L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Florence Bougueret et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2003 consacrés au thème "Les entreprises dans la mondialisation". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise.
Le groupe Faurecia, filiale à 71% de PSA Peugeot Citroën, est le 2e équipementier automobile européen et le 9e mondial. Il a réalisé un chiffre d'affaires de 10 milliards d'euros en 2002; emploie près de 60 000 personnes et possède 160 sites de production dans 27 pays. Le groupe fabrique des "modules" destinée à être montés directement sur les lignes d'assemblage automobiles : des sièges, des planches de bord, des cockpits, des panneaux de portes, des composants acoustiques, des échappements et des blocs avant.
La croissance du marché des équipementiers trouve son origine dans le transfert, par les constructeurs automobiles, de la fabrication puis de la conception de composants à des fournisseurs spécialisés. Ce mouvement date de 1945 et a connu une forte accélération depuis les années 1980. Faurecia a profité de la croissance de son marché et de la volonté du groupe PSA Peugeot Citroën de soutenir un équipementier de dimension mondial pour se développer de façon importante au cours de la dernière décennie. La société Faurecia est ainsi issue de la fusion entre Ecia et le fabriquant de sièges Bertrand Faure en 1998. Le groupe a poursuivi son expansion en rachetant l'échappementier américain Automotive Products en 1999, puis le fabricant de revêtements de sols Sommer Allibert en 2001.
Le développement futur de Faurecia dépend de sa capacité à conquérir des nouveaux marchés. Il impose au groupe de s'implanter dans les pays, ou à proximité des pays, où ses clients actuels et potentiels développent des capacités de production. Il exige aussi l'installation du groupe dans les zones où des coûts de fabrication réduits permettent de maintenir des prix compétitifs.
L'implantation de Faurecia en Europe de l'Est est la conséquence de cette exigence de compétitivité. Faurecia dispose aujourd'hui de cinq sites en Pologne, deux en République Tchèque, deux en Slovaquie et un en Roumanie. L'implantation, à partir de 1998, de plusieurs activités de Faurecia sur différents sites en Pologne sera présentée ici pour illustrer le contexte et les conditions dans lesquels le groupe a répondu aux attentes de plusieurs de ses clients et opéré son développement dans une zone géographique destine à connaître un essor significatif avec l'élargissement de l'Union européenne.
Le contexte polonais
Une économie en transition
La Pologne est un pays en transition, entre l'économie planifiée et largement collectivisée qui prévalait avant 1989 et le marché ouvert sur l'extérieur qui se concrétisera avec l'accession à l'Union Européenne le 1er mai 2004. L'intégration à l'espace économique européen a nécessité la mise en œuvre de réformes structurelles de grande ampleur : depuis 1999, l'organisation administrative, le système éducatif, l'assurance maladie et les retraites ont tous été réformés. Beaucoup reste cependant faire, dans le sens d'une déréglementation du marché du travail, d'une révision de la politique du logement et d'une refonte du système de santé.
La croissance de l'économie est aujourd'hui relativement forte, de l'ordre de 4 à 4,5% par an ; ce rythme devrait être conservé d'ici à la fin de la décennie. La Pologne bénéficie à la fois du phénomène classique de rattrapage avec les économies de l'actuelle UE et de la croissance de sa population active. En dépit d'un taux de fécondité qui est tombé à 1,4, largement en-dessous du seuil de renouvellement des générations, la Pologne dispose en effet d'une population encore relativement jeune, où les moins de 18 ans sont deux fois plus nombreux que les retraités. Certains déséquilibres macroéconomiques subsistent pourtant : le zloty apparaît surévalué, ce qui pourrait poser problème au moment de l'entrée dans le système monétaire européen, et le chômage reste à un niveau élevé, de l'ordre de 17%, malgré l'afflux des investissements étrangers.
Ceux-ci sont attirés par un coût du travail représentant 40% de celui observé en moyenne dans l'UE et par des avantages fiscaux substantiels. Les implantations dans les "zones économiques spéciales" permettent ainsi de déduire le montant des investissements de l'impôt sur les sociétés et d'obtenir des exonérations partielles de charges patronales. Les formalités administratives sont en outre facilitées pour les projets représentant plus de 200 emplois.
