Quels sont les fondements du commerce international et de l'internationalisation de la production ?

Synthèse

ressources pédagogiques SES bac 2020 2021

(BO)

Question 1. Comprendre le rôle des dotations factorielles et technologiques dans les échanges commerciaux et la spécialisation internationale

Question 2. Comprendre le commerce entre pays comparables (Différenciation des produits, Qualité des produits)

Question 3. Comprendre que la productivité des firmes sous-tend la compétitivité d'un pays, c'est à dire son aptitude à exporter

Question 4. Comprendre l'internationalisation de la chaîne de valeur et savoir l'illustrer

Question 5. Comprendre les effets induits par le commerce international

Question 6. Réviser le vocabulaire du programme

Comprendre les échanges commerciaux et le renouvellement des débats économiques (souveraineté économique, relocalisation, montée en gamme de la Chine, démondialisation, etc.) au temps de la pandémie de Covid-19

Comprendre l’évolution des échanges commerciaux et des débats sur les échanges internationaux après la pandémie

Depuis le mois de janvier 2020, la plupart des pays du monde doivent affronter une nouvelle maladie infectieuse respiratoire appelée Covid-19 (pour COrona Virus Disease). Apparu en Chine, le virus SARS-CoV-2 s’est répandu sur tous les continents en quelques semaines provoquant une crise sanitaire globale qui a réduit les activités productives et les échanges commerciaux entre les pays. Ce recul historique des flux internationaux de biens et services questionne la souveraineté des États, la généralisation des chaînes de valeur mondiale ou les relations commerciales entre les pays, notamment avec la Chine. La pandémie renouvelle aussi les débats sur la mondialisation avec les appels à la « démondialisation » et les aspirations à la relocalisation pour refaçonner les échanges commerciaux au XXIe siècle.

Evolutions des échanges commerciaux avec la pandémie

Au sens large, le commerce international est l'ensemble des flux de marchandises (produits agricoles, produits manufacturés, etc.) et des flux de services (transport, tourisme, services aux entreprises, etc.) qui circulent entre des espaces économiques différentes. C’est l’ensemble des importations et des exportations.

En octobre 2020, l'OMC prévoyait une baisse de près de 10% du volume du commerce mondial des marchandises pour 2020. Les estimations, sujettes à une forte incertitude, ne doivent pas masquer l’essentiel : la dynamique des échanges commerciaux enregistrée les décennies passées est brisée et la contraction du commerce international a concerné à la fois les marchandises et les services.

La pandémie de Covid-19 a entraîné une contraction du commerce de marchandises. Si le commerce des produits agricoles a peu reculé, le commerce de produits industriels a fortement baissé. Les effets dévastateurs du virus ont été particulièrement marqués dans le commerce de produits de l'industrie automobile où le recul des échanges s’explique à la fois par la chute de l’offre (perturbations des chaînes d’approvisionnement) et de la demande (confinement des consommateurs). Notons que le commerce de produits électroniques s'est maintenu car les ménages et les entreprises ont modernisé leurs équipements pour bénéficier des services offerts par les plateformes numériques et pour faciliter le télétravail. Enfin, le commerce des produits pharmaceutiques a fortement augmenté avec une croissance explosive du commerce des équipements de protection individuelle (cf. masques).

A l’image du tourisme international, le commerce des services a enregistré un fort recul. Les mesures de confinement et les restrictions en matière de voyages entraînant à la fois un choc d’offre et de demande. De plus, lorsque les usines sont à l'arrêt ou mobilisent faiblement leur capacité de production dans de nombreux pays, les services fournis aux industries manufacturières (construction, services d’architecture et d’ingénierie, etc.) s’effondrent. Notons que les échanges de services informatiques ont enregistré une augmentation avec la demande croissante de services numériques (plateformes, télétravail).

Protections des marchés et souveraineté(s)

La pandémie a renouvelé les demandes de protections des marchés nationaux et de souveraineté économique qui avaient déjà trouvé un bruyant écho avec le conflit commercial sino-américain.

Si l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est une organisation internationale qui vise à favoriser le libre-échange et limiter le protectionnisme, ses membres sont libres de déterminer les mesures pour protéger leurs ressortissants. Les règles de l'OMC permettent aux États membres, pour protéger la santé et le bien-être des populations, d’adopter des mesures limitant le commerce international (cf. interdictions des importations et des exportations, restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation, licences d'importation, etc.). Toutefois, ces mesures doivent être appliquées sans discrimination (cf. clause de la nation la plus favorisée) et ne pas constituer de restrictions déguisées au commerce international.

Ces principes ont été fortement questionnés lorsque des pays ont refusé de participer au commerce de médicaments pour privilégier leurs populations renforçant alors les tensions sur les approvisionnements et perturbant les chaînes de valeur mondiale du médicament. Par exemple, l’Inde, un des principaux fabricants mondiaux de médicaments génériques, a décidé de limiter l’exportation de 26 médicaments et principes actifs pharmaceutiques vers d’autres membres de l’OMC.

 

La volonté d’autosuffisance dans certains secteurs a donc questionné la souveraineté économique des États. Le terme souveraineté renvoie à la fois à la fonction du souverain et à la nature de son pouvoir : c’est le pouvoir suprême, absolu, sans limite, sans restriction exercé sur un territoire et une population.

La réalité d’un pouvoir suprême exercé sur un territoire restreint, à l’égard d’une population fixe, par un État libre de tout engagement est remise en cause par l’interdépendance des États, le place des organisations internationales, la mondialisation des échanges des productions (biens et services) et des facteurs de production (capital, travail) et par les nouvelles technologies qui se jouent des frontières.

La « souveraineté » est une notion politique, et non économique. On peut être souverain… et dépendant ! La France est un état souverain qui est dépendant des importations pour le pétrole, le gaz ou les équipements électroniques et informatiques.

La « souveraineté économique » serait donc le pouvoir de choisir ce que l’on importe. C’est le choix, et non le refus, de l’importation. Toutefois, la définition du terme ne fait pas consensus. Pour les uns, l’expression renvoie à l’idée large contrôle sur son destin, pour d’autres, elle est le pouvoir de décision et d’action du gouvernement et, dans une vision plus restreinte, c’est la capacité de produire sur le territoire national.

La souveraineté économique fait donc l’objet de perception plurielle tant dans les dispositions à prendre pour l’exercer, l’étendue du territoire d’activité ou les formes de sa mise en œuvre.

