1. Une politique sociale à l’écart du projet européen
La politique sociale est longtemps restée à l’écart du projet européen qui est d’abord un projet économique. La politique sociale occupe une faible place dans le traité de Rome, la priorité étant davantage donnée à la construction du grand marché. Les premières mesures ont pour objectif la libre circulation des travailleurs au sein de la CEE. Les pays fondateurs sont soucieux de conserver leur souveraineté en matière de politiques sociales. La règle commune devient celle de l’exception nationale. Les politiques sociales sont subordonnées au principe de subsidiarité.
Cela dit, le traité de Rome prévoit un volet social :
- Inscription de l’objectif visant à améliorer le taux d’emploi et le niveau de vie
- Création du Comité économique et social (CES) et du Fonds social européen (FSE)
- Harmonisation minimale concernant le droit du travail (en 1959, règlements concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants
Si ces objectifs semblent aujourd’hui peu ambitieux face aux enjeux actuels, ils ont néanmoins permis un certain rattrapage en matière de protection sociale.
2. Des avancées indéniables
C’est avec la signature de l’Acte unique européen que l’Union européenne va véritablement institutionnaliser ses objectifs sociaux qui seront progressivement renforcés avec le traité de Maastricht, d’Amsterdam puis avec la stratégie de Lisbonne. On distingue plusieurs grandes réalisations :
- Mise en place du dialogue social européen : il naît avec les accords de Val Duchesse (1985) il s’agit des discussions, consultations, négociations et actions communes entreprises par les partenaires sociaux européens. Les syndicats et organisations patronales sont force d’initiatives et de proposition en matière de politiques sociales.
- Adoption du vote à la majorité qualifiée lors de l’Acte unique européen pour les domaines de la santé, la sécurité, les conditions de travail, l’intégration des exclus du marché du travail, l’égalité entre hommes et femmes sur le marché du travail, lutte contre l’exclusion sociale, modernisation des systèmes de protection sociale.
- Reconnaissance de la Charte des droits fondamentaux de l’UE lors du Traité de Lisbonne.
Elle comprend 3 axes :
- Les droits civils : droits de l’homme et droits de la procédure juridique, comme ceux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme établis par le Conseil de l’Europe.
- Les droits politiques qui sont spécifiques à la citoyenneté européenne établie par les traités.
- Les droits économiques et sociaux qui reprennent ceux énoncés par la Charte communautaire des droits sociaux des travailleurs, adoptée en 1989.
Elle est articulée autour de 6 chapitres qui traitent de la dignité, des libertés, de l’égalité, de la solidarité, de la citoyenneté et de la justice.
- Inauguration de la méthode ouverte de coordination (MOC) lors du Conseil européen de Lisbonne (mars 2000) : les Etats membres s’engagent à coordonner les politiques nationales en matière d’emploi, de retraite et de protection sociale. Elle s’inscrit dans une forme de soft law : il s'agit d'une forme d'élaboration de politiques intergouvernementales qui ne débouche pas sur des mesures législatives contraignantes européennes et qui n'exige pas que les pays de l'UE introduisent de nouvelles lois ou modifient leurs lois.
La MOC est appliquée dans des domaines qui relèvent de la compétence des pays de l'UE tels que l'emploi, la protection sociale, l'inclusion sociale, l'éducation, la jeunesse et la formation professionnelle.
Elle se base principalement sur :
- L'identification et la définition en commun d'objectifs à remplir (adoptés par le Conseil).
- Des instruments de mesure définis en commun (statistiques, indicateurs, lignes directrices).
- Le benchmarking, c'est-à-dire la comparaison des performances des pays de l'UE et l'échange des meilleures pratiques (surveillance effectuée par la Commission).
- Mise en place des « agendas sociaux » : la Commission prépare des axes de réflexion qui peuvent être suivis sur la base d’une coopération volontaire qui repose sur la MOC.
- La définition d’une stratégie européenne pour l’emploi (SEE) : L’emploi devient une « question d’intérêt commun » avec le traité d’Amsterdam (1997). Le Conseil européen adopte à la majorité qualifiée des » lignes directrices pour l’emploi » ensuite proposée par la Commission également sur la base de la MOC.
