Le financement des avions chez Air France

L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Sophie Bouvard, Chef du département financement moyen-long terme, et Virginie Sauget, académie de Nancy-Metz, et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2007 consacrés au thème "Le financement de l'entreprise : intermédiaires et marchés financiers". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise.

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Introduction

La double libéralisation des marchés financiers d'une part, du transport aérien d'autre part a renouvelé la donne pour les compagnies aériennes. Elle s'est accompagnée d'une évolution très dynamique de la demande aussi bien en provenance des passagers que pour le fret. Cela entraîne un accroissement substantiel de la demande d'avions et donc de financements. La diversité des modes de financement nécessite un travail d'optimisation afin d'identifier l'outil le plus adéquat, minimisant les coûts, mais pas seulement. Le souci de sécuriser les ressources et donc de la diversifier, les considérations patrimoniales, fiscales et comptables, les risques associés sont autant de critères à prendre en compte.

Caractéristiques générales du financement des avions

Le choix d'un financement doit tenir compte de nombreux paramètres et, particulièrement :

  • De la nature du projet d'investissement sous-jacent : il faut adosser un financement long à un actif long ;
  • De la situation financière, comptable et fiscale de l'entreprise, de son besoin de diversifier ses sources de financement ;
  • Des possibilités offertes par les différents acteurs des marchés financiers : goût pour ou aversion au risque des investisseurs et besoin de diversification de leurs placements
  • Enfin, de l'existence de lois fiscales permettant des montages fiscaux attractifs.


Le transport aérien, comme l'industrie aéronautique elle-même, est une activité qui comporte des paradoxes. D'une part, elle est sensible à la conjoncture (crises économiques modifiant les besoins de transport, cours des monnaies, voire du carburant, bouleversements géopolitiques comme les guerres ou attentats, épidémies). D'autre part, c'est une industrie capitalistique avec des investissements importants et de long terme (un appareil long-courrier peut être exploité pendant 30 ans!). Les financements doivent donc à la fois anticiper les besoins à long terme et présenter des caractéristiques de flexibilité pour passer le cap des crises conjoncturelles.

L'avion est un actif de grande valeur. On distingue chez Air France les avions régionaux, moyen courrier ou long courrier. Les premiers et les seconds sont utilisés en forte fréquence essentiellement en France et en Europe, les derniers sur des destinations plus lointaines. En 2006-07 par exemple, 6 A318-100 et 6 Boeing 777-300ER ont été livrés ; en 2007-08, 3 B777 seront livrés à la compagnie (locations opérationnelles exclues). Les prix publiés sont toujours les prix "catalogue" des constructeurs, avant remise : 73 M$ pour un A320, 250 M$ pour une Boeing 777-300 et 319 M$ pour un A380.

L'avion est mobile (différent en cela d'un bâtiment !) et chaque modèle est présent dans la flotte de nombreuses compagnies aériennes. On a ainsi récemment pu lire dans la presse des articles sur le succès du Boeing 777 qui a dépassé les 1000 exemplaires ! Cela signifie qu'il existe un marché de l'occasion.

Cet actif peut ainsi servir de garantie. Cela se fait en France par l'inscription dans le registre des avions de la DGAC (Direction Générale de l'Aviation Civile), d'une sûreté réelle appelée hypothèque aérienne. Grâce à cette procédure, la compagnie aérienne peut emprunter dans de meilleures conditions. En cas de défaillance de la compagnie, le créancier hypothécaire est prioritaire sur le produit issu de la vente de l'avion. 

Enfin, d'un point de vue comptable, cet actif est amortissable. Cette procédure qui consiste à passer en charge chaque année une partie de son prix pour tenir compte de sa perte de valeur. Air France a choisi d'amortir ses avions en 20 ans, alors que la règle fiscale permet de le faire en 13 ans sur un mode linéaire ou dégressif. Cette déduction fiscale accélérée du prix de l'avion permet de diminuer des profits imposables de l'entreprise et reporter dans le temps le paiement d'impôt. Ce différé d'impôt fonctionne tant que l'entreprise a du déficit fiscal reportable.

Tous ces atouts, que l'on retrouve dans la plupart des pays, expliquent le développement du marché de la location opérationnelle à partir des années 80 : des sociétés créées par des professionnels du marché de l'aérien passent commande d'avions neufs ou les achètent sur le marché de l'occasion et les louent à des opérateurs pour une durée donnée.

