Quelles politiques économiques dans le cadre européen ?
Synthèse
Déroulé du chapitre :
Question 1. L'intégration européenne
Question 2. La politique européenne de la concurrence
Question 3. L’action des politiques budgétaire et monétaire sur la conjoncture
Question 4. L’articulation des politiques budgétaire et monétaire dans le cadre européen
L’intégration économique est le processus par lequel plusieurs économies distinctes sont conduites à ne former qu’un seul espace économique. Dans le cadre européen, l’intégration passe par la constitution d’un marché unique et par l’adoption d’une monnaie unique, l’euro.
La constitution du Marché unique européen s’inscrit dans un processus débuté après la seconde guerre mondiale. Dès le début, la construction européenne prend pour institution fondatrice le marché. L’idée est que la constitution d’un grand marché au niveau européen favoriserait les échanges entre pays concernés, leur prospérité et par conséquent garantirait la paix entre les peuples. Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), signé en 1951 par les six membres fondateurs (Bénélux, Allemagne de l’ouest, Italie et France), est la première étape de l’intégration économique. Les mêmes pays signent en 1957 le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne dont l’objectif est d’éliminer les « barrières qui divisent l’Europe ». On y trouve distinctement deux projets d’unification. Le premier passe par la constitution d’une Union douanière (Accord commercial régional dans lequel les pays membres ont aboli les barrières douanières et pratiquent un tarif extérieur commun) et le second par la réalisation à l’échelle européenne d’un Marché unique grâce à la mise en œuvre des « quatre libertés », de circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. L’Union douanière est effective à partir de 1970. Quant au Marché unique, il faut attendre 1986 pour que soit signé par douze pays l’Acte unique européen fixant à fin 1992 la réalisation effective du marché intérieur. La logique de marché commun, illustrée par l’abolition des droits de douane entre pays membres, laisse la place à une logique de Marché unique avec l’instauration des quatre libertés.
Aujourd’hui, de nombreux observateurs considèrent que le Marché unique est réalisé en grande partie, mais n’est pourtant pas totalement achevé. Le marché du capital est certainement le plus abouti : les mouvements de capitaux ont été complètement libéralisés et la monnaie unique a favorisé les transferts de capitaux entre pays. Le marché des biens européen regroupe plus de 500 millions de consommateurs en 2020. Les pays membres de l’Union européenne (UE), qui a remplacé la Communauté européenne en 1992, commercent au deux tiers avec d’autres pays membres lorsqu’ils échangent à l’international. De plus, le commerce de biens des 28 pays européens (avant la sortie de la Grande Bretagne en janvier 2020) représente environ un tiers du commerce international à la fin des années 2010. Pour ces raisons, il est possible d’affirmer que le marché des biens est comme celui des capitaux fortement intégré aujourd’hui. Cela n’est pas le cas du marché des services européens. Ces derniers représentent près de 70 % du PIB de l’UE mais moins de 20 % des échanges. Il existe pourtant depuis 2006 une clause de libre circulation des services dont sont exclus cependant les services publics et sociaux. Enfin, il semble difficile de parler d’un marché du travail européen intégré. Le libre circulation des personnes a pourtant été facilitée par les accords de Schengen de 1985 qui suppriment les contrôles à la plupart des frontières intérieures. Depuis les années 1980, seulement 2 % des travailleurs sont mobiles dans l’UE. Au final, on peut affirmer que si le marché du capital et celui des biens sont très intégrés, cela est beaucoup moins le cas pour le marché des services et celui de la main d’œuvre.
L’intégration européenne passe aussi par la constitution de la zone euro. En 2019, l’euro a fêté ses vingt ans. Avec les institutions qui accompagnent la monnaie unique de 19 pays, la construction monétaire européenne constitue une expérience originale et approfondie d’intégration économique.
