Etat-gendarme

Définition :

L’Etat-gendarme est un Etat qui comme son nom l’indique un Etat qui limite ses interventions à la protection extérieure (armée) et intérieure (police, justice) des citoyens.

L'essentiel :

L’Etat-gendarme est indissociable de la pensée libérale. Son rôle se limite aux fonctions régaliennes qui consistent pour l’essentiel à faire appliquer des lois en accord avec l’ordre naturel qui contraint toute société, ces lois permettant d’échapper à l’état de nature et de garantir les libertés individuelles (que l’on se rappelle la célèbre formule de Hobbes selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme »). Cependant, si la définition précédente indique que l’Etat ne doit avoir aucune prérogative particulière en matière économique et sociale, il n’en reste pas moins que l’histoire des deux siècles précédents a montré qu’il ne pouvait pas être absent de ces registres. Il n’est pas facile de définir l’« Etat minimum », et la réflexion sur les contours de la réflexion étatique est déjà présente dans la Richesse des nations (1776) d’Adam Smith.

Adam smith, dans cet ouvrage, énonce les « trois devoirs du souverain ».

-          Le premier devoir est « celui de protéger la société contre la violence et l’invasion d’autres sociétés », c’est-à-dire d’entretenir une armée et d’organiser la défense du territoire.

-          Le deuxième devoir du souverain est « celui de protéger, autant qu’il est possible, chacun des membres de la société contre l’injustice et l’oppression de tout autre membre de la société ». L’Etat doit ainsi entretenir une police et une justice qui offrent à chacun la protection de la loi.

-          Enfin, Adam Smith énonce un troisième devoir du souverain qui est « d’« ériger certains ouvrages publics et certaines institutions que l’intérêt privé d’un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir, parce que jamais le profit n’en rembourserait la dépense à un particulier ou à quelques particuliers ».

Si on s’en tient aux deux premiers devoirs, l’Etat selon Adam Smith n’est qu’un Etat-gendarme, au sens où il respecte le principe de subsidiarité, puisqu’il ne prend en charge que les activités pour lesquelles l’initiative privée est incompétente. Ce principe est indissociable du principe de la main invisible qui, en affirmant que chaque individu est conduit « à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions », permet d’imaginer que les mécanismes du marché ont la vertu d’harmoniser les égoïsmes individuels de telle sorte qu’ils profitent involontairement à l’intérêt général. Ainsi, croire que la main invisible existe, c’est croire que les hommes n’ont pas besoin d’un organisme régulateur pour « faire société » et que le lien marchand suffit, dès lors que l’ordre public est assuré. « La société peut subsister entre les hommes comme elle subsiste entre les marchands par le sentiment de leur utilité, sans aucun lien d’affection », écrit encore Adam Smith. L’Etat-gendarme s’impose alors en tant que dépassement de l’Etat des mercantilistes qui entretenait la confusion entre l’intérêt général et l’intérêt du souverain. Il était donc par nature protectionniste, guerrier et interventionniste. Finalement, la définition de l’Etat-gendarme est indissociable des deux postulats classiques concernant les comportements humains : d’une part, la défense de son intérêt privé par l’homo oeconomicus suffit à conduire la société vers la prospérité pourvu qu’il bénéficie d’une parfaite liberté ; d’autre part, la méfiance vis-à-vis de l’intérêt particulier du personnel politique qui l’amène à détourner la richesse publique à des fins privées. La description qu’en donne Adam Smith est éloquente : « cet être insidieux et rusé qu’on appelle vulgairement l’homme d’Etat ou politique, dont les avis se dirigent sur la marche versatile et momentanée des affaires ». La définition libérale de l’Etat est donc indissociable d’une méfiance extrême vis-à-vis du pouvoir, par nature excessif, corrompu et liberticide.

