une institution de classe. Des logiques d’imitation et de distinction apparaissent entre les groupes sociaux. L’opposition entre les « goûts de luxe » et les « goûts de nécessité » résulte de l’habitus de claque classe sociale. L’homogénéisation des modes de vie n’existe pas.
Pour rendre compte des transformations de la consommation, nous allons nous appuyer sur l’ouvrage de Jean-Claude Daumas, La révolution matérielle, (Flammarion, 2018). Daumas distingue plusieurs périodes de l’évolution de la consommation
1. La période 1840-1885 est marquée par le dualisme entre le luxe et la nécessité.
En 1840 on constate une bipolarisation de la société entre, d’un côté une minorité riche qui consomme des produits et des services de luxe et d’un autre côté, la masse de la population qui n’achète que peu de produits manufacturés, faute de pouvoir d’achat. Cette situation évolue au cours de cette première période de prospérité grâce à la hausse des niveaux de vie. Les changements de consommation sont quantitatifs et qualitatifs comme l’illustre la consommation alimentaire : on constate à la fois une diversification de l’alimentation et une hausse importante du nombre de calories. La part de l’alimentation diminue dans le budget des ménages (cf. lois d’Engel) et cela libère du pouvoir d’achat pour de nouveaux produits. Le pain du boulanger remplace le pain produit de manière personnelle, les miroirs, les horloges, les vêtements de confection se diffusent. Les baignoires demeurent réservées à une élite. L’industrialisation favorise l’apparition de produits d’imitation de l’aristocratie, accessibles à d’autres pans de la société.
Les passages couverts (dès la fin du XVIIIème siècle) et les magasins de nouveauté (plutôt autour de 1840) préfigurent les grands magasins qui apparaissent sous le second Empire. Les grands magasins étoffent peu à peu la gamme de leurs produits et leur superficie. Ces grands magasins s’adressent plutôt à une clientèle bourgeoise qui peut ainsi acquérir des objets de consommation courante ou de demi luxe. Le grand magasin, n’est pas qu’un lieu de consommation, mais aussi, pour prendre les termes de Jean Pierre Daumas, de « récréation et de sociabilité », en effet les grands magasins deviennent également des lieux de culture et de divertissement par l’organisation d’expositions et de concerts. Les grands magasins sont essentiellement parisiens (le premier d’entre eux est le « Bon Marché ») mais en province, les boutiques se modernisent également.
Pour compléter le tableau de cette première période, on peut affiner l’analyse en prenant en compte les différents groupes sociaux :
Les immeubles haussmannien offrent à la bourgeoisie un cadre de vie confortable et prestigieux. Les appartements sont lumineux et fonctionnels grâce au raccordement aux réseaux d’eau et de gaz (qui permettent des salles de bains). Le nombre de domestiques est fortement corrélé au niveau de la fortune. La fabrication de vêtements en série et par taille modifie l’habillement, mais là encore seule une minorité peut y prétendre au XIXe siècle.
Sur cette période située entre 1840 et 1880, la classe ouvrière s’étoffe, se diversifie, son niveau de vie s’élève et permet l’accès à certains de biens de consommation, néanmoins, la misère ne disparaît pas. Paul Leroy-Baulieu, dans Essai sur la répartition des richesses (1881), cité par jean Pierre Daumas souligne que les ouvriers bénéficient d’un « accroissement de bien être matériel sous la triple forme d’une nourriture plus « substantielle et plus variée », d’un logement « plus propre et plus spacieux », de vêtements et de meubles, « plus confortables et plus dignes » ». Conformément à la loi d’Engel, la part du budget allouée à la nourriture diminue. Si les salaires progressent, il faut souligner que les ouvriers continuent de vivre dans l’incertitude et la fragilité du fait de l’irrégularité du travail et de l’absence de protection sociale. Seule la fraction la plus favorisée de la classe ouvrière peut améliorer son quotidien Certains parviennent à accroître la consommation de biens manufacturés. Les rations alimentaires se modifient, la ration de pain diminue au profit de l’augmentation de la viande, du poisson et des fruits et légumes. Le logement ouvrier est très hétérogène, certains vivent dans des taudis alors que d’autres accèdent à de petites maisons dans des cités ouvrières. Le paternalisme de certains entrepreneurs permet d’améliorer le sort des ouvriers dans certains lieux (par exemple Schneider au Creusot). L’habillement des ouvriers subit encore nettement les influences paysannes. Les vêtements sont simples et la garde robe réduite. Ceux qui ont les salaires les plus élevés parviennent à acquérir des vêtements du dimanche plus habillés.