Les pays membres de l’Union européenne et de la zone euro
Source : touteleurope.eu (janvier 2020)
L’adoption de la monnaie unique est cependant le résultat d’un long processus. Jacques Rueff déclarait déjà en 1949 que « l’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas ». Le Traité de Maastricht, signé en 1992, fixe les critères de convergence réglant l’entrée d’un Etat membre dans la future Union économique et monétaire (UEM).
Le 1er janvier 1999, les monnaies des 11 pays qui remplissent les critères disparaissent pour devenir des subdivisions de l’euro et leur politique monétaire est confiée à la Banque centrale européenne. Les pièces et billets en euros sont utilisés pour la première fois le 1er janvier 2002.
L’adoption de la monnaie unique se justifie selon deux types d’avantages. Ceux-ci sont tout d’abord d’ordre microéconomique : la suppression des coûts de transaction de change et de l’incertitude liée au risque de change permet de réaliser des économies (plus de coût pour changer une monnaie dans une autre) encourage les échanges de produits, facilite les investissements dans les autres pays membres et améliore la transparence des prix (ce qui favorise la concurrence). Les avantages sont aussi d’ordre macroéconomique puisque la politique monétaire unique pour la zone évite les politiques déloyales comme celles consistant à exporter son chômage en dévaluant sa monnaie. L’inconvénient essentiel réside dans la perte pour les pays concernés du pilotage d’un instrument central de politique économique, la monnaie, permettant de faire face à des chocs de demande ou d’offre.
La mise en œuvre du Marché unique a eu des effets indéniables sur la croissance économique. Selon les travaux portant sur la question, les effets positifs sont passés essentiellement par le canal du commerce international. Les économistes retiennent aujourd’hui le mécanisme simplifié suivant pour expliquer les effets du développement du commerce sur la croissance économique. L’accroissement du commerce entre pays membres de l’UE permis par le Marché unique favorise la hausse du produit intérieur brut (PIB) grâce à des gains d’efficacité induits par la diminution des barrières au commerce, par la hausse de la taille de la production (économies d’échelle) et par la hausse de la concurrence. D’autres effets dynamiques peuvent aussi s’ajouter pour expliquer la hausse du PIB : le développement des échanges de produits et de capitaux (via les investissements directs étrangers) multiplie les incitations à innover et favorise l’importation des technologies, ce qui accélère la productivité du travail et accélère la croissance économique. Ces effets joueraient donc à plein pour les pays membres de l’UE. L’achèvement de l’union douanière en 1968 (abolition des droits de douane entre pays membres et tarif extérieur commun) à laquelle s’ajoute la fin des restrictions quantitatives constitue une étape importante mais pas autant que l’entrée en vigueur du marché unique en 1993.
Synthèse
Déroulé du chapitre :
Question 1. L'intégration européenne
Question 2. La politique européenne de la concurrence
Question 3. L’action des politiques budgétaire et monétaire sur la conjoncture
Question 4. L’articulation des politiques budgétaire et monétaire dans le cadre européen
La politique de la concurrence peut être définie comme l’ensemble des dispositifs permettant de contrôler et réguler le degré de concurrence sur un marché.
La politique de la concurrence se justifie par l’idée que les modifications au niveau microéconomique engendrent des effets positifs au niveau macroéconomique selon le mécanisme simplifié suivant. La pression concurrentielle limite le pouvoir de marché des entreprises, ce qui favorise la baisse des prix et la hausse du pouvoir d’achat des consommateurs. La demande globale est ainsi augmentée. De plus, les entreprises sont incitées à innover pour rester compétitives (pour conserver ou gagner des parts de marché), ce qui génère des gains de productivité. De par ses effets sur la demande et sur l’offre, la politique de la concurrence favorise donc la croissance économique et l’emploi.
