En quelques mots
L’histoire de la société Delabie commence en 1928 lorsque Georges Delabie, grossiste sanitaire parisien, prend le contrôle d’une fonderie à Friville-Escarbotin dans la Somme. Il y développe des robinetteries de salle de bain, de cuisine, des vidages et siphons. En 1971, son fils Jean Delabie invente la tête universelle et lance le gamme « Rénovation » avec son fils Jean-Claude (têtes, becs, raccords et robinetteries à entraxes variables). En 1983 Jean-Claude et son frère Gérard lancent la gamme de robinetterie temporisée et en 1989 la gamme de robinetterie électronique. Une nouvelle étape est franchie à partir de 1996 avec l’acquisition de Biné, l’inventeur de la robinetterie temporisée en 1881, puisque s’en suivront toute une série d’acquisitions en France et à l’étranger ainsi que la création de filiales jusqu’en Asie (Emirats Arabes Unis et Chine).
Au niveau des résultats, l'entreprise a doublé son chiffre d’affaires en 5 ans et compte renouveler cette performance d’ici 5 à 7 ans. En huit ans, ses effectifs sont passés de 150 à 400 personnes (240 salariés sur le site de Friville-Escarbotin), dont 35 commerciaux pour le seul marché français. Delabie est leader européen dans le hors domicile (sauf dans l’hôtellerie), à la fois en termes de chiffres d’affaires et de profondeur de gamme. En France l'entreprise détient environ 65 % des parts de marché dans le domaine des collectivités et 90 % en hospitalier. Le groupe exporte dans plus de 60 pays à travers son site de production en France à Friville-Escarbotin et ses filiales dans le monde : Royaume-Uni, Benelux, Allemagne, Pologne, Portugal, Emirats Arabes Unis et Chine (Hong-Kong). L’essentiel de l’activité est généré par des collectivités (écoles, universités, campings, tertiaire, etc.), qui s’équipent en robinetterie de douche et en robinetterie de lavabo, qu’elle soit temporisée, électronique ou thermostatique.
Cette présentation lapidaire nous conduit déjà à un certain nombre de questions. Alors que le modèle de la PME triomphante est supposé germanique, comment une entreprise familiale française a t-elle réussi le tour de force de s'imposer à l'échelle européenne? Par quels choix stratégiques a t-elle pu atteindre un tel niveau? A t-elle massivement délocalisé ? A t-elle pu compter sur son enracinement local?
Comment une entreprise comme Delabie est-elle susceptible d'illustrer les notions à enseigner dans le programme de sciences économiques et sociales ?
Des produits, une filière, un secteur.
Notions à illustrer : entreprise, production marchande et non marchande, valeur ajoutée.
Il faut déjà savoir que la robinetterie est une branche de la métallurgie qui peut se diviser en plusieurs parties. Delabie est spécialisée dans la fabrication de robinetterie et accessoires sanitaires pour établissements recevant du public. Cette spécificité n'est pas anodine dans la mesure où c'est une profession très règlementée et où les solutions apportées sont souvent à la base des évolutions concernant l'habitat individuel. Delabie s'est fixée pour mission de satisfaire les besoins en économie d’eau, en hygiène et confort sanitaire, en développant des solutions techniques innovantes et des produits spécifiques à chaque usage, en contribuant au développement durable. C'est pour donner sens à ce dernier aspect qu'elle a par ailleurs développé une action humanitaire (« Mécénat humanitaire : de l'eau pour la vie »).
L’offre globale de Delabie tourne autour de 5 gammes spécifiques : Robinetterie et pièces pour rénovation, robinetterie pour Collectivités, robinetterie pour Hôpitaux et EHPAD (Établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes), équipements d'accessibilité et accessoires d'hygiène pour collectivités et robinetterie pour cuisines professionnelles. Ces gammes se distribuent ensuite dans tout un ensemble de produits : robinetterie électronique, robinetterie temporisée, mitigeurs thermostatiques centralisés, bâti-support pour lavabo, urinoir ou WC suspendus, robinetterie de cuisine professionnelle, barres, sièges, et accessoires sanitaires et enfin de robinetterie et pièces pour rénovation en résidentiel. C'est désormais plus de 3 000 références qui sont disponibles au catalogue, soit une offre vraiment conséquente sur le marché du sanitaire hors domicile. L'extension des produits proposés est nécessaire dans la mesure où les clients qui achètent un robinet achètent souvent en parallèle 5 autres produits dans la gamme accessibilité/autonomie (distributeur de savon ou de papier, miroir, poubelle…). Outre Delabie, la société dispose aussi du catalogue de marques suivant : Tempostor, Tempomix, Tempoflux, Tonic Jet, Tempogenou, Texmpomatic, Temposoft, Tempofix, Tempochasse, Rénovation 2000, Sporting, Prémix, Monofoot, Mifoot, Gym, Binoptic, Bineco, Teteceram, Biné.