La population polonaise connaît des inégalités sociales significatives et une nette fracture entre des populations rurales traditionnelles qui ont peu profité de la modernisation économique (l'agriculture occupe aujourd'hui 25% de la population active pour une contribution de 5% à la création de la richesse nationale) et un monde urbain tourné vers l'Union européenne.
La même dichotomie se retrouve en ce qui concerne les entreprises : les quelques 20 000 entreprises précédemment sous contrôle étatique sont en voie de restructuration et pèsent encore sensiblement sur le budget national. Le déclin de l'industrie lourde d'Etat contraste avec le dynamisme du secteur privé, qui représente aujourd'hui plus de 70% du PIB polonais, contre 18% au début des années 1990.
Un marché automobile prometteur
La Pologne dispose d'une tradition automobile basée historiquement sur des licences Fiat. La production locale de véhicules, très morcelée, connaît néanmoins des difficultés pour s'affirmer. La République Tchèque a ainsi été préférée à la Pologne pour le projet commun PSA/Toyota (300 000 véhicules par an); la Slovaquie l'a été pour un projet propre à PSA (300 000 véhicules par an également). La production nationale a atteint un point haut en 1999 avec un volume de 718 000 voitures particulières et véhicules utilitaires. Elle était retombée à 317 000 unités en 2002. En comparaison, la République Tchèque, sensiblement plus petite et moins peuplée que la Pologne, a produit 443 000 véhicules en 2002.
En revanche, dans le domaine des équipements automobiles, le rôle de la Pologne se renforce rapidement. Le pays était importateur net pour environ 2 milliards d'euros en 1999 ; il a été exportateur net à hauteur de 900 millions d'euros en 2001. Aujourd'hui, cette activité emploie directement une main d'œuvre de près de 25 000 personnes et contribue à la régénération progressive du tissu industriel polonais. Les grandes entreprises du secteur comme Delphi, Visteon, TRW, Lear, Michelin ou Goodyear se sont toutes installées récemment en Pologne.
Un manque de capitaux locaux, la mauvaise qualité des produits de base (acier, produits chimiques et textiles) ainsi qu'une réelle faiblesse de la sous-traitance constituent un frein à ce développement. Toutefois, l'abondance et le coût de la main d'œuvre ainsi que la position géographique du pays jouent un rôle déterminant. La Pologne est en effet située à proximité des marchés d'Europe occidentale comme l'Allemagne et non loin des sites de production des constructeurs automobiles dans d'autres pays d'Europe de l'Est.
Le déploiement mondial de Faurecia et les attentes de ses clients imposaient donc au groupe de figurer en bonne place parmi les équipementiers installés en Pologne : aujourd'hui, Faurecia emploie directement environ 2 800 personnes dans ce pays.
Les conditions de l'implantation de Faurecia
La stratégie industrielle
Le groupe Faurecia dispose aujourd'hui de cinq sites industriels en Pologne. Depuis 1998, un total de 133 millions d'euros a été investi en Pologne. A titre de comparaison, les investissements de l'ensemble du groupe se sont élevé à 433 millions d'euros en 2002. L'implantation de Faurecia en Pologne n'était pas à l'origine motivée principalement par un objectif de baisse des coûts salariaux. Elle visait plutôt à accompagner le développement prévisible des sites de production automobile en Europe de l'Est : à l'époque, Volkswagen avait déjà lancé des investissements majeurs en Slovaquie et en République Tchèque. Rétrospectivement, il est cependant indéniable que les délocalisations en Pologne ont permis d'absorber partiellement les nouvelles conditions de prix imposées par les constructeurs automobiles.
La première implantation a été réalisée en 1998, sur le site de Grójec, au sud de Varsovie. Elle visait à fabriquer des glissières et des armatures de sièges, une activité qui fait appel à des techniques d'emboutissage, de soudure, de peinture et d'assemblage. Le site a été choisi en raison de la disponibilité d'une main d'œuvre expérimentée et de la proximité des centres de décision et d'infrastructures de transport aérien. L'usine a connu un développement rapide : le chiffre d'affaire est passé de 10 millions d'euros en 1998 à 151 millions en 2002 et les effectifs se montent aujourd'hui à 1 373 salariés, contre 359 à l'ouverture en octobre 1998. Le site souffre cependant de salaires supérieurs à la moyenne polonaise et reste éloigné des sites de production des constructeurs automobiles clients de Faurecia. Le choix de l'emplacement ne serait probablement pas reconduit aujourd'hui.