Etre ou ne pas être propriétaire

L'examen des différentes possibilités de financement révèle d'abord leur diversité. Concrètement, il y a trois façons d'acheter des avions :

  • La pleine propriété : cela signifie que leur financement renvoie aux caractéristiques générales du financement de l'entreprise, depuis les emprunts bancaires jusqu'à l'émission de titres (actions, obligations…) sur le marché financier
  • Le crédit-bail, qui consiste à prendre un engagement de long terme avec des organismes financiers, parfois en bénéficiant d'avantages fiscaux 
  • La location opérationnelle, qui est un mode de possession de moyen terme.
     

La location opérationnelle

Le secteur du transport aérien est soumis à de nombreuses et rapides évolutions dues à plusieurs facteurs (coût du pétrole, crises, bouleversements géopolitiques…). Cela nécessite une réelle capacité d'ajustement de la flotte pour ne pas transformer des coûts variables (un avion en charge) en coûts fixes (un avion cloué au sol par manque de trafic aérien).

Pour assurer cette flexibilité, les compagnies aériennes recourent à la location opérationnelle d'avions. Comme pour une voiture, elle consiste à payer un loyer pendant une période donnée en contrepartie de l'utilisation du bien et de sa restitution au terme de la location. L'avion faisant objet de la location opérationnelle ne figure pas dans le bilan de la compagnie mais les loyers sont considérés comme un engagement de la société. La location opérationnelle dure généralement cinq ou six ans. En cas de besoin, la location peut être allongée de deux ou trois ans supplémentaires. A l'échéance, la compagnie a le choix de sortir l'avion de sa flotte ou de le conserver.


Pour signifier ce que peut signifier cette flexibilité, on peut prendre l'exemple suivant : suite aux attentats du 11 septembre 2001, la compagnie a pu sortir trois avions moyen-courrier qui arrivaient en bout de location opérationnelle et les rendre à leur propriétaire. Avec une autre formule de financement, il aurait sans doute été difficile de vendre des avions car, même si le marché de l'occasion est animé d'un certain dynamisme, il n'en est plus de même en cas de crise violente. Air France détient environ un tiers de sa flotte en location opérationnelle. 

Air France détient environ un tiers de sa flotte en location opérationnelle. 

Le crédit bail

Le crédit-bail est l'un des modes de financement les plus utilisés dans le transport aérien. Il consiste à faire financer un avion par une société qui en devient le propriétaire (le crédit-bailleur). Celle-ci le loue ensuite moyennant une contrepartie pécuniaire ou autre sur une durée déterminée dans le contrat à une compagnie aérienne (crédit/preneur) qui dispose à terme d'une option d'achat. A l'issue du crédit-bail, la compagnie aérienne redevient propriétaire de l'avion en exerçant son option d'achat (le montant est fixé dès l'origine). L'avion ne figure pas dans le bilan de la compagnie et elle perd donc le droit de l'amortir de sorte que son assiette imposable augmente. 
Le crédit bail représente 14 % de la flotte d'Air France.
 

Achat avec clause de réserve de propriété

Pour intégrer un avion à sa flotte, Air France peut choisir comme mode de financement l'achat avec clause de réserve de propriété. Ce mode consiste à faire financer un avion par une banque qui le revend à crédit à la compagnie aérienne, c'est-à-dire moyennant le paiement d'intérêts. Généralement, ces financements sont remboursables sur 12 ans. Le transfert de propriété à la compagnie aérienne est conditionné par le paiement entier de l'avion. Mais, elle a le droit d'amortir l'avion et de déduire fiscalement les dotations aux amortissements.
 

L'emprunt hypothécaire ou équivalent

L'avion a la particularité d'être un actif mobile pouvant être apporté en garantie lors de la souscription d'un emprunt à long terme auprès d'un établissement bancaire. Dans ce cas, la compagnie reste pleinement propriétaire du bien et  peut l'amortir fiscalement. Il peut y avoir deux types de financement hypothécaire :

  • 1.    Bâti sur une sûreté ajustable : le portefeuille d'avions donnés en garantie est évalué périodiquement et complété ou diminué selon les cas. Cette structure est peu fréquente car plus protectrice et donc moins rémunératrice pour le financier ; elle est également plus contraignante pour l'emprunteur
  • 2.    Bâti autour d'un avion donné. La banque n'a pas d'ajustement de sa sûreté. C'est de loin la structure la plus courante. Emprunts hypothécaires et financements avec réserve de propriété permettent à l'emprunteur d'amortir l'avion et de déduire fiscalement les dotations aux amortissements.