La constitution d'un groupe.
Notions à illustrer : firmes multinationales, délocalisation.
Parallèlement au lancement de nouveaux produits confortant la croissance interne, Delabie s'est lancée dans une phase de croissance externe depuis les années 2000 :
2006 : Acquisition de Chavonnet, leader en robinetterie pour hôpitaux (fondée en 1860).
2006 : Acquisition de Sogeprove, fabricant d’équipement pour personnes à mobilité réduite et d’accessoires d’hygiène pour collectivités comme des barres de sécurité, de sièges de douche et d’équipements d’hygiène en Inox (fondée en 1957).
2007 : Acquisition de Douglas, leader en sanitaire pour collectivités sur le marché anglais (fabricant de mitigeurs thermostatiques pour collectivités).
2009 : Création de Delabie sp. z o.o. en Pologne (Varsovie).
2012 : Acquisition de Kuhfuss Sanitär, n°2 en sanitaire inox en Allemagne.
2012 : Création de Delabie Fz Llc aux Emirats arabes unis (Dubaï).
2012 : Création de Delabie Limited en Chine (Hong Kong).
2012 : Acquisition d’une fonderie au Portugal, dans la région de Porto.
2013 : Acquisition de BSC (Belgique) et création de Delabie Benelux.
2013 : Acquisition de Senda (fabricant portugais d’appareils sanitaires en Inox)
Le but de ces acquisitions est de conforter une place de leader européen. Par exemple en acquérant Senda, Delabie prend possession d'un acteur majeur dans la fabrication d’appareils sanitaires Inox (vasques, urinoirs, toilettes…). Installée à Aveiro, au sud de Porto, cette société exporte déjà dans plus de 30 pays et réalise 70% de son chiffre d’affaires à l’export et va pouvoir s’appuyer sur la notoriété et la capacité d'action du réseau commercial de Delabie. Si l'on prend ensuite en compte les activités de Senda avec celles de Kuhfuss Sänitar, on a alors de parfaits compléments des gammes de robinetterie pour collectivité et pour hôpitaux selon Luc Delabie, ce qui devrait permettre au groupe Delabie d'exporter 60% de sa production.
Il convient de souligner que les filiales n'ont pas toutes le même statut. Ainsi la filiale chinoise répond d'un souci de réduction du coût de fabrication mais pas uniquement. Contrairement à une idée reçue, la production en Chine n'est pas de moins bonne qualité. Elle peut même être meilleure, avec un contrôle qualité omniprésent et de surcroît moins chère. Un quart des composants de robinets sont fabriqués en Chine voire plus de la moitié pour certains produits. Il ne s'agit par contre nullement de fournir un marché chinois encore trop fermé. Dans la même veine, le rachat d'une fonderie au Portugal permet une production au moindre coût puisque les contraintes horaires sont moins fortes qu'en France. Delabie avait de toute façon fermé sa dernière fonderie il y a bien longtemps, en 1984. Et dans le bassin du Vimeu, sur lequel nous reviendrons, les sous-traitants fondeurs susceptibles de travailler pour l'entreprise ont disparu progressivement. Tout autre est la logique des filiales ouvertes dans les autres pays. Si la filiale anglaise dispose encore de produits propres, elle est amenée à devenir un bureau de commercialisation comme les autres agences à l'étranger. La présence aux Emirats Arabes Unis a de quoi surprendre au premier abord mais elle répond à une réelle stratégie, les besoins étant immenses dans cette région. Par exemple il se tient depuis quelques années à Doha un salon international, le Qatar project, où la société Senda, précisément rachetée par Delabie, exposait en 2014 pour la 5ème fois.
