Définitions
Les pays émergents sont des pays dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaissent une croissance économique rapide, et dont le niveau de vie et les structures économiques et sociales convergent de ce fait vers ceux des pays développés.
L'essentiel :
Au-delà de cette définition sommaire, le concept d’émergence n’est pas facile à appréhender. Comme on vient de le voir, il fait d’abord référence à des pays qui connaissent une croissance économique forte. Mais ce sont aussi des pays qui s’insèrent dans la division internationale du travail en exploitant leurs avantages comparatifs. Ils opèrent souvent un rattrapage économique en misant sur de faibles salaires associés à de longues journées de travail pour compenser leur faible productivité initiale dans des secteurs économiques à forte intensité de main-d’œuvre. La sous-évaluation de la monnaie de ces pays est un autre critère de l’émergence. Une monnaie sous-évaluée est source de gains à l’exportation permettant d’accumuler les réserves de change qui financeront le développement futur. Enfin, le rôle de l’Etat est indispensable dans ce décollage, que ce soit pour réaliser une réforme agraire qui libère les travailleurs pour les soins de l’industrialisation, pour mettre en place les institutions favorables à la croissance, qu’il s’agisse par exemple de collecter l’épargne nationale grâce à la constitution d’un réseau bancaire efficace ou de mettre en place un système éducatif permettant d’élever le capital humain, ou encore pour souder la nation en affirmant un nationalisme économique.
La mise en perspective historique de la notion d’émergence montre les rapports importants entre celle-ci et la structure de l’économie-monde. A la fin du XIXème siècle, la Grande-Bretagne, qui est encore « l’atelier industriel du monde », redoute l’affirmation des « émergents » de l’époque, et surtout de l’Allemagne, ce qui conduira à l’Entente cordiale (1904), puis à la première guerre mondiale. Dans les années 1960, c’est le Japon qui fait figure de puissance émergente, en malmenant la domination américaine sur les marchés mondiaux. Et, un peu plus tard, dans les années 1970, ce sont les « dragons d’Asie » (Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong, Singapour), dont l’insertion dans le commerce mondial est concomitante de la crise que connaissent alors les pays de l’OCDE. Cette époque est déjà le temps des « délocalisations », c’est-à-dire de la migration de l’industrie textile, de la sidérurgie, de la construction navale, vers ces pays. Ce que l’on a appelé à l’époque le « miracle asiatique » se fonde sur une industrialisation tournée vers l’exportation qui a pour contrepartie les débuts de la désindustrialisation occidentale.
L’expression « marchés émergents » proprement dite est due en 1981 au financier Antoine Van Agtame qui repère alors des zones géographiques où le placement des capitaux semble particulièrement attractif. Dans la même décennie, le terme sera repris par les institutions internationales pour désigner les pays dans lesquels l’industrialisation est particulièrement rapide.
Au début des années 2000, ce sont maintenant les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui sont définis comme les marchés les plus prometteurs de la planète par Jim O’ Neill, économiste chez Goldman Sachs. Il est vrai que ces quatre nations représentent à elles seules 50% de la croissance mondiale entre 2000 et 2008. Leurs atouts sont indéniables : la Chine exporte des produits manufacturés (elle devient progressivement à son tour « l’atelier industriel du monde, détenant dès 2011 le deuxième PIB mondial), l’Inde se spécialise dans les services informatiques, le Brésil exporte des produits agroalimentaires, et la Russie s’affirme comme un fournisseur d’énergie incontournable.
Par la suite, d’autres zones vont accéder à l’émergence. Le même Jim O’ Neill croit pouvoir observer au seuil des années 2010 un groupe de 11 suivants, composé de l’Indonésie, du Mexique, de la Turquie, du Nigeria, des Philippines, de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, de l’Afrique du Sud, du Vietnam et du Venezuala. Parmi ces pays, certains sont plus prometteurs que d’autres. L’Afrique du Sud est admise au sein des BRIC fin 2010, formant maintenant les BRICS. Le Mexique a un potentiel énorme, bien qu’il soit un peu trop dépendant de la « manne pétrolière ». La Turquie a une croissance très importante et est candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis 1995, même si ses fragilités internes sont nombreuses, comme le montre l’histoire récente. L’Indonésie s’est dotée d’une industrie et reprend le modèle est-asiatique. Le Nigeria est sur le continent africain un géant démographique (environ 180 millions d’habitants), lui aussi fort de sa manne pétrolière. Les Philippines, grâce au bas coût de leur main-d’œuvre, sont désormais un pivot de l’industrie textile mondiale. La Thaïlande a une croissance économique très forte (souvent supérieure à 10% l’an), et le Vietnam, tournant la page de son passé communiste, s’ouvre et intègre l’Asean, ce qui lui permet de développer ses exportations et d’attirer les investisseurs internationaux.