La titrisation

A une époque où le marché obligataire n'était pas assez accessible aux compagnies aériennes, Air France a cherché à diversifier ses modes de financement en élargissant sa liste de prêteurs. Optant ainsi pour la titrisation pour financer l'achat de seize avions en 2003. La titrisation est une technique financière qui permet à une société de transformer des actifs peu liquides (portefeuille de créances ou biens immobiliers), en valeurs mobilières facilement négociables comme des obligations. Elle peut prendre de multiples formes et être utilisée pour satisfaire des besoins divers.

Concrètement, ces seize avions ont été acquis par des filiales d'Air France à 100 % et vendus avec clause de réserve de propriété à Air France sur une durée de dix ans. Ces filiales ont contracté des emprunts hypothécaires auprès d'une société ad hoc (Frans 200"), qui a émis des titres (notes) enregistrés en Irlande et qui ont été acquis par des investisseurs.

Les avions sont indirectement hypothéqués au profit des porteurs de titres qui ont des rangs de priorité de remboursement différents sur les actifs en cas de défaillance de la compagnie. En complément, si la compagnie est défaillante, une banque garantit le paiement d'intérêt pendant une certaine durée. Grâce à ces mécanismes, deux tranches de dettes de rang "senior" ont pu être garanties par un assureur (MBIA), ce qui leur a conféré une notation "AAA" par les agences de notation Moody's et Fitch.

La moitié de la flotte d'Air France est détenue en pleine propriété.

Les critères de choix de financement

Les modes de financement offrent plus ou moins de souplesse et présentent aussi des risques de marché variés. Cela signifie que les critères de choix de financement doivent tenir compte de paramètres commerciaux autant que financiers. Il ne s'agit pas seulement de choisir le financement le moins cher, mais surtout le plus adapté aux besoins du moment, parmi les possibilités offertes, compte-tenu de la situation de l'entreprise.
 

La situation générale des marchés financiers

Les cycles boursiers commandent les modalités de financement de l'investissement. Un cycle haussier comme celui qui a marqué la période 2003-2007 facilite le placement de titres sur le marché dans la mesure où la rentabilité est tirée vers le haut par les plus-values anticipées. Pour les émissions d'actions, la dilution des pouvoirs existants est d'autant moins forte que le titre est élevé. On peut ainsi comprendre que, pour Air France, les émissions d'actions aient atteint 27,1 milliards d'euros en 2006 contre 9,2 milliards en 2001. De même, les émissions de titres de créances (obligations et assimilé) se sont montées à  166,6 milliards d'euros en 2006, soit environ deux fois plus qu'en 2001 et 2002. La situation des marchés financiers s'étant retourné à l'été 2007, les modalités de financement de l'investissement en sont nécessairement affectées.
 

La parité de l'euro face au dollar

Les avions se négocient en dollars et cette monnaie a connu dans le passé des cycles de sur et de sous-évaluation. Il est donc préférable d'acheter des avions quand le dollar est faible. 
 

La situation financière de l'entreprise

Air France a considérablement assaini sa situation au point que la compagnie présente des perspectives parmi les meilleurs du secteur. Si la dette a légèrement augmenté entre 2000 et 2004, cela provient de l'acquisition de BritAir et de Régional, entreprise dont la dette se retrouve dans les comptes d'Air France. D'une manière générale, la dette a été renouvelée au profit de financement d'avions, plus compétitifs en matière de conditions financières, compte tenu de la garantie donnée aux prêteurs et du montage fiscal retenu. La compagnie a choisi de ne pas a voir de notation (ou rating) officielle. Cette indépendance peut aussi constituer un handicap lors d'une émission obligataire.