Les paysans voient également leur niveau de vie s’améliorer puisque les franges les plus pauvres connaissent l’exode. Néanmoins, cette amélioration des revenus est encore souvent mobilisée pour acquérir de nouvelles terres plutôt que pour améliorer la consommation. L’alimentation s’améliore d’un point de vue quantitatif et qualitatif grâce à l’accroissement de la production agricole et à l’autoconsommation. Pour l’habillement, là aussi, il s’agit essentiellement d’autoproduction ou du recours au marché.
2. 1885-1914 : la belle époque de la consommation
Si aux Etats Unis on parle à cette époque de consommation de masse, ce n’est pas le cas en France. Néanmoins des changements apparaissent dans la structure sociale avec la baisse de la part des paysans au profit surtout des ouvriers.
Sur la période considérée, toutes les classes parviennent à accroitre leur consommation, mais on est encore loin de l’uniformisation.
La bourgeoisie profite de cette période pour accroitre son bien-être: l’eau courante pénètre dans les foyers et apporte un confort grandissant, mais demeure réservée aux plus privilégiés. La consommation est dominée par la volonté d’affirmer son rang et de paraitre.
Petit à petit les normes d’hygiène évoluent et les équipements sanitaires font peu à peu partie des logements. L’électrification des logements ne concerne en revanche que les plus riches compte tenu du coût encore assez élevé de l’installation et de la consommation électrique au début du XXe siècle. Le téléphone demeure lui aussi, au début du XXe siècle, le fait d’une minorité privilégiée.
Les grands magasins voient leurs chiffres d’affaires croître de manière importante. Les ménages bourgeois acquièrent des bicyclettes. Celles ci se démocratiseront à partir de 1890 et la bourgeoisie les délaissera alors pour adopter l’automobile. Les bicyclettes permettent ainsi de modifier les tenues vestimentaires des femmes qui, elles aussi, sont des adeptes de la petite reine. Les premiers clients automobiles font au départ parti des plus favorisés (les grands propriétaires fonciers, les industriels, les banquiers et les négociants fortunés), l’automobile étant onéreuse tant à l’achat qu’à l’usage. Les classes moyennes souhaitent ardemment acquérir, elles aussi, une automobile.
Les classes moyennes imitent le mode de vie de la bourgeoisie, guidées par les grands magasins qui diffusent à des prix plus abordables les objets jusque là réservés à la bourgeoise. Le développement des magasins de vente à crédit permet aussi aux classes moyennes d’imiter les standards de la consommation bourgeoise.
Dans les années 1900, les ouvriers consomment davantage grâce à la hausse du pouvoir d’achat liée au travail féminin et à l’autoproduction. De plus le chômage est moins fréquent et plus bref sur cette période. Enfin, les entreprises offrent à leurs salariés des œuvres sociales (il s’agit d’un budget que l’entreprise offre aux salariés pour financer leurs activité culturelles et de loisirs) leur assurant davantage de sécurité. Du point de vue alimentaire cette hausse du pouvoir d’achat permet d’augmenter les rations et d’accroître la qualité des produits consommés. Néanmoins il subsiste une grande hétérogénéité entre les ménages ouvriers. Grâce à l’industrie de la confection et aux grands magasins populaires, les vêtements des ouvriers gagnent en qualité et en diversité. Néanmoins c’est souvent sur le marché de l’occasion que se fournissent les ouvriers, que ce soit pour l’habillement ou pour le mobilier. Le recours au crédit permet également de faciliter la consommation. Si les ouvriers parviennent également à améliorer le confort de leur logement, l’accès à la propriété est le fait d’une minorité. Les cafés concerts et les cinémas octroient de nouveaux loisirs aux ouvriers surtout en fin de semaine.
