Epreuve ESH du concours Ecricome : corrections du sujet "Croissance et inégalité"

Le sujet de l'épreuve d'économie, sociologie et histoire (ESH) du concours Ecricome était : Croissance et inégalités.

Voici le corrigé en vidéo par Gilbert Cette, économiste et professeur à Neoma business school :

Et voici la proposition de corrigé du sociologue et enseignant d'ESH à Prepa Commercia, Eric Keslassy

(en version plan détaillé, la version entièrement rédigée est disponible ci-dessous)

 

Introduction :

 

 

« Un peuple a beau faire des efforts, il ne parviendra pas à rendre les conditions parfaitement égales dans son sein et s’il avait le malheur d’arriver à ce nivellement absolu et complet, il resterait encore l’inégalité des intelligences, qui, venant directement de Dieu, échappera toujours aux lois » considère Alexis de Tocqueville dans La démocratie en Amérique (1835 et 1840). Le « Montesquieu du XIXème siècle » pense donc qu’il n’est pas possible de parvenir à une égalité des conditions totale. Mais il ajoute que ce n’est de toute façon pas un objectif souhaitable : l’absence d’inégalités serait même un « malheur ». Dans le prolongement de la position tocquevillienne, une abondante littérature économique a pu montrer que les inégalités peuvent se révéler favorables à la croissance économique. Comment l’expliquer ? Est-ce toujours le cas ?

 

Remarque 1 : Une dissertation commence par une accroche. Il est évidemment possible de faire autrement mais, ici, nous avons retenu une citation (parfaitement sourcée) en guise d’amorce. La citation ne se suffit jamais en elle-même : il faut l’expliquer et, ensuite, faire l’effort de retrouver le sujet posé.

 

Les inégalités sont des différences qui se traduisent par des avantages et des handicaps sur une échelle de valeurs validée par la société. On peut distinguer les inégalités économiques (niveau de vie, revenu ou encore patrimoine) et les inégalités sociales (comme les inégalités scolaires ou les inégalités de lieux de résidence). Les inégalités sont donc multiformes mais elles sont aussi cumulatives : elles ont tendance à s’entrainer les unes les autres au sein d’une génération mais aussi entre les générations, se traduisant ainsi par un phénomène de « reproduction sociale » (suivant les termes adoptés par Pierre Bourdieu), une situation qui peut finir par peser sur la croissance économique. La croissance économique correspond à « l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global brut ou net, en termes réels » selon la définition conçue par François Perroux dans L’Economie du XXème siècle (1961). 

 

Remarque 2 : le centrage de l’introduction est particulièrement important. Il permet tout d’abord de définir les notions clés du sujet.

 

La croissance économique, mesurée par le PIB, se trouve au centre des objectifs des politiques économiques depuis le milieu de la première partie du XXème siècle. Les économistes se sont donc interrogés sur ce qui peut l’augmenter et, parmi de nombreux facteurs, on peut retrouver les inégalités économiques et sociales ; à l’origine d’une émulation entre les hommes, elles provoqueraient en réalité une augmentation du bien-être collectif. Pourtant, les inégalités économiques et sociales peuvent aussi se révéler nocives pour la croissance économique comme l’a démontré John M. Keynes dans La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936). Plus récemment, les inégalités sont considérées par Robert Gordon comme un facteur réduisant la croissance à long terme dans le débat qui s’est noué autour de la stagnation séculaire. Dès lors, faut-il donner mission à l’Etat de lutter contre ces inégalités économiques et sociales, par la redistribution, de façon à pérenniser la croissance économique. Dans cette perspective, il faut garder à l’esprit que la croissance économique est une condition de la réussite de l’action de l’Etat providence : sans ressources, il serait bien en peine d’agir contre les disparités économiques et sociales ; sans croissance économique, comment financer les dépenses sociales ? Reste que cette intervention sociale de l’Etat est dénoncée par les libéraux libertariens, à l’image de F. Hayek qui considère que le remède est pire que le mal. Il y a donc un vif débat autour de la relation qui unit croissance économique d’une part et inégalités d’autre part. 

