Lundi 18 mai, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont présenté les grandes lignes d’un vaste plan de relance budgétaire à l’échelle européenne qu’ils souhaitent voir aboutir pour mieux lutter contre les effets économiques du COIVID-19, et garantir l’intégrité du marché unique et de la zone euro. Dans l’histoire de la construction européenne, le couple franco-allemand et son unité politique ont souvent été à l’origine d’une relance du projet européen, à l’instar de François Mitterrand et Helmut Kohl au début des années 1990 avec le traité de Maastricht qui, après la réunification de l’Allemagne et la chute de l’URSS, avait instauré l’Union européenne et jeté les bases de la création de l’euro. La France et l’Allemagne proposent en effet dans cette initiative commune que la Commission européenne s’endette à hauteur de 500 milliards d’euros et verse ensuite cet argent, par le canal du budget communautaire, aux États, régions et secteurs qui ont été le plus durement touchés par la pandémie. Les États ne devraient pas rembourser au prorata de ce qu'ils ont reçu, mais recevraient une dotation, ce qui instaurerait un véritable système de redistribution et de solidarité financière.
Même s’il faut encore convaincre les autres États membres, et notamment certains pays qui, comme l’Autriche, pour l’heure, ne souhaitent pas que l’on verse de « subventions » aux États les plus touchés, mais qu’on leur accorde des « prêts », cette initiative fait date, en ce qu’elle montre l’unité politique de la France et de l’Allemagne. Certains experts européens, comme Jean-Pisani-Ferry, ont ainsi parlé de « reboot » pour le couple franco-allemand. Le plan proposé représente en effet une forte augmentation des transferts financiers et des montants de la redistribution entre les vingt-sept États de l’Union européenne, puisque 500 milliards d’euros représentent trois fois et demie le budget annuel européen actuel, lequel reste relativement faible comparativement au budget fédéral américain par exemple. Tout l'intérêt de ce que l’on peut considérer comme une étape importante vers la « mutualisation » de l’endettement public, est de permettre à l'ensemble des États membres de bénéficier d'un taux d'intérêt faible sur les marchés afin de relancer leur économie. Concrètement, cela signifie que l'Italie serait en capacité de financer son propre plan de relance budgétaire aux mêmes conditions que l'Allemagne, alors qu’aujourd'hui chaque État s'endette en fonction d'un taux d’intérêt qui lui est propre et reflète ses capacités de remboursement évaluées par les marchés (voir le chapitre de spécialité SES en première « Comment les agents économiques se financent-ils ? »)
Ce plan de relance est également un soutien à l’euro dans une période où des divergences macroéconomiques, qui inquiètent les observateurs, pourraient fragiliser la Monnaie unique. La réforme de la gouvernance de la politique économique européenne est un point incontournable des débats d’aujourd’hui : pour l’optimiser, on évoque régulièrement le fédéralisme budgétaire et l’harmonisation fiscale, qui permettraient en particulier de consolider la solidarité financière de la zone euro. Mais ces mécanismes restent limités en l’absence d’un véritable gouvernement économique intégré à l’échelle européenne, et sans de puissants transferts financiers, à l’instar des mécanismes qui existent dans un État fédéral comme les États-Unis. S’il existe un fédéralisme monétaire avec la Banque centrale européenne, le fédéralisme budgétaire lui, demeure donc faible (voir le chapitre de SES en terminale « Quelle est la place de l’Union européenne dans l’économie globale ? »)
De nombreux macro-économistes évoquent l’idée que la mise en place d’initiatives, voire d’institutions communes dans le cadre d’une union économique ou monétaire, pourrait accroître l’efficacité de la politique conjoncturelle, avec une relance concertée au niveau européen, alors qu’elle est devenue peu efficace au niveau national (avec un plus faible effet multiplicateur de la dépense publique). Ils soulignent souvent le fait que la conduite de la politique économique est restée polarisée sur la surveillance de la rigueur budgétaire sans prêter suffisamment attention aux divergences entre les pays en termes de salaire, de compétitivité, et en termes de déséquilibres financiers nourris par la dette privée (celle des ménages et des entreprises)
C’est la raison pour laquelle la gestion d’ensemble de la demande globale en zone euro et de l’Union européenne, ainsi que des investissements publics et des dettes émises en commun (qu’on appelle « euro-bonds »), pourraient soutenir la croissance potentielle et l’emploi, et faciliter la sortie de crise. La dernière crise des dettes souveraines en 2009 avait d’ailleurs souligné le manque de coordination des politiques économiques en Europe et l’insuffisance du fédéralisme budgétaire (ce que certains analystes appellent le « coût de la non-Europe »), parfaitement perçu par les marchés financiers et les agences de notation qui évaluent pour les investisseurs les risques des placements associés à chaque pays. Sous l’effet de la crise des dettes souveraines, diverses modifications institutionnelles ont été adoptées avec la création d’un Mécanisme européen de stabilité, l’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe, notamment.
Avec l’impact de la crise du Covid-19 sur l’économie européenne, la question d’un renforcement de la solidarité et des politiques communes en matière d’intégration, de croissance et de cohésion sociale, se pose à nouveau clairement. Depuis l’élection d’E. Macron en 2017, la France plaide ainsi pour un budget commun spécifique dans la zone euro, et de taille assez conséquente (représentant plusieurs points de PIB), à la fois pour investir, mais aussi pour une fonction de stabilisation en cas de choc macroéconomique. Mais des divergences politiques entre la France et l’Allemagne persistaient sur les transferts financiers, et l’idée même d’une intégration budgétaire européenne plus poussée semblait enlisée. Même si aujourd’hui, de nombreuses questions politiques et techniques restent à régler, cette initiative franco-allemande d’un plan de relance jusqu’à 500 milliards d’euros, serait une nouvelle étape vers une intégration plus forte de la politique économique dans l’Union européenne.
Les perspectives macroéconomiques de la Commission européenne pour 2020 et 2021
Source : Commission européenne, European Economic Forcast, mai 2020