Le climat après la fin du mois

Christian Gollier

Christian Gollier évoque dans cet essai l’enjeu des politiques climatiques et la question sensible des sacrifices à consentir par les générations présentes pour préserver le capital naturel et le bien-être des générations futures. Il exprime ses doutes quant à la possibilité de gagner le combat contre la déréglementation du climat. Il insiste d’emblée sur la schizophrénie qui semble gagner le citoyen dans nos démocraties : il peut, comme en France, signer une pétition « affaire du siècle » accusant l’Etat d’inaction face au changement climatique et le trainer devant les tribunaux, et vitupérer et manifester dans le même temps contre la fiscalité écologique au nom de la préservation du pouvoir d’achat.

Introduction

L’urgence climatique

Dans la mesure où le climat est un bien commun, il faut absolument le préserver en se désintoxiquant des énergies fossiles, selon l’auteur, mais en acceptant des sacrifices. Et selon lui, il n’y a qu’une seule solution, en fonction du consensus qui s’est établi chez les scientifiques sur la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique : faire payer le vrai prix du carbone qui intègre à la fois les coûts de production et les externalités négatives qu’il génère. Et pour cela converger rapidement vers un prix mondial du carbone suffisamment dissuasif, en jouant sur les signaux-prix de l’économie de marché, au besoin en mettant en place les compensations financières pour les plus démunis.

Si la fréquence et l’intensité des dommages humains et matériels induits par les effets du changement climatiques sont encore difficiles à prévoir, il est peu douteux qu’elles menaceront l’équilibre des sociétés et pénaliseront les générations futures. Face aux réserves de pétrole, de gaz et de charbon encore énormes, il s’agit donc non seulement de s’organiser pour réduire notre demande d’énergie fossile, mais aussi de convaincre les pays pétroliers et charbonniers d’abandonner volontairement ou sous la pression internationale. Mais Christian Gollier se prononce contre une décroissance brutale qui supposerait un régime politique autoritaire qui imposerait un mode de consommation frugal et uniforme au détriment des libertés individuelles. Et toutes les tentatives de faire naître un « homme nouveau » se sont soldées par des dérives totalitaires tragiques et barbares au XXème siècle. Au contraire, il estime que « notre projet collectif devrait être une décroissance sélective, celle qui laisse l’homme libre d’exprimer son génie entrepreneurial dans des activités compatibles avec le bien commun, tout en incitant à la décroissance des activités qui détruisent la nature ».

Miser sur le principe « pollueur-payeur »

Christian Gollier regrette dans cet ouvrage les critiques excessives contre la science économique, trop souvent associée à la doctrine libérale et à quelques recettes sommaires faisant l’apologie de la libre concurrence et accusée d’être à la racine des dérives du capitalisme : « oui, la science économique est un sport de combat, en particulier en France où elle est souvent jugée partisane et non scientifique ». Il plaide pour que l’on puise dans la boîte à outils des économistes les moyens de combiner efficacement les mécanismes de marché avec une intervention publique assez simple, pour que chacun se comporte de plein gré envers l’environnement en accord avec l’intérêt général.

Pour Christian Gollier, c’est le rôle de la fiscalité écologique qui peut concilier efficacité économique (en favorisant des comportements plus vertueux) et justice sociale (en permettant grâce aux recettes générées un double dividende si l’on affecte les ressources à la diminution des taxes sur le travail pour créer des emplois ou en subventionnant les énergies propres). Il suffit notamment de s’appuyer sur les travaux de A. C. Pigou du début du XXème siècle avec son livre intitulé L’économie du bien-être, pour comprendre l’effet des externalités négatives et l’idée d’une taxe pour en corriger les effets néfastes. A.C. Pigou cherchait d’ailleurs à l’époque une solution à la pollution industrielle qui créait de fortes nuisances pour la population londonienne. Christian Gollier part en effet d’un postulat : la bonne volonté n’est pas infinie et l’homme ne naît pas naturellement altruiste et mu par un comportement prosocial : c’est la raison pour laquelle les économistes ont développé des instruments comme les écotaxes pour inciter les individus à adopter des comportements conformes à l’intérêt général. Pour Christian Gollier « le principe pollueur-payeur, c’est le moyen plus sûr de conduire les gens à adopter un comportement socialement responsable ».