En effet, la souveraineté économique peut être atteinte de différentes manières : en produisant dans le pays mais aussi en privilégiant les solutions les moins couteuses produites ailleurs pour bénéficier des gains à l’échange, en constituant des stocks stratégiques, en diversifiant ses approvisionnements, en établissant des partenariats, etc.

De plus, quel est le « territoire » pertinent à prendre en compte ? Pour un pays membre de l’Union européenne est-ce le territoire national, la zone euro ou le marché unique constitué de 27 pays ? Dans de nombreux domaines, la souveraineté économique de la France a une dimension européenne : la politique de concurrence, le rôle international de l'euro ou des banques de développement se définissent avec les autres membres qui tous cherchent à renforcer la capacité de l’UE à exercer ses prérogatives économiques, à participer à la définition des règles du jeu et à orienter la gouvernance mondiale. Alors, la notion de souveraineté économique peut se comprendre comme « la capacité collective des pays de l’UE à travailler ensemble pour préserver leur indépendance économique », notamment face aux deux grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis. De plus, le pouvoir de décision et d’action du gouvernement français doit prendre en compte ses nombreux autres engagements internationaux notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou du Fonds monétaire international (FMI).

Enfin, quelle forme de souveraineté privilégier ? On peut s’accorder pour conserver des industries « stratégiques » sur son territoire. Néanmoins les difficultés commencent lorsque l’on cherche à identifier les industries ou les productions stratégiques. Est-ce le tourisme, l’industrie aéronautique et spatiale, l’industrie automobile, l’industrie agroalimentaire, l’énergie, la finance ou le numérique ?

La définition d’un secteur stratégique m’empêche nullement l’échange international et l’existence de chaîne de valeur mondiale (CVM). Ainsi, s’il y a un consensus pour reconnaître que les industries militaires sont stratégiques en France, la réalité des choix opérés reste complexe :

  • en 2016, l’armée de Terre française a choisi de remplacer les fusils automatiques de la manufacture de Saint-Etienne (FAMAS) par les HK416, proposés par Heckler et Koch dans sa version F, plus économiques, plus faciles à manier et plus modulables. La «deutsche qualität» l’a ici emporté sur la préférence nationale !
  • de même, pour renforcer leur souveraineté aérienne, l'Indian Air Force a acheté 36 avions de combat Rafale à Dassault Aviation et, pour protéger ses intérêts stratégiques et commerciaux en Asie-Pacifique, l’Australie a commandé au constructeur naval français Naval Group une flotte de douze sous-marins de classe Attack ;
  • enfin, si la France conserve une industrie de défense exportatrice, elle est dépendante, au Sahel, des drones américains.

Cette complexité se retrouve pour les nouvelles technologies (semi-conducteurs, intelligence artificielle, nanotechnologies, biotechnologies, etc.). Tous apparaissent comme stratégiques pour un État à la frontière technologique, c’est-à-dire dont les firmes maîtrisent l’ensemble des technologies existantes les plus efficaces. Toutefois, aucun groupe privé français ou même européen n’est en mesure aujourd’hui d’investir seul ces domaines.

Faut-il alors créer un Google ou un Facebook français avec l’argent du contribuable ?

Est-il pertinent de subventionner la fabrication de masques et d’élastiques lorsque les fonds investis dans ces unités de production peuvent être utilisés pour les dépenses en recherche et développement dans les biotechnologies ?

Philippe Aghion, professeur d'Économie au Collège de France, plaide, par exemple, pour la création d'une « Darpa européenne », inspirée de l'agence de financement de la recherche du Pentagone américain, qui témoignerait pour une « vraie politique d'investissement européen, avec une vision de long terme ».

D’une manière générale, toutes les importations interrogent l’indépendance nationale !

Mais la théorie des avantages comparatifs souligne que, d’un point de vue économique, les pays n’ont pas intérêt à produire tous les biens et services sur leur territoire mais, au contraire, de se spécialiser et échanger. Ainsi, l’Hexagone est dépendant de l’étranger pour nombre des approvisionnements fondamentaux notamment énergétiques, militaires et médicaux. La France doit donc importer du gaz et du pétrole, des véhicules blindés de combat ou des principes actifs… mais elle est aussi exportatrice d’électricité, d’armement (avions, sous-marins, frégates, etc.) et de médicaments. On repère ici l’existence d’échanges intrabranches.

De plus, la spécialisation et l’échange international peuvent aussi s’expliquer par l’importance de dotations factorielles et technologiques différentes de ceux des autres pays qui génèrent généralement des échanges interbranches.

En 2020, le président de la République, Emmanuel Macron, a affiché l’ambition de « rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique ».

Il ne faut pas comprendre cette affirmation comme un retour au Made in France pour toutes ces productions ou la fin des chaînes de valeur mondiale avec la relocalisation de toutes les fabrications sur le territoire national mais comme l’amorce d’une réflexion sur les « biens ou productions essentiels » que l’on ne veut pas confier aux autres. La pandémie a donc réhabilité le rôle de l’État. Amortisseur de la crise en dernier ressort (déficits, subventions, mesures de chômage partiel, garantie de prêts, etc.), il est aussi celui qui définit les choix stratégiques économiques.

Par nature, tout engagement restreint une liberté. Les traités internationaux peuvent donc limiter une souveraineté économique mais leur signature reste le choix de l’État. La souveraineté, c’est donc choisir avec qui coopérer sur une base de respect mutuel.

 

Interdépendances via l'internationalisation des chaînes de valeur mondiale (CVM)

En désorganisant certaines chaînes de valeur mondiales (CVM), la pandémie a souligné leur fragilité, parfois leur démesure et leur hypertrophie et, toujours, l’interdépendance des productions nationales dans un monde globalisé.

Lorsque les processus de production sont décomposés plusieurs opérations de production sont nécessaires pour obtenir un bien final. Une chaîne de valeur mondiale (CVM) est une succession d’activités exécutées par les entreprises dans différents pays pour créer de la valeur lors des diverses étapes de la production et de la commercialisation. La conception des produits, la fabrication des composants, leur assemblage et leur commercialisation sont réparties dans le monde entier dans le cadre de chaînes de production internationales. Les produits sont « Fabriqués dans le monde » plutôt que dans une seule économie. Les CVM sont donc une organisation internationale de la production caractérisée par une fragmentation entre plusieurs pays des différentes étapes du processus de production des biens ou services.