La politique européenne de la concurrence émerge plus tardivement qu’aux Etats-Unis mais se trouve au centre des dispositions juridiques favorisant le processus de mise en place du marché commun puis du Marché unique, le processus d’intégration ne pouvant se réaliser sans règles encadrant les pratiques déloyales et empêchant les distorsions de concurrence. Dès le Traite de Rome de 1957, la politique de la concurrence devient prioritaire sur les autres politiques communautaires. Cela explique que la Commission se soit vue confier pour les cas de dimension européenne un pouvoir étendu dans la mise en œuvre de cette politique en étant chargée du contrôle de l’application des règles. L’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne institue la concurrence en régime général. Le respect et le contrôle de la concurrence sont donc des principes qui sous-tendent toutes les politiques européennes. Le contrôle de la concurrence entre les Etats est une condition nécessaire à l’existence d’un espace économique. Le droit de la concurrence européen se construit pour contrôler la concurrence économique entre les Etats en amont du contrôle de la concurrence entre entreprises. L’idée est de pouvoir empêcher que les Etats adoptent des politiques qui créent des avantages pour les entreprises de leur territoire au détriment des entreprises des autres Etats membres et au final limite les effets positifs de la concurrence décrits ci-dessus.
La politique de la concurrence européenne se décline à travers l’application de règles anti-trust et la surveillance des aides d’Etat. L’application de règles anti-trust passe par la lutte contre les ententes et les abus de position dominante ainsi que par le contrôle des concentrations. La politique de la concurrence dans l’Union européenne lutte tout d’abord contre la constitution de cartels de producteurs qui sont des ententes entre firmes d’un même secteur ayant pour objet de limiter la concurrence en jouant sur les prix ou quantités produites. Par exemple, la Commission a établi en 2019 que Bonduelle, Coroos et le groupe Cecab (d’aucy) ont participé à une entente portant sur la fourniture de certains types de conserves de légumes à des détaillants et/ou des entreprises du secteur de la restauration dans l'Espace économique européen pendant plus de treize ans. Il existe des exceptions à la lutte contre les ententes en cas d’amélioration de la production ou de la distribution, de progrès technique ou économique, de préservation de l’intérêt des consommateurs et de la concurrence. La politique européenne de la concurrence lutte aussi contre les abus de position dominante. Il s’agit d’une situation lors de laquelle une entreprise qui détient plus de 50 % des parts de marché affecte de manière significative la concurrence. En septembre 2017, Google a été condamné par la Commission européenne à une amende de 2,42 milliards d’euros pour avoir donné une place trop importante à son propre comparateur de prix au détriment de ses concurrents. La Commission européenne surveille et interdit parfois certaines concentrations d’entreprises de manière à éviter la constitution de monopoles susceptibles d’abuser de leur position. Elle analyse en amont l’impact d’une fusion-acquisition, qui consiste à une mise en commun de plusieurs entreprises pour n’en former plus qu’une, sur la concurrence. Les interdictions sont très rares grâce à des échanges en amont entre les entreprises et la Commission ; moins des 1 % des concentrations notifiées depuis les années 1990 ont conduit à un véto de la part de la Commission européenne. Par exemple, le projet de fusion de Alsthom et de l’activité ferroviaire de Siemens a été rejeté par la Commission européenne en février 2019, invoquant les conséquences négatives possibles pour le consommateur.
La Commission européenne surveille aussi les aides que les Etats fournissent aux entreprises. Ces aides, lorsqu’elles engendrent une distorsion de concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, ne sont pas compatibles avec l’existence d’un Marché unique selon les Traités européens. Elles peuvent prendre la forme de prêts à taux faibles, de subventions ou d’investissements publics notamment. Parfois, les Etats accordent aussi des avantages fiscaux à certaines entreprises pour faciliter leur implantation sur le territoire national, ce qui fausse la concurrence. Sous certaines conditions, comme par exemple sauver une entreprise de la faillite, la Commission autorise des aides d’Etats. Les aides de l’Etat doivent remplir plusieurs conditions pour relever du contrôle de la Commission. Tout d’abord, l’aide doit être spécifique et dépasser 200 000 euros ; elle n’est pas versée à l’ensemble des entreprises. La politique de soutien doit engager les finances publiques de l’Etat. Le soutien doit offrir un avantage spécifique aux entreprises, industries ou régions qui en bénéficient. Enfin, l’aide doit créer une distorsion de concurrence pouvant affecter le commerce entre pays membres. La plupart des aides, plus de 9 sur 10 notifiées à la Commission, est autorisée par celle-ci. En 2015, la Commission a par exemple autorisé l’entrée de l’Etat français au capital de Peugeot, considérant que celui-ci agissait comme un investisseur privé. La même année EDF a dû rembourser 1,4 milliards d’euros sur décision de la Commission à la suite d’une aide fiscale remontant à 1997. Toutes les entreprises, privées et publiques, sont concernées par l’application du droit européen de la concurrence. Les services publics non marchands, tels que l’éducation ou la protection sociale, ne sont cependant pas concernés par celui-ci.
