Dans le contexte actuel de crise sanitaire liée au coronavirus, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des données statistiques (DARES) publie chaque semaine, en collaboration avec la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et Pôle emploi, un suivi d’indicateurs éclairant la situation sur le marché du travail en France. Dans sa dernière livraison, elle observe qu’un double seuil symbolique a été franchi par l’activité partielle (ou « chômage partiel »), l’un des outils privilégiés pour tenter d’amortir la violence du choc macroéconomique sur le volume de l’emploi. Plus d’1 million de dossiers, concernant 10,2 millions de personnes, ont été déposés entre le 1er mars et le 21 avril, selon le bilan hebdomadaire de la DARES. Cela signifie qu’un salarié du privé sur deux fait l’objet d’une demande de placement en activité partielle, pour un total de 4,3 milliards d’heures chômées. Au premier jour du confinement, le 17 mars, ils étaient 255 890 salariés à bénéficier du dispositif, et ils sont désormais près de quarante fois plus. Ces chiffres sont « considérables » et inédits dans notre pays selon les mots de la Ministre du Travail Muriel Pénicaud. Au 21 avril, l'activité partielle concernait 821 000 entreprises.
Face à l’épidémie de coronavirus et le confinement qu’elle a entraîné, des centaines de milliers d'entreprises françaises ont fait une demande de chômage partiel. Le dispositif permet à un salarié de toucher 70% de son salaire brut (soit environ 84% du salaire net). Le gouvernement a fait évoluer le dispositif pour soutenir les entreprises. Ce dispositif spécial Covid-19, défini par un décret du 25 mars, s’applique à toutes les demandes d’indemnisation des salariés placés en activité partielle depuis le 1er mars 2020. Le dispositif d’activité partielle permet à une entreprise touchée par une baisse d’activité conjoncturelle de lui éviter de licencier tout ou partie de son personnel. Elle peut ainsi placer ses salariés en chômage partiel si elle est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité. Comme le précise l’INSEE, lorsqu'une entreprise réduit son activité au-dessous de l'horaire légal ou arrête momentanément tout ou partie de son activité, et qu'elle n'entend pas rompre les contrats de travail qui la lient à ses salariés, elle peut avoir recours au chômage partiel.
Un tel dispositif a bien évidemment pour but d'éviter des vagues de licenciements et leurs effets délétères pour l’économie et la cohésion sociale (voir le chapitre en terminale ES « Comment s’articule marché du travail et gestion de l’emploi ? ») : il permet à une entreprise qui subit une perte d'activité de nature économique, technique ou naturelle, de réduire temporairement les horaires de ses effectifs. Face à la gravité de la crise, le gouvernement a largement étendu le dispositif : ouverture du dispositif à des salariés auparavant non éligibles (VRP, journalistes pigistes, …) et prise en charge de l’indemnité de chômage partiel jusqu’à 4,5 smic horaire, rétroactivité et extension des délais de dépôt des demandes. La crise du Covid-19 a constitué un choc brutal pour de nombreux secteurs professionnels dont l’activité a connu un véritable coup d’arrêt. L’activité partielle est principalement demandée, selon la DARES, par des établissements du commerce et de la réparation automobile (23,0 %), des activités de services spécialisées, scientifiques et techniques (13,9 %), de la construction (13,7 %) et de l’hébergement et de la restauration (13,5 %). Ces quatre secteurs concentrent 64 % des demandes, 59 % des effectifs concernés et 61 % des heures chômées demandées depuis le 1er mars.
Dans la boîte à outils des politiques de l’emploi (voir le chapitre de Terminale ES « Quelles politiques pour l’emploi ? »), le dispositif de chômage partiel avait déjà été particulièrement sollicité lors de la crise de 2008-2009 afin de tenir compte de la dégradation de la conjoncture économique, et l’Allemagne, notamment, en avait largement démontré l’efficacité en limitant l’impact de la crise sur le taux de chômage.
La théorie économique met traditionnellement en évidence deux fonctions jouées par le chômage partiel :
1) Il s’agit d’un outil de protection de l’emploi, car il vise à éviter les licenciements économiques et amortir la brutalité du cycle économique sur le marché du travail ;
2) Le chômage partiel constitue aussi un instrument de flexibilité du travail puisqu’il permet d’adapter le volume d’heures travaillées aux variations d’activité des entreprises. Les estimations de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) confirment que le recours des entreprises au chômage partiel est massif actuellement durant le confinement, et ce dispositif est de nature à limiter les destructions d’emplois qui pourraient, selon l’OFCE, approcher 460 000 au premier mois du confinement.
Sans la montée en puissance d’un tel soutien des pouvoirs publics, les conséquences cataclysmiques sur le volume de l’emploi pourraient entraîner un effondrement des revenus distribués et de la demande globale, avec à la clé une compression de la consommation et de l’investissement, de la production, ainsi qu’une perte de capital humain et de compétences pour les entreprises en cas de rupture du contrat de travail.
Les effets macroéconomiques nocifs des destructions d’emplois et de la hausse du chômage sont ainsi bien documentés : perte de revenus, risque d’éloignement durable du marché du travail et baisse de l’employabilité, hausse du chômage structurel et aggravation de la précarité. La dépression de l’activité et la hausse du chômage conjoncturel à court terme peuvent alors élever le niveau du chômage structurel à moyen/long terme. L’OFCE précise d’ailleurs que les destructions d’emplois se concentrent massivement dans le cas de tels chocs macroéconomiques sur les salariés les moins protégés : ceux en transition entre deux emplois et ceux en contrats de travail à durée très courte (CDD de moins d’un mois, missions d’intérim). D’après les chiffres de la DARES, 11% des entreprises ont diminué leurs effectifs, le plus souvent par le non-renouvellement de CDD (48,5% des entreprises ayant diminué leurs effectifs) et/ou l’annulation ou le report d’embauches prévues (51,3% des entreprises ayant diminué leurs effectifs). L’OFCE estime le coût du dispositif à 11,9 milliards d’euros d’indemnités prises en charge par les administrations publiques auxquels s’ajoutent 7,4 milliards d’euros de cotisations sociales perdues par mois de confinement. Mais en l’absence de tels amortisseurs, le coût économique et social d’une envolée du taux de chômage pourrait être bien plus élevé.