Le troisième devoir annonce cependant la conception de l’Etat des économistes néoclassiques, dont la mission sera de corriger les défaillances du marché, à savoir les biens collectifs, les situations de monopole naturel, et la gestion des externalités, positives ou négatives. La principale difficulté devient alors de distinguer exactement ce qui relève du domaine du marché et ce qui relève du domaine de l’Etat. Cette difficulté s’inscrit aussi bien dans les registres empirique et théorique. Sur un plan empirique, on a pu observer depuis deux siècles qu’il y a autant de formes d’Etat que de conceptions des limites du marché. Néanmoins, on peut dire que deux modèles dominants se sont opposés au XXème siècle pour la gestion de ces défaillances, à savoir le modèle européen qui réglemente, voire nationalise, et qui s’éloigne de fait de la définition canonique de l’Etat-gendarme, et le modèle américain, qui procède par délégation au secteur privé, par l’attribution de la régulation et de la surveillance du marché à des agences indépendantes de l’Etat. Sur un plan théorique, la difficulté pour délimiter précisément le périmètre d’intervention de l’Etat remonte aux origines de la science économique. Si nous prenons l’exemple de l’éducation, l’embarras de l’école classique est frappant. Certes, Adam Smith en vient facilement à considérer que les dépenses d’éducation doivent être prises en charge par l’Etat, mais c’est parce qu’il met en avant des raisons régaliennes, en l’occurrence qu’il serait plus facile de maintenir l’ordre public si la population est éduquée. Sa vision est alors très paradoxale pour un économiste qui, par ailleurs, met en valeur les effets défavorables de la division du travail sur l’habileté et l’esprit d’invention des ouvriers. Il se trouve donc ici contraint d’ignorer la formation du capital humain grâce à la scolarisation de la population. La démarche de Jean-Baptiste Say apparaît en quelque sorte plus moderne. Si l’éducation relève chez lui aussi du domaine public, c’est en raison de la frontière qu’il trace entre le rôle de l’Etat, qui doit prendre en charge le long terme, et celui du marché, qui est préférable pour les activités qui s’inscrivent dans le court terme. Pour autant, le message du classique français n’est clair qu’en apparence, puisqu’il explique également que c’est la faiblesse du revenu des savants qui justifie que l’Etat doive intervenir, le marché ne sachant pas récompenser justement leur travail. Il ne parvient donc pas à fixer les limites de l’action publique grâce à l’opposition long terme/court terme, puisque dans ce cas, c’est la fonction d’allocation des ressources (qui s’inscrit dans le court terme) qui est défaillante.

On peut interpréter l’extension du rôle de l’Etat au XXème siècle comme une conséquence de cette limitation impossible des prérogatives publiques. Cette extension ne va cependant pas sans susciter de multiples interrogations. Dès les années 1960, la théorie économique va revenir à une conception plus minimaliste de l’Etat en remettant en cause sa figure de planificateur bienveillant et omniscient. Autrement dit, ce n’est pas parce que le marché est défaillant que l’Etat est efficace. L’école des choix publics avec James Buchanan et Gordon Tullock (The Calculus of Consent, 1962) dénonce ainsi la rationalité du personnel politique qui, pour être réélu, en vient toujours à accroître la dépense publique. D’un pont de vue très proche, William Niskanen (Bureaucracy and Representative Government, 1971) montre, quant à lui, comment le contrôle qu’exerce la bureaucratie sur les décisions politiques accroît cette dérive. Par exemple, les hauts fonctionnaires déterminent eux-mêmes les besoins de leur administration.

En dépit de ces contestations diverses, l’évolution de l’Etat ne s’est pas traduite par une remise en cause des missions de l’Etat-providence depuis les années 1980. Certes, on remarque une volonté assez générale dans les pays développés de baisser les prélèvements obligatoires et de déréglementer, ce qui a pu conduire à la mise en œuvre de nombreuses privatisations et à la mise en concurrence de certaines entreprises de services publics. Mais on a pu observer aussi que simultanément, l’Etat a investi de nouveaux champs d’intervention, comme de nouvelles politiques industrielles ou la prévention de certains risques sociaux. Non seulement l’Etat minimal reste introuvable, mais la dépense publique est bien difficile à contrôler, comme l’illustre parfaitement le cas de la France.

Voir le cours de Première : Comment l'assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées

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Note de lecture
Le 02/09/2011
Philippe Aghion, Alexandra Roulet

3 questions à Philippe Aghion :

1) En matière d’éducation, le rôle de l’Etat est-il de toujours dépenser plus ?

2) Le rôle de l’Etat est-il d’encourager l’innovation ?

3) Qu’est-ce qu’une politique d’immigration réussie ?

 

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