Le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ou Agreement on tariffs and trade) a été créé en 1947 avec l’objectif d’instaurer un système commercial multilatéral avec l’abaissement négocié des tarifs douaniers. C’est ce que l’on appelle le multilatéralisme dont l’objectif était (et est toujours) de dépasser le protectionnisme, qui s’est étendu de la fin du XIXème siècle jusqu’en 1945, avec comme point culminant la loi Hawley-Smoot aux Etats-Unis en juin 1930, qui a instauré le régime protectionniste le plus dur de toute l’histoire du commerce mondial. Le GATT repose sur la clause de la nation la plus favorisée (« Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par une partie contractante à un produit seront, immédiatement et sans conditions, étendus à tout produit similaire »).
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a pris la suite du GATT le 01 janvier 1995 après la signature des accords de Marrakech, à la fin des négociations de l’Uruguay Round (1986-1994), le GATT étant alors critiqué pour ne pas être une véritable organisation internationale, sans représentant juridique, et accordant par ailleurs trop de dérogations. Tout comme le GATT, l’OMC cherche à réduire les obstacles au libre-échange par l’ouverture des échanges commerciaux, ce qui passe par la suppression des barrières douanières et des subventions à l’exportation, et plus généralement de toutes les pratiques protectionnistes.
Voir le chapitre de Terminale Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ?
Mais l’OMC diffère du GATT sur plusieurs points. Sur un plan juridique, alors que le GATT reposait sur une participation à la carte, l’OMC est désormais dotée d’une personnalité juridique dans laquelle l’adhésion des membres se fait sur un socle commun de normes, ce qui permet à cette institution d’être une organisation internationale de plein exercice. Toujours dans la sphère juridique, l’OMC a mis en place un Organe de règlement des différends (ORD) permettant de lutter contre l’échec des négociations entre deux entités membres par la nomination d’un panel de juges indépendants chargés d’examiner chaque cas de conflit. Le rapport et les recommandations de ce groupe d’experts sont adoptés quasi automatiquement, puisqu’il faut un consensus des membres pour rejeter leurs conclusions.
Sur le plan du contenu des accords, l’OMC a tenté de réguler de nouveaux domaines, comme l’environnement et la concurrence. Alors que les accords du GATT concernaient surtout les échanges de marchandises, l’OMC couvre également les services, et notamment les règles de la propriété intellectuelle au niveau international. Enfin, sur le plan de son organisation, l’OMC a intégré de nouveaux membres comme les puissances émergentes telles que le Brésil, l’Inde, la Chine et la Russie, et aussi bon nombre de Pays en développement (PED), ce qui fait qu’elle compte désormais 164 membres, et supervise de ce fait la quasi-totalité des échanges commerciaux mondiaux. Cette nouvelle organisation, plus démocratique, a conduit à relativiser progressivement la domination des pays les plus développés de la planète (Etats-Unis, Japon, Canada, Union européenne). L’adhésion à l’OMC de nouveaux membres s’est accompagnée d’accommodements ou de périodes d’exemption pour les pays « en transition vers une économie de marché ». Par exemple, pour ne citer qu’elle, la Chine est entrée dans l’OMC en 2001 avec des dispositions particulières, permettant de la considérer comme une « économie non marchande » pendant encore 15 ans. Cela a permis aux Etats-Unis et à l’Union européenne d’imposer aux produits chinois des tarifs anti-dumping, justifiés par les larges subventions dont profitaient alors les entreprises chinoises d’Etat. La période d’exemption prenant fin en 2016, la Chine a alors exigé d’être reconnue comme une économie de marché, et donc que ses partenaires occidentaux cessent de taxer les produits chinois, ce que ces pays ont refusé.