De fait, les autres sites ont tous été construits dans la partie ouest de la Pologne, dans des bassins d'emploi plus attractifs, dans des zones plus proches des centres de production en Allemagne et en République Tchèque. Deux usines de composants pour sièges ont été ouvertes en 2001 à proximité de la frontière tchèque, dans une région sinistrée par la fermeture des mines de charbon. Le groupe s'est également implanté en 2003 près de la frontière allemande : près de 40 millions d'euros on été investis pour lancer deux unités de production, l'une produisant des composants acoustiques et l'autre des planches de bords et des panneaux de portes.
Les relations avec les salariés, les fournisseurs et les autorités polonais
L'implantation de Faurecia a été facilitée par l'abondance de la main d'œuvre ouvrière : l'embauche d'ouvriers spécialisés (électriciens et soudeurs) de même que celle de cadres techniques a été relativement aisé. En revanche, le recrutement de cadres s'est avéré très difficile dans des domaines comme les achats, la logistique, la vente, les ressources humaines et la finance.
Compte tenu du nombre relativement restreint du nombre d'expatriés dans l'activité sièges, des efforts très importants de formation ont été nécessaires. De nombreux stages de longue durée sur des sites de production français et allemands ont été organisés avant l'ouverture des usines polonaises. Ces stages ont concerné du personnel qui n'était pas nécessairement à un niveau hiérarchique élevé et ne connaissait que rarement la langue du pays d'accueil. Ils ont permis aux intéressés d'apprendre leur métier "sur le tas", de se familiariser avec les pratiques du groupe et de tisser un réseau de relations personnelles qui a grandement facilité le démarrage de l'activité en Pologne. Dans les autres activités, les postes d'encadrement intermédiaire ont été plus souvent confiés à des expatriés pour une période d'apprentissage de l'ordre de deux ans. L'effort de formation a donc pu être étalé dans le temps.
Les relations avec les salariés, les sous-traitants et les autorités ont été dans l'ensemble très satisfaisantes. L'absentéisme est très faible et très en deçà des niveaux observés en Europe occidentale. Sur l'ensemble des sites, on observe une progression rapide de la productivité. La motivation générale et le souci de bien faire sont dans l'ensemble très élevés. La mise en place des investissements, notamment de génie civil, s'est également opérée avec des entreprises locales dans de très bonnes conditions de réalisation et de délai. Enfin, les autorités polonaises, centrales et locales, se sont régulièrement montrées accessibles et efficaces.
Quelques points noirs demeurent, néanmoins : les infrastructures de transport sont encore sous développés et, surtout, le potentiel de sous-traitance locale reste insuffisant. Les fournisseurs locaux dans les organes de sièges sont par exemple limités à 10. Le développement du potentiel industriel de Faurecia passe donc par la mise en place d'un tissu de PME polonaises ou par l'installation en Pologne de fournisseurs de Faurecia.
Conclusion
L'implantation du groupe Faurecia en Pologne est un succès, pour le groupe comme pour le pays. Elle s'est opérée de manière satisfaisante sur le plan industriel. Elle a permis au groupe de suivre ses clients qui développent leurs sites de production en Europe de l'Est.
Comme celle d'autres équipementiers, cette implantation a participé à la réindustrialisation de la Pologne, au soutien à l'emploi dans des régions sinistrées économiquement et à la formation de la main-d'œuvre à des techniques modernes de production. Elle a contribué et contribuera encore durablement à favoriser l'intégration de l'économie polonaise dans l'Union Européenne.
Cette implantation constitue dès aujourd'hui un maillon significatif du réseau industriel et commercial de Faurecia. Elle est un exemple de l'internationalisation réussie du groupe. Le dispositif polonais de Faurecia demeure néanmoins en compétition avec d'autres pays, notamment en Europe de l'Est. Les constructeurs automobiles y lancent de nouveaux projets qui seront nécessairement accompagnés par leurs fournisseurs. Choisiront-ils la Pologne et son marché intérieur prometteur? De ce choix dépend en partie les performances de l'économie polonaise au cours des prochaines années.