D'une manière générale, l’usinage, le décolletage, le cintrage des tubes et l’assemblage sont restés en France. L'entreprise a pu le faire grâce à un outil industriel flexible pour fabriquer des moyennes séries et passer de l’une à l’autre. Ce sont l’emboutissage, la fonderie de métaux et des plastiques, l’injection, le polissage et le chromage qui sont sous-traités. Comme l'indique Jean-Claude Delabie (Macasphère, mars 2012), c'est la diversification technologique qui a conduit à sous-traiter des produits autrefois fabriqués dans leur intégralité. Gérard Delabie confirme ce point de vue en prétendant qu'il est impossible d' « être bon partout ». Il faut savoir que selon le type de produit à élaborer il peut exister 20 techniques différentes avec des moyens eux-mêmes différents. Le choix de la sous-traitance s'impose alors de lui-même, d'abord à proximité, nous y reviendrons avec l'enracinement local, puis à l'étranger, confortant le caractère multinational de Delabie.
Un statut juridique particulier
Notion à illustrer : entreprise.
Lorsque l'on évoque le statut juridique d'une entreprise, on pense généralement aux catégories traditionnelles d'entreprise individuelle (EI) et son dérivé l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) puis aux sociétés à responsabilité limitée (SARL) et enfin aux sociétés anonymes (SA). Les figures du chef d'entreprise, du gérant, du PDG ou encore de l'associé et de l'actionnaire sont généralement connues de tous. En adoptant le statut de société en commandite simple (SCS), la société Delabie se place dans un cadre particulier et illustre ainsi encore mieux la diversité des entreprises en France.
Deux catégories d'associés peuvent être distingués au sein d'une SCS :
- Les commandités qui ont le même statut juridique que les associés en nom collectif et qui ont par conséquent la qualité de commerçants. Ils sont responsables indéfiniment et solidairement des dettes sociales.
- Les commanditaires qui sont les "apporteurs de capitaux". Leur responsabilité est limitée au montant de leurs apports. Il faut 2 associés au minimum dont un commandité et un commanditaire.
L'avantage essentiel d'un tel statut est qu'il n'oblige pas à dévoiler les comptes de l'entreprise et c'est ce qui a motivé le choix de Delabie. La société était en effet passée de SARL à SA pour devenir depuis quelques années une SCS. C'est pour cette raison aussi que la présente étude ne pourra s'appuyer sur les bilans et comptes de résultat de l'entreprise. Comme l'explique Gérard Delabie, une telle structure juridique permet de conserver une totale indépendance vis-à-vis de tiers (fournisseurs, clients, banques) tout en soumettant encore les comptes de la société à l'expertise de comptables, en l'occurrence deux commissaires aux comptes. Seul élément de bilan disponible, le capital social de l'entreprise qui se monte à 1 millions d'euros. Si Delabie n'a pas de compte à rendre, son statut lui permet de toute façon de rassurer les tiers, comme les banques, puisque ce sont les commandités qui sont responsables des dettes sociales de l'entreprise. Ceux-ci peuvent en contrepartie agir en véritables chefs d'entreprise et prendre les décisions afférentes. Par ailleurs Delabie a une dette négligeable dans la mesure où les taux d'intérêt sont historiquement bas et où les entreprises rachetées sont amorties en quelques années. La SCS a aussi des inconvénients. Il peut être notamment difficile de céder ses parts et le régime fiscal apparaît plus complexe que pour d'autres statuts.
Un choix de combinaison productive et d'organisation du travail.
Notions à illustrer : facteurs de production, facteur travail, facteur capital, qualifications, capital humain.
Pour illustrer ce point nous allons nous fonder sur les vidéos qui ont été tout spécialement réalisées pour les salariés qui peuvent ainsi prendre connaissance du fonctionnement de l'entreprise, et même de la fonderie au Portugal. D'une manière générale l'entreprise forme ses salariés en interne. Même un ingénieur expérimenté est soumis à un stage de 3 mois afin d'avoir une connaissance exacte de l'ensemble des tâches et des procédés au sein de l'entreprise. Comme l'affirme Gérard Delabie, on ne peut efficacement trouver des solutions que si l'on connaît les postes de travail, les opérateurs et les contraintes techniques. Les salariés sont également invités à réfléchir sur l’amélioration de la sécurité. Un département travaille tout spécialement à réduire la pénibilité en imaginant de nouvelles machines, illustrant le savoir-faire des salariés. Les postes de travail sont par conséquent évolutifs et soumis à des tests pour calculer le temps de fabrication au plus juste et améliorer le rendement. Enfin l'entreprise n'hésite pas à prendre des stagiaires et à suivre leur cursus, en particulier les élèves du lycée des métiers du Vimeu. C'est évidemment un atout pour des élèves qui sortiront d'école d'ingénieur dans un contexte où il est difficile de trouver de la main d'œuvre qualifiée.