Par exemple, pour la fabrication d’un médicament, les activités de recherche et développement (R&D) sont localisées dans un pays, les essais cliniques sont effectués dans un autre, la production réalisée ailleurs de même que la commercialisation des médicaments et la surveillance des médicaments et des patients.

Les étapes de production d'un médicament sont donc réparties entre des filiales ou des sous-traitants établis dans plusieurs pays en fonction des implantations historiques des groupes pharmaceutiques et des avantages comparatifs offerts par les différents pays.

Les principes actifs (substances qui font l'efficacité thérapeutique ou molécules actives pour traiter la maladie) sont devenus des produits industriels banalisés, des produits intermédiaires dans la chaîne de valeur du médicament. Selon l’Académie nationale de pharmacie, l’Inde et la Chine produisent aujourd’hui 60% à 80% des matières premières à usage pharmaceutique. Le glissement de leur production vers l’Asie à de nombreuses causes notamment le faible coût de la main-d’œuvre, qui augmente les marges et la compétitivité-prix des firmes multinationales, mais aussi les exigences règlementaire et environnementales réduites dans certains pays qui sont parfois dénoncés comme une forme de « concurrence déloyale ». On peut aussi ajouter comme explication des délocalisations des capacités industrielles et logistiques plus importantes en Asie, une forte productivité de la main-d’œuvre et une fiscalité sur la production moindre.

L'Europe a ainsi perdu progressivement ses capacités de production dans la fabrication de principes actifs. Et, lorsque des médicaments génériques dépendent à 100% d'un principe actif chinois ou indien, la question de l’indépendance à cause de la fragmentation de la chaîne de valeur est posée surtout lorsque les pays producteurs ont la capacité d'arrêter ou de réorienter les flux d’exportations qu’ils dominent et montent en gamme comme la Chine.

 

Repenser les relations commerciales avec la Chine

La Chine, peuplée de 1,4 milliard d’habitants, est devenue le deuxième marché au monde et devrait dépasser les États-Unis d’ici 2030. Cette transformation n’est pas que quantitative, elle est aussi qualitative et affecte fortement les perspectives du commerce international.

L’adhésion de la République populaire de Chine (RPC) à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 s’est accompagnée d’une augmentation de sa part dans les exportations manufacturières mondiales. Les économistes américains Daron Acemoglu et David Autor ont souligné la détérioration du marché du travail américain concomitante à une hausse des importations chinoises : l’essor de « l’atelier du monde » s’est faite au détriment de l’emploi manufacturé américain. Ce « syndrome chinois » se matérialise aussi par la baisse des salaires sur les marchés du travail locaux qui abritent des industries manufacturières en concurrence avec les importations chinoises.

D’une manière générale, la concurrence chinoise a des effets directs mais aussi indirects sur l’emploi (cf. essor des sous-traitants, relocalisations des chaînes de valeur) entraînant des « chocs sectoriels » sur les autres économies. Le commerce international et l’internationalisation des CVM entraînent donc une réallocation de la main-d’œuvre et du capital des secteurs en déclin vers d’autres secteurs dans les économies avancées. L'emploi local mais aussi les revenus du travail dans les secteurs manufacturiers et non manufacturiers sont affectés, la concurrence des importations chinoises, et d’autres pays, modifiant la répartition des revenus, augmentant les inégalités de revenus au sein de chaque pays, accentuant la polarisation des emplois et des rémunérations.

Comprendre l’économie chinoise, c’est aussi souligner l’importance d’un État qui recherche à la fois la croissance économique, le développement technologique et l'influence géopolitique. Les objectifs privés de profit des firmes et de sécurité du gouvernement sont ici fortement entremêlées. S’il est compréhensible que la RPC veuille rediscuter les normes multilatérales façonnées par les États-Unis et les principaux pays européen après la Seconde guerre mondiale, il est aussi nécessaire que les autres pays interrogent les situations asymétriques que la Chine impose à ses « partenaires » et sa vision du multilatéralisme.

Par exemple, si le marché européen s’ouvre aux firmes multinationales chinoises, les entreprises européennes en Chine sont confrontées aux législations asymétriques qui fournissent des avantages structurels à leurs concurrents chinois. Les subventions, les commandes publiques, les transferts de technologie forcés, le large accès au crédit à faible coût… faussent les règles du jeu au profit de la «China Inc.», métaphore pour évoquer les liens entre l'État, le Parti et les entreprises publiques et privées chinoises. De plus, les multinationales européennes ont des difficultés pour investir et valoriser leurs capitaux en Chine, faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle, obtenir des arbitrages sincères devant les tribunaux, etc.

De surcroît, la RPC remet parfois en cause l’esprit, si ce n’est la lettre, des engagements multilatéraux et des normes multilatérales :

  • certaines règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sont interprétées pour imposer des transferts de technologie ;
  • l’Initiative des nouvelles routes de la soie (ou OBOR, pour One Belt, One Road), projets d’infrastructures terrestres et maritimes entre la Chine et l'Europe offre des opportunités de commerce et d'investissement mais reste questionnée par le Fonds monétaire international (FMI) qui souligne le manque de transparence dans la conditionnalité des prêts de nombreux projets ;
  • le manque de transparence sur les financements chinois ne facilite pas les efforts des banques multilatérales de développement pour prêter aux pays en développement d’autant que la Chine ne respecte pas les principes du Club de Paris, qui vise à apporter des solutions multilatérales aux problèmes de surendettement ;
  • la diplomatie chinoise exploite les failles dans l’unité de l’Union européenne (cf. liens bilatéraux directs avec certains pays d'Europe centrale et orientale) et la Commission européenne s’interroge parfois sur la finalité (politique, financière, technologique) de l'acquisition d'une entreprise européenne par une entreprise chinoise notamment dans le secteur des télécommunications.

Toutefois, les firmes européennes ne doivent pas négliger que le gouvernement chinois a décidé d’investir massivement dans les activités de recherche et de développement (R&D) afin d’aider les groupes chinois à innover et augmenter la qualité des produits.