Mais la France bute sur un paradoxe déroutant : elle figure parmi les pays où la prise de conscience écologique atteint des sommets dans les enquêtes d’opinion, mais où l’acceptation des politiques environnementales reste concrètement très difficile. Le soutien massif à la lutte contre le réchauffement climatique voisine avec le soutien non moins massif aux Gilets Jaunes qui ont mené la révolte contre la fiscalité écologique, avec notamment le slogan « les élites nous parlent de la fin du monde, quand nous, on parle de la fin du mois ». On sait que les émissions de CO2 dans l’atmosphère sont une défaillance du marché qui se traduiront par un réchauffement global à la surface du globe. Or il existe aujourd’hui un consensus chez les économistes pour évaluer les externalités négatives créées par ces émissions à 50 euros par tonne de CO2. Malgré tout, le principe pollueur-payeur devrait s’appliquer à l’identique sur toutes les catégories sociales, dans tous les lieux et dans tous les contextes économiques selon Christian Gollier.

Mais il s’agirait de mettre en place des compensations aux ménages les plus vulnérables à la hausse du prix de l’énergie et utiliser le reste de cette recette fiscale pour d’autres objectifs, comme la baisse des charges sociales pour stimuler la création d’emplois Et pour maximiser l’efficacité redistributive, il faut limiter les exemptions et lutter contre les niches fiscales.

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Une transition écologique heureuse ?

Christian Gollier critique les différents gouvernements qui se sont succédé et qui ont installé l’idée que la guerre contre le changement climatique n’exigerait pas forcément de sacrifices : or l’on sait que les efforts des générations actuelles sont indispensables pour atteindre les objectifs de limitation des émissions de CO2 et freiner la hausse de la température de la planète, sous la forme de l’acceptation de hausse du prix du carburant notamment. Pour l’auteur, « le concept d’une transition énergétique heureuse est une utopie ». La difficulté est de mobiliser l’opinion contre un péril diffus, éloigné dans le temps, et plutôt mondial que national. L’auteur cite le philosophe Hans Jonas qui notait à la fin des années 1970 que « l’avenir n’est représenté par aucun groupement, et il n’est pas une force ». Or les gouvernants visent la réélection et doivent composer avec les mouvements de l’opinion et les conflits sociaux.

Christian Gollier rejette dans cet ouvrage les solutions démagogiques, comme l’idée de mobiliser la banque centrale et faire marcher la planche à billets pour financer la lutte contre le changement climatique, avec le risque d’une érosion du pouvoir d’achat de la population. Il faut tenir un discours de vérité et remplacer les politiques environnementales accumulées et incohérentes par une tarification simple et claire du prix du carbone, « et il serait trop facile selon lui de rejeter sur le personnel la responsabilité de l’échec de réformes dont le peuple ne veut pas ». Christian Gollier analyse alors la portée de la COP 21 de Paris en 2015, mais évoque aussi avec pragmatisme son bilan mitigé quelques années après : une étude de l’OCDE quantifie d’ailleurs trois après, en 2018, l’inefficacité et le manque de coordination des politiques de réduction des émissions de CO2 de ses membres.

L’idée de négocier sur un prix unique du carbone est la plus intéressante selon lui, mais elle suppose d’affronter la question sensible des compensations financières entre les pays riches, et entre les pays riches et les pays pauvres. Certains économistes préconisent de coupler la taxe carbone à des taxes douanières afin de lutter contre la tentation du dumping environnemental.

Quelle solidarité intergénérationnelle ?