Les campagnes connaissent, elles aussi, de profondes mutations liées à leur enrichissement et à leur ouverture aux échanges issue des progrès du transport. L’école et l’armée via la conscription, favorisent le brassage des populations et diffusent les modes de vie urbain, les normes hygiéniques et alimentaires. Dès la fin du siècle, les paysans sont habillés comme le reste de la population. Les diffusions ne sont toutefois pas uniformes et demeurent très inégales dans les différentes couches de la paysannerie.
3. L’entre-deux-guerres
Les revenus du travail progressent mais de manière trop irrégulière pour ancrer l’élargissement de la demande de biens de consommation. De plus la paysannerie qui perçoit une faible part du revenu national représente encore une grande part de la population.
Le premier salon des arts ménagers qui se tient en 1923 connaît un vif succès : Les visiteurs s’y extasient devant certains produits : la machine à laver par exemple. Le réfrigérateur apparaît en 1926, d’autres appareils : fer à repasser, cafetière, bouilloire… séduisent les consommateurs les plus fortunés dans un premier temps. Le crédit à la consommation est dans les années 1920 moins développé en France que dans d’autres pays occidentaux, mais il est mobilisé pour l’achat d’automobiles et d’équipements électroménagers. Par ailleurs les grands magasins imitent les Américains en proposant des magasins à prix unique (magasins qui vendent des produits avec deux types de prix par exemple) visant à attirer une clientèle plus populaire.
La bourgeoisie continue de se distinguer des autres milieux sociaux par son aisance mais quitte peu à peu son mode de vie du XIXe siècle comme en témoigne la diminution du nombre de domestiques.
Dans l’entre-deux-guerres l’électrification progresse mais les campagnes demeurent à l’écart de ce progrès. Les publicités promeuvent les appareils électroménagers électriques. Seuls les petits appareils produits en série et à bas prix sont vendus en grande quantité, par exemple le moulin à légumes inventé en 1932 par Jean Mantelet, est vendu à plus de trois millions d’exemplaires en 1938. Après la guerre, on passe de « l’automobile pour quelques uns » à « l’automobile pour les classes moyennes » grâce à la hausse des revenus, à la baisse des prix et au développement du marché de l’occasion. Néanmoins la voiture demeure encore trop chère pour une large fraction des classes moyennes, de nombreux ruraux et les ouvriers, qui se contentent de Solex ou de mobylettes. Il n’y a pas encore de voitures populaires. La radio se diffuse beaucoup plus rapidement et plus largement puisqu’une partie des classes populaires rurales et urbaines possède un poste.
La part des ouvriers augmente de manière importante même si la crise de 1929 se traduit à court terme par un recul de la part des ouvriers dans la population active. Le pouvoir d’achat des ouvriers est globalement croissant sur cette période, mais le chômage est également important après la crise de 1929. Le budget ouvrier poursuit son évolution comme en témoigne les travaux de Maurice Halbwachs qui soulignent que la part des dépenses alimentaires poursuit sa décrue au profit des dépenses d’hygiène et de confort et l’augmentation de la part des dépenses diverses. Le nombre d’enfants à charge explique en grande partie les inégalités de niveau de vie des ouvriers. La consommation diverse se porte sur les services de coiffure (les femmes souhaitent, dans les années 1920, adopter la coupe à la garçonne) et les romans populaires. Les congés payés obtenus en 1936 permettent rarement aux ouvriers de partir en vacances. Les vacances, c’est rester à la maison et ne pas travailler. Les gains salariaux issus des accords Matignon permettent un rattrapage en termes de salaires et donc l’amélioration de la nourriture et l’acquisition de vêtements et biens durables. Les logements ouvriers sont encore très souvent exigus et insalubres, même à Paris.