Dans la 2e moitié du XXe siècle, le «Made in China» est devenu synonyme de coût bas et de qualité médiocre. Pourtant, au XVIIIe siècle, les produits chinois étaient, dans les cours royales occidentales, des produits de luxe ayant une grande qualité et valeur culturelle. Le plan décennal « Made in China 2025 » redéfinit les priorités industrielles de la Chine et vise à soutenir la transformation de l’industrie manufacturière afin de faire passer la Chine du statut « d’usine du monde » à celui de « grande puissance industrielle », maîtrisant la recherche, l’innovation et la production de biens à forte valeur ajoutée afin que les multinationales chinoises s’imposent sur les marchés internes et étrangers grâce des stratégies de différenciation des produits.

La Chine démontrant que la mondialisation permet non seulement de sortir de sa population de la pauvreté mais aussi de connaître un haut niveau de développement bénéfique à de larges classes moyennes et à ses partenaires commerciaux. Ainsi, si la Chine développe son industrie aéronautique, elle reste un gros client pour Boeing (États-Unis) et Airbus (Union européenne).

Pour d’autres, l’affirmation chinoise dans la haute technologie est une menace à la fois économique et géopolitique.

L’industrie du médicament peut illustrer cette stratégie d’augmentation de la valeur ajoutée et de montée en gamme. Une population nombreuse (1,4 milliards d’habitants) qui connaît des transformations (vieillissement, changements de modes de vie, urbanisation) favorable à la demande en soins médicaux est une aubaine pour les firmes multinationales comme les firmes américaines Pfizer, Johnson & Johnson, Merck & Co, Abbvie, etc. les suisses Novartis ou Roche, l'allemand Bayer, les britanniques AstraZeneca ou GlaxoSmithKline ou le français Sanofi (pour qui la Chine est devenue le deuxième marché mondial après la France et qui employait près de 9000 personnes en Chine en 2019).

Sur ce marché du médicament, devenu le deuxième marché mondial derrière les États-Unis, le gouvernement chinois souhaite augmenter le nombre de sociétés chinoises qui répondent aux besoins de la population et exportent des médicaments sur les marchés des économies avancées. Ainsi, si les principaux groupes du secteur pharmaceutique restent européens ou américains, les groupes chinois (Yangzijiang, Jiangsu Hengrui ou Qilu) deviennent des acteurs de la « Big Pharma ». Cette montée en gamme (sous-traitants de principes actifs, fabricants de génériques puis innovations et enregistrement de traitements de dernière génération) est permise par la hausse des dépenses en R&D et la protection des brevets. Il s’agit de passer d’une production pharmaceutique « low-cost » a une industrie biopharmaceutique haut de gamme par le développement de centres de biotechnologies (cf. « Pharma Valley » à Pudong, Shanghai) et faire revenir les « tortues de mer » (chercheurs chinois formés à l'étranger) pour travailler dans les incubateurs des biotechnologies comme ceux du parc technologique Zhangjiang.

 

Les défis de la relocalisation

 

Avec la pandémie, et les arrêts d'activités productives en Chine, l’opinion publique française a pris conscience de la dépendance économique de certaines industries. Face aux tensions d’approvisionnement en produits sanitaires, le gouvernement français a présenté en juin 2020 son plan d’action (identifier les projets bénéficiaires, 120 millions d’euros pour créer de nouvelles capacités de production, prêts garantis par l’État) pour la relocalisation des industries de santé en France. Mais les défis pour relocaliser les productions restent de taille.

D’une manière générale, les choix stratégiques des firmes multinationales peuvent se résumer par l’alternative « faire » ou « faire faire ».

« Faire », c’est réaliser en interne la production.

« Faire faire » par d’autres entreprises, c’est externaliser une partie des activités.

L’entreprise peut décider de « faire faire » en France, éventuellement en changeant de région, ou à l’étranger. Dans ce dernier cas, on parle de délocalisation de l’activité.

Selon l’Insee, la délocalisation d’une activité est « le transfert total ou partiel de cette activité de la France vers l’étranger ». L’activité (production, assemblage, stockage, service après-vente, etc.) étant auparavant réalisée par l’entreprise elle-même.

Enfin, l’entreprise peut décider de « faire » ou « faire faire » en France des activités qui étaient auparavant réalisées à l’étranger, c’est-à-dire relocaliser. La relocalisation d’une activité est donc « le transfert total ou partiel de cette activité de l’étranger vers la France ».

La hausse des coûts salariaux unitaires en Asie, notamment en Chine, et les gains de productivité permise par l’automatisation et la numérisation des tâches dans les économies avancées, ont incité certaines entreprises à relocaliser leur production plus près des consommateurs. De plus, la hausse des coûts de transaction ou des droits de douanes augmentant le coût de la délocalisation peuvent inciter à relocaliser des activités industrielles. Toutefois, les entreprises et pouvoirs publics se posent de multiples questions avant de relocaliser :

  • le consommateur est-il prêt à payer un surcoût de production ? (ou le « Made in France » séduit-il assez l’acheteur pour qu’il accepte de payer plus cher ?)
  • le marquage de l’origine française respecte-t-il les règles d’origine non préférentielle prévues par le code des douanes de l’Union européenne ? (ou les États membres de l’Union européenne peuvent-ils imposer aux entreprises la traçabilité de leurs chaînes de valeur ?)
  • les dispositifs d’aide à la relocalisation sont-ils efficaces ?
  • la relocalisation signifie-t-elle réindustrialisation ?

La relocalisation dépend d’abord de la technologie, des processus de production et du mode de concurrence (par les prix ou par l’innovation) dans le secteur d’activité de l’entreprise. De plus, il semble que les cas où le coût de la main-d’œuvre reste important (cf. assemblage dans les activités textiles) les consommateurs ne semblent pas prêts à payer un prix plus élevé. Globalement, au niveau de l’ensemble des entreprises des économies avancées, il y a un triple mouvement avec :

  • la poursuite des délocalisations pour des raisons de coût (cf. coûts du travail, coûts de respect des normes environnementales, sociales, etc.) et de proximité des marchés émergents ;
  • des relocalisations liées à la hausse des salaires dans les économies émergentes, la complexité croissante des CVM trop fragmentées et la changement de goût des consommateurs ;
  • des délocalisations nouvelles dans les services avec la numérisation des processus de production qui permet de synchroniser la production dans un espace et la consommation dans un autre.