La politique européenne de la concurrence présente cependant certaines limites. L’application des règles antitrust fait relativement peu débat en Europe, notamment quant à leur capacité à augmenter le surplus du consommateur, à l’exception du contrôle des concentrations qui peut parfois être accusé de limiter la croissance de certains groupes européens et donc leur compétitivité sur les marchés mondiaux. Le contrôle des fusions peut parfois ainsi apparaître comme contraire à la politique industrielle qui regroupe l’ensemble des dispositifs visant à orienter la spécialisation sectorielle ou technologique de l’économie de manière à accroître sa compétitivité. Le contrôle des aides d’Etat fait aussi régulièrement l’objet de critiques là aussi quant à la limitation de la politique industrielle. Celles-ci mettent l’accent sur le fait que d’autres pays non-européens en réalisent et n’hésitent donc pas à aider leurs entreprises à gagner en compétitivité par rapports aux firmes européennes. La principale critique est ici que la politique industrielle ne peut s’exprimer que dans les exceptions de la politique de la concurrence européenne, jugées insuffisantes par certains observateurs. Celles-ci gravitent autour de cinq thèmes que sont l’innovation et la recherche et développement, le développement durable, la compétitivité de l’industrie de l’UE, la création d’emplois, et la cohésion sociale et régionale.
L’essentiel des limites qui sont pointées aujourd’hui porte cependant sur l’incapacité de la politique de la concurrence européenne à répondre aux nouveaux enjeux liées au développement de l’économie numérique. En effet, Internet et le smartphone, par exemple, donnent naissance à de nouvelles manières de produire et de consommer gagnant peu à peu l’ensemble des secteurs. Le développement de l’économie numérique impacte désormais tous les marchés et génère de nouveaux enjeux concernant la politique de la concurrence européenne.
L’économie numérique bouleverse la structure des marchés en favorisant leur concentration. Dans de nombreux marchés de l’économie numérique, on peut observer l’émergence d’un petit nombre d’entreprises de grande taille. Cette tendance à l’oligopolisation, voire à la quasi-monopolisation des marchés s’apparente au phénomène de « winner takes all » où le gagnant détient l’essentiel des parts de marchés en éliminant ses concurrents. Cette concentration accrue peut générer des comportements anti-concurrentiels. En effet, les positions d’oligopole ou de quasi-monopole sont efficientes d’un point de vue économique car elles permettent aux utilisateurs de bénéficier de prix plus faibles et de produits de meilleure qualité. Pour que cette dynamique se poursuive, il faut que les entreprises soient incitées à investir et à innover. Cela se réalise lorsqu’il existe une concurrence potentielle, c’est-à-dire de nouveaux acteurs pouvant entrer sur le marché et venir contester la position de la ou des entreprises établies. Un autre problème vient du fait qu’une entreprise dominante peut être incitée à acheter des concurrents potentiels, start-up innovantes mais ne réalisant pas encore un chiffre d’affaires conséquent, avant qu’elles ne deviennent des concurrents effectifs. On parle alors d’acquisitions prédatrices ou tueuses d’innovation. Le droit de la concurrence ne dispose pas d’outils aujourd’hui pour les éviter.