3. Des politiques sociales qui restent au service de la compétitivité
Si les avancées en matière de politique sociale sont nombreuses, il n’existe pourtant pas encore de véritable coopération en matière de politique sociale à l’échelle de l’Union européenne. L’harmonisation sociale nécessite au préalable la mise en place d’un certain niveau de fédéralisme au niveau économique et politique :
- D’un point de vue politique, les Etats membres refusent d’abandonner leur souveraineté en matière de politique sociale. De ce point de vue, la position du Royaume-Uni est emblématique : il refuse le projet d’harmonisation sociale porté par Jacques Delors. L’affirmation « I want my money back »de Margaret Thatcher (1979) symbolise cette position. Elle part du constat que l’Angleterre paie plus qu’elle ne reçoit du budget européen. De manière générale, les pays européens n’ont pas choisi d’emprunter la voie du fédéralisme et refusent de se voir imposer une marche à suivre en matière de modèle social. C’est dans cette perspective que s’inscrit la méthode ouverte de coordination (MOC) : il s’agit davantage d’évaluer l’efficacité d’une stratégie et de se concerter sur la marche à suivre plutôt que de l’imposer.
- D’un point de vue économique, la priorité est donnée au libéralisme et à la recherche de compétitivité. La crise de 1973 marque également la remise en question des idées keynésiennes et une hostilité croissante à l’égard de l’interventionnisme étatique qui aboutit à une remise en question de l’Etat social (voir P. Rosanvallon, La crise de l’Etat providence, 1981). La question de la construction d’un modèle social européen n’est alors pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui encore, la Commission européenne affirme que la modernisation des systèmes de protection sociale est un élément majeur de la compétitivité des économies. L’objectif n’est plus d’uniformiser les politiques sociales mais de les mettre au service de l’économie de marché.
Pour Elodie Béthoux (« L’Europe sociale en chantier(s) », Idées économiques et sociales, 2015), il faut relativiser l’idée selon laquelle « L’Europe sociale n’existe pas ». Elle développe la thèse selon laquelle il existerait des « masques de l’Europe sociale », masques qui empêchent sa visibilité :
- La diversité des systèmes sociaux nationaux empêche la comparaison entre ce qui relève ou non des avancées communautaires.
- La volonté de construire des règles qui tiennent compte de la diversité des modèles explique la dynamique de construction d’abord institutionnelle, et donc moins visible.
- L’institutionnalisation de la politique sociale est moins visible que les mouvements sociaux ce qui conduit à une opposition, notamment lors des échéances électorales, entre une « Europe économique » et une « Europe sociale ».
1. Le risque de dumping social
Le dumping social constitue la principale menace qui pèse sur l’UE en l’absence de coordination des politiques sociales. La construction actuelle de l’Europe, centrée sur le renforcement de la compétitivité et dépourvue d’une gouvernance sociale, favorise la mise en concurrence des pays au travers de stratégies de dumping social.
Dès les années 2000, les agendas sociaux contribuent à faciliter la mobilité des travailleurs européens. Si la directive Bolkestein qui visait à appliquer les principes du pays d’origine pour le secteur des services (figure du « plombier polonais ») n’a pas été adoptée, la problématique du travail détaché subsiste. La réforme de 2017 encadre le travail détaché mais il existe toujours des fraudes (temps de travail dépassé sans rémunération, dépenses de logement intégrées au salaire, etc.).
La crise de la fin des années 2000 a conduit à une réduction des dépenses sociales, qui sont alors envisagées comme des coûts qui pénalisent la compétitivité des économies. L’Allemagne, tout comme le Danemark, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, le Portugal, le Royaume-Uni a réduit ses prestations chômage. Elle a mis en place des réformes de son marché du travail centrée sur la recherche de compétitivité, parfois au détriment de certaines avancées sociales : les « mini jobs » se développent, le taux de pauvreté augmente (14%) et on trouve parmi eux de nombreux « working poors ». Un rapport du FMI de 2017 souligne que la réforme du régime d’assistance chômage a fait également exploser le taux de pauvreté parmi les chômeurs.