Au cours de cette période les paysans bénéficient plutôt d’un accroissement de leurs ressources. Ils vivent encore essentiellement de l’autoconsommation, même si certaines pratiques changent : on constate une augmentation de la consommation de pain blanc, de légumes en conserves, de poissons, de viandes, d’articles achetés à l’épicerie (café, chocolat, pâtes, riz…). Les plus riches agriculteurs acquièrent une automobile.
4. Les trente glorieuses et la société de consommation
Au lendemain de la guerre, les difficultés sont réelles, l’amélioration des conditions de vie ne se fait qu’au début des années 50.
« Exprimée en francs constants, la consommation des Français double une première fois entre 1948 et 1960 et une seconde entre 1960 et 1973, c’est au cours de cette période que l’on entre dans la société de consommation ».
Cela est rendu possible à la fois par des évolutions du côté de l’offre et du côté de la demande.
C’est tout d’abord la progression salariale, liée aux gains de productivité qui favorise la demande. La mise en place du salaire minimum en 1950, la mensualisation qui se diffuse à la fin des années 60, stabilise les revenus et enfin les prestations sociales réduisent les inégalités et garantissent les revenus même en cas de difficulté. Cela correspond au développement de ce que Robert Castel appelle « la société salariale » (les salariés représentent 65,6% de la population active en 1954 et 83% en 1975), la mobilité sociale est forte grâce à l’accroissement de l’éducation. Le crédit permet de faciliter l’accession à la propriété mais aussi la consommation de biens d’équipements (automobiles, électroménagers…). Une certaine fascination pour l’American way of life contribue à diffuser le mode de vie américain mais suscite également un anti américanisme cristallisé autour de la lutte contre l’arrivée de Coca-Cola en 1949 en France. L’acculturation se fait donc par sélection et adaptation. En 1949, la réouverture du Salon des arts ménagers réveille le goût des Français pour l’amélioration de leur confort. En 1950, de nombreux commerces, surtout dans les petites villes ne sont pas spécialisés. Le premier libre service apparaît à Paris en 1948 et Edouard Leclerc lance le magasin discount en 1951, les supermarchés naissent en France à la fin des années 1950, les hypermarchés (réunion de l’alimentaire et du non alimentaire) en 1963, les prix baissent grâce aux économies d’échelle.
La part des dépenses alimentaires poursuit sa baisse dans le budget des ménages, le prêt à porter permet également la baisse de la part du budget consacrée à l’habillement. Le pouvoir d’achat ainsi libéré est consacré au logement et à l’équipement du logement. La construction des grands ensembles périurbains et la hausse de la construction de maisons individuelles entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1970 permettent aux ménages de se loger plus facilement. Ces nouveaux logements sont plus spacieux et mieux équipés (eau courante, WC, salles de bains, chauffage central…). C’est la généralisation de la séparation entre lieu de résidence et lieu de travail. Certains équipements progressent rapidement : machine à laver, réfrigérateur et télévision : 70,7% des ménages français possèdent ces trois équipements en 1983. Le taux d’équipement en automobile progresse également : 70% en 1981. La 4 CV Renault et la 2 CV Citroën sont de vrais succès populaires, produites en masse de manière standardisée, même si de nombreux modèles permettent à chacun de choisir le véhicule qui lui convient.
La part des dépenses de consommation et de loisir progresse (6,3% en 1949 et 8,6% en 1974), c’est tout d’abord la diffusion de la télévision qui propose initialement un unique programme. Le taux de départ en vacances progresse également de manière significative : de 30% en 1951 il passe à 58,6% en 1981. Malgré ces progrès, des poches de pauvreté subsistent, en particulier parmi les plus âgés qui ne peuvent encore bénéficier d’une retraite à taux plain de la protection sociale, mais aussi des petits commerçants, petits paysans, travailleurs pauvres et les immigrés. Nombreux sont ceux qui soulignent les inégalités et les aspects négatifs de la société de consommation.