A partir du milieu des années 2010, le poids de ces nations émergentes est tel que l’on s’interroge sur un possible rééquilibrage de la gouvernance mondiale. Alors qu’en 1992, elles ne représentaient encore que 27% du commerce mondial, cette part est passée à presque la moitié aujourd’hui. De plus, le groupe des BRICS revendique désormais un poids politique réel dans les instances internationales. Les pays de ce groupe s’imposent dans les négociations et réunions du G20 au moment de la crise de 2008. Ils sont aussi très présents dans les instances du commerce mondial (entrée de la Chine à l’OMC en 2001 et de la Russie en 2012) où ils défendent leurs intérêts. Parallèlement, ils commencent à s’organiser entre eux. En 2011, un premier sommet des BRICS a eu lieu, et en 2012 un projet de banque de développement du Sud a vu le jour et a été définitivement adopté en juillet 2014. Egalement, de nombreux accords commerciaux et de partenariats entre les pays émergents se mettent en place.
En 2021, les émergents pris dans leur ensemble apparaissent avoir bien tiré leur épingle du jeu suite à la crise de la Covid-19. La contraction de leur PIB a été moins forte que celle des pays anciennement développés, à savoir l’Europe et les Etats-Unis. Et la reprise des émergents en 2021 devrait être plus forte que celle de l’Europe et des Etats-Unis (+7,7% contre +4,9%), avec l’Asie hors Japon qui joue un rôle moteur dans cette croissance (+8,9%). La performance des émergents s’explique principalement par la reprise du commerce mondial, à laquelle les économies émergentes sont deux fois plus sensibles que les économies des pays développés. Et au sein de celles-ci, il faut souligner la part de plus en plus importante de la Chine. Déjà en 2019, pour 146 pays du monde, la Chine est devenue un partenaire commercial plus important que les Etats-Unis.
Un signe de cette domination nouvelle est l’importance des flux financiers entre la Chine et beaucoup de pays émergents. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux à investir dans les actifs chinois ou à emprunter en RMB (monnaie chinoise). La montée en puissance de la devise chinoise se traduit d’ailleurs par la taille du bloc RMB, qui représente désormais 25% des devises mondiales. D’ailleurs, certains auteurs n’hésitent pas à affirmer qu’un monde tripolaire en termes de devises a pris le pas sur le duo dollar-euro. Cela a pour conséquence l’appréciation du RMB, qui impacte toutes les devises asiatiques ainsi que celles des pays exportateurs de matières premières.
Toutefois, si ces signes de changement de l’ordre mondial sont indéniables, il n’en reste pas moins que la situation de la Chine reste fragile à bien des égards. La dette publique est un sujet de préoccupation croissant dans ce pays qui devra par ailleurs faire face à de nombreux défis structurels dans les années à venir : vieillissement démographique et main-d’œuvre en diminution, inégalités importantes entre les villes et les campagnes, problème de compétitivité d’une économie qui demeure tributaire de dépenses d’investissement élevées et de l’expansion du crédit, système politique qui manque d’ouverture. Et en ce qui concerne les autres économies émergentes, la situation est bien souvent beaucoup plus problématique que celle de la Chine. La crise de la Covid-19 a fragilisé les services publics dans ces pays, et en particulier celui de la santé. Dans bon nombre de cas, les gouvernements s’avèrent incapables d’offrir une protection sociale aux plus démunis. De plus, alors que l’endettement a été la solution dans les pays riches pour financer la hausse des dépenses publiques consécutive à la crise, il constitue un réel problème dans les pays émergents, dont bon nombre sont étranglés par une dette bien souvent contractée en dollars ou en euros, et donc particulièrement affectés par la dépréciation des monnaies locales.