Les oligopoles aimeraient atteindre la situation de monopole, c’est pourquoi, les firmes oligopolistiques ont intérêt à former des ententes, mais cela requiert une coopération parfois difficile à maintenir.
Le dilemme du prisonnier nous permet de comprendre les stratégies qui peuvent être mises en place par les entreprises dans ce cas de figure. Le dilemme montre que si chaque entreprise prend sa décision indépendamment des autres et essaie de satisfaire son intérêt individuel, la situation s’éloigne du résultat le plus favorable pour l’ensemble. Dans le cas de deux entreprises ayant la possibilité de maintenir des prix élevés ou de les baisser, le dilemme du prisonnier montre que chaque entreprise aura intérêt à baisser son prix, au détriment de leurs profits respectifs. Autrement dit, les intérêts individuels de chaque entreprise s’opposent à leur intérêt collectif. Dans un contexte où la communication est possible et où l’on répète le jeu de décisions stratégiques, la menace d’une rétorsion peut inciter les firmes à respecter l’accord et à former des ententes durables pour éviter une guerre des prix qui ruinerait les perspectives de profits.
Documents et exercices
Document 1. Comment les oligopoles exercent-ils un pouvoir de marché ?
1-Les caractéristiques des oligopoles
Le [marché de la lessive] est un […] exemple de situation de concurrence imparfaite, car il est dominé par un très petit nombre de très grandes firmes. Ce type de marché imparfait s’appelle un oligopole- la concurrence de quelques-uns. Il peut y avoir des milliers de firmes sur un marché oligopolistique, mais les ventes sont dominées par quelques-unes d’entre elles seulement. On dit que le marché est concentré. Le taux de concentration indique la part dominée par un nombre de firmes donné. Si le taux de concentration pour deux firmes est égal à 90, cela signifie que 2 firmes se partagent 90 pourcents sur le marché. Un taux de concentration pour 5 firmes égale à 75 signifie que 5 firmes se partagent 75 pourcents des ventes. Moins il y a de concurrents sur un marché, moins il y a de concurrence sur ce marché et les interactions stratégiques entre les firmes de l’oligopole sont d’importance vitale. L’action de l’une peut avoir des répercussions sur le profit des autres. […]
La différenciation
Les firmes sur un marché oligopolistique vendent des produits similaires mais cherchent à se différencier d’une manière ou d’une autre. Des firmes comme Procter & Gamble fabriquent des lessives telles que Ariel, Gamma, Dash2en1. Ces produits ont tous la même fonction, laver le linge, cependant ils sont déclinés sous des formes multiples : liquide, poudre, tablettes, avec ou sans détachant, avec ou sans adoucissant… Procter & Gamble procède de la sorte pour satisfaire les besoins de différents types de consommateurs sur différents segments de marchés et pour capter des parts de marché de ses concurrents. .Un segment de marché correspond à la manière dont une firme regroupe ses consommateurs par type de comportement d’achat, sur la base de critères tels que l’âge, la culture, le genre, le revenu, la situation, les aspirations et les intérêts, les profils, etc […]
L’interdépendance
Comme les marchés oligopolistiques sont dominés par quelques grandes firmes, on dit qu’ils sont interdépendants. Cela signifie que les actions d’une firme ont une influence sur les autres et que chaque firme peut décider de réagir-ou non- aux décisions des autres. […] Le résultat de ces interdépendances est que des tensions peuvent apparaître entre firmes, qui hésitent entre coopération et poursuite de leur propre intérêt. Le groupe de firmes en oligopole gagne à coopérer et à se comporter comme un monopole – en produisant une petite quantité de bien et en fixant un prix au-dessus du coût marginal.
Gregory N. Mankiw, Mark P. Taylors, 2018, Principes de l’économie, Traduction de la 3ème édition anglaise par Elise Tosi, De Boeck supérieur
2- Les parts de marché des lessiviers en 2018 en % du chiffre d’affaires total du marché
3- Les accords convenus sur les prix entre les producteurs de lessives
Questions :
1. Rappelez ce qu’est un marché oligopolistique.
2. Comment et pourquoi une firme oligopolistique cherche-t-elle à se différencier ?
3. Comment peuvent-elles se comporter en monopole et influencer le prix de vente ?
4. Montrer que le marché des lessiviers est un marché oligopolistique en calculant le taux de concentration de ce marché.
