La désindustrialisation et les délocalisations ne sont pas une fatalité.
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Introduction
La désindustrialisation et les délocalisations ne sont pas une fatalité. La réindustrialisation de la France est possible, en s’appuyant sur les secteurs d’avenir qui exploitent le potentiel de la transition énergétique. Mais cette réindustrialisation ne peut pas se faire à l’échelle nationale : elle suppose la mise en place d’une véritable stratégie européenne de développement industriel.
Quiz sur le note de lecture : l'avenir de l'industrie française
L’ouvrage
Comme l’indique son titre, ce livre est consacré à l’avenir de l’industrie française. L’industrie a bouleversé nos modes de vie en Europe. De la machine à vapeur aux calculateurs en passant par les vaccins, les avions de ligne et la voiture électrique, ce sont presque trois siècles d’innovations et de révolutions qui ont façonné et bouleversé notre quotidien.
Or, de nos jours, et plus précisément à partir du début des années 1970, la désindustrialisation apparaît comme un fait majeur. Depuis 1974, la France a perdu 2,5 millions d’emplois industriels. Face à cette réalité massive, faut-il s’en remettre au déclinisme ou au conservatisme industriel qui propage l’idée d’une industrie monolithique incapable d’évoluer ?
Pour Jean-Pierre Clamadieu, le discours passéiste qui prône le retour au monde d’hier, et qui dénie les réalités internationales en vantant les mérites d’une démondialisation non coopérative ne constitue en rien une réponse.
Aujourd’hui, un nouveau cycle industriel s’ouvre, qui place les enjeux climatiques et sociaux au cœur d’un nouveau modèle de prospérité. Mais la mise en œuvre de ce nouveau cycle industriel ne pourra pas se faire à l’échelle nationale. L’Europe dispose déjà de beaucoup d’atouts pour être au cœur de ce nouveau modèle de prospérité, et notamment son modèle social ainsi que ses engagements en faveur du développement durable. Ce qui lui manque encore, c’est la poursuite de grands projets et les réussites associées qui peuvent être le support d’un récit collectif renouant avec le rêve. Ce rêve matérialiste, c’est la foi dans le progrès technologique (comme par exemple l’Europe des batteries ou encore l’hydrogène, essentiel à la transition énergétique), et non dans l’idéal du retour en arrière qui prend bien souvent la forme du protectionnisme économique.
La désindustrialisation, ses causes et ses conséquences
La désindustrialisation s’est désormais imposée sur le sol français comme une réalité implacable. Depuis 1974, la France a perdu 2,5 millions d’emplois industriels. A l’heure actuelle, le secteur industriel représente moins d’un quart des emplois. Cette désindustrialisation touche de manière diverse les territoires. Elle s’est imposée avec plus de force dans le Nord de la France, l’Est, ou encore le couloir rhodanien.
Voir le corrigé du sujet d’ESH de l’ESSC 2021 « La désindustrialisation est-elle une fatalité ? La réindustrialisation une utopie ? et son décryptage par Patrick Artus
Si la France s’est désindustrialisée, c’est parce- qu’une partie de la production industrielle s’est déplacée : c’est ce que l’on appelle la délocalisation. Les « chaînes de valeur » se sont mondialisées en s’appuyant sur les avantages compétitifs de chaque région du monde. Ce mouvement a touché un peu plus la France que ses voisins européens : les grandes entreprises nationales, souvent leaders mondiaux dans leur domaine, ont délocalisé davantage que les autres, à tel point que la France a pu être qualifiée par France stratégie de « championne des délocalisations ».
Voir la note de lecture de Patrick Artus et Marie-Paule Virard « La France sans ses usines »
Il ne s’agit pas pour autant de remettre en cause la mondialisation. Comme le fait observer régulièrement la présidente du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, il faut rappeler que cette mondialisation a permis à 1,5 milliard d’êtres humains de sortir de la pauvreté, et que c’est là un acquis majeur de ces dernières décennies. Mais il n’en reste pas moins qu’elle n’a pas bénéficié de manière égale à tous dans les pays riches. En Europe du nord, alors que le niveau de revenu global augmentait, certaines catégories de la population ont vu leur niveau de vie stagner ou diminuer, en particulier les enfants issus de la classe ouvrière. Ce phénomène est parfaitement résumé par la « courbe de l’éléphant » de l’économiste Branko Milanovic.
Voir la note de lecture de l’ouvrage de Branco Milanovic « Inégalités mondiales le destin des classes moyennes, les ultra-riches et l’égalité des chances »
La désindustrialisation de la France a déstabilisé des centaines de milliers de familles, et on peut considérer d’une certaine façon que le dernier grand mouvement social que la France est connue, celui des Gilets jaunes, est une résurgence de cette plaie restée ouverte.
La possibilité de la réindustrialisation de la France
Pourquoi, alors que le désir d’insdustrie reste fort dans le pays, avons-nous tant de mal à porter un discours de reconquête industrielle ? C’est en grande partie parce que notre imaginaire collectif s’est construit sur les exploits industriels passés que nous n’avons pas su remplacer par des nouvelles réussites collectives. Durant des années, trop nombreux ont été ceux qui ont préféré nous enfermer dans la nostalgie du passé, en oubliant que l’industrie, comme l’environnement économique mondial, n'est pas un corps figé, mais plutôt un système complexe en constante évolution.