Pour El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, relocaliser est possible, mais pas toujours pertinent. Il identifie trois sortes de relocalisations :

  • les relocalisations traditionnelles, soit le retour pur et simple d’une activité. On parle de relocalisation stricte quand elle se fait au même endroit, ou de relocalisation large quand elle se fait à proximité du marché, dans la même région. Néanmoins, une entreprise relocalise rarement au même endroit car les compétences disponibles, l’environnement social et fiscal, ont changé ;
  • les relocalisations d’arbitrage, lorsqu’un groupe mondial décide de déplacer la production d’un site à un autre et rapproche la production ;
  • les relocalisations de développement compétitif, quand, grâce à une innovation, une entreprise qui se fournissait à l’étranger arrête d’importer et produit sur place. L’expérience acquise à l’étranger sert le démarrage en France d’une nouvelle activité.

Pour El Mouhoub Mouhoud, « en moyenne, pour dix emplois délocalisés auparavant, on en relocalise un. » et la politique industrielle doit favoriser les « relocalisations de développement compétitif » ou « relocalisation schumpétérienne » bien qu’elles ne bénéficient généralement pas aux bassins d’emplois historiques : « On a observé des recompositions de chaînes d'approvisionnements sur des bases régionales dès les années 2010. Pas forcément sur une base nationale».

L’industrie pharmaceutique est une industrie automatisable, mais très spécifique. Les groupes pharmaceutiques sont des oligopoles mondiaux. Ils se livrent une concurrence par l’innovation, la différenciation des produits et la mise sur le marché de nouveaux produits. Leur cœur de métier c’est donc déplacé vers deux blocs de compétences spécifiques : la recherche et développement (R&D) et le marketing. La production, qui se trouve au milieu de la chaîne de valeur, a souvent été délocalisée dans des pays à faible coût de main d’œuvre et l’Inde et la Chine ont aussi pu fournir les ingénieurs, techniciens et autres personnels qualifiés pour la production et l’assemblage des principes actifs.

Dans ce secteur, comme dans d’autres, la baisse des coûts salariaux et des coûts de pollution a longtemps primé sur les risques en matière de sécurité d’approvisionnement. Pourtant, certains dirigeants d’entreprises estiment que le mouvement de relocalisation peut s’accélérer en France… même s’ils sont conscients qu’il est illusoire de penser faire revenir la totalité des productions transférée en Asie ou sur d’autres continents. Ainsi, David Simonnet, le PDG d'Axyntis, entreprise de taille intermédiaire (ETI) de la chimie fine qui travaille pour l’industrie pharmaceutique, souligne qu’« on ne relocalisera qu'un pourcentage modeste de ce qui est fait en Inde et en Chine. Pour favoriser cette relocalisation, pour se réindustrialiser » compte tenu des coûts et de l'acceptabilité sociétale de conditions de production. Néanmoins, le choix de maîtriser la chaîne de production la plus large possible devrait conduire à des relocalisations ciblant les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), dont l’interruption de traitement peut mettre en jeu le pronostic vital du patient. Et le dirigeant de souligner « relocaliser, ce n’est pas seulement donner accès à des médicaments. C’est aussi irriguer les territoires d’emplois à valeur ajoutée ». 

 

Démondialisation ou nouvelle étape de la mondialisation ?

La diffusion d’un virus n’a pas besoin de la mondialisation économique pour se répandre. Néanmoins, la pandémie a dévoilé au grand public les interdépendances qui caractérisent l’économie mondiale et a rappelé aux économistes leurs vulnérabilités de la fragmentation des CVM. La pandémie invite donc à faire le procès du capitalisme mondialisé et à remettre en cause la mondialisation libérale, comme l’illustrent les partisans d’une « démondialisation ».

Le dictionnaire Larousse définit la démondialisation comme une « politique économique préconisant une nouvelle organisation de l’économie mondiale qui, si elle prend acte des interdépendances humaines, se propose de limiter les effets néfastes du libre-échange. »

La démondialisation est d’abord une interrogation : la mondialisation est-elle allée trop loin ?

Ses inconvénients (cf. pertes d’emplois locaux) dépassent-ils ses avantages (cf. hausse du bien-être des consommateurs) ?      

Notons que l’on peut comprendre la démondialisation comme la fin de la mondialisation ou, à l’opposé, comme une relocalisation « défensive » et limitée qui vise à sécuriser les approvisionnements considérés comme stratégiques.

Le terme suppose donc de penser la mondialisation dans son nouveau contexte : celui d’une augmentation des coûts salariaux dans les pays émergents, d’une hausse des coûts de transport de marchandises et d’une baisse des coûts de communication, d’une montée des exigences sociales et environnementales dans toutes les économies, etc.

Si la fragmentation des CVM entre plusieurs pays des différentes étapes de production a caractérisé la mondialisation des trente dernières années, la crise sanitaire amène à reconsidérer le rapport coûts-bénéfices de cette organisation internationale des productions. Néanmoins, plus qu’une « démondialisation », il semble que l’on assiste à de nouvelles orientations des firmes multinationales et donc à une recomposition des chaînes de valeur mondiale par des entreprises qui multi-localisent leurs productions et relocalisent certains éléments de la chaîne de valeur. Il s’agit donc davantage d’une réorganisation des investissements directs à l'étranger (IDE) notamment pour se rapprocher des marchés et des clients afin de répondre aux nouvelles attentes en termes de qualité des biens et services, de disponibilité et de traçabilité des productions, de respect des règlementations environnementales, etc.

C’est alors un processus de régionalisation des productions qui s’observerait au sein des continents.

Notions

Est le pouvoir suprême, sans restriction exercé sur un territoire et une population. La notion de « souveraineté économique » est cependant polysémique est renvoie soit à l’idée large contrôle sur son destin, soit au pouvoir de décision et d’action du gouvernement ou à la capacité de produire sur le territoire national.
En France d’une activité est le transfert total ou partiel de cette activité de l’étranger vers la France, cette activité pouvant être transférée dans l’entreprise ou confiée à une autre entreprise implantée en France.

est le transfert total ou partiel de cette activité de la France vers l’étranger, cette activité étant auparavant réalisée par l’entreprise elle-même ou par une autre entreprise (cf. sous-traitant).
Attention
Une activité créée ex nihilo sans transfert de postes de la France vers l’étranger n’est pas considérée comme une délocalisation.

Synthèse

ressources pédagogiques SES bac 2020 2021

En stimulant la concurrence et en élargissant les marchés, le commerce extérieur contribue à améliorer l’efficacité de la production.