Remarquons que le travail à la chaîne au sens d'interdépendance des salariés autour d'un convoyeur automatique est absent des ateliers. Un opérateur a la maîtrise d'un ensemble d'opérations. Ce n'est qu'en cas de grosse commande que les opérateurs peuvent être amenés à n'effectuer qu'une seule tâche, dans une logique taylorienne.
Intégrer la question des labels et de la normalisation.
Notion à illustrer : institutions, asymétrie d'information.
Il est évident que l'existence de normes et de labels permettent de protéger les consommateurs et de leur donner l'information nécessaire pour des choix éclairés. Un label commun à de nombreux pays est non seulement le garant d'une concurrence équitable mais en plus l'objet d'une demande de la part des maîtres d'ouvrage qui garantirait ainsi les performances environnementales à la fois dans les conditions de construction que dans le mode de fonctionnement du bâtiment. Il ne faut pas oublier que l'exigence d'un bâtiment « durable » passe par une gestion économe de l'eau. Il y a au moins 4 critères essentiels sur lesquelles fonder les labels : leur nature (imposés ou volontaires), le nombre de pays concernés, le type de robinetterie concernée et les caractéristiques prises en compte. Le problème actuellement, c'est que les labels sont multiples et n'intègrent pas tous les éléments importants. Par exemple le Label de l'eau européen (European Water Label) concerne tous les pays européens mais n'intègre pas de catégorie spécifique « robinetterie de collectivité », le domaine de Delabie. A l'inverse le label Well (Water Efficiency Label) crée en 2011, qui prend en compte cette spécificité, n'est pas reconnu par tous les pays. Il ne concerne en fait que l'Allemagne, la Suisse et le Benelux.
Sans évoquer toutes les pierres d'achoppement, il semblerait que l'alternative dans l'immédiat soit un label « maison » « mettant en valeur les caractéristiques spécifiquement requises au niveau des robinetteries sanitaires pour assurer les meilleures performances possibles dans les ERP [Établissements recevant du public] », selon un dossier publié sur le site de Delabie : http://www.delabie-belux.be/fr/article1.php
Quels sont les différents défis à relever pour Delabie par rapport au marché?
L'enjeu essentiel pour Delabie est de rester à la pointe au niveau de l'équipement sanitaire dans les hôpitaux. Même si la société détient une position dominante sur ce créneau, il lui faut rester concurrentielle. Citons par exemple la société Presto opérant aussi dans le sanitaire de collectivités et qui a racheté en avril 2013 FLMG (First Labo Médical Group), spécialiste français de la robinetterie dans le domaine de la santé (hôpitaux, EHPAD, etc.), et des laboratoires (industrie, médical, enseignement). De toute évidence la santé attire les opérateurs et c'est un sérieux challenge pour Delabie qui fournit des efforts constants pour rester leader. Remarquons aussi que le cadre réglementaire impose des contraintes qui sont autant de défis à relever. Les hôpitaux impliquent une robinetterie spécifique pour 4 raisons essentielles : maîtriser la prolifération bactérienne, offrir aisance, confort et ergonomie, supprimer les risques de brûlure et réaliser des économies d’eau et d’énergie.