 

Remarque 3 : Mais le centrage est aussi le lieu de la problématisation. Il s’agit de mettre en lumière les grands enjeux du sujet. Le centrage est suivi de la problématique qui, dans notre cas, permet aussi de préciser l’espace et la période qui nous intéressera.

 

Quels sont les liens entre la croissance économique et les inégalités économiques et sociales qui se développent au sein d’une nation appartenant aux PDEM (pays développés à économie de marché) depuis le début du XIXème siècle ?

Les inégalités économiques et sociales peuvent apparaitre comme un moteur d’une dynamique capitaliste propice à l’augmentation de l’activité économique (I) mais, suivant une autre logique théorique, elles sont aussi perçues comme nocives pour la croissance économique (II). Enfin, pour lutter contre les inégalités économiques et sociales, l’Etat a besoin de la croissance économique (III). 

 

Remarque 4 : Le sujet se présente sous la forme « A et B ». Il faut donc rechercher les implications qui peuvent exister entre les deux concepts : est-ce que les inégalités ont un impact sur la croissance économique ? La croissance économique a-t-elle des effets sur les inégalités ? Sur la première question, il ressort qu’un débat très vif existe dans littérature économique et permet d’organiser nos deux premières parties : les inégalités servent la croissance économique (I) ; les inégalités pèsent sur la croissance économique (II). Reste ensuite à tenir compte de la deuxième question en III en montrant que la croissance économique est nécessaire pour que l’Etat puisse combattre les inégalités. Ci-dessous, le plan détaillé reprend cette architecture.

 

Proposition de plan détaillé :

 

I) La croissance économique peut s’accroître à partir d’inégalités économiques et sociales qui jouent un rôle d’incitation à l’effort productif et d’innovation. D’autant que lorsque l’Etat cherche à combattre ces disparités, il provoque des effets pervers qui affaiblissent considérablement le niveau de l’activité économique.  

 

  • La première partie de la Courbe de Kuznets (1955) montre qu’il y a une corrélation positive entre la hausse des inégalités et le développement économique.
  • Les inégalités représentent une forme d’incitation à innover (rente de monopole de Schumpeter) et à investir (Hayek). C’est par le maintien des riches que la croissance économique « ruissèle » vers les couches inférieures de la société.
  • L’Etat doit rester minimal car lorsqu’il cherche à réduire les inégalités économiques et sociales, il est à l’origine d’effets pervers (comme la désincitation au travail – Malthus – ou encore la baisse des recettes fiscales – Laffer). 

 

II) Mais les inégalités économiques et sociales peuvent se révéler nocives pour la croissance économique. Pour John M. Keynes, les freiner est un impératif qui, réalisée par l’action sociale de l’Etat, a pour effet de pérenniser un niveau élevé d’activité économique. Par ailleurs, aujourd’hui, un consensus semble s’être établi autour de l’idée que les inégalités économiques et sociales pèsent sur la croissance économique, au point d’être considérée comme l’une des explications de la stagnation séculaire qui frapperait les PDEM. 

 

  • Pour Keynes, les politiques redistributives favorisent la croissance économique puisqu’elles amputent le revenu des plus riches (ayant une forte propension à épargner) et alimentent le revenu des plus démunis (qui ont une forte propension marginale à consommer). La seconde partie de la Courbe de Kuznets est analysée par Thomas Piketty comme une illustration de ces principes lors des Trente glorieuses.
  • Les inégalités économiques et sociales apparaissent comme un facteur de la stagnation séculaire qui frappe les PDEM. Que ce soit par la demande (Summers) ou par l’offre (Gordon), elles pèsent sur la croissance économique de long terme. 
  • Un consensus semble aujourd’hui se dessiner au sein des institutions internationales (OCDE, FMI) pour considérer que les inégalités économiques et sociales freinent la croissance économique. Il faut donc chercher à les restreindre pour éviter les « gâchis de compétences », prévenir les crises financières et limiter le recours à des politiques protectionnistes.