Il permet aux entreprises de réaliser des économies d’échelle (baisse des coûts unitaires de production avec l’augmentation de la taille du marché). La baisse des coûts de production peut ainsi se répercuter sur les prix de vente au consommateur. Cette baisse des prix s’ajoute à la diversité de l’offre. Dans les secteurs des puces électroniques ou des télécommunications, la mondialisation et le progrès technique ont ainsi permis une baisse des prix et une amélioration des performances.

Soulignons cependant que le commerce peut être une source d’instabilité des prix dans certaines productions, notamment sur les marchés de produits agricoles. En effet, pour ces produits, on cumule une forte rigidité de l’offre (la production agricole réagit lentement aux mouvements du marché), des facteurs exogènes qui influencent fortement la production (climat, maladies des plantes) et une faible sensibilité de la consommation aux variations de prix (ou faible élasticité-prix de la demande).

Ainsi, les mouvements qui s’observent dans l’industrie des semi-conducteurs ne sont pas les mêmes dans la production de coton ou de viande. Les termes de l'échange sont le rapport entre l'indice (par produit ou pour un ensemble de produits) du prix des exportations et celui des importations.

Les termes de l'échange s'améliorent dans le temps si pour les mêmes quantités exportées, le pays peut acheter une quantité accrue de biens et services importées. Une amélioration des termes de l'échange de 1% signifie que la croissance du prix des exportations est 1% plus forte que celle du prix des importations. Dans le cas inverse, les termes de l'échange se dégradent.

Notons qu’une amélioration des termes de l’échange signifie aussi une détérioration de la compétitivité-prix du pays et que la baisse des termes de l'échange signifie une amélioration de la compétitivité-prix.

Le développement des chaînes de valeur mondiales a permis :

  • l’insertion de certains pays pauvres dans la mondialisation (Chine, Bangladesh, Viet Nam, etc.) augmentant ainsi le revenu national par habitant dans ces pays. Les CVM offre donc la possibilité de s’intégrer dans les marchés mondiaux à moindre coût puisque les firmes dans le pays ne produiront qu’une partie du produit final ;
  • l’essor de firmes multinationales puissantes intensifiant les relations entre leurs filiales et d’autres entreprises et renforçant une concentration des profits au sein d’oligopoles mondiaux.

Toutefois, les gains liés à la participation aux CVM et, de manière générale, à la mondialisation ne sont pas également répartis entre les pays et au sein des pays, d’où la hausse des inégalités. L’inégalité peut s’appréhender comme des différences entre pays ou entre groupes sociaux qui se traduisent en termes d'avantages ou de désavantages et qui fondent une hiérarchie. En étudiant l’inégalité à l’échelle mondiale, les économistes Branko Milanovic et Christoph Lakner ont comparé les évolutions de l’ensemble des revenus de la planète (pauvres américains, classes moyennes indiennes, riches chinois, etc.).

Ils démontrent d’abord que l’inégalité mondiale reste élevée. Mesurée avec l’indice de Gini du revenu mondial (qui va de 0 égalité parfaite à 1 inégalité parfaite), l’inégalité mondiale était supérieure à 0,7 en 2008. Elle est supérieure à celle mesurée à l’intérieur de chaque pays (en France, l’indice de Gini était de 0,289 en 2008). Toutefois, ils pointent un déclin de l’inégalité mondiale ! En effet, l’inégalité entre pays a diminué (cf. essor économique des pays du sud-est asiatique dont la Chine).

La courbe dite « de l’éléphant » permet de visualiser une redistribution des revenus à l’échelle mondiale. Elle offre une vision rapide et synthétique des « gagnants » (les 1% les plus riches de la planète et les nouvelles classes moyennes des pays émergents) et les « perdants » (classes moyennes des économies avancées) de la mondialisation. Pour Branco Milanovic, la situation des individus dépend d’abord et avant tout de l’endroit où ils sont nés !

L’économiste français François Bourguignon souligne que la diminution de l'inégalité entre pays va aussi de pair avec une augmentation de l'inégalité au sein des pays. La concurrence des pays à bas salaire, l’externalisation et la délocalisation des tâches et des productions, hétérogénéité des firmes en termes de productivité, les restructurations favorables aux détenteurs de capitaux, le recul de la progressivité de l’impôt, les effets du progrès technique qui favorisent quelques firmes, etc. sont les principaux facteurs de cette hausse des inégalités internes d’un grand nombre d'économies avancées, émergentes ou en développement.

Ce phénomène a aussi touché la France même si la hausse des inégalités internes est limitée par l’existence du salaire minimum. Le mouvement de réouverture des inégalités internes est particulièrement marqué aux États-Unis avec la forte progression des plus hautes rémunérations. Il y a donc un « double renversement » dans l'évolution des inégalités économiques mondiales : l'inégalité mondiale diminue mais l'inégalité augmente au sein de nombreux pays.

Les chaînes de valeur mondiales (CVM) ont aussi des effets sur l’environnement puisque la multiplication des transports n’est pas neutre en carbone : la hausse des distances parcourues augmente les émissions de dioxyde de carbone (CO2). La multiplication des phases de production augmente les déchets liés à l’emballage/désemballage des produits.  Ce « double renversement » des inégalités, tout comme les effets du commerce mondial sur l’environnement, renouvellent le débat sur le libre-échange et le protectionnisme.

Le libre-échange est une politique commerciale qui promeut l'abaissement voire la suppression des barrières tarifaires (droits de douane, taxes, etc.) et non tarifaires (quotas, contingentements, contraintes administratives, le respect de normes techniques et sanitaires ou des restrictions à l’accès au marché intérieur, etc.) appliquées aux importations de biens et de services afin de permettre la libre circulation des productions.

A l’inverse, le protectionnisme est une politique commerciale qui vise à instaurer ou augmenter les barrières tarifaires (droits de douane, taxes, etc.) et non tarifaires (quotas, contingentements, contraintes administratives, le respect de normes techniques et sanitaires ou des restrictions à l’accès au marché intérieur, etc.) afin de limiter les importations.

Au XVIIIe siècle, par exemple, Adam Smith (1723-1790) critique le « système mercantile », les protectionnistes de son époque, parce que la réglementation des échanges extérieurs « est la chose la plus absurde qui soit au monde ». La division du travail étant limitée par l'étendue du marché, les nations doivent élargir leurs débouchés et « Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché que nous ne sommes en état de l'établir nous-mêmes, il vaut bien mieux que nous la lui achetions avec quelque partie du produit de notre propre industrie, employée dans le genre dans lequel nous avons quelque avantage » (Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des nations, 1776).