2. Une gouvernance contrainte par la discipline budgétaire
Les effets de cette libéralisation économique ne sont pas compensés par la mise en place de politiques sociales, faute de moyens budgétaires. Les dépenses sont contraintes par le ralentissement de l’activité économique, dans une perspective pro-cyclique, et par le PSC. T. Iversen et A. Wren (« Equality, employment and budgetary restraint : the trilemma of the Service Economy », 1998) mettent en évidence cette contrainte avec leur « triangle des impossibilités ». On ne peut réaliser simultanément l’objectif de réduction des inégalités, la recherche d’un haut niveau d’emploi et la discipline budgétaire.
Dans la configuration d’une discipline budgétaire imposée par le PSC et de la recherche d’un haut niveau d’emploi à travers des politiques de compétitivité, l’objectif de réduction des inégalités s’avère donc être le « côté faible » du triangle.
1. La stratégie européenne pour l’emploi (SEE)
Si la question de l’emploi est présente dès la signature du traité de Rome, c’est avec le Livre Blanc de 1993 « Croissance, compétitivité et emploi » que se définie véritablement la stratégie européenne pour l’emploi. 3 objectifs sont définis :
- Le plein-emploi
- L’amélioration de la qualité et de la productivité du travail
- Un marché du travail favorisant l’inclusion sociale
L’idée selon laquelle il suffit de rechercher la croissance pour créer de l’emploi et résorber le chômage ne suffit plus. Cette période s’accompagne de la mise en place de politiques actives de l’emploi. Alors que les politiques passives visent à limiter les effets du chômage, les politiques actives cherchent à augmenter le niveau de l’emploi et à faciliter le retour à l’emploi des chômeurs. Elles accompagnent la recherche d’un modèle de « flexisécurité ». Elles disposent de plusieurs moyens :
- Inciter les entreprises à embaucher (primes à l'embauche, réduction du coût du travail par allégement ou exonération de cotisations sociales).
- Aider à la création d'emplois dans le secteur non marchand par un financement public (les Contrats Emplois Solidarité par exemple).
- Améliorer le fonctionnement du marché du travail pour réduire le chômage frictionnel.
- Favoriser la formation professionnelle.
- Introduire une plus grande flexibilité sur le marché du travail.
Cependant, les défis de la politique de l’emploi restent nombreux. D’abord, elle doit faire face à des systèmes économiques hétérogènes (indemnisation du chômage, rôle des syndicats, durée du temps de travail, salaire minimum, etc.). Ensuite, la récession entraînée par la crise de 2007 augmente le chômage de masse et de longue durée en Europe.
La crise ne frappe pas de la même manière l’emploi des pays européens. La Grèce et l’Espagne ont connu une véritable explosion de leurs taux de chômage au cours de la décennie 2010. Si les taux de chômage ont tendance à baisser aujourd’hui dans la quasi-totalité des pays européens, les effets de la crise révèlent encore d’importantes disparités :
Selon Eurostat, 6,3% de la population active était au chômage dans l'Union européenne en juillet 2019. Les contrastes en Europe sont marqués : une amplitude de 15,1 points sépare les extrêmes. Quand l'Allemagne et la Pologne enregistrent respectivement 3% et 3,3%, celui-ci culmine en Grèce (17,2% en mai 2019) et en Espagne (13,9%), malgré des baisses marquées en un an.
La France, elle, se classe en 4e position des États les plus touchés par le chômage (8,5%).
Face à ces constats, les critiques à l’égard de la Stratégie européenne pour l’emploi demeurent : les moyens mobilisés semblent insuffisants, les objectifs peu contraignants et peu transposables compte-tenu de la diversité des modèles socio-économiques. P. Artus appelle ainsi à une forme « d’Union des Marchés du Travail », pour rapprocher les formations des salaires entre les pays et éviter les divergences des compétitivités-coûts.