Pour Christian Gollier, la question du partage de l’effort entre les générations pour lutter contre le changement climatique est cruciale. Le prix de 50 euros la tonne de CO2 est la clé de voûte de toute politique climatique : « avec un prix du carbone imposé à tous et partout sur la planète, nous internaliserons les dommages que nous imposons aux générations futures en émettant du CO2 ». Ce prix du carbone permettrait d’aligner l’intérêt privé sur l’intérêt collectif, au sens de l’assemblée des générations présentes et futures. Si notre société pense que l’émission d’une tonne de CO2 engendre un dommage climatique d’une valeur de 50 euros par tonne, il suffit qu’elle impose une taxe de ce montant aux entreprises comme aux particuliers, ou qu’elle mette en place un marché de permis d’émission en contrôlant l’offre de permis pour que le prix d’équilibre soit de ce montant. Mais on sait que même ce prix est très insuffisant pour atteindre les ambitieux objectifs de réduction de CO2 que la France et l’Europe se sont fixés pour 2030 (soit réduire les émissions de CO2 de 40% par rapport à 1990) et 2050 (quasi-neutralité carbone).

On sait qu’une croissance est soutenable si elle permet aux générations futures de disposer d’un niveau de bien-être au moins aussi élevé que le nôtre : il existe un consensus pour miser sur l’innovation technologique pour enclencher un mécanisme de croissance bas carbone. Mais la difficulté est de lutter, à la fois au niveau national et au niveau mondial, contre le comportement du « passager clandestin », qui conduit certains acteurs à laisser les autres s’acquitter des coûts de l’action collective en faveur du climat, et d’en récupérer les bénéfices. Alors que le temps presse, il faudrait également que les opinions publiques deviennent moins court-termistes et acceptent une baisse de leur pouvoir d’achat aujourd’hui pour préserver les chances des générations futures d’hériter d’un capital naturel préservé.

Christian Gollier plaide pour que les Etats les plus volontaires avancent sur la voie d’une gouvernance climatique mondiale, et pour une contribution d’investisseurs socialement responsables dans le cadre de marchés financiers davantage régulés, dans un contexte où les entreprises doivent s’acquitter de leur responsabilité sociale et environnementale, notamment sous la pression de l’opinion publique et donc des marchés.

Mais la question clé demeure la suivante et il ne faut pas l’éluder : « les Français sont-ils prêts aujourd’hui à sacrifier un petit peu de leur bien-être pour améliorer beaucoup le bien-être d’autrui – même si cet autrui n’est pas Français et qu’il n’est probablement même pas encore né ? »

Conclusion

En définitive, Christian Gollier montre dans cet ouvrage que l’urgence climatique, exige à la fois une volonté politique pour tenir les objectifs visés par les accords internationaux, et un discours clair aux citoyens sur les sacrifices à consentir afin de réussir la transition énergétique et faire évoluer notre mode de croissance.

Quatrième de couverture

L’humanité a rendez-vous avec son destin. L’exploitation des énergies fossiles qui a fondé notre prospérité nous met désormais en péril. Production de gaz à effet de serre, consommation énergétique à outrance, il devient urgent d’opérer un changement profond de notre mode de vie. Pour gagner cette guerre mondiale contre les dérèglements climatiques, d’indispensables sacrifices sont nécessaires, à commencer par l’application du principe pollueur-payeur. Les Français y sont-ils prêts ? Si la fin du mois passe avant la fin du monde, la responsabilité des citoyens envers les générations futures est cependant déjà engagée.
Loin des sentiers battus, Christian Gollier exprime ses espoirs et ses doutes quant à notre capacité à relever le défi climatique. S’il dresse un constat implacable, il propose aussi des solutions économiques concrètes pour préserver l’avenir de tous.

 

L’auteur

  • Directeur général de la Toulouse School of Economics (université de Toulouse-Capitole) et président-élu de l’Association européenne des économistes de l’environnement (EAERE), l’économiste Christian Gollier est mondialement reconnu pour ses travaux en économie de l’incertain et de l’environnement.

Source : Toulouse School of Economics (Ecole d'économie de Toulouse - TSE)

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