La méfiance envers les médias n’est pas un phénomène récent. Il est très probable qu’elle soit d’ailleurs aussi ancienne que le journalisme lui-même, et que cela tienne avant tout au métier de journaliste. Être journaliste, ce n’est pas relater des faits bruts, mais les relater sous un certain point de vue, que l’on appelle « l’angle de vue », ce qui suppose bien sûr le respect d’une charte d’éthique professionnelle en matière d’exposition des faits, de vérification des sources, de distance par rapport au pouvoir et à ses injonctions éventuelles, et de distance aussi à l’égard de la ou des idéologies dominantes.
Évidemment, ce positionnement n’est généralement pas le même que celui de l’acteur des différentes situations relatées, puisque cet acteur vit cette situation d’après sa subjectivité. Et la méfiance est d’autant plus forte que les événements vécus sont traumatisants, comme les guerres ou les révolutions. On peut en donner de multiples exemples. Pendant la première guerre mondiale, les soldats du front estimaient, et sans qu’on puisse leur donner tort, que la presse ne relatait pas assez leurs souffrances quotidiennes. De même, pendant la guerre d’Algérie, des bombes ont été déposées chez un certain nombre de journalistes. Au moment de mai 1968, certains responsables du mouvement envisageaient la création d’une « presse alternative », censée dire la vérité sur le monde.
Si la méfiance vis-à-vis des médias est donc un phénomène universel, elle est en France bien souvent plus forte qu’ailleurs en raison de la puissance de l’idéologie « illibérale » qui trouve son origine dès la fin du XVIIIème siècle avec la Terreur, puis au XIXème siècle aussi bien avec la Commune de Paris qu’avec le catholicisme traditionnaliste et royaliste. L’illibéralisme » accusant les médias d’être corrompus par le pouvoir de l’argent et aussi d’être soumis au pouvoir politique, se rencontre aussi bien du côté de l’extrême-gauche que de l’extrême-droite de l’échiquier politique.
Au-delà de ces facteurs à la fois généraux et nationaux, il semble bien que la crédibilité des médias ne cesse de s’affaiblir sur la période contemporaine. Sur les 30 dernières années, le baromètre Kandar, mis en place en 1987, révèle une dégradation, lente certes, mais aussi régulière, de la confiance envers les médias traditionnels que sont la radio, la presse écrite et la télévision.
Source : Kandar SOFRES, La Croix, janvier 2019.
D’après cette enquête, seuls 50% des Français jugent que les informations diffusées à la radio sont crédibles (alors qu’ils étaient 56% en 1987), et la confiance dans la télévision est encore plus faible (38% en 2019 contre 59% en 1987). Dans cet ensemble, on remarque toutefois que la presse écrite résiste : le niveau de confiance est à 44% en 2019 ; il était à 46% en 1987). Simultanément, en même temps qu’on se détourne des médias traditionnels, la confiance dans les informations véhiculées par Internet augmente (23% en 2005 ; 39% en 2015).
Cette défiance envers les médias s’est récemment accentuée encore en France avec la crise des « gilets jaunes » de 2018-2019. Dès le mois de novembre 2018, les médias étaient décriés de toute part, et dans certains rassemblements, des journalistes ont même été violemment pris à partie. Cette situation a certainement plusieurs causes (comme la proximité de certains médias dominants avec le pouvoir), mais il est probable que la plus importante d’entre elles est la montée en puissance des réseaux sociaux, qui s’accompagne d’un brouillage progressif entre faits et opinions. On voit ainsi apparaître et se multiplier les « Fake news », que l’on peut définir comme des fausses nouvelles délivrées dans le but de tromper un auditoire, et cela bien souvent dans la perspective d’obtenir un avantage, que celui-ci soit financier, idéologique, ou encore politique. Les « Fake news » ont pris une importance singulière à l’ère d’Internet, émanant souvent de médias « non institutionnels » comme les blogs ou les réseaux sociaux. Elles se propagent d’autant plus qu’un nombre croissant de citoyens ne s’informent plus à l’aide de la presse institutionnelle, mais via des réseaux sociaux, comme Twitter ou Facebook, dont les utilisateurs ne sont nullement soumis aux critères de la déontologie journalistique évoquée plus haut.
La crise actuelle peut-elle permettre de redonner confiance aux médias traditionnels ?
S’il est vrai que la France demeure un des pays les plus défiants à l’égard de l’information pendant la crise du Covid-19, quelques évolutions intéressantes à noter semblent se dessiner. Selon le Trust Barometer Edelman 2020 (agence de conseil en stratégie de communication), on assiste dans le monde entier à une défiance croissante à l’égard des réseaux sociaux, due à leur capacité à propager ces « Fake news ». 74% des répondants à ce sondage international expriment une forte inquiétude à l’égard des « Fake news » (soit 10 points de plus au cours de cette crise que dans une situation normale), et les répondants de chaque pays préfèrent placer leur confiance auprès des médias traditionnels (64% des répondants). Même si les Français sont derrière le reste du monde, ils jugent quand même les grands médias nationaux comme les sources d’information les plus fiables (52%), et expriment aussi une grande défiance à l’égard des réseaux sociaux (21% de confiance). On peut estimer que l’effort accompli par ces médias nationaux qui ont choisi de produire une information à la fois factuelle et renseignée à l’occasion de la crise actuelle se trouve récompensé.
D’une manière plus générale, on ne peut que se féliciter de cette évolution car les médias indépendants sont essentiels à la démocratie, qui n’est pas seulement une « démocratie représentative », mais aussi une « démocratie participative », voire même une « démocratie délibérative ». Si on définit la démocratie comme un système basé non seulement sur le pouvoir du peuple qui s’exprime par le choix des dirigeants à l’occasion d’élections libres, mais aussi par le contrôle continu et efficace des gouvernés sur les gouvernants, celle-ci n’est possible qu’avec les médias, qui ont pour rôle d’apporter et de diffuser de l’information, des enquêtes et des analyses, qui permettent au citoyen de jouer pleinement ce rôle de contrôle. François Mitterrand ne déclarait-il pas dans une Lettre aux Français que « Montesquieu pourrait se réjouir qu’un quatrième pouvoir ait rejoint les trois autres et donné à sa théorie des pouvoirs l’ultime hommage de notre siècle » ? Pour qu’une démocratie véritable fonctionne, il faut que la liberté des médias soit clairement établie, que les citoyens aient confiance en ceux-ci, leur permettant d’exercer le rôle de contre-pouvoir qui, comme le dit Marcel Gauchet, « n’a d’autre pouvoir que d’arrêter le pouvoir ».
Voir le chapitre du programme de seconde « Comment s’organise la vie politique ».
Voir le chapitre du programme de première « Comment se forme et s’exprime l’opinion publique ».