L'ouvrage
La lecture du problème climatique par les économistes
Contrairement à l’idée parfois véhiculée dans le débat public, les climatologues sont majoritairement d’accord sur les conséquences des émissions de gaz à effet de serre (GES). La Physique de base, dans la lignée des travaux de Joseph Fourier en 1827, a montré que certains gaz comme le CO2 participent au réchauffement planétaire en entravant le passage des radiations infrarouges.
La concentration de GES a été multipliée par 1.5 entre 1800 et aujourd’hui pour atteindre 435 parties par millions de CO2 équivalent. Les activités humaines des pays développés sont responsables de cette évolution mais les pays en développement vont avoir dans les prochaines années un rôle de plus en plus important dans l’augmentation des émissions totales, le plus gros émetteur étant aujourd’hui la Chine devant les Etats-Unis et l’Union européenne. D’ici la fin du XXIème siècle, si rien ne change, les températures dépasseraient de 5°C le niveau qui était le leur pendant l’ère préindustrielle, selon une probabilité de 50%.
Si cela était vérifié, les conséquences seraient nombreuses et menaceraient des aspects fondamentaux de l’existence. Dès une augmentation de 1.5°C de la température, les rendements agricoles baisseraient. L’acidification des océans menacerait les ressources marines, principal apport protéinique pour 1 milliard de personnes. Les ressources en eau potable diminueraient et l’élévation du niveau des mers menacerait de nombreuses grandes villes dans le monde comme par exemple Rotterdam. Les effets sur l’environnement seraient irrémédiables : dégradation des barrières de corail, disparition de nombreuses espèces, tempêtes plus nombreuses et puissantes, développement plus fréquent de feux de forêts, sècheresses, inondations et vagues de chaleur.
Enfin, avec la raréfaction de nombreuses ressources, des vagues de migration sont envisageables, engendrant des conflits sévères, étendus et larges. Dans ce cadre, ce sont les populations des pays en développement qui seront les premières et les plus durement touchées en raison principalement de leur géographie mais aussi de par leur manque de revenu et d’éducation les handicapant pour s’adapter au changement. Pour des raisons similaires, les populations pauvres des pays riches seront également touchées.
Néanmoins, les auteurs notent que des incertitudes demeurent, tant sur le plan de la physique que de l’économie. Roger Guesnerie en relève 6. Les niveaux d’émission futurs ne sont pas connus en raison de leur dépendance aux décisions, notamment politiques, à venir. La capacité d’absorption des GES de la terre, via les océans, est encore mal connue. L’évolution des températures pour un stock de GES donné est incertaine. Les répercussions locales et globales calculées sur le climat sont très sensibles à certains détails des procédures et des hypothèses retenues. Les conséquences sur nos modes de vie dépendent de la réaction des hommes, particulièrement difficile à anticiper. Enfin, il est toujours possible que de mauvaises surprises interviennent, remettant en cause les prévisions des scientifiques.
Au-delà de ces incertitudes, il est du rôle des économistes d’évaluer les coûts potentiels du changement climatique. Les auteurs s’accordent sur 3 coûts directs de nature différente. Les conséquences de l’élévation du niveau de température engendreraient des coûts matériels, pour pallier la montée du niveau des océans ou réparer les destructions causées par la multiplication des tempêtes par exemple. Les migrations imposées par la nécessaire relocalisation des hommes causeraient des coûts humains, morts prématurées mais aussi souffrances psychologiques et psychiques liées aux conflits engendrés. Enfin il existerait des coûts pour les générations futures liés par exemple à la privation d’une partie de la biodiversité existante dans le passé.
Ainsi, il existe de nombreux arguments qui poussent à intervenir aujourd’hui pour contrecarrer cette évolution du climat. Outre les coûts directs, le caractère d’externalité négative de l’émission de GES est un autre argument de l’intervention. Les auteurs notent aussi que le coût d’opportunité de l’inaction serait prohibitif. Si les prévisions sont avérées (elles ont 90% de l’être selon le GIEC, groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’humanité aurait beaucoup à perdre. Nous nous priverions aussi d’opportunités fantastiques en termes de croissance économique, que les prévisions soient avérées ou pas. Un investissement en R et D accru permettrait de créer des innovations majeures nous menant vers un nouveau sentier de croissance sobre en carbone, condition de l’avènement de la troisième révolution industrielle, période de « destruction créatrice » offrant de nouvelles opportunités de croissance et d’emploi. Cela amène Nicholas Stern à affirmer, comme dans son célèbre rapport de 2006, qu’ « il n’y a pas de contradiction entre la responsabilité climatique et la croissance : les deux peuvent aller de pair».
