Melchior vous propose ce décryptage pédagogique de l’article de Blaise Gnimassoun, Carl Grekou et Valérie Mignon « Régime de change fixe : une entrave à l’essor industriel des pays en développement», La Lettre du CEPII, n°449, octobre 2024.
Publié en octobre 2024, cet article permet d’illustrer le chapitre de spécialité Sciences économiques et sociales de :
la classe de Terminale « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ?», et notamment la question 1 : Quels sont les facteurs de la croissance économique ?
On pourra aussi consulter le module " du programme d’ESH de la classe préparatoire ECGMODULE 3 : La mondialisation économique et financière le cours 1 : Balance des paiements, cours de change et système de change
Résumé
Depuis les travaux pionniers de A. Hirschman, N. Kaldor et S. Kuznets, l’industrialisation est considérée comme l’un des facteurs clés du développement économique. Elle permet de réduire la dépendance à l’exportation des matières premières, et notamment parce que beaucoup de PED sont très vulnérables aux chocs des termes de l’échange (voir définition ci-dessous) avec pour conséquence une croissance volatile et incertaine. Elle permet aussi la création d’emplois souvent mieux rémunérés et plus stables que ceux dans l’agriculture ou les services, et également l’apparition d’effets multiplicateurs débouchant sur des emplois supplémentaires dans l’ensemble de l’économie. Elle est enfin un vecteur des transferts de technologie, avec à la clé des gains de productivité qui se diffusent progressivement à l’ensemble des secteurs.
Or, on constate aujourd’hui l’apparition d’un phénomène de désindustrialisation prématurée pour de nombreux PED, c’est-à-dire un déclin de la part de l’industrie manufacturière dans le PIB se produisant à un stade plus précoce du développement qu’auparavant. L’atrophie constatée des appareils industriels de nombreux PED s’explique par plusieurs facteurs.
Un premier facteur est la qualité de la gouvernance et des institutions, non seulement pour la définition de politiques industrielles soutenables, mais surtout pour éviter les défaillances de l’Etat et du marché. Au-delà du cadre public, bonne gouvernance et Etat de droit sont des gages d’un secteur privé dynamique, encourageant les initiatives ainsi que les investissements étrangers (Acemoglu, North, …).
Un autre facteur est la « malédiction des ressources naturelles »ou le « syndrome hollandais », présent dans de nombreux PED. L’accroissement des recettes d’exportation d’une matière première en abondance provoque l’appréciation de la devise du pays, qui pénalise les exportations des autres secteurs de l’économie considérée.
Un troisième facteur est la mondialisation. Les programmes d’ajustement structurel et les vagues de réformes commerciales qui ont accompagné la mondialisation des années 1980 et 1990 ont pu nuire à l’impératif de protection des industries naissantes (List) et aux capacités financières des Etats à poursuivre le processus d’industrialisation. Par ailleurs, la Chine, figure de proue de la mondialisation actuelle, peut être aussi considérée comme responsable des difficultés des autres pays à s’industrialiser : « l’atelier du monde » a pénalisé le développement industriel de nombreux PED par le biais de ses exportations de produits manufacturés.
Mais les auteurs de l’article préfèrent mettre l’accent sur le rôle d’un quatrième facteur, le régime de change, comme facteur explicatif de la trajectoire de l’industrie manufacturière des PED. En effet, un régime de changes fixes annihile le rôle de réorientation de la demande entre biens domestiques et biens étrangers par les variations du taux de change. Toutes choses égales par ailleurs, dans un régime de changes fixes comme celui de l’ancrage monétaire (voir définition ci-dessous), les prix des biens supérieurs en provenance du pays de la monnaie-ancre sont indépendants des variations du change, ce qui exacerbe la concurrence sur le marché local entre producteurs domestiques et producteurs du pays de référence. Comme ces derniers sont caractérisés par une productivité plus élevée, et en conséquence un avantage comparatif plus affirmé dans les produits manufacturés, les importations de ces biens exercent une pression sur les productions locales qui ne sont pas compétitives en raison d’un prix plus élevé ou d’une qualité moindre. A cet effet s’ajoutent les contraintes inhérentes à tout régime de changes fixes crédible, à savoir un contrôle strict de l’inflation et une rigueur budgétaire, qui pèsent sur les capacités de financement pour initier ou entretenir un processus d’industrialisation.
Les + de l’article :
Comprendre les raisons de l’atrophie de l’appareil industriel de nombreux PED.
S’interroger sur l’effet du régime de change sur le développement de l’industrie manufacturière.
Retrouvez l’article complet :
Les termes clés :
Taux de change : Le taux de change d’une devise est le prix de cette devise par rapport à une autre devise. Chaque devise a un taux de change vis-à-vis des autres devises. On parle de taux de change bilatéral pour désigner le rapport d’échange entre deux devises et de taux de change effectif quand on considère l’ensemble des taux de change bilatéraux (que l’on obtient en pondérant chaque taux de change bilatéral par la part du commerce international du pays réalisée dans cette devise).