Concernant la prolifération bactérienne, il faut noter que Delabie s'adapte à la réglementation tout en anticipant les risques non encore codifiés. Pour lutter contre la légionellose, un arrêté du 1er février 2010 impose la surveillance de la qualité bactériologique de l’eau dans toutes les installations sanitaires des établissements de santé et des établissements recevant du public (JORF n°0033 du 9 février 2010). Cette nouvelle réglementation impose des prélèvements et analyses réguliers de l’eau justifiant des robinetteries adaptées. Mais il n'y a rien concernant les Pseudomonas Aeruginosas, alors qu'une étude, reprise sur le site de Delabie, revèle que le Pseudomonas est « le deuxième germe à l’origine des cas d’infections nosocomiales ayant contribué au décès du patient ». Or les légionnelles et les Pseudomonas Aeruginosas étant différentes (l’une se développant dans les réseaux et l’autre dans les robinetteries), les méthodes de prélèvements, les traitements et les actions à mener ne sont pas les mêmes. Les légionelles sont totalement impossibles à éradiquer une fois installées dans le réseau et entraînent des conséquences irrémédiables.
En 2013 Delabie a pu développer sa gamme Biofil qui comprend des cartouches (s’adaptant à des robinetteries de différents fabricants), des douchettes et des becs filtrants qui ne laissent passer aucun micro-organisme grâce à un seuil de filtration de 0,1 micron. Ces filtres s’utilisent en cas de mauvaise analyse d’eau, de façon temporaire. Il existe un modèle particulier pour les hôpitaux, les filtres Biofil Tous Germes d'une durée de vie de 31 jours certifiés « Dispositifs Médicaux de classe IIB » en juillet 2014. Les autres types de filtres, Légionelles et Pseudomonas Aeruginosas sont destinées à tous les Établissements recevant du public (ERP) comme les campings, hôtels, piscines, etc. Grâce à la vidéo suivante, on peut illustrer le risque infectieux, rendu possible par un élément naturel, le biofilm, ainsi que le type de robinetterie spécifique développé pour y faire face
http://www.youtube.com/watch?list=PLSgj18VSW2q4zO-S47Pzc1nQteJjUWaU&v=5YxGXk7wlTM#t=79
Aussi la gamme Delabie vient-elle de s'enrichir d'un robinet plus facile à désinfecter, réduisant les dépôts de tartre et les micro-organismes, dans le cadre de la lutte contre la prolifération bactériologique. Cette lutte peut toutefois entrer en contradiction avec l'exigence de « non-brûlure » puisque les hôpitaux sont tenus de fournir de l'eau plus chaude. Et il est facile d'imaginer que des personnes handicapées ou âgées sont plus facilement susceptibles de dérégler la température choisie initialement. En conséquence les mitigeurs mécaniques Delabie sont équipés d'une cartouche céramique avec butée de température maximale. Mais il faut aller encore plus loin puisque le risque de brûlure persiste en cas de coupure de l'eau froide par exemple. C'est ce que permettront les mitigeurs thermostatiques et d'équilibrage de pression. De surcroît avec la technologie « Securitouch », le corps des mitigeurs de douche mécaniques est isolé de l’eau chaude. « L’eau chaude circule des arrivées d’eau jusqu’à la cartouche à l’intérieur de petits tubes et n’est donc jamais en contact avec les parois en laiton du corps du mitigeur. Ainsi, tout risque de brûlure en touchant ou en se rattrapant au mitigeur en cas de chute est totalement exclu », comme le rappelle le site de Delabie.
Concernant l'aisance, Delabie développe entre autres des robinetteries spécifiques pour une aisance accrue pour s'adapter à l'état physique des personnes, qui sont handicapées, âgées, malades ou affaiblies. D'où par exemple des robinetteries équipées de bec plus haut (hauteur de goutte > 85 mm) et plus long (saillie de bec > 135 mm) qu’une robinetterie traditionnelle qui permettent d’optimiser le lavage des mains et la toilette au lavabo. Retenons aussi l'existence de robinets sans commandes manuels avec détection de présence infrarouge active. Indéréglable, son champ de détection est optimal, pour un confort maximal. Par contre certaines technologies comme le radar (détection volumétrique) trop imprécis en distance et se déréglant dans le temps (réglage délicat nécessitant deux intervenants) ou la détection de mouvement qui nécessitait un mouvement permanent des mains sous peine d’arrêter l’écoulement (inconfortable) n'ont pas été sélectionnées.
Notons enfin que les mitigeurs Delabie garantissent une sérieuse économie d'eau, entre 60 et 90%, selon les types par rapport à une robinetterie traditionnelle. Ceci constitue un atout appréciable dans un contexte de promotion du développement durable.
