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L'ouvrage
Dans cet essai, loin des prophéties apocalyptiques sur la « fin du travail », Michèle Debonneuil délivre un message optimiste sur les potentialités de la révolution numérique en termes d’emploi. Dans la préface de son ouvrage, Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l’Emploi et initiateur du plan des services à la personne en 2005, se dit confiant dans le fait que « des solutions existent et que chacun pourra trouver un bon emploi et une place dans la nouvelle économie numérique qui ouvrira un grand cycle de croissance durable de plein emploi », malgré une « douloureuse période de transition et de destruction créatrice ». Tout l’enjeu pour Michèle Debonneuil est toutefois de savoir collectivement tirer profit des bouleversements indéniables que vont créer les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives), si les sociétés reprennent leur destin en main afin d’éviter le remplacement programmé de l’homme par l’intelligence artificielle. Elle plaide dans cet ouvrage pour que l’on ne se prive pas des avancées des technologies numériques, mais elle considère qu’il est urgent d’inventer un nouveau paradigme de la politique économique qui permette que le travail qualifié et non qualifié se conçoive en complémentarité des innovations technologiques. Il est temps selon elle de passer d’une économie de « l’avoir plus » à celle de « l’être mieux » : c’est le pari de cette production du secteur « quaternaire » qui intègre le travail de l’homme et la puissance organisationnelle des nouvelles technologies.
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Mettre l’économie numérique au service des hommes
Michèle Debonneuil rappelle que pendant de nombreuses décennies, le lien croissance - productivité - emploi a permis une expansion économique partagée même si aujourd’hui ce talisman est peut être brisé. Face au dualisme de son marché du travail et la crise de son modèle social, la France peine à créer, comme les autres pays développés d’ailleurs, des emplois salariés à temps plein sous des formes contractuelles, qui ont longtemps constitué la norme d’emploi. Si la France n’a pas développé de mini jobs comme dans d’autres pays, elle conserve un taux d’emploi faible et un taux de chômage élevé.
Des pays comme l’Allemagne ont atteint un certain « plein emploi » au sens classique du terme, mais au prix d’une spectaculaire croissance des inégalités : « si un petit boulot de quelques heures mal payées est préférable au chômage, même si on est correctement indemnisé », cette aggravation des inégalités a des effets sociaux et sociétaux délétères qu’il serait absurde de nier note l’auteure, y compris en termes de perte d’efficacité économique et donc de faible croissance. En effet, selon elle, « cet état de fait serait alors doublement destructeur car il induirait non seulement une croissance désespérément molle, mais aussi une croissance ontologiquement inégalitaire, susceptible de faire exploser la société ».
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Michèle Debonneuil décrit l’émergence ces dernières années d’un nouveau modèle productif, dit « à coût marginal nul » : cette production se borne à exploiter des donnés numérisées grâce à des logiciels sans aucune gestion de main-d’œuvre ou de matière. Ainsi lorsque l’internaute est équipé d’un mobile, la mise à disposition des informations ne nécessite aucune autre dépense que la conception des logiciels. Dans ce cadre, le coût de consultation d’une application (le coût marginal) décroît au fur et à mesure des consultations, tandis que son coût fixe (souvent relativement faible) est réparti sur un nombre croissant d’internautes. Lorsque le nombre d’internautes devient suffisamment important, ce coût tend vers zéro, et le producteur peut mettre gratuitement à disposition ses applications. Par opposition à la concurrence caractérisée par un coût marginal croissant, cette « nouvelle économie » se caractérise par des entreprises en situation de concurrence monopolistique assez brutale, et qui se constituent en « petits monopoles » et raflent tout, en proposant des variétés différentes du même produit (comme Facebook, WhatsApp et Skype).
C’est ainsi que l’économie des plateformes numériques a développé des nouveaux services permettant de mettre en relation toutes sortes d’acteurs dont la rencontre produit le service en question. Cette « économie collaborative » bouleverse profondément nos modes de production, de consommation et d’échange, en permettant, grâce au numérique, à des millions d’individus aux intérêts convergents d’entrer en relation. Mais Michèle Debonneuil rappelle que ces entreprises sont en concurrence impure et imparfaite avec les acteurs de l’économie traditionnelle, tandis qu’elles échappent aux contraintes du droit du travail et au droit fiscal en vigueur. Inévitablement, se produit une « nouvelle querelle des Anciens et des Modernes » : les conflits se multiplient entre les entreprises du nouveau monde et de l’ancien monde (les taxis contre les « Uber », les hôtels contre « Booking », les agences de voyage contre « Seloger »).
Ces évolutions se couplent d’une robotisation de la production de biens et services dominée par des oligopoles mondiaux surpuissants (les fameux GAFA) dans le cadre d’un « paradigme rentable mais sans partage des fruits de la croissance », avec quelques entreprises qui écrasent les marchés face à une légion de petits travailleurs indépendants isolés et sans possibilité de négociation de leurs revenus.
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Un risque majeur de déshumanisation ?