Depuis sa fondation en 1995, l’OMC a pu se prévaloir d’un certain nombre de succès, et notamment du bon fonctionnement de son ORD, en dépit de l’échec du cycle de Doha sur la libéralisation des échanges agricoles en 2005. Dans son tour d’horizon de l’évolution de l’environnement commercial international en 2016 (Source : OMC, 21 novembre 2016), son Directeur général indiquait qu’entre 2008 et 2016, 740 mesures restrictives au commerce ont été supprimées. Mais il indiquait aussi simultanément que sur la même période, 2978 mesures restrictives avaient été enregistrées, avec un démantèlement trop lent, s’établissant à 25% du total des mesures. La croissance de ces mesures restrictives sur le commerce a un effet dissuasif sur les flux commerciaux et, de fait, elles se sont accompagnées d’une croissance plus faible du commerce international en 2016 (1,7% en volume, alors que la prévision de croissance se situait à 2,8%).
Les problèmes de l’OMC sont en partie liés à une question de gouvernance. L’Organisation fonctionne en effet avec 164 membres et un système fondé sur l’unanimité et la règle de l’« engagement unique » qui stipule que « tant qu’il n’y a pas de compromis sur chacun des sujets de négociation, il ne peut y avoir d’accord global ». Or, du fait de l’impossibilité de dépasser les intérêts parfois contradictoires de ses membres (ce qui est bien normal, car ils ne sont pas au même stade de développement), on a pu observer ces dernières années un retour à des accords régionaux ou bilatéraux, qui ne sont pas vraiment en phase avec la dynamique multilatérale.
Cependant, les difficultés les plus importantes ont commencé avec l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en 2016. Dès son arrivée, l’administration Trump a mis en péril le système multilatéral à plusieurs reprises avec notamment la violation du principe de la nation la plus favorisée, le détournement du principe de la sécurité nationale, ou encore la réduction de la contribution américaine à diverses institutions internationales. Il s’agit probablement pour les Etats-Unis de revenir aux principes de fonctionnement du GATT de 1994 qui permettaient de maintenir les capacités de défense commerciale du pays, et notamment l’utilisation des mesures anti-dumping. Les critiques visent évidemment l’ORD qui impose un caractère contraignant aux parties en contentieux. Par exemple, les Etats-Unis reprochent notamment à l’ORD les décisions contentieuses de 2011 et de 2014, qui se fondant sur la définition restrictive de l’organisme public ont limité l’application des mesures anti-dumping contre les entreprises d’Etat chinoises. Et la récente décision de 2019 de retenir une définition plus étendue de l’organisme public n’a pas suffi à faire évoluer la position de Washington.
Une nouvelle étape de la crise est arrivée en juillet 2019, quand la commissaire européenne Cecilia Malmström a annoncé la paralysie de l’ORD. Cette paralysie annoncée provient avant tout des Etats-Unis qui refusent d’approuver la nomination de nouveaux juges à l’ORD pour la fin de cette même année, en raison des départs prévus. Faute d’un nombre suffisant de juges, l’ORD ne peut plus fonctionner, ce qui signifie concrètement que les conflits commerciaux, portant par exemple sur des subventions indues ou des barrières commerciales injustifiées ne pourront plus trouver de solutions élaborées dans un cadre multilatéral. C’est alors la porte ouverte à la multiplication des accords locaux, que le président américain actuel affiche préférer à l’action de l’organisation internationale.
Le point culminant de la crise de l’OMC est maintenant la démission le 14 mai 2020 de son Directeur général, le brésilien Roberto Azevêdo, officiellement pour raisons familiales, mais de fait au plus mauvais moment puisque l’économie mondiale enregistre son plus grand coup de frein depuis la Grande Dépression des années 1930. Ainsi que le fait observer Sébastien Jean, directeur au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), cette crise arrive dans une période où « le système commercial est déstabilisé par les entorses multiples aux accords, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, la paralysie de l’ORD et les mesures commerciales de restriction aux exportations diverses et variées en réaction à la crise du Covid-19 » (voir graphique ci-dessous sur l’évolution du commerce mondial en fonction de différents scénarios)
Volume du commerce mondial de marchandise 2000-2022
(indice 2015=100)