Définition :
Le paradoxe d’Anderson est un paradoxe empirique, qui établit que l’acquisition par un étudiant d’un diplôme supérieur à celui qu’a pu obtenir son père ne lui assure pas nécessairement une position sociale plus élevée. C’est un doute jeté sur l’idée de la mobilité sociale par l’école, donc la remise en cause d’une certaine forme de méritocratie.
L'essentiel :
A partir de différentes enquêtes empiriques, le sociologue américain Charles Arnold Anderson a mis en évidence, dès 1961 aux Etats-Unis, le constat a priori paradoxal selon lequel la mobilité sociale n’a qu’une relation faible avec le niveau d’instruction. En effet, dans un article intitulé « A Skeptical Note on Education and Mobility », Anderson a pu observer de manière surprenante que « le statut social relatif des fils apparaît comme pratiquement indépendant de leur niveau d’instruction relatif ». Il remarquait ainsi que le fait d’acquérir un diplôme supérieur à son père ne garantissait pas à l’individu une position sociale plus élevée, qu’un diplôme équivalent pouvait conduire à un déclassement, mais qu’un diplôme inférieur n’était pas incompatible, à l’inverse, avec une immobilité, voire avec une mobilité ascendante. Tous les cas de figure apparaissaient donc envisageables. Il en concluait que l’éducation est paradoxalement un déterminant mineur de la mobilité sociale. Les données relatives à la mobilité sociale en France issues des enquêtes Formation-Qualification professionnelle montrent que ce paradoxe subsiste encore aujourd’hui en France. A peu près 60% des fils ont un diplôme supérieur à celui de leur père tout en se trouvant dans une position sociale égale ou inférieure.
En France, Raymond Boudon dans L’inégalité des chances-La mobilité sociale dans les sociétés industrielles (1973) a analysé ce paradoxe comme un effet d’agrégation par lequel des stratégies individuelles se contrecarrent au point d’anéantir les espoirs des acteurs sociaux. En effet, il apparaît à chacun rationnel, pour améliorer sa position sociale par rapport à son milieu d’origine, d’acquérir un diplôme supérieur à celui de ses parents. Mais si chacun raisonne de la sorte, toutes choses égales par ailleurs (à structure sociale constante notamment), il s’ensuit que le niveau de diplôme requis pour occuper une position sociale déterminée sera de plus en plus élevé. Il en résulte une diminution du rendement social du diplôme, c’est-à-dire qu’un diplôme identique donne accès à des positions sociales moins élevées que celles des parents. On peut comparer cela à l’inflation monétaire : « l’inflation scolaire » (selon le titre d’un ouvrage de Marie Duru-Bellat paru en 2006), liée au phénomène de démocratisation scolaire, dévalue la valeur des diplômes, comme l’inflation monétaire diminue la valeur de la monnaie. Evidemment, il faut toutefois raisonner en prenant en compte l’évolution de la structure sociale, car il existe toujours une part importante de mobilité structurelle dans des sociétés en changement social rapide. De ce point de vue, tout dépend de la vitesse relative d’évolution des positions sociales et des niveaux d’éducation. Si le nombre de positions sociales élevées augmente moins rapidement que le nombre de positions scolaires élevées, le rendement du diplôme baisse. Et effectivement la démocratisation scolaire qui semble inexorable et qui se poursuit sans cesse engendre un doute sur le « rendement » du diplôme, ou tout au moins de certains diplômes, à tel point que Duru-Bellat n’hésite pas à remettre en cause « l’égalité des chances » qui émane de la méritocratie caractéristique des démocraties contemporaines. Plutôt que de continuer à hiérarchiser en « sélectionnant » dans la perspective d’identifier les « meilleurs » élèves, Duru-Bellat préconise une orientation plus professionnelle et responsable, moins dominée exclusivement par des critères scolaires, mais en faisant davantage le lien entre la formation et l’emploi, en donnant notamment beaucoup plus de vigueur aux différents dispositifs d’apprentissage et d’alternance.
Lire à ce propos :
Trois questions à Marie Duru-Bellat ...
1) Depuis quand peut-on parler d’inflation scolaire ?
2) L’école doit-elle être encore gouvernée par le principe d’égalité des chances,
3) Le diplôme joue-t-il un rôle excessif en France dans l’insertion (et aussi l’évolution) sur le marché du travail ?