Soulignons que l’économiste écossais avançait deux limitations au libre-échange. On peut taxer les marchandises étrangères pour encourager l'industrie nationale «quand une espèce particulière d'industrie est nécessaire à la défense du pays», c’est l’argument de la défense nationale (la défense de l'Angleterre dépendait alors du nombre de ses vaisseaux et de ses matelots) et lorsque les produits nationaux sont frappés d'un impôt spécifique (« Dans ce cas, il paraît raisonnable d'établir un pareil impôt sur le produit du même genre, venu de fabrique étrangère »), c’est ce qu’on appelle aujourd’hui des représailles commerciales.

Depuis, la théorie économique souligne que le libre-échange est un optimum à atteindre et le protectionnisme une exception à contenir. La théorie des avantages comparatifs démontre que la richesse augmente pour tous les pays s’ils se spécialisent et échangent. Elle fut renforcée par la théorie des dotations factorielles qui défend le même schéma : spécialisation et échange. Que la spécialisation évolue ou qu’elle provienne d’un avantage temporaire, notamment issu d’un écart de technologie, la théorie économique souligne les gains de la spécialisation et du libre-échange.

Pour les défenseurs du libre-échange, supprimer les entraves, tarifaires et non tarifaires, aux échanges commerciaux permet :

  • de créer plus de richesses que dans les situations d’autarcie ;
  • de réduire les inégalités car la croissance bénéficie à tous : au plus pauvre (augmentation des salaires) et aux plus riches (hausse des profits).

Les succès de petites économies dans les années quatre-vingt comme Taiwan, la Corée du Sud, Singapour ou Hongkong s’expliquent par leur insertion dans l’économie mondiale. Aujourd’hui l’affirmation de puissances émergentes comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) doit beaucoup à leur politique de libéralisation commerciale. Ainsi, en 2009, la Chine a supplanté l’Allemagne au rang de premier exportateur mondial de marchandises et, en 2013, elle dépasse les États-Unis comme premier pays commerçant. Dans tous ces pays, à des rythmes et une ampleur différente, la croissance des gains de productivité et l’extension des marchés grâce au commerce mondial ont permis aux entreprises de créer de la valeur ajoutée. Enfin, l’existence d’une main-d’œuvre productive à faibles coûts a attiré des firmes multinationales qui se sont implantées dans leurs zones franches de transformation pour l’exportation, enclaves de libre-échange dans lesquelles entreprises étrangères et locales produisent essentiellement à des fins d’exportation.

Aujourd’hui, l’ensemble des économies avancées, des puissances émergentes et la plupart des économies en développement adhèrent à l’Organisation Mondiale du Commerce.

L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est une organisation internationale qui a pour objectif de promouvoir la libéralisation et l’expansion du commerce international de biens et de services. Elle a succédé à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) le 1er janvier 1995. L’OMC sert de forum dans les négociations pour la libéralisation du commerce. Elle permet l’adoption de règles commerciales applicables entre ses membres. Elle est aussi un organisme qui contrôle la mise en œuvre des règles commerciales contraignantes adoptés par les États membres et propose une procédure pour le règlement des différends commerciaux. Enfin, l’OMC est l’institution auprès de laquelle sont consolidés les droits de douane des États membres. Il s’agit de droits de douane maximum que les États s’engagent à ne pas modifier.

Quatre principes fondamentaux forment les piliers du système de l’OMC :

  • le principe de la nation la plus favorisée (ou égalité de traitement entre les pays membres de l'organisation qui ne peuvent pas établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux. Ainsi, une baisse de droit de douane accordée à un membre doit être accordée à tous les autres membres de l’OMC) ;
  • le principe du traitement national ;
  • l’interdiction d’utiliser des restrictions quantitatives aux échanges ;
  • le respect des niveaux de consolidation des concessions tarifaires (marchandises) et des engagements spécifiques (services).

Il existe néanmoins des possibilités de dérogations (cf. mesures de sauvegarde, mesures anti‐dumping, mesures compensatoires ou « antisubventions »).

Si les échanges internationaux offrent des possibilités en termes de croissance, de création d’emplois et de réduction de la pauvreté, on doit cependant souligner que :

  • les Pays Moins Avancés (PMA) sont encore mal intégrés dans le système commercial multilatéral tant pour les productions à exporter que pour leur capacité d’accéder aux marchés mondiaux ;
  • les Petites et moyennes entreprises (PME) des économies avancées ou émergentes sont mal armées face aux géants mondiaux tant pour promouvoir leurs productions que pour financer leurs activités commerciales ou répondre aux exigences des grands marchés ;
  • les nouveaux défis, du changement climatique à la sécurité alimentaire en passant par la sécurité nationale, nécessitent la mise en place restrictions des exportations. Un nombre croissant de pays sont peu enclin à ce que l’OMC élargisse son périmètre d’action vers les domaines des biens et les services, de l’agriculture, de la propriété intellectuelle, etc.
  • enfin, l’émergence de la Chine comme puissance commerciale et, plus largement, géopolitique bouleverse l’ordre mondial issu de la seconde guerre mondiale.

Ces différents problèmes illustrent les remises en causes du multilatéralisme, dont témoignent les difficultés de trouver de nouveaux consensus entre les membres de l’OMC, et renouvelle les demandes de protection.

Il faut distinguer l’autarcie, qui est le refus de tout échange international, du protectionnisme qui est une politique commerciale visant à limiter ou interdire certaines importations de biens ou de services dans un pays ou une zone commerciale. La protection du marché intérieur s’opère par deux grands types de mesure :

  • les mesures (barrières ou obstacles) tarifaires qui sont essentiellement formées par l’application d’un droit de douane ;
  • les mesures (barrières ou obstacles) non tarifaires qui sont les autres initiatives qui réduisent les importations comme les quotas, les contingents, les régimes de délivrance des licences, les normes techniques, d’emballages ou d’étiquetage, etc.

Soulignons qu’à côté de ces mesures protectionnistes, les subventions à la production et/ou à l’exportation sont aussi un instrument de la politique commerciale

Ces mesures ont, par définition, des effets négatifs pour les importateurs qui sont restreints dans leurs activités commerciales mais aussi pour les consommateurs qui supportent des prix plus élevés (barrières tarifaires) et/ou ont des choix réduits (quotas, discrimination, etc.).

