En trois mois, l’épidémie de coronavirus s’est propagée à l’ensemble du monde avec une rapidité et une ampleur inégalée, conséquence de la mobilité internationale des personnes qui caractérise nos économies mondialisées. Pour répondre à cette crise sanitaire, la stratégie de la plupart des pays a consisté à mettre en place des mesures de confinement partiel ou total qui limitent la vitesse de propagation du virus et permettent ainsi d’éviter l’engorgement des systèmes de santé. Si de telles mesures sont évidemment nécessaires pour limiter le taux de mortalité de la maladie, elles ont aussi un coût économique important, au moins à court terme. L’économie est en effet le produit d’interactions sociales. La distanciation sociale mise en place pour aplatir la courbe épidémique limite les opportunités économiques et accroît donc la récession à venir.
L’impact négatif des mesures de confinement est d’autant plus important que nous vivons aujourd’hui dans des économies dont les systèmes productifs sont extrêmement fragmentés. La quasi-totalité des biens de consommation finale sont produits au sein de chaînes de valeur pouvant impliquer de nombreuses entreprises, souvent localisées dans plusieurs pays. La production au sein de ces chaînes de valeur se fait largement à flux tendus, pour minimiser les coûts de stockage à chaque point de la chaîne. Si ce mode de production permet de bénéficier des gains liées à la spécialisation des entreprises et des pays, il rend également l’économie particulièrement vulnérable à des chocs locaux. Une perturbation de la production au sein d’une seule entreprise peut paralyser l’ensemble de la chaîne de valeur.
Cette vulnérabilité est illustrée dans la note de l’institut des politiques publiques publiée début mars 2020 et qui utilise les premières semaines de l’épidémie de coronavirus pour montrer comment le confinement de la province du Hubei a pu impacter l’économie mondiale, du fait de la paralysie de certaines usines vitales à la production de biens manufacturés. Cette région est par exemple devenue le cœur de l’industrie optoélectronique, accueillant le numéro 1 mondial de la fibre optique. Le confinement dans la région de Hubei a fortement ralenti la production de ces composants, ce qui a très rapidement conduit à des ruptures de chaînes de valeur dans de nombreuses entreprises et pays.
Si le détail de la structure de ces chaînes de production est mal connu, il est possible d’utiliser les statistiques de commerce international et des tableaux entrée-sortie pour quantifier l’ampleur de la propagation des chocs au sein des chaînes de valeur, en moyenne pour chaque secteur productif. Le graphique 1 illustre l’ampleur de ces mécanismes de propagation, au sein de l’économie française. Pour chaque secteur représenté sur le graphique, on simule un choc de productivité négatif de 10%. Les barres bleues représentent l’impact direct du choc sur le PIB français, mesuré par la contribution de ce secteur à la production totale. Les barres orange montrent l’effet total du choc, qui cumule l’effet direct mais aussi l’amplification du choc via les chaînes de valeur. Cette dernière est calculée en utilisant les tableaux entrée-sortie qui permettent de mesurer la dépendance de chaque secteur français à la production d’autres secteurs. Pour certains secteurs très centraux dans les chaînes de valeur, comme les services aux entreprises, l’amplification via les chaînes de valeur est très importante.
Graphique 1 : Impact agrégé d’un choc sectoriel de productivité
Source : Calculs de l’auteur à partir de données WIOD pour 2014. Seuls les 25 plus gros secteurs, hors administration publique, éducation et santé, sont représentés.
Interprétation : Les barres bleues mesurent l’impact direct sur le PIB français d’une baisse de 10% dans le secteur correspondant. Les barres orange mesurent l’impact total du choc, après propagation dans les chaînes de valeur.
Graphique 2 : Impact agrégé d’un choc sectoriel étranger
Source : Calculs de l’auteur à partir de données WIOD pour 2003 et 2014. Seuls les 25 plus gros effets sont représentés.
Interprétation : Le graphique mesure l’impact sur le PIB français d’une baisse de 10% de la productivité du secteur, dans tous les pays hors Union Européenne. Les barres bleues représentent les effets obtenus en utilisent des statistiques sur la structure des chaînes de valeur de 2003. Les barres orange mesurent l’impact obtenu avec les chaînes de valeur observées en 2014.
Le graphique 2 illustre l’importance de la propagation internationale des chocs. Comme dans le graphique 1, on simule un choc de productivité négatif de 10% dans différents secteurs, cette fois en supposant que le choc affecte uniquement des entreprises situées en dehors de l’Union Européenne. L’impact sur le PIB français est représenté sur les barres orange. Les barres bleues permettent de comparer les effets de propagation internationale liés à la structure actuelle des chaînes de valeur avec les effets obtenus en utilisant la structure des chaînes de valeur observées 10 ans plus tôt. La forte intensification de l’internationalisation des chaînes de production a augmenté l’exposition de la France à des chocs de productivité étrangers. En 2014, un choc affectant l’industrie extractive étrangère réduit le PIB français de plus de 0.3%. L’effet était moitié moindre 10 ans plus tôt.
L’utilisation de données sur les relations intersectorielles au sein des chaînes de valeur pourrait permettre de mieux comprendre l’impact du ralentissement de la productivité inhérent aux restrictions de mobilité. Cette quantification sera rapidement utile si on veut mieux cibler à la fois les aides publiques et les stratégies de déconfinement de la population active. Finalement, l’interdépendance des pays au sein de ces chaînes de valeur montre que la résolution de la crise ne peut se faire au moyen de mesures protectionnistes. Dans nos économies mondialisées, la croissance d’un pays a un impact positif sur la croissance de ses partenaires. Ces effets de contagion continuent à exister en période de récession mondiale. Il n’y aura pas de stratégie de sortie de crise au détriment de nos partenaires commerciaux.