Les politiques climatiques nationales et régionales
Pour justifier la mise en place de politiques par les pouvoirs publics, les économistes mettent en avant la présence de défaillances de marché. Une externalité renvoie à la situation dans laquelle un agent économique ne supporte pas directement les coûts que son activité inflige aux autres agents économiques. L’émission de GES a donc un coût pour la collectivité en participant à la dégradation du climat. Les économistes mettent en avant 5 autres défaillances de marché. Compte tenu de l’incertitude sur le retour sur investissement, le marché conduit à une situation où les agents économiques sous-investissent dans la R et D ; l’Etat doit donc notamment pallier ce sous-investissement dans les technologies vertes. Les marchés existants ne permettant pas de gérer convenablement le risque lié à une nouvelle révolution industrielle, l’Etat doit par exemple garantir des prêts à des entreprises innovantes, participer à des projets industriels et réguler les tarifs de nouvelles sources d’énergie. La mise en place de réseaux de transports ou d’électricité, et les économies d’échelle permises par l’action de groupe comme la mise aux normes quartier par quartier plutôt que maison par maison, appellent aussi une intervention étatique. Enfin, le système de prix est incapable de refléter la valeur d’une information de qualité pour les consommateurs et producteurs, ainsi que la valeur attachée à la préservation de la biodiversité et de la sécurité économique.
La question que se posent alors les économistes est la suivante : comment modifier le système de prix de façon qu’il reflète mieux le coût de l’utilisation intensive du carbone de nos sociétés afin d’en réduire la production ? Ainsi, les politiques d’ « atténuation » ont pour vocation d’agir ex ante de l’émission de GES contrairement aux politiques d’ « adaptation » qui agissent ex post. Une bonne politique doit être guidée par un triple objectif : efficacité (limiter les émissions de GES sous un certain niveau), efficiente (limiter les coûts compte tenu de l’objectif) et équitable (considérée comme juste compte tenu de critères définis et partagés). Ces critères permettent d’arbitrer entre 3 solutions : la règlementation (l’Etat édicte des normes, des interdictions), la taxation des émissions de carbone, et la création d’un marché de droits.
Dans un monde certain, taxe et marché de permis sont équivalents alors qu’« en présence d’incertitude, le marché donne de la certitude sur les quantités quand la taxe en donne en principe sur les prix ». Selon A.C.Pigou, un taux de taxe optimal permet de refléter exactement la valeur des conséquences de l’émission de GES et conduit les agents à « internaliser » parfaitement le coût des externalités qu’ils engendrent. La solution, inspirée par R.Coase, consiste à attribuer des quotas d’émission (autorisation de rejeter une quantité donnée) et à créer des marchés où ceux-ci peuvent s’échanger. Quel que soit l’outil, l’effet sur les incitations à réduire les émissions et sur les prix des produits est quasiment identique.
Néanmoins, alors que Roger Guesnerie met en avant sa préférence pour la taxe compte tenu de son caractère plus prévisible et propose de taxer le carbone en amont lors de son extraction ou de de l’importation, Nick Stern pense que l’important est plutôt de mettre l’accent sur la limitation des quantités et que sur le plan politique la création d’un marché suscite moins de réticences que la taxation de la part des chefs d’entreprises.
Quel que soit l’outil choisi, son efficacité dépend des conditions de sa mise en place. Le protocole de Kyoto est un exemple de mise en place de politique de contrôle des quantités. Signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, il fixait à une trentaine de pays parmi les plus industrialisés de réduire de 5.2% leurs émissions globales de GES entre 1990 et la période 2008-2012. Bien que séduisant sur le principe, ce fut un échec en raison du refus des Etats-Unis de le ratifier et du choix de la Russie de le faire. Ainsi, conformément à la loi de l’offre et de la demande, l’absence du plus gros demandeur de permis et la présence du plus gros offreur a engendré un surplus de droits sur le marché global et le montant des transactions est resté très limité. La taxe peut aussi être à l’origine du « paradoxe vert » : elle peut, dans certaines conditions, être à l’origine d’une baisse du prix final et donc augmenter la demande de carbone. Par exemple, une taxe appliquée sur les énergies fossiles par certains pays aurait pour conséquence de transférer une partie de la demande vers les pays qui ne les taxent pas et engendrer au final un surplus de demande de carbone au niveau mondial.
Le recul de la mise en place d’outils afin de lutter contre le réchauffement climatique peut aussi venir du refus de certains acteurs mal informés et influencés par les lobbies. Le conseil constitutionnel a refusé la mise en place de la taxe carbone au motif que les grandes entreprises, exonérées de cette taxe mais soumise au marché de quotas européens, serait avantagées par rapport aux entreprises plus petites qui y seraient soumises sous prétexte que les quotas leur étaient distribués gratuitement. Mais la gratuité n’implique pas un effort nul puisque les quotas étant limités, les entreprises non vertueuses doivent acheter des droits à d’autres.
Négociations internationales
Si une partie de la résolution du problème se trouve au niveau national, la dimension globale revêt aussi une grande importance. Devant la disparité du niveau d’effort fourni, certains pays sont amenés à réfléchir à la mise en place de mesures non coopératives. Selon Roger Guesnerie, une taxe aux frontières serait légitime, faisable, et efficace économiquement puisque consistant à rétablir la neutralité concurrentielle. Si Nicholas Stern est d’accord sur la légitimité, il relève néanmoins un certain nombre de problèmes : l’impossibilité de savoir exactement le niveau d’effort pratiqué par les pays tiers, le fait que la taxe se transforme en mesure protectionniste, et l’impossibilité de connaître le coût exact de non-participation de certains pays à la lutte contre le changement climatique. Sur ce point, les deux auteurs conviennent que la menace d’une taxe aux frontières serait plus efficace que sa mise en place effective.
Néanmoins, les négociations internationales ont pour vocation d’éviter les mesures non coopératives et de favoriser des objectifs ambitieux communs. C’est en 1992, à Rio, avec l’adoption de la convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique, que celles-ci ont débuté. Cette convention pose deux principes de base : le « principe de précaution » consiste à ne pas attendre pour prendre des mesures internationales malgré les incertitudes concernant le changement climatique, et le « principe de responsabilité commune mais différenciée » reconnait que les pays les plus pauvres sont moins responsables que les pays riches mais seront touchés en priorité et plus durement. Diverses conférences, connaissant des succès plus ou moins mitigés, ont eu lieu depuis, de celle de Kyoto en 1997 à celle de Durban en 2011, en passant par celle de Copenhague en 2009 et Cancùn en 2010.
Pour Nick Stern, tout accord doit être porté par 3 principes. Les pays signataires doivent s’entendre sur l’importance des risques et l’ampleur des réductions d’émissions nécessaires. L’accord doit reconnaître l’importance de l’enjeu d’une révolution verte « énergie-industrielle » et d’une croissance sobre en carbone. Enfin, il doit mettre l’accent sur une nécessaire complémentarité des mesures à l’échelon national et international. Pour les deux auteurs, la justification de signatures d’accord internationaux est à la fois d’ordre économique dans la nécessité de corriger les externalités, et aussi d’ordre éthique afin de léguer une planète en bon état aux générations futures.
Malgré les enjeux, nombre de pays, notamment en développement, hésitent à s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cela s’explique, selon Nick Stern, par une incompréhension du mécanisme permettant de concilier réduction de la pauvreté, croissance économique et réduction des émissions de GES, et par la volonté de signifier aux pays développés que ce sont eux les responsables du problème et donc qu’ils doivent le résoudre eux-mêmes. Pour Roger Guesnerie, le refus de participer au protocole de Kyoto s’explique par l’effet de cliquet selon lequel les pays en développement craignent de se voir imposer des quotas de plus en plus sévères à mesure qu’ils contiennent suffisamment leurs émissions. Néanmoins, des pays comme la Chine semblent prendre conscience de l’enjeu et adoptent des mesures concrètes.
Pour arriver à un accord international, Nick Stern met en avant deux conditions. Il faut convaincre les pays réticents que la pauvreté peut être réduite en favorisant une croissance « verte ». Il est aussi nécessaire que ces pays prennent la dimension du risque qu’ils prennent en ne s’engageant pas dans la lutte contre l’effet de serre : risque de passer à côté d’une révolution industrielle fondée sur les énergies vertes, risque d’être victimes de mesures non-coopératives comme une taxe carbone aux frontières ou de représailles dans divers domaines comme la régulation financière, le commerce international ou la lutte contre le terrorisme. Cela ne sera possible que si les pays ont confiance les uns avec les autres. Pour cela, un accord légalement contraignant n’est pas obligatoire, ce qui est essentiel est de construire des engagements crédibles. Roger Guesnerie est en désaccord partiel avec cela, prônant un accord formel sur un objectif commun de très long terme, seul à même selon lui de faire disparaître l’effet de cliquet. Concluant sur cette question, Nick Stern note qu’un accord international doit inclure une dose de formalisme et une dose d’informalité dans l’objectif de produire de la clarté afin d’inciter les investisseurs à s’engager dans les nouvelles technologies vertes.
Roger Guesnerie, laissant le dernier mot sur ces questions à son collègue, Nick Stern conclut : « Un changement essentiel est en cours ; de plus en plus de pays réalisent à quel point la croissance sobre en carbone est attractive ; ils réalisent que le futur est là ; que prendre la mesure de l’enjeu climatique – et s’y attaquer sérieusement – pourrait déboucher sur une nouvelle ère de croissance, une nouvelle révolution industrielle qui contribuera à sortir des millions de personnes de la pauvreté. Cette prise de conscience est un motif d’espoir particulièrement fort. »
Les auteurs
- Roger Guesnerie est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales depuis 1978 et professeur au Collège de France depuis 2000. Auteur de plusieurs ouvrages théoriques et de nombreux articles dans les revues économiques spécialisées, il est aussi l’auteur de deux ouvrages grand public, la « Petite Pomme » L’effet de serre va-t-il nous mettre sur la paille ? (2003, Le Pommier) et L’Économie de marché (coll. « Dominos », Flammarion, 1996 ; « Poche-Le Pommier », 2006).
- Nicholas Stern est un économiste britannique. Ancien vice-président senior de la Banque mondiale de 2000 à 2003, Lord Stern est aujourd’hui de retour à la London School of Economics, où il a longtemps enseigné. Le rapport qu’il a dirigé sur l’économie du changement climatique, le « Rapport Stern » (2006), a eu un écho mondial. En 2010, Nicholas Stern a été nommé titulaire de la chaire annuelle du Collège de France « Développement durable – Environnement, Énergie et Société ».
Table des matières
Avant - propos
1. Le problème climatique et sa lecture par les économistes.
2. Les politiques climatiques nationales et régionales
3. Négociations internationales
Quatrième de couverture
Tempêtes de plus en plus violentes, montée des eaux, acidification des océans, tous ces événements - et bien d'autres -, liés au changement climatique en marche, n'affecteront pas seulement la planète qui nous accueille, mais aussi nos sociétés dans leur ensemble. Les économistes prennent le sujet à cœur, mais leurs réflexions dépassent encore rarement les cercles d'initiés. Nous sommes pourtant tous concernés ! Aussi Nick Stern et Roger Guesnerie, dont les contributions novatrices sur le sujet font autorité, ont-ils décidé de nous faire partager leurs discussions - animées ! - sur la question climatique.
Vous voici invité à évaluer les coûts potentiels du changement climatique. A déterminer la politique climatique la plus efficace. A lister les grands principes qui doivent guider la conclusion d'un accord international. A rêver à une future révolution énergétique industrielle qui rendrait possible une croissance sobre en carbone... Des échanges éclairants, inattendus, sans jargon ni langue de bois, qui nous permettront de nous rendre compte, à la fois, du danger de l'inaction et des bonnes surprises de l'action.