Pour la partie technique dont s'est inspiré l'ensemble de ce point, cf. : http://www.delabie-belux.be/fr/pdf/DOC900BE/1.pdf et http://www.delabie-belux.be/fr/article2H.php
Quels sont les atouts de Delabie pour relever ces défis?
Un virage stratégique pertinent
Le succès de Delabie justifie les choix cruciaux opérés depuis les années 80. Il s'agissait alors d'opter pour la spécialisation ou pour la diversification. Par rapport au marché de l'époque une spécialisation était plus dangereuse, surtout sur un créneau grand public hautement concurrentiel : robinetterie domestique ou HLM. Aussi la diversification sur des produits à forte valeur ajoutée s'imposa t-elle. Toutefois une telle diversification imposa un changement dans la gestion des ressources humaines en mettant au cœur de la démarche l'idée de service autour des attentes des clients mais aussi des installateurs. Cette stratégie nécessita du personnel plus qualifié, des machines, un bureau d'étude, etc. Les attentes des installateurs purent être comblées en facilitant leur travail, par exemple à travers des raccords qui ne détruisent pas ce qui existe, avec des becs de rechange, bref tout ce qui permet au plombier de remplacer les choses facilement. Il fallu aussi répondre au besoin d'économie d'eau des consommateurs avec la concentration de la population et l'investissement dans les hôpitaux comme nous l'avons vu. Au final c'est en répondant aux besoins propres à chaque type de client (micro-besoins) que l'entreprise a su conquérir sa place de leader. Par exemple on n'équipe pas une mosquée comme on équipe une prison. Dans le cas des prisons des tests sont effectués auprès des prisonniers qui vandalisent les installations pour que l'on puisse mesurer leur efficacité et apporter des améliorations. Dans d'autres circonstances, les équipements devront résister à des coups de bottes, par exemple pour les pompiers. Il existe donc chez Delabie une tradition solide d'adaptation aux exigences des clients. L'innovation sera mobilisée dans ce sens, comme nous le verrons.
L'enracinement local et le contexte économique et social
Comme il a été noté, Delabie est installée à Friville-Escarbotin, bastion historique du Vimeu industriel. Or cet espace géographique constitue justement, avec sa filière métallurgie, l'un des systèmes productifs locaux français. L'histoire industrielle du Vimeu remonte au 17ème siècle. Aussi dès le début du vingtième siècle, la zone dispose déjà de beaucoup de petits ateliers de robinetterie, de serrurerie et de fonderie faisant travailler des compagnons, des apprentis et des artisans. On comprend alors que Georges Delabie, le fondateur de la société, s'y soit installé en 1928. Aujourd'hui le Vimeu est la zone la plus industrielle de la Picardie. Elle regroupe de nombreuses petites unités (TPE, PME) disposant d'une autonomie de décision. De nos jours, 70 % de la fabrication française des serrures et 80 % de la fabrication française des robinets provient du Vimeu. La fabrication d'articles de robinetterie emploie environ 1 000 salariés, la fabrication de serrures et de fermetures en emploie plus de 1 800. Avec les métiers associés (fonderie, décolletage, traitement des métaux) c'est ainsi près de 4 500 salariés qui sont employés dans la zone d'emploi. Delabie est l’une de ces entreprises spécialisée à côté de Watts Industrie, Noyon et Thiebault, ou encore les établissements Tetard Haudiquez Grisoni (THG). Ce n'est pas un hasard si Delabie a rapatrié en 2009 ses activités du site de Malay-le-Grand, près de Sens (Yonne). Il s'agissait bien de profiter du savoir-faire accumulé dans la région picarde. Un article de l’Usine nouvelle (n°3228) prétend même que l’écoute des clients débouchant sur une « co-conception » est dans les « gènes » des « gars du Vimeu », « tout comme la débrouillardise ». Et d’évoquer l’adage suivant : « Téléphone au Vimeu, tu trouveras une solution ! ». Delabie profite donc de cette atmosphère à travers ses activités de sous-traitance mais aussi de partenariats avec ses « concurrents ». Ceci constitue d'ailleurs toute la substance d'un district industriel (d'une système productif local) que de trouver un subtil alliage entre concurrence et coopération. Comme nous l'avons déjà suggéré, Delabie sous-traite d'abord dans son environnement proche. Par exemple chez Boutté qui détient des machines différentes et donc complémentaires des siennes. Ensuite les entreprises peuvent s'échanger des salariés lors de cycles de formation ou pour la mise en service d'un logiciel qui en permet ainsi une meilleure rentabilisation. Des partenariats peuvent aussi être engagés, comme ce fut le cas avec THG, par exemple dans la mise en catalogue de ses produits. La proximité géographique va aussi trouver un débouché important dans la veille brevet. Ceci va nous conduire à évoquer le thème plus large de l'innovation.
