Michel Crozier, sociologue français contemporain, s’est intéressé au début des années 1960 à l’organisation de la SEITA (entreprise publique française productrice de tabac, aujourd’hui remplacée par Altadis). Il observe les relations entre différents groupes professionnels : les ouvrières de production, les ouvriers d’entretien (chargés entre autres de réparer les machines) et les chefs d’atelier*.
Michel Crozier s’emploie à montrer que les relations entre ces trois groupes professionnels sont des relations de pouvoir dont la manifestation la plus aiguë est produite par l’événement qui les met fonctionnellement en rapport, à savoir les pannes. Celles-ci constituent le seul événement important qui ne peut être prévu à l’avance et pour lequel on n’est pas complètement parvenu à élaborer des règles impersonnelles impératives.
Par ailleurs, de par la compétence technique qu’ils détiennent, les ouvriers d’entretien sont les seuls, au sein de l’atelier, à pouvoir traiter cet événement. Les ouvrières de production et les chefs d’atelier sont donc dépendants de leur bon vouloir. De plus, les règles existantes viennent encore renforcer cette dépendance dans la mesure où elles prévoient que si la panne dure plus d’un certain temps, les ouvrières seront affectées à des tâches de manutention rétribuées à un salaire inférieur. II en résulte un climat d’incertitude, d’autant plus important que l’on se situe dans un univers où tout est, par ailleurs, prévu dans les moindres détails. Les seuls susceptibles de tirer profit de ces incertitudes sont les ouvriers d’entretien qui disposent, dès lors, d’une source de pouvoir non négligeable. En effet, les ouvrières de production, mais aussi les chefs d’atelier, vont s’efforcer d’obtenir d’eux le meilleur traitement possible. Les relations hiérarchiques habituelles s’en trouvent court-circuitées.
Source : Claudette LAFAYE, La sociologie des organisations, Paris, Nathan, 1996.
*Note de l’auteure
Questions :
1. En situation routinière (habituelle), qui a la possibilité de se faire obéir de qui ?
2. Comment se transforme la relation dans le cas de pannes ? Qui détient alors le pouvoir ? Pourquoi ?
3. Pourquoi peut-on dire que le pouvoir peut être considéré comme une relation ? Quelles sont les caractéristiques de cette relation ?
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1. En situation routinière (habituelle), qui a la possibilité de se faire obéir de qui ?
En situation routinière, ce sont les chefs d’atelier qui ont la possibilité de se faire obéir des ouvriers et ouvrières.
2. Comment se transforme la relation dans le cas de pannes ? Qui détient alors le pouvoir ? Pourquoi ?
En cas de pannes, les relations hiérarchiques habituelles sont perturbées. Ce sont les ouvriers d’entretien qui détiennent le pouvoir car ce sont les seuls qui disposent de la compétence technique nécessaire aux réparations. Les deux autres groupes (chefs d’atelier et ouvrières de production) deviennent dépendants des ouvriers d’entretien.
3. Pourquoi peut-on dire que le pouvoir peut être considéré comme une relation ? Quelles sont les caractéristiques de cette relation ?
Le pouvoir peut être considéré comme une relation déséquilibrée entre des individus ou des groupes, un ou plusieurs d’entre eux disposant de la possibilité de se faire obéir des autres.