Le risque majeur est alors que dans ce modèle de la production à coût marginal nul, les gains de productivité et l’innovation ne débouchent pas comme par le passé sur un « effet de déversement sectoriel » qu’évoquait Alfred Sauvy, mais sur des destructions d’emplois et « une course folle à la déshumanisation », accompagnée d’une « casse sociale » où des robots remplaceraient systématiquement l’homme, puisque les géants du net n’auraient pas intérêt à relever les salaires de leurs collaborateurs mais bien plutôt à leur substituer des technologies plus sophistiquées…Pour Michèle Debonneuil, cette lame de fond semble d’autant plus irrésistible que les élites politiques ne semblent pas avoir complètement identifié les rouages de ces transformations…
Pour l’auteure, la révolution numérique, conjuguée à la financiarisation et l’automatisation, ne nous empêche pas de nous mobiliser pour promouvoir une nouvelle croissance inclusive. Pour cela il faut miser sur les « solutions quaternaires » : des nouveaux produits de consommation, qui mettent à la disposition des consommateurs sur les lieux de vie grâce aux machines numériques qui collectent et traitent l’information, les biens, les savoirs et les savoir faire dont ils ont besoin. Elle propose ainsi d’appeler « quaternaire » cette économie où les produits finaux –ceux achetés par les consommateurs- seront des « solutions » qui dépassent et intègrent le secondaire industriel (les biens) et le tertiaire (les services).
L’espoir des solutions quaternaires
Dans les « solutions quaternaires », les mises à disposition sur les lieux de vie des objets connectés et des personnes compétentes ne sont pas déléguées à des travailleurs indépendants, mais organisées par des entreprises employant des salariés qui les mettent à disposition. En achetant ces solutions quaternaires à ces entreprises (dans les domaines de l’éducation, de la santé, des appareil électroménagers, des transports, etc.), les consommateurs ne s’offrent donc plus seulement des biens, mais leur mise à disposition à domicile avec un service d’assistance de qualité qui facilite leur usage.
Ces « bouquets de solution quaternaires » permettront de satisfaire plus finement les besoins des consommateurs, notamment dans le cadre de la Silver Economy et la prise en charge de la dépendance des personnes âgées qui pourront recevoir des soins adaptés à domicile. Michèle Debonneuil évalue à 4 millions d’emplois à temps plein le gisement d’emplois de cette révolution quaternaire, dans la production et la distribution de ces services. Dans ce modèle productif, de nombreux travailleurs constitueront des intermédiaires indispensables entre le consommateur (les ménages qui vont s’équiper) et les technologies, chaque fois que la présence humaine s’avèrera indispensable pour rendre un meilleur service (« un travail à trois »). La relation de travail sera fondée, dans cette économie du quaternaire, sur la combinaison de trois acteurs : le client, l’intervenant, et la technologie.
Ces services pourront être développés tant dans le domaine de l’éducation (les enseignants aideront les étudiants à choisir leurs MOOc) que celui de l’armée (des acteurs spécialisés sur le terrain aideront les drones et les appareils de surveillance), ou celui du bâtiment (des techniciens aideront à la mise en œuvre de la domotique). Les solutions quaternaires donneront un nouveau souffle à l’industrie (une « industrie du futur ») : outre que ces nouvelles activités ont peu d’intérêt à être délocalisées et sont fondées sur la proximité du client avec le service qu’il paye, la robotisation de l’industrie se conjuguera avec la création d’emplois très qualifiés ou de qualification intermédiaire pour améliorer la qualité du service (complexe) rendu. Le volume de l’emploi augmentera sans que cela ne se fasse au détriment de la qualité de ces emplois : un nouveau cercle vertueux pourra s’amorcer, où la croissance des revenus créera une demande solvable en mesure de financer de nouveaux emplois qualifiés...
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Michèle Debonneuil insiste aussi sur une caractéristique fondamentale du quaternaire : ce type d’économie est faiblement carboné et complémentaire de l’économie circulaire et du recyclage des produits. Dès lors, « l’ère du quaternaire est donc par construction une ère de développement durable, beaucoup plus satisfaisante sur le plan intellectuel que les théories de la décroissance qui ne nous donne comme horizon que de consommer et de produire moins ». L’auteure plaide en conséquence pour que l’Etat mette rapidement un coup d’accélérateur en soutenant un ambitieux « plan quaternaire », y compris au niveau européen, afin de sortir par le haut du piège de la stagnation séculaire et du spectre de la « fin du travail ». Pour éviter cette société où il y aura très peu de gagnants et beaucoup de perdants, il faut selon elle inventer de nouveaux compromis sociaux, comme cela a été fait lors des précédentes révolutions industrielles, et surtout mettre les nouvelles technologies au service de l’homme et non l’inverse.
Quatrième couverture
Les nouvelles technologies peuvent devenir un formidable gisement d'emplois 4 millions ! au lieu d'en être le tombeau : tel est le credo de l'économiste Michèle Debonneuil.
Il faut pour cela opérer un saut conceptuel vers l'« économie quaternaire », qui met les potentialités de la technologie numérique au service des hommes en préservant le travail humain. Exemples ? L'« autopartage » (Autolib à Paris), qui, contrairement au covoiturage (Blablacar...), allie technologie numérique (abonnement, réservations en ligne...) et emplois (des salariés entretiennent les voitures mises à disposition) ; ou la téléassistance pour personnes âgées (des capteurs de chutes préviennent un personnel qualifié qui se déplace au domicile du client), fleuron de la Silver Economy...
Créatrice du concept fondé sur l'observation de terrain, l'auteur nous prouve que les « solutions quaternaires » sont véritablement la clé pour revenir à une croissance durable et lutter contre le chômage de masse qui menace notre société. Mais aussi permettre à l'Europe de partager le pouvoir des GAFA et de reprendre la main sur les données personnelles et le transhumanisme.
L’auteur
Administratrice de l'Insee et inspectrice générale des Finances, Michèle Debonneuil a notamment été directrice des études économiques et financières à la banque Indosuez. Elle est connue pour son action dans le développement du Plan de développement des services à la personne. Elle est l'auteur, entre autres, de L'Espoir économique : vers la révolution du quaternaire (Bourin éditeur).