Melchior vous propose ce décryptage pédagogique de l’article de Bastien Alvarez, Charlotte Gallezot, Clarisse Hida, Gaëtan Mouilleseaux, « Enseignement des politiques industrielles passées », , Trésor-Eco, n°358, février 2025.

Retrouvez l’article complet :
Présentation de l’article (en se limitant au cas français)
En France, des années 1960 aux années 1980, la politique industrielle a été une politique de « grands projets » visant à favoriser l’émergence de champions nationaux dans le domaine de la haute technologie. Les grands projets constituaient une politique d’innovation dirigée concentrant des moyens scientifiques et techniques et intervenant sur l’ensemble du processus de développement pour faire émerger et industrialiser certaines technologies dans des secteurs jugés essentiels (d’où l’expression de « politiques industrielles verticale » ; voir ci-dessous).
A partir du milieu des années 1980, et en partie à cause d’un contexte de renforcement du cadre de la politique de la concurrence au niveau européen et de la consolidation du cadre du commerce international avec la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC au 01 janvier 1995), un consensus s’est formé pour juger ces politiques verticales coûteuses et inefficaces. Pour beaucoup d’économistes, l’intervention de l’Etat, outre les distorsions de la concurrence qu’elle réalise, peut amener à choisir les mauvais secteurs (du fait de l’absence d’avantage informationnel de la puissance publique) et aussi entraîner un risque de capture par des intérêts particuliers amenant à des situations de rente. Les grands projets sont alors abandonnés et les interventions sectorielles perdent leur composante industrielle pour se focaliser sur la recherche fondamentale et appliquée, en cohérence avec une « horizontalisation » croissante des soutiens publics ainsi qu’une mise en concurrence des champions nationaux.
Et depuis 2010, sous l’effet de différents facteurs (voir l’extrait pour la classe ci-dessous), les politiques industrielles verticales connaissent un retour en grâce et leur mobilisation par les Etats progresse fortement.
Cependant, qu’il s’agisse de politiques verticales ou horizontales, la réussite d’une politique de développement dépend avant tout de quatre facteurs. Le premier facteur est l’importance de débouchés crédibles pour les filières émergentes, reposant soit sur des marchés où l’Etat est le principal acheteur, soit sur une trajectoire de compétitivité à moyen terme. Le deuxième facteur est d’éviter le risque de mauvaises décisions ou de création de rentes en faisant des choix de politique industrielle qui s’appuient sur une concurrence forte, sans privilégier les acteurs économiques les plus influents. Un troisième facteur est l’affichage d’une neutralité technologique : les choix technologiques doivent être repoussés à une phase aval du développement (passage à l’échelle industrielle) et se baser autant que possible sur des critères commerciaux. Enfin, un dernier facteur est de s’appuyer sur un écosystème de recherche, c’est-à-dire un réseau connecté d’acteurs publics et privés, agissant sur un champ allant de la recherche fondamentale à la commercialisation de solutions innovantes.
Le plan France 2030, lancé en 2021 et doté de 54 milliards d’euros, s’il incarne le retour de la politique industrielle verticale en France, a été conçu en tenant compte de ces facteurs de réussite. La distribution des subventions se fait via des appels à projet, ce qui permet de maintenir un certain niveau de concurrence et une certaine neutralité technologique, en mobilisant des experts indépendants. Par ailleurs, une attention particulière est portée au développement de l’écosystème de recherche et d’innovation, avec une enveloppe de 14 milliards d’euros, permettant de soutenir les entreprises de recherche, de transfert technologique et de capital-risque.
Questions :
1) Pourquoi les économistes jugent-ils généralement les politiques verticales inefficaces ?
2) Commentez les différents facteurs de réussite d’une politique industrielle.
3) Peut-on dire que le plan France 2030 tient compte des différents éléments de réussite d’une politique industrielle ?
Les + de l’article :
Faire un retour sur l’histoire de la politique industrielle en France depuis 1960.
S’interroger sur les facteurs de réussite d’une politique industrielle.
Les termes clés :
Politique industrielle : La politique industriellefait partie de la politique économique structurelle, qui est l’ensemble des actions mises en œuvre par les pouvoirs publics pour transformer le système économique afin d’en améliorer le fonctionnement. Ces actions peuvent viser des domaines aussi divers que l’agriculture et l’industrie, l’aménagement du territoire, le secteur de l’énergie, l’éducation et la santé,… Et plus précisément, la politique industrielle se définit comme « un effort concerté, ciblé et conscient de la part du gouvernement pour encourager et promouvoir une industrie ou un secteur spécifique à l’aide d’un ensemble d’outils politiques ». Cette définition, qui est celle de la CNUCED (2019), fait plutôt référence aux politiques industrielles verticales (voir ci-dessous).
Politique industrielle horizontale : La politique industrielle horizontale vise à construire un environnement favorable à l’activité économique, mais sans soutenir une entreprise ou un secteur d’activité en particulier. On attend de cette politique qu’elle construise des écosystèmes favorables à l’innovation (normes communes, standards), qu’elle mette en place des infrastructures, qu’elle construise des lieux d’expérimentation des marchés nouveaux, et qu’elle fasse la promotion d’un système éducatif centré sur l’éducation scientifique (en particulier les mathématiques et l’informatique).