2. Vers une harmonisation des politiques de l’emploi ?
Si la Commission européenne n’annonce pas de financement budgétaire mutualisé des politiques de l’emploi, elle met en avant plusieurs chantiers visant à leur harmonisation :
1. La question de la mobilité du travail : A l’échelle européenne, cette mobilité concerne environ 3% de la population active. Pour certains pays de l’est comme la Lituanie, la Lettonie ou la Bulgarie elle atteint plus de 5% contre 0,5% pour la France, l’Allemagne et le Danemark. Aux Etats-Unis, la mobilité des travailleurs est 10 fois plus importante que dans l’Union européenne. L’enjeu est de réussir à créer un droit du travail européen propice à la circulation des travailleurs sans accroître le dumping social à travers une concurrence déloyale. Les réformes concernant les droits des travailleurs détachés vont dans ce sens.
2. La question de l’assurance-chômage européenne : l’UE est marquée par une diversité de régimes d’assurance chômage en termes de durée d’indemnisation, de taux de remplacement et de critères d’éligibilité. Plusieurs modalités sont envisageables :
- une assurance européenne complémentaire avec un régime de base commun.
- un régime séquentiel dans lequel l’UE indemnise le chômage de courte durée, les Etats celui de longue durée.
- une assurance conjoncturelle activée en cas de difficultés temporaires.
Pour A. Bénassy-Queré et A. Keogh (« Une assurance chômage européenne ? », Focus CAE, juin 2015) l’adoption d’un système d’assurance chômage européen remplit 3 objectifs majeurs de l’UE : celui du marché unique en favorisant la mobilité des travailleurs, la convergence des marchés du travail et la solidarité entre les Etats-membres.
3. La question des salaires : à l’heure actuelle, il existe une forte dispersion des salaires minima en Europe (261 euros en Bulgarie en 2018, près de 2000 euros au Luxembourg). Ces divergences entretiennent le risque de dumping. L’idée serait alors de coordonner l’évolution des minima et de faire progresser les salaires au rythme de la productivité.
1. Des modèles sociaux hétérogènes…
La protection sociale désigne l’ensemble des mécanismes et des institutions qui couvrent les individus contre les risques sociaux (maladie, accident du travail, maternité, vieillesse, chômage) qui peuvent entrainer une perte de revenus.
Le système de protection sociale repose sur deux mécanismes : soit les individus ont un accès gratuit ou quasi-gratuit aux soins (prestations de services sociaux), soit ils bénéficient directement de prestations sociales qui les protègent contre les différents risques sociaux. En France, la protection sociale repose principalement sur 3 grands organismes : la sécurité sociale, les régimes complémentaires et l’Unedic. Elle est financée par les prélèvements obligatoires (impôts comme la CSG, cotisations sociales).
On distingue deux systèmes de protection sociale :
- Le modèle d’assurance (Bismarckien) : La protection sociale est financée par des cotisations sociales prélevées sur les salaires, les prestations sociales sont donc réservées à ceux qui cotisent (redistribution horizontale).
- Le modèle d’assistance (Béveridgien) : La protection sociale est financée par l’impôt et tout citoyen peut bénéficier de la protection sociale même s’il n’a pas contribué à son financement.
Le système de protection sociale instauré en France en 1945 poursuit l’objectif béveridgien de la protection de tous par des moyens bismarckiens : un financement par les cotisations sociales assises sur les revenus du travail et une gestion par les partenaires sociaux. Ce sont les cotisations sociales prélevées sur les salaires qui constituent le principal moyen de financement de la protection sociale en France (66% des recettes de la protection sociale).