La flexibilité souhaitée de la flotte

Une fois ces opportunités ou ces contraintes financières connues, le premier critère du choix en matière de financement est la flexibilité souhaitée de la flotte. On a déjà dit que la location opérationnelle représentait à cet égard une solution de grande souplesse, même si elle est complémentaire d'autres leviers d'action. Ainsi, à l'été 2002, Air France a réussi à enlever 2 500 sièges (5,4 % de la flotte) en jouant sur les éléments de flexibilité suivants : vente d'A 310, fin de locations opérationnelles d'A 321, mise à la casse d'avions amortis en fin de vie et décalage de commandes de Boeing 777-200 et 777-300 d'environ six mois.

Le besoin de trésorerie

C'est la direction de la compagnie spécialiste es avions qui fait le choix ou non de la location opérationnelle. Une fois ce choix réalisé, c'est le besoin de trésorerie sur les prochaines années, les besoins de diversification des ressources et la position fiscale de l'entreprise qui vont aider à la prise de décision en matière de financement. C'est la direction financière qui devient alors maître de la décision.

La plupart des montages bénéficiant d'un levier fiscal sont fondés sur du différé d'impôt de l'investisseur, ce qui a un impact direct sur la trésorerie. On peut le vérifier en comparant l'impact fiscal d'un crédit-bail et d'un emprunt de même durée et conçus dans les mêmes conditions d'emprunt. En début de financement, les loyers de crédit-bail calculés sur la durée économique de l'avion (par exemple 20 ans) seront inférieurs à l'amortissement fiscal accéléré de l'avion (sur 13 ans) augmenté de la charge d'intérêt qu'Air France constaterait en restant propriétaire de l'appareil. En fin de financement, Air France exercera son option d'achat dont le montant passe en charge déductible. En cumul, les deux financements auront généré les mêmes charges déductibles pour Air France, mais elles seront plutôt immédiates pour le financement classique et plutôt différée dans le temps pour le crédit-bail. La différence entre les flux d'impôt actualisés d'un crédit-bail fiscal et ceux d'un emprunt classique peut représenter de 5 à 8 % du montant financé. Le besoin de trésorerie pousse à utiliser le financement classique qui permet un différé fiscal plus important.

Et les banques ?

On n'a pas toujours bien compris que le processus de "désintermédiation bancaire" ne supprimait pas le rôle des banques dans le financement de l'investissement. Pour faire bref, au lieu que les banques fournissent l'argent du prêt, elles servent d'intermédiaire entre un agent en capacité de financement et un agent en besoin de financement. Parallèlement, elles exercent un rôle de garantie en cas de défaillance du débiteur. 

Dans l'émission obligataire, par exemple, les banques arrangent l'opération et "vendent" l'émission à des investisseurs. Dans le cadre de crédits syndiqués, la promesse de financement constitue un engagement fort : une vingtaine de banques se sont constituées en pool pour renouveler une ligne de crédit à la compagnie en 2005. Dans le cadre du crédit-bail, les banques prêtent tout ou partie du montant de l'appareil, la seule différence étant que l'avion constitue une garantie en cas de non-paiement. Pour la titrisation, les banques sont essentiellement prestataires de services mais peuvent jouer un rôle d'investisseur.

A noter qu'une entreprise comme Air France travaille avec une trentaine d'établissement bancaires dont la composition internationale est la suivante : 40 % pour des banques françaises, 40 % pour des banques européennes et 20 % pour les autres banques étrangères.

Conclusion

On constate qu'il n'existe pas de mode de financement idéal valable en toutes circonstances. D'ailleurs, il n'a pas été question des spécificités que l'on peut trouver ici ou là dans certaines législations fiscales étrangères. La logique principale est donc celle de la diversification des sources de financement autour de trois modalités principales. La stratégie retenue par Air France depuis 2005 a consisté à rééquilibrer sa dette vers davantage de financements sans garantie sur actifs, ce qui a pu être réalisé grâce à des émissions d'obligations. On se souviendra de la cause principale de ce choix : lorsque l'acquisition d'un bien est couverte par une hypothèque sur ce bien, il est plus difficile de le céder en cas de conjoncture contraire. La recherche de la flexibilité en termes de capacité d'offre sert donc de critère principal à la stratégie financière d'Air France. Autrement dit, les marchés financiers sont au service de la bonne tenue d'un projet industriel dans un environnement instable.

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