Une réelle capacité d'innovation
L'offre de nouveaux produits évoquée précédemment n'aurait pas été possible sans un travail d'innovation et d'association permanente des départements marketing et recherche. Par ailleurs l'innovation et plus largement la montée en gamme est une nécessité dans la robinetterie comme dans de nombreux autres domaines pour résister à la concurrence des pays à bas salaires. C'est le seul moyen en face de délocalisations inévitables pour produire à moindre coûts et alimenter le marché français. Ce n'est donc pas un hasard si Delabie consacre chaque année 700 000 euros à la recherche et au développement. Comme l'indique Xavier Marrié, directeur de la recherche et du développement, « notre bureau d'études emploie une quinzaine d'ingénieurs et techniciens, dont un spécialiste en électronique et électromécanique. C'est ici que nous élaborons à partir des demandes du marketing, les solutions techniques qui nous permettent de développer des produits très performants, notamment en matière d'économies d'eau. C'est la clé pour faire face à une concurrence très active ». L'entreprise peut ainsi développer sa capacité à faire du sur-mesure et des petites séries exigeants des « techniques adaptées à chaque usage et dont un certain nombre fait ensuite l'objet de brevets tantôt français, tantôt européens... » , rappelle Jean-Caude Delabie. Pour optimiser le dépôt de brevets, l'entreprise s'est parallèlement investie dans la veille brevet. Comme l'indiquait en 2009, le responsable administratif du bureau d'étude : « En matière de brevets, nous ne pouvons pas être à la traîne. Il faut voir quelles sont les dernières inventions et éventuellement s'en inspirer. Notre but est de faire un fichier des brevets sortis, avant de déposer nous-mêmes éventuellement un nouveau brevet » . L'enracinement local va jouer un rôle important ici puisque c'est à partir d'un comité de pilotage exclusivement picard, lié à l'histoire du bassin du Vimeu que la Drire Picardie (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement), appuyés par l'Etat et le Cetim (Centre technique des industries mécaniques) reprendra à son compte en 2006 la veille brevet engagée quelques années auparavant par Profluid (association professionnelle). Bien plus efficace qu'à l'échelon national, cette veille procura de nombreux avantages : réception d'un courriel d'avertissement dès qu'une nouvelle information est disponible dans l'une des catégories sélectionnées (brevets, modèles, normes, informations techniques; les brevets représentent évidemment la catégorie principale), p ossibilité de recherche visuelle des brevets à partir de schémas facilitant le classement et le stockage des données pour des recherches ultérieures, fourniture de documents de synthèse, c réation d'une base de données conservant l'historique des brevets identifiées. Une telle veille a en tout cas été saluée par le Cetim comme une « première », de surcroît exemplaire puisqu'elle amenait 80% des entreprises d'un même secteur à coopérer. Ceci explique sans doute que la veille brevet a été prolongée et constitue l'un des piliers de la stratégie de R-D du Cetim (cf. dernier programme des activités collectives publié en 2013).
Conséquence de l'ensemble des efforts d'innovation entrepris : Delabie a remporté un trophée "brevet, design et marques" dans la catégorie PME au Trophée de l'innovation INPI (Institut national de la propriété intellectuelle) de 2013. L'attention toute particulière portée à l'innovation à travers le dépôt de 16 brevets, 27 marques et 53 modèles a réellement séduit le jury notant au passage la capacité de l'entreprise à protéger ses produits et à doubler dans ce cadre ses effectifs en 10 ans ! De ce point de vue l'environnement institutionnel et en particulier la propriété intellectuelle jouent un rôle important sur les innovations via la protection des inventions. De la même façon l'appui des pouvoirs publics n'est pas à négliger. Par exemple le projet d’innovation «Développement de robinetterie hospitalière permettant de réduire la prolifération et la transmission de germes pathogènes» est soutenu par l’Europe (subvention sur fonds FEDER) et Oséo Innovation (avance remboursable).
