Déficit public irréversiblement monétisé pour réagir à une crise
Dans l'épisode 1 nous parvenions à la conclusion selon laquelle un déficit public irréversiblement monétisé par la Banque Centrale (elle achète les obligations du secteur public qui financent initialement ce déficit et ne réduit jamais ultérieurement la taille de son bilan, donc ne remet jamais ces obligations sur les marchés financiers) est équivalent à l’helicopter money ; la dette publique achetée par la Banque Centrale est de facto annulée ; elle ne crée ni un problème de financement, ni un problème de solvabilité budgétaire.
La solution, pour les Etats confrontés à une crise et à une récession de grande taille, est donc d’accroître autant que nécessaire leur déficit public, et que ce déficit public soit irréversiblement monétisé par la Banque Centrale (elle achète définitivement la dette publique émise). On évite ainsi le risque de hausse des taux d’intérêt et de crise des dettes publiques, risque réalisé en 2010-2014 avec la crise de la zone euro qui suit la forte hausse de déficits publics pendant la crise des subprimes (2008-2009). Mais celle politique est-elle sans coût, sans limite ?
Une limite à l’expansion monétaire ?
Ceci nous amène à une question très importante : y a-t-il une limite à l’expansion monétaire (à l’augmentation de l’offre de monnaie, à la hausse de la taille du bilan d’une Banque Centrale) ? S’il n’y a pas de limite, il devient possible de financer sans danger, sans coût, n’importe quelle expansion budgétaire.
Dans l’approche monétaire traditionnelle, une hausse excessive de l’offre de monnaie conduit à long terme à l’inflation (à l’hyper-inflation même). En effet, dans cette approche, il faut rééquilibrer l’offre et la demande de monnaie, et la demande de monnaie varie à long terme avec le revenu en valeur ; pour augmenter la demande de monnaie à long terme autant que l’offre de monnaie, il faut donc une hausse des prix.
Mais cette approche est totalement rejetée par l’observation des faits depuis 30 ans, dans les pays de l’OCDE, il n’y a plus aucune corrélation entre offre de monnaie et prix des biens et services.
Une approche par les choix de portefeuille
Dans l’approche monétaire traditionnelle, il y a une relation stable entre la demande de monnaie et le revenu, puisque la monnaie sert à consommer, à acheter des biens et services. Mais, dans les économies contemporaines, il faut remplacer cette approche par une approche par les choix de portefeuille. Les agents économiques partagent leur patrimoine entre monnaie, obligations, actions, immobilier... Si l’offre de monnaie augmente, les agents économiques détiennent initialement (ex ante) trop de monnaie par rapport à la structure optimale de leurs portefeuilles ; ils essaient donc de se débarrasser de cette monnaie trop abondante, et achètent les autres classes d’actifs. Ceci fait monter les prix de ces classes d’actifs (il y a baisse des taux d’intérêt à long terme, hausse des cours boursiers, des prix de l’immobilier), et c’est la hausse des prix de ces actifs, donc de la valeur de la détention de ces actifs, qui ramène la structure des portefeuilles vers celles qui est désirée en faisant baisser le poids de la monnaie.
Dans ce modèle par les choix de portefeuille, il y a donc une relation stable à long terme entre l’offre de monnaie et les prix des actifs (obligations, actions, immobilier...) et cette relation s’observe effectivement.
Conséquences pour la politique monétaire
Les politiques monétaires très expansionnistes menées pendant les récessions, en particulier pour monétiser les dettes publiques, n’auront pas d’effet sur l’inflation. Comme les Banques Centrales ont des objectifs d’inflation, elles ne voient donc pas le coût de ces politiques monétaires, elles peuvent les amplifier puisque l’inflation ne réagit pas.
Le coût de ces politiques est, qu’à moyen terme, il y aura inflation des prix des actifs : les taux d’intérêt à long terme seront anormalement bas, les cours boursiers et les prix de l’immobilier seront anormalement élevés. Bien sûr, les taux d’intérêt bas et la hausse des indices boursiers et des prix de l’immobilier sont plutôt une bonne nouvelle quand on sort d’une récession ; mais ces évolutions deviennent un problème quelques années plus tard. La bulle immobilière, qui redémarrait partout à partir de 2014-2015 est, on le sait, la cause essentielle des crises financières et du malaise social, avec les difficultés d’accès au logement.
Deux messages
Le premier message est qu’il y a un coût à moyen terme des politiques monétaires très expansionnistes : les bulles sur les prix des actifs. Le second message est qu’il est très anormal que, si la politique monétaire influence les prix des actifs mais pas les prix des biens et services, les Banques Centrales aient des objectifs d’inflation (des prix des biens et services).
Dans un prochain texte, nous reviendrons sur les politiques budgétaires, en nous demandant en particulier si ce nouveau comportement des Banques Centrales doit modifier les règles budgétaires de l’Europe.