Déversement

Définition :

transfert progressif de main d’œuvre d’un secteur à un autre.

L'essentiel :

Le terme de déversement est celui qu’emploie Alfred Sauvy dans La machine et le chômage, ouvrage publié en 1980, pour caractériser le passage progressif des emplois du secteur primaire au secteur secondaire puis, dans un deuxième temps, au secteur tertiaire. Il s’appuie dans cette analyse sur les définitions des secteurs d’activité de Colin Clark et sur sa « loi d’évolution des secteurs ». Dans son ouvrage de 1940, The Conditions of Economic Progress, Colin Clark pose le cadre d’un classement sectoriel des activités de production. Il distingue un secteur primaire (agriculture, pêche, forêt), un secteur secondaire regroupant toutes les activités de production de biens et il agrège toutes les activités de services dans un même secteur dit tertiaire. L’homogénéité de ces dernières tient à leur caractère immatériel et non stockable.

Alfred Sauvy analyse les transformations de la structure sectorielle de la main-d’œuvre à partir du progrès technique. Il montre que sur le long terme, on assiste, dans les pays développés, à un déversement sectoriel. Dans un premier temps, la part de la population active occupée dans le primaire diminue au profit du secondaire, puis, dans un second temps, celle des secteurs primaire et secondaire diminue au profit du secteur tertiaire. Le progrès technique détruit donc des emplois dans le secteur où il est mis en œuvre mais, par le biais des gains de productivité qu’il génère, il permet un effet-revenu c’est-à-dire soit une hausse des salaires, soit une baisse des prix, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, se traduit par une hausse du pouvoir d’achat.  Si la consommation des ménages est élastique à ses effets-revenu, elle augmente et les gains de productivité ne se traduisent pas par des pertes d’emplois proportionnels. Si, comme c’est souvent le cas pour les biens manufacturés, la demande n’est pas élastique à la baisse du prix, les ménages dégagent un pouvoir d’achat potentiel qui est susceptible de se déverser sur des besoins nouveaux. C’est ainsi que Sauvy explique le développement du secteur tertiaire et sa place croissante dans l’économie des pays développés. La tertiarisation se définit par la croissance de la part des services dans la production globale, ce qui va de pair avec la part croissante des actifs du secteur tertiaire dans la population active totale. La tertiarisation est due, en grande partie, à la forte augmentation du pouvoir d’achat des ménages et à la transformation de la structure de consommation. Une part croissante de celle-ci se tourne vers les services, conformément aux lois d’Engel qui expliquent que plus le revenu augmente, plus la satisfaction des biens de première nécessité étant assurée, les besoins se tournent vers des « biens supérieurs » définis comme ceux dont la demande a une élasticité au revenu supérieure à 1. Les services de soin, d’éducation et de loisirs sont pleinement concernés et ce sont ces branches qui ont créé des emplois depuis les années 70.

Les emplois détruits le sont donc dans des secteurs à forts gains de productivité (secteurs primaire et secondaire) alors que les emplois créés le sont dans des activités tertiaires qui, globalement, n’enregistrent de plus faibles gains de productivité. Ce sont donc essentiellement les différentiels de gains de productivité qui expliquent le déversement.

Le déversement peut être entravé par certains blocages tels que la capacité d’adaptation de la main d’œuvre, sa polyvalence et son employabilité dans d’autres secteurs. Sauvy relève l’existence de rigidité sur le marché du travail mais aussi au niveau de l’offre qui tarde à s’adapter à la demande. Il évoque l’exemple du logement qui dans les années 60-70 tarde à s’adapter à la croissance de la demande dans les villes, ce qui conduit à une hausse des prix immobiliers et des loyers.

Ce déversement sectoriel suscite d’autres débats sur la capacité du secteur tertiaire à être le secteur moteur que le secteur secondaire a pu être dans le passé.  C’est l’enjeu des interrogations sur la tertiarisation et, son corolaire, la désindustrialisation. Même si le terme de déversement n’est plus très souvent employé pour penser les mutations de l’emploi aujourd’hui, la question de l’impact du progrès technique et de l’innovation sur l’emploi reste très présente.

Lire à ce propos

3 questions à …( à venir)

1) Peut-on mesurer aujourd’hui le nombre d’emplois perdus du fait du progrès technique ?

2) Peut-on évaluer les emplois crées par le biais d’un déversement de pouvoir d’achat ?

3) La thèse du déversement est-elle actuelle dans un contexte de baisse des gains de productivité ?

 

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