Pouvoir.

Définition

En général, la définition que l’on donne du pouvoir est une définition relationnelle. C’est selon Max Weber la probabilité pour un acteur d’imposer aux autres sa volonté dans le cadre d’une relation sociale. De son côté, Robert Dahl (« On the concept of power », Behavorial Pouvoir Science, 1957) amplifie cette dimension interactionniste en affirmant que « A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il peut obtenir que B fasse quelque chose que B n’aurait pas fait sans l’intervention de A ».

L'essentiel :

Si la définition ci-dessus est claire, il faut cependant distinguer l’autorité du pouvoir, deux concepts que le sens commun confond généralement. L’autorité est personnelle. Elle relève de caractéristiques propres à chaque personne et consiste à obtenir de la part d’autrui une adhésion volontaire sans contraintes physique, psychologique, morale ou économique. Le pouvoir est matériel. Il s’appuie sue une structure, sur la place de l’individu dans un appareil hiérarchique.

La question du pouvoir est étroitement liée à celle de la domination, de la légitimité de celle-ci, ce que Max Weber démontre très bien dans son œuvre (Le savant et le politique, 1917-1919, Economie et société, 1920), en distinguant trois idéaux-types de « domination légitime », la légitimité faisant référence à un pouvoir qui est reconnu et accepté par ceux qui y sont assujettis.

Dans l’histoire des nations, la première domination est de nature traditionnelle. La légitimité de ce pouvoir repose sur les traditions. On obéit au chef ou au groupe dominant parce-qu’ il incarne les règles coutumières qui gouvernent la société. Ce type de domination convient bien à des sociétés relativement immobiles comme la société féodale par exemple où le détenteur du pouvoir fait le lien entre le passé, le présent et l’avenir. Si la société change, si d’autres élites apparaissent, le risque est fort que le pouvoir soit remis en cause sous la pression de ces élites nouvelles.

La deuxième domination, ou domination charismatique, s’appuie sur les qualités exceptionnelles d’un chef qui surgit souvent dans des périodes troublées de l’histoire. Les règles qui régissent la société sont alors en crise, et le chef impose de nouveaux commandements qui font disparaître les standards normatifs acceptés jusqu’à lors. La légitimité du pouvoir s’appuie sur une « communautarisation émotionnelle » entre le chef et ceux qui lui sont soumis. Il n’existe plus de hiérarchie permanente ou de procédures stabilisées. Les décisions qui gouvernent l’organisation sont prises par le chef seul, acceptées par le groupe qui reconnaît ses qualités supposées hors du commun. Par définition, la domination charismatique ne dure pas. Lorsque l’épisode charismatique s’estompe, il cède la place à des structures plus institutionnalisées.

La troisième domination est qualifiée par Weber de « rationnelle légale ». C’est la domination sur laquelle reposent toutes les sociétés modernes. La légitimité vient alors du respect de la loi et s’appuie sur la croyance en la légitimité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives. Ce mode d’organisation est fondé sur un droit rationnel qui rompt avec l’arbitraire. Lorsqu’il gouverne, le détenteur légal du pouvoir obéit à un cadre objectif qui oriente ses décisions et les impose aux autres. La bureaucratie incarne la domination rationnelle légale.

Par son insistance sur le fait que le pouvoir implique la possibilité d’agir de certains individus ou groupes sur d’autres individus ou groupes, la tradition webérienne se situe dans ce que l’on appelle la conception interactionniste du pouvoir, que l’on oppose à la conception substantialiste.