Politique industrielle verticale : La politique industrielle verticale correspond aux mesures de soutien direct (subventions, droits de douane, participation publique au capital d’une entreprise…), ciblant des entreprises ou des secteurs identifiés comme étant prioritaires par la puissance publique. Cette politique a le mérite de la simplicité puisqu’elle désigne un « gagnant », c’est-à-dire une entreprise ou un secteur d’activités en lui accordant le bénéfice de subventions ou de mesures protectionnistes. Mais elle se heurte à des inconvénients majeurs : d’une part elle est distorsive des règles de la concurrence qui peuvent régir le commerce international, et d’autre part son succès est loin d’être garanti, car l’Etat n’est pas omniscient : il ne dispose pas des connaissances nécessaires pour déterminer quelle technologie est porteuse d’avenir.
Le point d’histoire économique : Quelques grands projets industriels français

Questions :
1) Comment expliquer le succès d’Airbus ?
2) A quoi répondait le projet nucléaire français ?
3) Pourquoi le Plan Calcul a-t-il échoué ?
L’extrait pour la classe préparatoire : Les objectifs des politiques industrielles verticales
« Depuis 2010, les politiques industrielles verticales ont connu un retour en grâce et leur mobilisation par les Etats progresse fortement. Le nombre d’interventions nouvelles de politique industrielle affectant le commerce international au niveau mondial est passé de 381 en 2000 à 823 en 2019.
Les crises économiques majeures et internationales qui ont marqué ces vingt dernières années, en particulier la crise financière de 2008 et la crise du Covid en 2020, ont en effet conduit à des politiques de relance actives, qui comprenaient souvent des volets de politique industrielle verticale. En France, elles ont motivé la mise en place du premier programme d’investissement d’avenir en 2009 (35 milliards d’euros) et le plan de relance en 2020 (100 milliards d’euros). Ce dernier contient notamment des volets dédiés aux filières aéronautique et automobile. L’expérience de tensions d’approvisionnements lors de la crise du Covid, notamment sur le matériel médical (médicaments, masques…) et sur les semi-conducteurs a également mis en avant la réduction des dépendances comme objectif de la politique industrielle. Cela a motivé la mise en place de politiques ciblées de relocalisation dans 5 secteurs jugés critiques dans le cadre de la sécurisation des approvisionnements énergétiques (produits de santé, intrants critiques pour l’industrie, électronique, agroalimentaire et télécommunication).
L’entrée de la Chine dans l’OMC en 2000 et l’essor des subventions dans ce pays ont également joué. Le CEPII estime que les aides versées entre 2005 et 2019 atteignaient environ 5% du PIB chinois. L’OCDE souligne particulièrement leur importance dans des filières comme les panneaux photovoltaïques, l’aluminium, les chantiers navals ou les semi-conducteurs.
En 2022, avec l’Inflation Reduction Act (IRA), ce sont les Etats-Unis qui mettent en place des soutiens industriels massifs comprenant des critères de contenu local, donnant à l’industrie locale des avantages par rapport aux produits importés. L’invasion de l’Ukraine par la Russie engendre, au-delà d’une série de sanctions et de mesures de rétorsion qui viennent significativement limiter le commerce entre la Russie et les pays occidentaux, un accroissement des tensions géopolitiques dans le monde et raviver la crainte d’instrumentalisation des dépendances nationales par d’autres pays.
Ce contexte de tensions commerciales et de difficultés a motivé la construction d’un agenda de souveraineté européen pour certains produits critiques. Il est également à la source de l’adoption en mars 2022 (amendé fin 2023) d’un cadre européen d’aides d’Etat pour faciliter le soutien aux entreprises face à la hausse des prix de l’énergie, pour permettre des aides plus généreuses dans des secteurs clés, et pour introduire une clause autorisant l’alignement sur les aides de pays tiers qui pourraient s’appliquer à un projet donné.
L’utilisation de politiques industrielles verticales a aussi trouvé une justification dans la poursuite des objectifs de décarbonation. Un consensus a émergé quant au rôle des technologies bas-carbone pour atteindre ces objectifs en complément d’autres leviers, et quant à la nécessité d’une intervention publique pour développer ces technologies sujettes à de multiples failles de marché. La Commission européenne a ainsi proposé en mars 2024 le Net Zero Industry Act, qui permet un soutien public accru au développement et au déploiement industriel de technologies essentielles à l’atteinte de l’objectif européen de neutralité carbone en 2050. C’est dans cet esprit que la France a promulgué en 2023 la Loi Industrie Verte, qui s’articule autour de 3 leviers : faciliter l’implantation et le développement de sites industriels, favoriser les entreprises vertueuses, et les financer en prévoyant notamment un soutien aux technologies vertes via le crédit d’impôt « investissement industries vertes ».
Ainsi les politiques industrielles sont aujourd’hui de plus en plus mobilisées pour poursuivre 3 objectifs : la croissance et la compétitivité ; les transitions économique et numérique ; l’autonomie stratégique et la souveraineté.
Questions :
1) Quel rôle les crises économiques ont-elles joué dans le retour des politiques industrielles verticales ?
2) Peut-on qualifier l’IRA de politique industrielle verticale ?
3) Pourquoi les technologies bas carbone sont-elles sujettes à de « nombreuses failles de marché » ?
4) Quels sont les principaux objectifs des politiques industrielles verticales ?
Les sujets qui font débat
Faut-il privilégier une politique industrielle horizontale ou verticale pour la France aujourd’hui ?
L’Europe est-elle l’avenir de l’industrie française ?