 

III) La croissance économique est absolument indispensable pour que l’Etat puisse limiter les inégalités économiques dans la mesure ou elle permet le financement de son action sociale. A l’inverse, avec une faible activité économique, il est beaucoup plus difficile de les restreindre. 

 

  • La croissance économique permet de financer l’action « providentielle » de l’Etat, celle qui permet de faire reculer les inégalités économiques et sociales. Lorsque l’activité économique est atone, l’Etat providence se trouve en grande difficulté sur le plan budgétaire et se montre beaucoup moins efficace dans la lutte contre les inégalités.
  • Avec une croissance économique faible, l’Etat se trouve contraint de faire des choix budgétaires : la réduction des dépenses publiques affectées aux services collectifs (comme la santé et l’éducation) se traduit par une remontée des inégalités, en particulier de l’inégalité des chances.

 

Conclusion :

 

Remarque 5 : Une bonne conclusion débute par une réponse directe au sujet. Ci-dessous, la réponse prend soin de synthétiser les trois axes du développement.

 

Tant l’histoire que les théories économiques montrent que les inégalités économiques et sociales ne sont pas toujours favorables à l’accroissement de l’activité économique. Et l’Etat – notamment dans son volet « providentiel » – a besoin d’une croissance économique élevée pour financer ses dépenses visant à réduire ces disparités. 

 

Remarque 6 : La conclusion doit ensuite présenter une synthèse des grands arguments utilisés au cours du devoir.

 

Les libéraux libertariens voient les inégalités comme un moteur de la croissance économique, au point que l’Etat doit conserver un rôle minimal. Si les pouvoirs publics cherchent à réduire les inégalités économiques et sociales, ils utilisent un remède qui est pire que le mal, générant des effets pervers couteux en termes d’activité économique (comme la désincitation au travail ou à l’innovation). A l’inverse, Keynes considère que les politiques redistributives sont tout à faire nécessaires pour alimenter la croissance économique. Et, aujourd’hui, un consensus semble se dessiner sur le besoin de lutter contre les inégalités économiques et sociales (pour prévenir les crises financières, limiter les « gâchis de compétences » ou encore pour éviter des politiques populistes). Pour cela, la croissance économique apparait comme une condition essentielle, ce qui peut paraitre inquiétant dans un contexte de stagnation séculaire. Mais justement cette hypothèse d’une baisse tendancielle de la croissance économique qui affecterait les PDEM, en particulier les Etats-Unis, est remise en cause par des économistes qualifiés de « techno-optimistes ». 

 

Remarque 7 : On achève la synthèse des arguments en faisant transition vers l’ouverture. Il s’agit de finir la conclusion avec une idée en lien avec le sujet mais qui permet d’ouvrir sur d’autres perspectives. Notre sujet ne nous demande pas de réfléchir à l’origine de la croissance économique – en dehors du rôle des inégalités. Cela peut constituer une piste intéressante pour l’ouverture que nous concrétisons à partir de la position de Philippe Aghion.

 

Ainsi, Philippe Aghion pense qu’il est tout à fait possible de retrouver des niveaux élevés de croissance économique, à condition de mettre en place une politique qui favorise la destruction créatrice (de façon à favoriser le progrès technique en particulier et les innovations en général). Avec Céline Antonin et Simon Bunel, dans Le pouvoir de la destruction créatrice (2020), l’économiste français ne néglige pas les inégalités qui en adviennent nécessairement, notamment entre les qualifiés et les non qualifiés. Mais il parie sur la flexisécurité pour obtenir les avantages du marché concurrentiel et les bienfaits d’un « Etat assureur », s’appuyant sur les excellents résultats des pays d’Europe du Nord. Ne serait-ce pas le moyen pour les PDEM qui ne l’appliquent pas encore de concilier forte croissance économique et réduction des inégalités dans le monde globalisé qui est le nôtre ?


 

Sur le sujet "croissance et inégalités"

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements