Définition
Le capitalisme n’est pas un, mais pluriel, et cette diversité s’appréhende aussi bien sur le plan diachronique que sur le plan synchronique.
L'essentiel
On peut appréhender la diversité historique des capitalismes à partir des travaux de l’école française dite de la régulation (Michel Aglietta, Robert Boyer, etc.) qui distinguent deux principaux régimes d’accumulation dans l’histoire du capitalisme que sont le régime d’accumulation extensive (au XIXème et au début du XXème siècle, où la croissance repose sur l’augmentation quantitative des facteurs de production que sont le travail et le capital) et le régime d’accumulation intensive (au cours du XXème siècle, où la croissance repose sur des gains de productivité importants, en partie réalisés grâce à la mobilisation du facteur résiduel qu’est le progrès technique).
Chaque régime d’accumulation se caractérise par un mode de régulation, qui correspond à « l’ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation du capital, c’est-à-dire permettant de résorber […] les déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même (Robert Boyer, Théorie de la régulation, tome 1, La Découverte, 2004). Cette analyse s’applique particulièrement bien aux deux grandes crises du XXème siècle : la crise des années 1930 et celle des années 1970, chacune marquant le passage à une autre forme de capitalisme.
La crise des années 1930 traduit l’incohérence entre un régime d’accumulation qui devient intensif et un mode de régulation concurrentielle, typique du XIXème siècle, où l’Etat intervenait relativement peu dans l’économie, où la création monétaire était limitée par l’étalon-or, où le partage des revenus était régulé par le marché, ce qui ne permettait pas une consommation de masse. La production de masse favorisée par la diffusion du taylorisme ne trouvait donc pas de débouchés suffisants. Cette crise sera résolue par un nouveau mode de régulation, le mode de régulation monopoliste, qui va assurer un partage des revenus permettant une consommation de masse. Ce nouveau mode de régulation se constitue peu à peu durant l’entre-deux-guerres, avec des épisodes comme les New Deals, et trouve toute sa cohérence après 1945. Il a permis la croissance des Trente Glorieuses, en accompagnant un régime d’accumulation intensive : c’est un système économique que les régulationnistes ont appelé fordisme.
Toujours selon les régulationnistes, la crise des années 1970 provient quant à elle de l’épuisement du fordisme. La tertiarisation et le rejet croissant de l’organisation scientifique du travail ont affaibli les gains de productivité, et la mobilité croissante des marchandises et des capitaux remet en cause le mode de régulation monopoliste : l’augmentation des salaires propre aux Trente Glorieuses n’est plus compatible avec la recherche de compétitivité et de profits élevés, et la lutte contre l’inflation devient prioritaire. C’est à partir des années 1980 que les régulationnistes voient apparaître un régime d’accumulation tiré par la finance (Aglietta parle de « capitalisme patrimonial ») : les marchés financiers commencent à jouer un rôle prépondérant dans le financement de l’économie, ce qui fait que la gestion des entreprises est plus influencée par les actionnaires. Ce régime d’accumulation, moins stable que les précédents, s’accompagne d’une série de crises financières qui reviennent périodiquement.
Dans une optique plus contemporaine, il semble bien que l’on puisse distinguer, voire opposer, différentes formes de capitalisme.
Michel Albert, dans son ouvrage de 1991 (Capitalisme contre Capitalisme) développe une première opposition entre le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme rhénan. Le capitalisme anglo-saxon se caractérise par une régulation effectuée principalement par le marché, par la prédominance des marchés financiers privilégiant les profits à court terme, par une faible protection sociale, et par un haut niveau d’inégalités. Le capitalisme rhénan, quant à lui, se caractérise par une intervention plus forte de l’Etat dans l’économie (prélèvements obligatoires plus élevés, secteur public important, marché du travail régulé), un rôle important des banques dans le financement et la gestion des entreprises, ce qui permet de privilégier leur développement à long terme. Le modèle allemand, qui incarne bien ce type de capitalisme, est cependant menacé par la mondialisation financière qui a tendance à imposer les règles de fonctionnement du capitalisme anglo-saxon.
De son côté, Bruno Amable, dans Les Cinq capitalismes (2005), propose une typologie plus fine dans laquelle il insiste sur les complémentarités au sein de chaque modèle entre la régulation du marché du travail, le système financier, la protection sociale et l’éducation. Aux modèles libéral de marché et européen continental dont on vient de définir les caractéristiques, il ajoute le modèle social-démocrate de l’Europe du Nord (marché du travail relativement flexible et forte protection des travailleurs, ce que l’on appelle la flexisécurité), le modèle asiatique (marché du travail réglementé, système financier constitué par des banques, faible protection sociale et système éducatif privé), et le modèle méditerranéen (forte réglementation, faible protection sociale, et importance des réseaux familiaux traditionnels).
Sur la période la plus récente, on voit ces différents capitalismes s’affronter de plus en plus. Par exemple, un ouvrage de 2008 du Cercle des économistes dirigé par Jean-Hervé Lorenzi insiste sur la remise en cause de la domination du capitalisme anglo-saxon. Cette domination est contestée notamment par une autre forme de capitalisme, le capitalisme d’Etat, comme en Chine ou dans une moindre mesure en Russie, caractérisé par une implication très forte de l’Etat dans l’économie et illustré par la constitution de fonds souverains aux gigantesques moyens financiers. Pour le Cercle des économistes, l’affrontement entre les capitalismes dépassera d’ailleurs bientôt le champ économique pour se placer sur le terrain du partage des ressources rares, comme l’eau ou les matières premières. En attendant, cette guerre des capitalismes est dès maintenant très présente, comme le montre la rivalité commerciale et technologique en cours entre la Chine et les Etats-Unis.
Lire à ce propos :
3 questions à Jean-Hervé Lorenzi :
1) Le capitalisme peut-il se développer durablement dans un contexte non démocratique ?
2) Quelle est l’efficacité de la « guerre commerciale » que les Etats-Unis ont engagé avec la Chine sous l’administration Trump ?
3) Peut-on dire aujourd’hui que la rivalité entre le capitalisme américain et le capitalisme chinois tourne à l’avantage de la Chine ?