L’industrie est en effet un monde en mouvement perpétuel. Dans l’histoire de ces deux derniers siècles, les révolutions industrielles ont été nombreuses, et d’autres sont encore à venir. Contrairement à ceux qui affirment que nous serions désormais entrés dans une ère « post-industrielle », il semble plutôt maintenant que l’industrie soit en voie de réinvention à l’ère du numérique, dans laquelle les relations entre l’industrie et les services qui la soutiennent ont bien changé. L’exemple le plus frappant est l’arrivée d’outils et de services digitaux comme outils de transformation des procédés, où les prestataires de services spécialisés ont pu réaliser des optimisations dynamiques qui permettent d’attendre un niveau de performance et d’efficience jamais atteint.
Et cette révolution digitale se produit à un moment où nous sommes confrontés à une exigence majeure de transformation, rendue nécessaire par l’accélération de la lutte contre le changement climatique. Si, en matière d’environnement, l’industrie a été dans le passé perçue comme faisant partie du problème, elle est aujourd’hui une partie de la solution. La résolution de la crise planétaire se fera en mobilisant notre capacité d’innovation, et non en mobilisant le protectionnisme, la décroissance, ou encore le renoncement au progrès technologique.
L’Europe, un modèle et une terre de projets
L’avenir industriel de la France passe par l’Europe, d’une part parce-que l’échelle européenne est l’échelle pertinente pour exister et peser au niveau mondial, d’autre part parce-que le modèle européen est vertueux. Ce modèle social européen repose sur une volonté de prise en compte de l’ensemble des parties prenantes et sur l’exigence de recherche d’un équilibre entre puissance publique et secteur privé. Il se différencie à la fois du modèle chinois fondé sur la planification et la toute puissance de l’Etat qui prend le pas sur l’intérêt des individus et des entreprises, et du modèle des Etats-Unis qui s’est construit sur une base capitaliste fondée sur une large financiarisation de l’économie où l’objectif de performance financière prend le dessus sur l’intérêt des travailleurs et de la collectivité. Le modèle social européen, héritier de décennies de dialogue social, doit devenir un atout concurrentiel pour les industries européennes. Et pour mettre en avant ce modèle social européen, il faut que le continent européen s’impose dans la bataille des normes internationales, en contribuant activement à la définition de nouveaux standards pour mesurer la performance extra-financière permettant d’évaluer et de comparer les politiques des entreprises en matière de Responsabilité Sociale et Environnementale.
Voir le dossier documentaire « L’Europe sociale »
Un autre élément de différenciation de l’Europe est sa conscience accrue de la nécessité de répondre au défi environnemental et climatique. Depuis plusieurs décennies, l’Europe assume en matière environnementale et climatique des positions beaucoup plus ambitieuses que les autres régions économiques de la planète, et cela dès le premier chapitre de l’histoire de la lutte contre le changement climatique qui a vu la négociation, puis la signature en 1997 du protocole de Kyoto. Depuis cette date, l’Europe est d’ailleurs une des rares régions au monde à avoir atteint les objectifs pour lesquels elle s’était engagée, en particulier grâce à la mise en place d’un marché de permis d’émissions de CO2.
Pour recréer une dynamique nouvelle, l’Europe doit reprendre la méthode de ses pères fondateurs en mettant en avant de grands projets industriels à construire ensemble. Deux de ces projets méritent particulièrement d’être mis en relief. Le premier projet est l’Europe des batteries. Depuis de nombreuses années, la Commission européenne a engagé une démarche structurée pour réduire les émissions des véhicules, et cette démarche culmine aujourd’hui avec la proposition de suspendre la commercialisation de véhicules utilisant un moteur à combustion interne en 2035 en Europe. Pour l’essentiel, la solution reposera sur des véhicules électriques à batterie, dans le cadre d’un projet souvent nommé « Airbus des batteries », dont l’enjeu est de développer de nouvelles générations de batteries utilisant des technologies de rupture développées dans les laboratoires européens. Le deuxième projet mobilisateur se situe autour de l’hydrogène. Beaucoup d’initiatives ont été engagées ces dernières années pour soutenir différentes briques de la chaîne de production et d’utilisation de l’hydrogène, mais le temps est maintenant venu de promouvoir à l’échelle européenne un réseau d’infrastructures de production, de transport et de stockage permettant de mettre de l’hydrogène décarboné et compétitif à la disposition de tous les consommateurs potentiels. Pour y parvenir, la Commission européenne, la France, l’Allemagne, et d’autres pays européens, ont engagé des plans d’action, mais il faut désormais relever le niveau des ambitions européennes en s’alignant autour d’objectifs et d’outils financiers et réglementaires qui mobilisent les décideurs publics et les entreprises.
Quatrième de couverture
L’industrie, qu’elle relève du fantasme ou de la réalité, occupe notre imaginaire collectif. Aujourd’hui, derrière la question industrielle, c’est l’image de la France qui se dessine et les vagues de délocalisations nous renvoient à une grandeur perdue. Face à une défiance aussi solidement installée, comment redonner foi en l’avenir ? Jean-Pierre Clamadieu, président d’Engie et fort de vingt années à diriger des groupes industriels internationaux, nous livre sa vision de la réindustrialisation de la France. Il évoque les secteurs d’avenir de notre industrie et en particulier le potentiel de la transition énergétique autour des énergies renouvelables, de l’hydrogène et des batteries. Pour lui, la France est capable de faire partie des leaders de la prochaine révolution industrielle, mais à une condition : assumer une véritable identité et une stratégie européenne.
L’auteur
Jean-Pierre Clamadieu est président du conseil d’administration d’Engie depuis 2018. Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris et ingénieur au Corps des Mines, il a débuté sa carrière aux ministères de l’Industrie et du Travail, puis a occupé diverses fonctions au sein des groupes Rhodia et Solvay qu’il a dirigés entre 2003 et 2019.