Conclusion
Delabie n'est donc pas devenue par hasard leader européen dans son domaine. Investir le champ des collectivités et en particulier des hôpitaux s'est avéré payant. Cela a notamment impliqué une extension de l'entreprise et une capacité d'innovation qui ne cesse d'être confortée. Pour ce faire, la société a pu profiter de son enracinement local. Mais pourra t-elle encore longtemps maintenir les emplois en France? Par ailleurs, malgré son développement, Delabie ne semble pas vouloir changer de statut et être côtée en Bourse. Cela peut-il nuire à sa notoriété à l'avenir? Plus largement comment l'entreprise va t-elle s'insérer dans le pacte de compétitivité? Pourra t-elle durablement offrir des produits innovants? Autant de challenges qu'on lui souhaite de réussir.
Etude de cas réalisée par Daniel Longuépée, professeur de Sciences économiques et sociales au lycée du Vimeu, Friville-Escarbotin.
Quelques chiffres concernant le secteur des fluidiques
Les effectifs en 2012 selon les spécialités :
Les tâches d'un chef de projet chez Delabie
-Valider la demande d'étude -Rédiger le cahier des Charges -Réaliser le planning de l'étude (utilisation de project manager) -Etudier les produits concurents et/ou existants -Realiser l'étude du projet -Trouver les fournisseurs développeurs principaux -Faire une estimation de prix de revient -Définir avec le marketing le design -Valider la conception -Réaliser des prototypes -Définir des essais de validation du produit et verifier les prototypes -Définir les différents process -Valider la pré-série -Rédiger un plan d'industrialisation -Valider la première journée pleine cadence -Contrôler les retours des produis dans les six premiers mois
Le bilan d'une société racheté par Delabie, Sogegrove
Il s'agit du dernier bilan disponible de cette société, rachetée en 2006
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Les systèmes productifs locaux en Picardie
Quelques exemples de nouveaux produits
Mécénat humanitaire : de l'eau pour la vie
Questions pouvant accompagner le dossier :
Dans quel secteur d’activité classer la société Delabie ? De quelle branche relève ses produits ? Comment la société s’est-elle positionnée au cours du temps ? Qu'est-ce qui peut justifier le choix du statut de société en commandite simple? Ce type de statut se rapproche t-il de l'entreprise individuelle ou de la société anonyme ? Qu'est-ce qu'une fonderie? En quoi cela illustre t-il le secteur d'activité de Delabie? Quelle est la matière première principale utilisée pour fabriquer les robinets? Les facteurs de production vous paraissent-ils complémentaires ou substituables? Quelle est la mission de l'atelier d'assemblage? Quand intervient-il? Combien y a t-il d'équipes de montages? Quel est le rôle du chef d'équipe? Du magasinier? Des opérateurs? Combien y a t-il de phases dans le montage? Pourquoi la vérification de l'étanchéité est-elle si importante? Après avoir visionné les 3 reportages, vous vous demanderez si l'organisation relève plutôt de l'organisation scientifique du travail (OST) ou des nouvelles formes d'organisation (NFOT) ?
Des robinets qui économisent l'eau :
Sources bibliographiques :
« Des groupes aux systèmes productifs locaux, des stratégies différentes face à la concurrence internationale », Picardie : diagnostic et perspectives ,
Cetim infos (2009) : « Les robinetiers prennent une longueur d'avance! », n°206, mars, 2009.
Cetim (2013) : Programme des activités collectives,
Longuépée Daniel (1994) : Les districts industriels, entre concurrrence et coopération , Mémoire complémentaire de Diplôme d'Etude Approfondie, Séminaire d'économie industrielle.
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Le site de Delabie : www.delabie.fr
Le site d'Epeda : Le site de Presto :www.presto.fr
Le site de Profluid : www.profluid.org
Le site officiel de l'administration française : http://vosdroits.service-public.fr/professionnels-entreprises/F31440.xhtml
Le site de l'Union des industries et des métiers de la mécanique – section Vimeu : http://uimm.vimeu.fr/le-vimeu-industriel/spl-du-vimeu