Dans la conception substantialiste, nommée parfois aussi conception systémique, le pouvoir est la capacité d’un système organisé à réaliser ses buts, ou encore une « capacité générale qui permet d’assurer que les unités d’un système d’organisation collective satisfont certaines obligations, lorsque ces dernières sont légitimes eu égard aux biens collectifs, et lorsque, en cas de refus, on peut s’attendre à l’application de sanctions négatives tangibles, quelle que soit d’ailleurs la modalité retenue pour infliger ses sanctions » (Talcott Parsons, Politics and Social Structure, 1969). Cette conception du pouvoir suppose qu’il soit interchangeable. En d’autres termes, que le pouvoir dont un acteur A dispose sur un acteur B s’exerce dans toutes les situations (ce qui n’est pas le cas : ce pouvoir peut s’exercer dans un domaine d’action, mais pas dans un autre) et qu’il soit transférable à d’autres acteurs (ce qui n’est pas le cas non plus : ce qui vaut entre A et B ne vaut pas entre A et C). Elle suppose aussi que la légitimité du pouvoir, donc les buts collectifs, existent. Or, bien souvent, ces buts ne sont que des résultats négociés entre des acteurs qui poursuivent des finalités différentes. Le consensus entre deux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent n’est pas donné a priori. C’est toujours une construction fragile et sans cesse recommencée.

Au-delà de l’opposition entre la conception interactionniste et la conception substantialiste du pouvoir, l’œuvre de Michel Foucault montre que cette opposition est largement artificielle. D’une part, dans Surveiller et punir (1975), il montre comment les institutions créent des concepts qui légitiment leur existence (approche substantialiste). C’est ainsi que la prison a fabriqué le concept de délinquance, de même que l’institution psychiatrique a fabriqué le concept de malade mental. Il montre aussi que ce pouvoir s’appuie sur des « technologies » qui sont la condition de son maintien. Toujours dans Surveiller et punir, Foucault met en relief les activités de « dressage » à travers lesquelles les institutions les plus diverses comme l’école, l’administration, l’hôpital, la prison, forment une construction visant la normalisation de l’individu. Mais par ailleurs, Foucault montre aussi qu’il n’y a pas un seul pouvoir, mais une multiplicité de micropouvoirs omniprésents dans la société (approche interactionniste) : « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper. Il s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles » (Dits et écrits, 1978). 

En outre, qu’il s’agisse d’une conception ou d’une autre du pouvoir, celui-ci a souvent partie liée avec l’idée de domination. Or, pour Hannah Arendt (La nature du totalitarisme, 1990), il y a une erreur sur la nature même du pouvoir si on le réduit à l’idée de domination, c’est-à-dire de subordination d’une volonté à une autre. Pour Arendt, l’essence du pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir de façon concertée. Ce n’est pas une propriété individuelle, puisqu’il appartient au groupe. Ce n’est pas non plus un « pouvoir sur », mais plutôt un « pouvoir en commun ». Cela a pour conséquence une distinction fondamentale entre le pouvoir et la violence, qui sont il est vrai bien souvent mêlés dans les faits (que l’on pense à la définition de l’Etat selon Weber « comme monopole de la violence physique légitime »). Alors que le pouvoir est l’élément essentiel de toute forme de gouvernement, la violence est instrumentale, dirigée et justifiée par les fins qu’elle prétend servir. Mais c’est en fait quand le pouvoir vient à faire défaut que la violence renforce son emprise. La violence s’instaure quand le pouvoir tend à se perdre. Quant à l’autorité, selon Arendt, sa caractéristique essentielle est que ceux dont l’obéissance est requise la reconnaissent inconditionnelle. L’autorité est donc ce qui assure au pouvoir la permanence. Cette conception de l’autorité vient des Romains. En effet, dans la langue romaine, Auctoritas provient de augere, qui signifie augmenter. L’autorité augmente le pouvoir reposant sur le « consentement instaurateur du vivre ensemble ».

Toutefois, si l’essence du pouvoir est étrangère à la domination, il n’en reste pas moins que la question qui se pose est l’organisation de la durée de ce pouvoir. Le rappel au « consentement instaurateur » (par le débat permanent, par le vote comme acte emblématique de la condition de citoyen) est-il une condition suffisante pour maintenir et conforter dans la durée les institutions publiques et privées d’une société démocratique ? Peut-on assurer de manière permanente la légitimité du pouvoir sans recourir à la domination, et en conséquence finalement à la violence ?

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