L’exemple français montre que si l’on distingue historiquement modèle bismarckien et béveridgien, de nombreuses expériences se sont construites autour de ces modèles et empruntant des éléments dans les deux modèles à la fois. G. Esping-Andersen (Les trois mondes de l’Etat providence, 1999), sociologue et économiste Danois va actualiser et proposer une nouvelle typologie des modèles de protection sociale. Sa typologie repose sur plusieurs critères : il interroge les relations entre sphère publique et sphère marchande ; puis les relations entre sphère publique et sphère domestique. Il place le concept de démarchandisation au cœur de son analyse : la démarchandisation avance lorsque les individus peuvent obtenir et conserver leurs moyens d’existence sans dépendre du marché ou de la sphère professionnelle. A partir de cette typologie, on distingue 4 modèles de protection sociale en Europe :
- Le modèle scandinave (ou nordique ou social-démocrate) assure à tous les citoyens un niveau élevé et uniforme de protection sociale. L’accent est mis sur l’inclusion sociale. L’emploi n’est pas protégé mais les prestations chômage sont élevées et s’accompagnent d’une politique active de réinsertion dans l’emploi. C’est le modèle de la flexisécurité. Le taux d’emploi est élevé, en particulier celui des femmes et des seniors. La fiscalité est très forte, individualisée et redistributive. Les inégalités sociales sont faibles. Les services sociaux sont facilement disponibles et de haute qualité. Le système repose sur la coopération des partenaires sociaux. Les syndicats sont fortement impliqués dans l’administration de l’assurance chômage et de la formation. Les prestations publiques sont complétées par des prestations professionnelles, organisées par les partenaires sociaux et couvrant la quasi-totalité de la population. Ce modèle est celui de la Suède, du Danemark et de la Finlande.
- Le modèle libéral (ou anglo-saxon) insiste sur la responsabilité individuelle. Les prestations sociales sont faibles, ciblées sur les plus pauvres, en étant généralement soumises à des conditions de ressources. Les autres ménages doivent recourir à des systèmes d’assurances d’entreprise ou privées, favorisés par des dispositions fiscales. L’emploi n’est guère protégé ; les salaires sont déterminés au niveau des entreprises ; les prestations chômage sont faibles. Le taux d’emploi est fort. La fiscalité est relativement faible. C’est le modèle du Royaume-Uni et de l’Irlande.
- Dans le modèle d’assurance sociale, celui de l’Europe continentale, la protection sociale, organisée sur une base professionnelle, vise à garantir le maintien du revenu salarial. Elle est financée par des cotisations employeurs et employés. Les partenaires sociaux jouent un rôle important dans les relations professionnelles et la gestion de la protection sociale. Ce modèle comporte une forte protection de l’emploi et des prestations chômage relativement généreuses. Le taux d’emploi est relativement faible. Le taux de prélèvement obligatoire est élevé. Ce modèle est celui de l’Allemagne, de la France, des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Autriche.
- Le modèle méditerranéen est marqué par l’importance des prestations vieillesse, les prestations familiales et d’assistance sont faibles. Les pays conservent de nombreux aspects d’une société paternaliste, en particulier de fortes inégalités entre hommes et femmes. Les solidarités familiales et intergénérationnelles sont fortes. Le taux d’emploi des femmes est très faible et le taux d’emploi global est bas. L’emploi est très protégé, mais les prestations chômage sont faibles. Le taux d’emploi global est faible. C’est le modèle de l’Italie, de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal.
Il faut garder à l’esprit que la typologie de G. Esping-Andersen présente des idéaux-types, réalité historique de chaque pays rend les choses plus complexes. Sa typologie reste néanmoins un bon instrument pour comprendre les logiques à l’œuvre au sein des différents modèles de protection sociale.
2. … Et fragilisés par la crise
Ces modèles de protection sociale sont fragilisés par la récession de la fin des années 2000. Avant la crise de 2008, on assistait à une certaine dynamique de rattrapage des pays du Sud et de l’Ouest de l’Europe (« Nouvelle Europe ») par rapport à ceux du Nord (« vieille Europe »). La croissance économique permettait un rattrapage relatif des pays périphériques, à l’instar des PECO. Aujourd’hui, les écarts se creusent à nouveau. Les inégalités de PIB par habitant et de taux d’emploi se sont accrues.
De manière générale, la récession a fragilisé les modèles sociaux européens dans leur ensemble. Les indicateurs de performances sociales se dégradent dans les pays du Sud face aux ajustements budgétaires qui se traduisent par une réduction des dépenses sociales :
- Baisse des allocations chômage (Espagne, Irlande, Italie, Lituanie)
- Flexibilisation du marché du travail (Espagne, Portugal, Italie, Royaume-Uni, France)
- Réformes des régimes de retraite avec augmentation de l’âge de départ ou un gel des pensions.