Changes fixes : Dans un régime de changes fixes, le cours d’une devise est fixé par rapport à un étalon par la Banque centrale qui émet cette devise. Le cours fixé est appelé le cours pivot parce qu’il constitue le taux de change autour duquel une certaine marge de fluctuation est autorisée. Pour défendre ce cours pivot, la Banque centrale intervient (en achetant ou en vendant des devises selon la conjoncture) pour le maintenir à l’intérieur de la marge autorisée.
Changes flottants : Dans un régime de changes flottants, aucun engagement n’est pris au sujet du taux de change, qui évolue librement en fonction de l’offre et de la demande sur le marché des changes. Cela dit, il y a plusieurs régimes de changes flottants, qui vont du flottement « pur » (dans lequel seul le marché définit l’équilibre) au flottement « administré » (dans lequel la Banque centrale intervient pour maintenir le taux de change souhaité. En général, les changes flottants sont plutôt administrés : par exemple, la Banque populaire de Chine (BPC) intervient généralement dans les taux de change pour que le yuan reste sous-évalué, ceci pour rendre les exportations moins coûteuses.
Ancrage monétaire : L’ancrage monétaire (Currency Peg) est une technique utilisée par les pays en développement pour stabiliser leur économie en liant la valeur de leur monnaie à celle d’une monnaie plus forte et plus stable, souvent le dollar américain ou l’euro. L’ancrage monétaire peut s’agir d’une parité fixe ou d’une fourchette.
Industrie manufacturière : L’industrie manufacturière est un sous-ensemble du secteur secondaire. Elle regroupe les industries de transformation des biens, de réparation et d’installation d’équipements industriels, ainsi que des opérations de sous-traitance.
Termes de l’échange: Les termes de l’échange sont le ratio de l’indice des prix à l’exportation à l’indice des prix à l’importation. Si les prix à l’exportation augmentent plus vite que les prix à l’importation, le pays a un terme de l’échange positif, ce qui se produit en cas de réévaluation monétaire. Inversement, la dévaluation conduit à un terme de l’échange négatif.
Le point d’éclaircissement : La relation entre le taux de change et la balance commerciale
La hausse du taux de change diminue le prix des importations, car elles demandent une quantité plus faible de monnaie nationale. Cela augmente le pouvoir d’achat des ménages sur les biens importés. Mais cela peut avoir aussi impact sur la production nationale, dans la mesure où les individus ont tendance à substituer une partie de leurs achats de produits locaux par des importations. Tout le problème est de savoir si on a affaire à des biens substituables ou non. Et simultanément, la hausse du taux de change augmente le prix des exportations, ce qui réduit la compétitivité-prix des entreprises (mais qui n’a pas d’effet sur une compétitivité d’origine structurelle).
La baisse du taux de change a des effets opposés : elle augmente le prix des importations (donc réduit le pouvoir d’achat des ménages) et peut les inciter à substituer les biens importés par les produits nationaux (si la substitution est possible). Et elle baisse le prix des exportations , ce qui améliore la compétitivité-prix des entreprises nationales.
La courbe en J (voir ci-dessous) décrit un mécanisme d’ajustement temporel dans lequel la balance commerciale d’un pays de détériore immédiatement après la dépréciation de sa monnaie (effet-prix), et ne s’améliore que quelque temps plus tard car les exportations augmentent en volume, de même que les importations baissent en volume. Mais les effets-volumes ne jouent pas tout de suite alors que les effets-prix sont immédiats.
L’extrait pour la classe préparatoire : Régime de change et industrie manufacturière
Afin d’évaluer l’effet d’une plus grande rigidité du régime de change sur la dynamique de l’industrie manufacturière, on mobilise le cadre d’analyse usuel dans lequel l’importance du secteur manufacturier est fonction de la population et du niveau de développement (approximé par le PIB/hab). Le régime de change est ajouté à cette spécification standard pour évaluer son impact sur l’industrialisation ainsi qu’en interaction avec le PIB/hab (voir graphique ci-dessous).
Lorsque le PIB/hab est faible, le secteur manufacturier apparaît moins développé (en part de PIB) dans le cas d’un régime de change fixe que dans celui d’un régime de change flexible. Toutefois, avec l’augmentation du revenu, l’écart se réduit et disparaît pour un niveau de revenu intermédiaire (entre 8000 et 10000 dollars). Pour un niveau de revenu élevé (au-delà de 12000 dollars), l’écart s’inverse, la part du secteur manufacturier dans le PIB étant plus importante en régime de change fixe qu’en change flexible.
PED et pays avancés ne sont donc pas confrontés aux mêmes arbitrages quant au choix de leur régime de change. Alors que le régime de change fixe est associé à des coûts industriels pour les PED, il favorise au contraire le secteur manufacturier des pays avancés. S’il est souvent motivé par le désir des PED d’une plus grande intégration entre eux, le régime de change fixe peut, en l’absence d’une politique d’accompagnement, se révéler auto-inhibiteur pour l’industrie. A l’inverse, le régime de change fixe bénéficie aux pays avancée en raison de son effet positif sur les exportations de biens manufacturés vers les PED qui leur sont ancrés monétairement.
Les sujets qui font débat :
L’industrialisation est-elle un facteur clé du développement économique ?
La mondialisation est-elle l’élément catalytique du recul de l’industrie dans les PED ?