5. Pourquoi et comment les lessiviers se sont-ils entendus sur les prix ?
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Questions :
1. Rappelez ce qu’est un marché oligopolistique.
Réponse : Un marché oligopolistique est un marché ne comprenant que quelques offreurs face à une multitude de demandeurs sur lequel on vend des produits identiques ou différenciés.
2. Comment et pourquoi une firme oligopolistique cherche-t-elles à se différencier ?
Réponse : Une firme oligopolistique cherche à se différencier de ses concurrentes en proposant des produits différenciés de différentes manières : qualité, image de marque, apparence, etc.
3. Comment peuvent-elles se comporter en monopole et influencer le prix de vente ?
Réponse : Les firmes oligopolistiques peuvent nouer des interactions stratégiques en passant des accords sur les prix pour se comporter en monopole faiseur de prix.
4. Montrer que le marché des lessiviers est un marché oligopolistique en calculant le taux de concentration de ce marché.
Réponse : Le marché des lessiviers est un marché oligopolistique car le taux de concentration s’élève à 87%. En effet, 87% des ventes sont effectuées par 3 lessiviers : Procter & Gamble, Unilever, Henkel, les 13% restant sont répartis entre un nombre important d’entreprises mais qui sont négligeables en termes de part de marché et donc de chiffres d’affaires.
5. Pourquoi et comment les lessiviers se sont-ils entendus sur les prix ?
Réponse : Les lessiviers se sont entendus sur les prix en passant un accord sur les écarts de prix entre leurs produits lessives. Chaque firme sait que son profit dépend non seulement de sa production, mais aussi de celle des autres. Lorsqu’une firme décide de son niveau de prix, cela a un effet sur ses ventes mais aussi sur celles des autres, chaque firme doit considérer l’impact que ses décisions auront sur le niveau de vente des autres, pour déterminer ses propres décisions. Les interactions stratégiques sont donc d’importance vitale : si une firme baisse son prix de vente pour augmenter son profit, elle fait perdre des clients à ses concurrentes, qui elles –aussi peuvent décider de baisser leurs prix, ce qui conduirait à une guerre des prix qui peut être ruineuse. D’où la naissance d’une certaine coopération sur les prix sur un marché oligopolistique. L’accord est possible car le marché contient un nombre limité d’offreurs.
Document 2. Le dilemme du prisonnier, un concept pour comprendre les ententes en oligopole
Le dilemme du prisonnier raconte l’histoire de deux criminels qui ont été capturés par la police. Appelons les Brute et Truand. La police a accumulé suffisamment de preuves pour les accuser de détention d’armes illégales, ce qui leur vaudrait une année de prison. La police les soupçonne de plus d’avoir braqué une bijouterie ensemble, mais les preuves restent minces. Brute et Truand sont interrogés séparément par les policiers qui leur font les propositions suivantes :
Nous avons de quoi vous coffrer pour un an. Si vous avouez que vous avez braqué la bijouterie et si vous dénoncez votre complice, on vous disculpe et on vous relâche. Votre complice écopera de 20 ans de prison. Si maintenant, votre complice et vous-même avouez le braquage, nous n’aurons pas besoin de votre témoignage et nous pourrons éviter le coût d’un procès. Par conséquent, vous irez tous les deux en prison pour huit ans.
Source : D’après Gregory N. Mankiw, Mark P. Taylors, 2018, Principes de l’économie, Traduction de la 3ème édition anglaise par Elise Tosi, De Boeck supérieur
Questions :
1. Quelles sont les deux stratégies possibles pour chacun des criminels ?
2. De quoi dépend la peine ?
3. A votre avis, que décidera Brute, criminels sans états d’âme, qui ne se soucie que de son propre sort ? En faisant l’hypothèse qu’aucune communication n’est possible avec Truand et que Truand est lui aussi un criminel sans états d’âme, formulez le raisonnement logique de Brute.
4. De son côté, que va faire Truand, si on considère les mêmes hypothèses ?
5. Finalement, quelle est la seule issue de ce jeu ? Analysez le résultat obtenu.
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1. Quelles sont les deux stratégies possibles pour chacun des criminels ?
Réponse : Avouer ou garder le silence.
2. De quoi dépend la peine ?
Réponse : La peine à laquelle le criminel sera condamné dépend de la stratégie qu’il a choisie et de celle choisie par son complice.
3. A votre avis, que décidera Brute, criminels sans états d’âme, qui ne se soucie que de son propre sort ? En faisant l’hypothèse qu’aucune communication n’est possible avec Truand et que Truand est lui aussi un criminel sans états d’âme, formulez le raisonnement logique de Brute.
Réponse : Je ne sais pas ce que Truand va faire. S’il se tait, le mieux que j’ai à faire, c’est avouer. Je serai libéré et je n’aurai même pas à passer un an en prison. S’il avoue, le mieux que j’ai à faire, c’est d’avouer et je passerai 8 ans en prison au lieu de 20 ans. Quoi que Truand fasse, il vaut mieux que j’avoue. On parle de « stratégie dominante » car il s’agit de la meilleure stratégie pour un joueur, quelle que soit celle poursuivie par les autres joueurs. Avouer est la meilleure stratégie, car il passera moins de temps en prison s’il avoue, que Truand avoue lui aussi ou qu’il se taise.
4. De son côté, que va faire Truand, si on considère les mêmes hypothèses ?
Réponse : Truand est exactement confronté aux mêmes choix que Brute et il raisonne de la même manière. Avouer est une stratégie dominante pour Truand également.
5. Finalement, quelle est la seule issue de ce jeu ? Analysez le résultat obtenu.
Réponse : Les deux ayant intérêt à avouer, avouent, et prenne chacun la même peine de 8 ans d’emprisonnement. Cette situation est défavorable pour les deux, car si tous les deux étaient restés silencieux, leur situation aurait été meilleure, ils n’auraient écopé que d’une année de prison pour détention d’armes. C’est le résultat de la recherche de leur intérêt individuel.
Document 3. Oligopole et dilemme du prisonnier
Quatre producteurs de produits lessives se sont secrètement mis d'accord pendant six ans sur leurs prix et leurs promotions en France sur la période 1997 - 2004. Nous allons nous appuyer sur la théorie des jeux et le dilemme du prisonnier pour étudier le raisonnement de ces firmes qui ont réalisé une entente sur un marché oligopolistique.
Pour simplifier notre analyse, nous ne prendrons que deux firmes : Unilever et Henkel en considérant qu’elles ont conclu un accord sur le prix de vente de leur lessive haut gamme (alignement des prix de la lessive Skip et Le Chat). Voici les différentes situations possibles :
Si les deux maintiennent les prix élevés, elle réalise chacun 5 milliards de gains supplémentaires. Si une seule des deux baisse les prix, elle s’approprie tous les clients de l’autre et empoche le pactole en réalisant un gain de 6 milliards. Enfin, si les deux baissent leurs prix, elles se livrent une guerre des prix qui les pénalise toutes les deux, et gagnent chacune 1 milliard. Les firmes ne communiquent pas entre elles.
Questions :
1. Compléter dans le tableau ci-dessus les gains possibles pour Unilever et Henkel selon les cas.
2. Montrer que pour maximiser leurs gains mutuels les firmes devraient s’entendre sur les prix.
3. Vont-elles néanmoins opter pour la coopération ?
4. A votre avis, que décidera Unilever qui ne se soucie que de son propre profit ? En faisant l’hypothèse qu’aucune communication n’est possible avec Unilever et que Henkel est elle aussi une entreprise qui cherche à maximiser ses propres gains, formulez le raisonnement logique d’Unilever.
5. De son côté, que va faire Henkel, si on considère les mêmes hypothèses ?
6. Analyser le résultat obtenu.
7. Si on admet que le jeu est répété et que la communication est possible, quel sera l’effet de menaces de rétorsion de la part d’Henkel (menace d’une guerre des prix en cas d’accord non respecté) sur le comportement de son concurrent ?
6. La répétition du jeu et les menaces évitent-elles que le jeu soit un dilemme du prisonnier ?
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1. Compléter dans le tableau ci-dessus les gains possibles pour Unilever et Henkel selon les cas.
Réponse
2. Montrer que pour maximiser leurs gains mutuels les firmes devraient s’entendre sur les prix.
Réponse : Maintenir l’entente sur les prix permet aux deux firmes d’éviter la guerre des prix et de réaliser toutes les deux 5 milliards de gains, soit un gain total de 10 milliards, tandis que la guerre des prix ne permettrait qu’un gain de 1 milliard chacune, soit un gain total de 2 milliards.
3. Vont-elles néanmoins opter pour la coopération ?
Réponse : Chacune des firmes peut être tentée de ne pas respecter l’accord en espérant que l’autre la respecte afin de réaliser un gain de 7 milliards en captant la clientèle de l’autre.
4. A votre avis, que décidera Unilever qui ne se soucie que de son propre profit ? En faisant l’hypothèse qu’aucune communication n’est possible avec Unilever et que Henkel est elle aussi une entreprise qui cherche à maximiser ses propres gains, formulez le raisonnement logique d’Unilever.
Réponse : Je ne sais pas ce que Henkel va faire. Si Henkel respecte l’accord, le mieux qu’Unilever a à faire, c’est ne pas respecter l’accord sur les prix. Elle réalisera un gain de 7 milliards libérés. Si Henkel ne respecte pas l’accord, le mieux qu’elle a à faire, c’est de ne pas le respecter non plus et elle réalisera un gain d’un milliard comme elle au lieu de ne rien gagner du tout. Quoi que Henkel fasse, il vaut mieux que ne pas respecter l’accord. C’est la stratégie dominante pour Unilever.
5. De son côté, que va faire Henkel, si on considère les mêmes hypothèses ?
Réponse : Henkel est exactement confronté aux mêmes choix que Unilever et raisonne de la même manière. Ne pas respecter l’accord est une stratégie dominante pour Henkel également.
Exercice 1. Deux entreprises
Deux entreprises se disputent la distribution de pains dans un village isolé. Comme les relations entre les deux distributeurs sont très mauvaises, ils n’ont aucun contact entre eux et chacun fixe unilatéralement le prix du pain, sans connaître à l’avance le prix de l’autre. Voici les profits que chacun prévoit en fonction de ses prix et de ceux de son concurrent :
Questions :
1. A quel prix les deux distributeurs maximiseraient-ils le profit total ?
2. Compte tenu des hypothèses de départ, peut-on s’attendre à ce que les deux distributeurs fixent ce prix ?
3. A quelle condition aurait pu s’établir le prix le plus favorable ?
4. En quoi ce cas illustre le dilemme du prisonnier ?
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1. A quel prix les deux distributeurs maximiseraient-ils le profit total ?
Réponse : Le profit total est maximal pour un prix de 1,4€ le pain. Car le gain total s’élève à 6000€, soit chacun réalise un profit de 3000€.
2. Compte tenu des hypothèses de départ, peut-on s’attendre à ce que les deux distributeurs fixent ce prix ?
Réponse : Les deux distributeurs ne s’entendent pas entre eux, donc chacun va essayer individuellement, de réaliser un profit supérieur à 3000€. En baissant le prix à 1,3€, le profit espéré par le distributeur 1 est de 3400€, tandis que si le distributeur 2 conserve le prix de 1,4€, il perd des clients et réalise un profit de 2450€. Soit un profit total de 5850€ inférieur à 6000€.
3. A quelle condition aurait pu s’établir le prix le plus favorable ?
Réponse : Le prix le plus favorable est celui qui maximiserait le profit total des deux distributeurs, soit un prix de 1,4€. Or, seule une entente sur les prix permettrait d’atteindre le prix le plus favorable aux deux distributeurs.
4. En quoi ce cas illustre le dilemme du prisonnier ?
Réponse : Ce cas illustre bien le dilemme du prisonnier, car il montre une situation dans laquelle chaque acteur a un intérêt individuel à choisir une solution dont la généralisation est contraire à l’intérêt collectif.