En 1954, seuls 7,5% des ménages possèdent un réfrigérateur, 8,4% une machine à laver et 1% un téléviseur. En 1960, c’est 26,7 % des ménages qui possèdent un réfrigérateur, 24,8% une machine à laver et 13,6% un téléviseur. En 1970, 79,5% des ménages possèdent un réfrigérateur, 56,7% une machine à laver et 69,5% une télévision. La diffusion de ces biens d’équipement demeure suspendue à l’extension de certains réseaux de gaz, d’électricité, et d’eau qui ne s’étendent véritablement qu’après 1950.
Dans le domaine alimentaire on constate l’apparition de nouvelles techniques de conditionnement qui modifient les pratiques : les boites de conserve, les produits déshydratés (1953), les produits surgelés (1963). L’apparition des plats préparés à la fin des années 60 marque l’entrée dans l’ère de l’alimentation industrielle. Ces différents éléments ont contribué à décharger les femmes de certaines tâches ingrates et répétitives, mais le partage des tâches demeure toujours inégalitaire.
Le comportement de consommation des classes moyennes pendant les trente glorieuses se distingue de celui des ouvriers et des paysans. Néanmoins des distinctions se maintiennent au sein des classes moyennes en fonction du niveau de diplôme et de la part du capital culturel et du capital économique (les écarts de revenu pouvant être assez importants). Ces distinctions se manifestent tant dans les pratiques alimentaires (cf. La distinction (1979) de Pierre Bourdieu où il oppose le « franc manger populaire » et le « souci de manger dans les formes des catégories favorisées ») que dans les pratiques vestimentaires (même si à partir des années 50, le blue-jean se diffuse dans toutes les couches de la société, mais n’est pas porté de le même façon). On peut souligner pour les femmes, la diffusion du port du pantalon à partir des années 1950 et de la mini jupe créée au milieu des années 1960 (par Courrèges ou Mary Quant, on ne saurait répondre à cette difficile question !). En ce qui concerne l’habitat, une grande partie des classes moyennes vit en HLM, mais une minorité acquiert un pavillon ou un appartement cossu (par exemple en banlieue parisienne).
En ce qui concerne la culture, si les cadres supérieurs sont les plus nombreux à adopter une pratique culturelle légitime (pour Bourdieu les pratiques culturelles légitimes sont en fait celle qui sont imposées par les classes supérieures au reste de la société qui les reconnait comme légitimes), celles-ci ne sont néanmoins pas majoritaires parmi les cadres supérieurs. Ceux-ci adoptent de plus en plus un certain éclectisme culturel.
La classe ouvrière poursuit son expansion quantitative pour atteindre son apogée en 1975 (37,2% des actifs). Le salaire ouvrier moyen est multiplié par trois entre 1950 et 1980 mais l’écart avec les autres salariés se maintient. Après la Seconde guerre mondiale, c’est encore 58,2% du budget des ménages qui est consacré à l’alimentation où la viande et le vin occupent une place de choix. Les logements ouvriers sont souvent surpeuplés et manquent encore du confort élémentaire. Dans les années 60, les conditions de vie des ouvriers s’améliorent et le débat sur l’embourgeoisement de la classe ouvrière se développe. Certains sociologues y voient là un signe de disparition des classes sociales, mais d’autres et en particulier John Goldthorpe souligne que si les « ouvriers de l’abondance » aspirent à l’amélioration de leurs conditions de vie, ils n’adoptent pas pour autant le style vie des classes moyennes : on ne trouve pas chez les ouvriers les aspirations de mobilité ascendante des classes moyennes.