Toutefois, ces mesures doivent générer des effets positifs liés à la protection des producteurs nationaux et des consommateurs. La protection doit permettre aux entreprises nationales de se maintenir donc de conserver les emplois nationaux.

Au XIXe siècle, l’économiste allemand F. List (1789-1846) soulignait la nécessite de protéger les industries naissantes de la concurrence étrangère afin qu’elles puissent se développer. « La protection douanière est notre voie, le lire échange est notre but » affirmait-il, inaugurant l’idée d’un « protectionnisme éducateur », transitoire, permettant ensuite aux entreprises d’affronter les marchés étrangers. L’affirmation des États nations fut aussi celle de la réglementation les échanges internationaux. Alors que des État renforçaient les mesures douanières pour percevoir des recettes (droits de douane) et/ou protéger leurs producteurs d’autres s’engageaient dans des accords de libre-échange au même motif d’une recherche de la prospérité à l’image du traité de libre-échange (dit Cobden-Chevalier, 1860) entre le Royaume-Uni et la France.

Soulignons ici que les premiers accords commerciaux de libre échange furent bilatéraux puis les avantages accordés étaient étendus aux États qui rejoignaient les signataires (cf. clause de la « nation la plus favorisée »). C’est au milieu du XXe siècle que le commerce international sera régi par des règles multilatérales.

Au XXe siècle, des économistes défendent les subventions et l’aide publique (subvention, financement de la R&D par l’État, attribution de marché publics, etc.) afin de créer un environnement compétitif pour les entreprises et de protéger des secteurs d'activité dits « stratégiques », comme l'agriculture (indépendance alimentaire) ou les industries de défenses (indépendance militaire).

Aujourd’hui, les partisans d’une politique commerciale stratégique (PCS) veulent démontrer que, dans une situation de concurrence imparfaite où existent des relations stratégiques entre firmes (revenu d’une firme dépend des choix des autres firmes), les interventions de l’État peuvent être bénéfiques. Les subventions, les barrières douanières tarifaires et non tarifaire ou la baisse de taxes dans des secteurs stratégiques devrait permettre de conquérir les marchés (voire obtenir un monopole).

Le protectionnisme et libre échange apparaissent souvent complémentaires. L’insertion des NPI et des BRICS dans l’économie mondiale s’est faites aussi grâce à l’activisme et le contrôle étatique dans de nombreux domaines, du système bancaire au contrôle des investissements directs étrangers sans oublier les subventions et allègements fiscaux accordés aux exportateurs. Depuis la crise économique et financière mondiale de 2008, on assiste à une recrudescence des discours et des mesures protectionnistes. Des mesures administratives, plus ou moins transparentes, pour freiner les importations dans les pays en développement aux allégements fiscaux et subventions sectorielles en passant par les tarifs douaniers dans les économies avancées, de plus en plus de politiques commerciales ont des visées protectrices comme l’illustre le conflit commercial ente les États-Unis et la Chine.

Toutefois, la mise en place d’obstacles commerciaux, tarifaires ou non, qui entravent l’accès au marché pour les fournisseurs étrangers ne doit pas occulter une question : qui/que veut-on protéger ?

Lorsque les chaînes de production sont mondialement intégrées, les taxes ou droits de douane enchérissent les produits importés donc peuvent affecter des producteurs nationaux qui utilisent ces importations comme intrants dans leurs productions. La demande qui s’adresse aux entreprises nationales n’est plus seulement celles des consommateurs finaux, c’est de plus en plus celle d’autres entreprises situées à différentes étapes de leur processus de production.

Les normes, ou règles techniques qui renforcent les contraintes pesant sur les importateurs, renforcent la protection des consommateurs (cf. marquage CE) mais peuvent exclure des pays en développement qui ne disposent pas des compétences pour s’adapter aux exigences des économies avancées. Les normes de santé et de sécurité peuvent aussi être détournées pour protéger des secteurs peu performants.

Enfin, en dissociant les lieux de production et les lieux de consommation, le commerce international accroît et déplace les émissions mondiales de gaz à effet de serre (par exemple, la Chine est devenue un des principaux lieux d’émissions de CO2, pour répondre aux besoins de sa population et à la demande sur les marchés des économies avancées). Dans ce cadre, les politiques climatiques relancent le débat sur l’utilité et l’efficacité des mesures protectionnistes. Faut-il réduire le commerce international pour infléchir les émissions de gaz à effet de serre ? Ou, faut-il que le commerce se développe en intégrant l’enjeu climatique ? L’utilisation d’instruments de politique commerciale (norme environnementale, taxe carbone, etc.) est-elle la plus efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ?

L’instauration d’une taxe du carbone réduit la compétitivité-prix des entreprises et incite certaines productions à se localiser dans des pays n’ayant pas adopté les mêmes politiques environnementales. Elle oblige aussi les pouvoirs publics et les organisations internationales à élaborer de nouvelles réflexions (cf. droit de compensation aux frontières).

Ainsi, l’OMC doit intégrer les nouveaux défis en matière environnementale. Certains de ses membres mobilisent de plus en plus les exemptions au libre-échange permises par l’article XX du GATT qui autorise, sous certaines conditions, les restrictions au commerce pour motif environnemental alors que d’autres rappellent que le recours à ces mesures d’entraves au commerce pour des motifs de protection de l'environnement ne doivent pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifié entre les pays ni une forme de renouveau du protectionnisme déguisé.

Bref, le débat sur les bonnes politiques commerciales se renouvelle soulignant que « le libre‐échange a besoin d’être maîtrisé. » (Jean‐Marc Siroën)

Notions

Indicateur synthétique d’inégalités, le plus souvent d’inégalités de salaire, de revenu, ou encore de patrimoine. Il est égal à zéro dans une situation d’égalité parfaite entre les différents revenus considérés. Il est égal à un dans la situation la plus inégalitaire possible. Entre zéro et un, l’inégalité est d’autant plus forte que l’indice de Gini est élevé.
Graphique établi par Branko Milanovic et Christopher Lakner, deux économistes de la Banque mondiale, qui raconte l’évolution des revenus mondiaux depuis 1988. Ce graphique montre que les revenus des plus pauvres de la planète ont augmenté, que les classes moyennes des pays émergents se sont enrichies, que la classe populaire des pays riches a stagné, et que les 1% les plus riches sont encore plus riches qu’autrefois.
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