Coronavirus et chocs d’offre et de demande

À la différence de la crise de 1929 ou de la crise de 2008, la crise du Covid-19 n’est pas une crise bancaire ou financière qui affecte ensuite l’économie réelle. C’est une crise de l’économie réelle de nature exogène qui affecte l’offre et la demande de biens et de services, ce qui n’exclut pas bien sûr qu’elle puisse dégénérer ensuite en crise bancaire ou financière. (Voir le décryptage de Marc-Olivier Strauss-Kahn : « Peut-on comparer la crise du Covid-19 et celle de 2008 ? »)

En économie, il est d’usage quand on étudie les dysfonctionnements qui peuvent affecter les différents marchés de distinguer les chocs de demande et d’offre. Lorsque la demande de biens et services augmente sous l’effet d’une progression du pouvoir d’achat des ménages (hausse des salaires, réduction d’impôts, baisse des prix…), ou parle de choc de demande positif, et lorsque la demande de biens et services diminue sous l’effet des facteurs inverses, on parle de choc de demande négatif. Lorsque l’offre de biens et de services augmente, par exemple à la suite d’un accroissement important des capacités de production des entreprises, on parle de choc d’offre positif, et inversement de choc d’offre négatif quand les entreprises réduisent leur production ou disparaissent (faillites…).

La crise du Covid-19 produit un choc d’offre négatif, qui a des aspects nationaux et internationaux. Sur le plan national, le confinement décrété en France depuis le 17 mars 2020 a condamné à la fermeture un certain nombre d’activités jugées non essentielles. Sur le plan international, les approvisionnements de bon nombre d’entreprises ont été ralentis par l’arrêt de l’économie chinoise du fait de l’organisation mondiale des chaînes de valeur, à un degré variable toutefois selon les secteurs concernés (impact très fort sur l’automobile par exemple). Cette crise produit aussi un choc de demande négatif qui a un aspect national (réduction de la consommation de certains biens et services) et un aspect international (les clients étrangers arrêtent d’acheter des produits français ; les débouchés des entreprises nationales sont alors compromis).

Pour le moment, le choc de demande négatif a été globalement contenu, parce-que les revenus des Français ne se sont pas effondrés du fait notamment des mesures de chômage partiel qui permettent de maintenir 84% du salaire net. Même si en France un certain nombre de salariés, notamment précaires, et d’indépendants, souffrent d’une baisse de leurs revenus, cela n’a rien à voir avec la situation américaine où l’augmentation forte du chômage faiblement indemnisé réduit beaucoup plus fortement la demande. Cependant, on peut penser que dans un avenir plus ou moins proche, le choc de demande sera assez important en France, probablement un peu plus fort que le choc d’offre, étant donné que les capacités de production des entreprises ne seront pas immédiatement affectées grâce aux mesures gouvernementales de soutien à l’économie.

Melchior Philippe Deubel coronavirus

Dès maintenant, les dépenses de consommation finale ont déjà diminué de 33% par rapport à une période normale d’activité (voir INSEE, Note de conjoncture du 23/04/2020). Cette perte de consommation est certes conjoncturelle, correspondant aux conséquences du confinement, et donc à la chute des achats de carburant, d’habillement, de produits de beauté, de services d’hébergement, de restauration et de loisir…. Mais elle a aussi une dimension plus profonde car il est peu probable que la consommation reparte avec le déconfinement puisque, toujours selon l’INSEE, le moral des Français est maintenant au plus bas (INSEE, Informations rapides, 28 avril 2020). L’indicateur synthétique de confiance des ménages dans la situation économique a perdu 8 points entre mars et avril, sa plus forte baisse depuis la création de l’enquête en 1972. Ce manque de confiance affecte notamment les achats importants, car la proportion de ménages estimant qu’il est important de faire de tels achats a chuté lourdement. Le solde d’opinion correspondant perd 43 points et atteint son plus bas niveau jamais enregistré (- 59 contre -42 en décembre 1995 au moment des grèves contre le plan Juppé sur les retraites et la Sécurité sociale). Symétriquement, même si les Français doutent de leur capacité d’épargne à long terme, le solde d’opinion des ménages sur leur capacité d’épargne actuelle augmente fortement. On observe d’ailleurs pour confirmer cette opinion que l’épargne de précaution a fortement progressé en avril 2020.

En tout cas, l’ampleur de ce choc de demande négatif est très problématique car elle risque de créer une situation déflationniste qui serait très préjudiciable pour l’économie française. La déflation, en effet, si elle procure aux ménages un gain de pouvoir d’achat, n’est pas forcément bonne pour le consommateur car elle conduit les agents à reporter leurs décisions d’achats en attendant de nouvelles baisses des prix. Et surtout la déflation alourdit le poids des dettes. Le coût réel de la dette augmente avec la baisse de l’indice des prix car les remboursements des emprunts ne sont généralement pas indexés sur le niveau des prix. Il en résulte une moindre capacité à investir pour les entreprises et à consommer pour les ménages, qui réduit à nouveau les prix et alourdit encore la dette, ce qui conduit à la formation d’un cercle vicieux qui s’auto entretient (c’est un phénomène bien connu que l’économiste Irving Fisher a décrit sous le nom de déflation par la dette en 1933).

Voir le chapitre de Terminale « Croissance, fluctuations et crises »

C’est la raison pour laquelle toutes les mesures actuelles et à venir de soutien des économies de soutien de la demande par des mesures de politiques budgétaires et monétaires sont tout à fait nécessaires pour éviter cette spirale négative destructrice.

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