- Baisse des minima sociaux en Irlande et en Grèce
- Diminution du traitement des fonctionnaires (Irlande, Grèce, Espagne par exemple) ou gel (Royaume-Uni, France, Italie)
- Hausse de la TVA
- Diminution des dépenses de santé (Grèce, Irlande, Italie)
La crise a donc fragilisé les systèmes de protection sociale en Europe, en soulignant la fracture entre les pays du Nord et du Sud.
1. Des défis communs
Si l’UE est reste marquée par d’importantes disparités en matière de protection sociale et que ces derniers sont fragilisés par la crise, il n’en demeure pas moins qu’elle devra faire face à des défis communs, comme le soulignent Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (« Le modèle social européen et l’Europe sociale », 2008). Ils relèvent 5 défis majeurs pour les systèmes de protection sociale :
1 La soutenabilité financière : le vieillissement de la population induit une hausse des dépenses de santé et de retraites.
2 La mondialisation : face à la concurrence mondiale, le MSE doit constituer un outil d’accompagnement de la compétitivité et de la productivité, non un handicap. Pour cela, il faut harmoniser les politiques fiscales et sociales afin de supprimer la tentation de dumping.
3 La crise du modèle continental : ce dernier serait trop coûteux, trop protecteur, détruirait les incitations à l’emploi et empêcherait la flexibilité. Comment réformer ce modèle sans accroître la fracture sociale ? Le modèle scandinave apparaît comme une piste à creuser mais il semble difficilement applicable dans de plus grands pays, plus hétérogènes et davantage ouverts qui partent d’un chômage important.
4 La faiblesse du taux de fécondité : comment faire face à la baisse des taux de fécondité ? Faut-il accepter davantage de travailleurs immigrés pour compenser cette baisse du taux de fécondité ? L’expérience des pays scandinaves et de la France montre qu’il est possible d’augmenter à la fois le taux d’emploi et le taux de fécondité des femmes par une politique familiale généreuse et le développement de systèmes de garde d’enfants collectivement financés changements sociaux, ce qui reste encore un défi pour l’Europe.
5 La réforme des systèmes de protection sociale : les systèmes de protection sociale doivent tenir compte des changements dans les mœurs et les familles (égalité des genres, familles recomposées ou monoparentales), ce qui pose la question de l’individualisation des systèmes de protection sociale.
On peut ajouter à ces défis celui des migrations. Depuis 2014, l’UE traverse une crise migratoire sans précédent : entre 2014 et 2015, plus de 1,2 million de migrants entrent dans l’UE. Or, il n’existe pas non plus à ce niveau de politique coordonnée à l’échelle européenne, comme le montre par exemple la crise de l’Aquarius (2018). Certains pays accueillent davantage de migrants que d’autres, ce qui crée des tensions politiques au sein de l’UE. Enfin, la crise du Covid-19 a un impact sans précédents sur l’économie européenne, creusant les dettes et les perspectives de croissance des pays membres.
2. Vers une Europe « à la carte » ?
Face à l’absence d’harmonisation des politiques économiques et sociales, se dessine l’idée d’une Europe « à la carte » ou encore d’une Europe à « plusieurs vitesses ». Le projet Juncker (Livre blanc 2017) propose des « pistes alternatives pour une coopération à 27 ». Il déclare ainsi que « le temps n’est plus où l’on pouvait s’imaginer faire tous la même chose ensemble » et se demande « est-ce qu’il ne faudrait pas que ceux qui veulent avancer plus rapidement puissent le faire sans gêner les autres en mettant en place un cadre plus structuré et ouvert à tous ? ». L’idée serait alors de construire une Europe à plusieurs vitesses : il existerait une Europe « à minima », quasi-identique à celle d’aujourd’hui et une Europe encore plus intégrée, ou les Etats membres pourraient approfondir la coopération sans que l’ensemble des États de l’UE n’aient à suivre.
Cette Europe à « géométrie variable » fait débat. Tandis que certains y voient la seule possibilité de poursuivre la dynamique d’intégration européenne, d’autres y voient une mise en péril du projet européen.