La consommation des ouvriers conserve donc ses spécificités en termes de pratiques alimentaires, de pratiques vestimentaires…ces écarts ne s’expliquent pas seulement par des écarts de revenu mais également par des rapports au corps, aux normes sanitaires différents. De nombreux ouvriers sont logés dans les grands ensembles qui leur offrent au début des années 60 le confort (eau courante, douche, chauffage central…). Très vite les critiques apparaissent sur ces logements qui se dégradent vite, qui sont bruyants et qui sont éloignés du centre. Certains préfèrent donc l’accès à la propriété mais celui ci n’est possible qu’au prix d’un endettement qui étrangle le budget des ménages. Les ménages ouvriers équipent également leur logement et au milieu des années 70, la très grande majorité des ménages ouvriers possède un réfrigérateur, un lave linge et une télévision. 80,4% des ménages ouvriers ont une automobile en 1976, même si celle-ci est souvent d’occasion et d’un modèle populaire. Les ménages qui s’en sortent le mieux financièrement sont ceux qui ont moins d’enfants et deux salaires. La télévision devient le loisir majoritaire de la classe ouvrière, « l’invité permanent » pour reprendre les termes d’Olivier Masclet. La culture ouvrière ne disparaît pas mais elle se transforme au cours des trente glorieuses. La classe ouvrière n’est pas homogène et des écarts importants existent entre les ouvriers qualifiés et les ouvriers spécialisés, écarts tout d’abord en termes de qualification et de revenus.
Les paysans représentent encore 36% des actifs en 1950, ils vivent encore dans une grande pauvreté mais la période des trente glorieuses va leur permettre d’accéder au bien être. Leur mode de vie est singulièrement modifié, ils accèdent enfin au confort dans l’équipement de la maison.
Derrière l’apparente uniformatisation de la consommation mise en évidence par Henri Mendras avec les exemples du barbecue et du jean se maintiennent en réalité des pratiques très différentes selon la PCS.
5. Consommer dans la France d’aujourd’hui
La consommation a connu un premier ralentissement important après le premier choc pétrolier puis un second avec la crise de 2008. Le poids des dépenses pré-engagées (selon l’Insee, les dépenses pré-engagées représentent l’ensemble des dépenses des ménages réalisées dans le cadre d’un contrat difficilement renégociables à court terme (logement, eau, gaz, électricité, frais de communication, cantine, télévision, assurance, servies financiers)) augmente et représente près de 34% des dépenses des ménages en 2015. La consommation de masse n’a pas disparu mais s’adapte à la volonté de différenciation des ménages et à la prise en compte des enjeux environnementaux de la consommation.
La société salariale s’effrite à partir des années 1970 : le chômage, le sous-emploi et les emplois précaires augmentent. Le tournant de la rigueur adopté par le gouvernement en 1983 se traduit par une désindexation des salaires et donc un ralentissement important de la progression des salaires. Les inégalités se creusent. Les entreprises s’adaptent à cette évolution et proposent un renouvellement et une variété de produits accélérés. Robert Rochefort parle de « consommation de masse personnalisée » (Le consommateur entrepreneur, 1997). De nouveaux produits apparaissent : magnétoscope, caméscope, téléphone sans fil, puis téléphone mobile, ordinateurs, consoles de jeu…ces nouveaux produits se diffusent assez rapidement. Néanmoins les inégalités sociales en matière de consommation subsistent et se manifestent aujourd’hui surtout autour des dépenses d’équipement et d’entretien du foyer et des services (santé, loisirs et culture, restaurants et hôtels, éducation, services domestiques), réservées aux cadres et professions intellectuelles supérieures.
Alors que la partie inférieure des classes moyennes éprouve de plus en plus difficulté à accéder à la propriété, les classes moyennes supérieures, surtout dotées en capital culturel, s’installent dans d’anciens quartiers populaires, c’est le processus de gentrification. Les conditions de logement des classes populaires se sont nettement améliorées mais les ménages populaires disposent toujours de logements moins spacieux et leur accès la propriété diminue. Encore très présents dans les logements sociaux et les grands ensembles, les ménages populaires sont de plus en plus nombreux à se tourner vers des zones géographiques périurbaines ou rurales, plus éloignées mais plus accessibles en termes de prix. Les pratiques culturelles demeurent très marquées socialement même si l’éclectisme se diffuse parmi les classes favorisées, les classes populaires consomment essentiellement des produits culturels de masse proposés par les industries culturelles. La télévision demeure le loisir de prédilection des classes populaires.
La prise de conscience des excès de la société de consommation conduit certains consommateurs à changer de comportement : les pratiques sont variées et vont de l’autoproduction, au covoiturage, à l’achat mutualisé, à l’achat en circuit court…La motivation demeure encore essentiellement financière, même si