Repères
Caractéristiques d’une SSII
Les SSII (société de service en ingénierie informatique) sont rattachées au secteur tertiaire. Dans le monde, les principales SSII classées par le chiffre d’affaires en milliards de dollars (données 2007) sont IBM Global Services (54 milliards), EDS (22 milliards), Accenture (20 milliards), Fujitsu (18 milliards), HP (17 milliards) et CSC (16 milliards). Capgemini est la première SSII européenne avec un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros en 2009 et un effectif global de 90 500 salariés. Elles se distinguent notamment par les prestations qu’elles rendent à leurs clients.
Dans le régime de l’assistance technique (AT ou régie), une SSII recrute des personnes disposant de compétences pour revendre leur travail à la journée, selon un taux journalier convenu. La mise en place de ces prestations est fortement encadrée, car en France le prêt exclusif de main-d’œuvre est réservé aux seules sociétés d’intérim. Dans les contrats ou forfaits, la SSII vend à son client le service convenu, mesuré par des indicateurs, en mettant en œuvre des ressources humaines dont elle demeure le seul maître : c’est une prestation à engagement de résultat, assortie de pénalités en cas de non atteinte des valeurs cibles des indicateurs. La prestation la plus fréquente est cependant le centre de service, à mi-chemin entre la régie et le forfait. La plupart des salariés des centres de services travaillent au sein des locaux de la SSII. Toutefois, des collaborateurs peuvent être détachés en assistance technique chez le client ou être amenés à fournir de manière ponctuelle des prestations d’expertise et de conseils chez le client. Les centres de service des SSII sont souvent des structures régionales spécialisées dans une technologie ou un domaine particulier (Java, Technologies Web, CRM etc.). Ce type d’organisation permet à la fois à la SSII de diminuer les coûts (utilisation des ressources humaines sur plusieurs projets) et au client de fixer et d’encadrer les responsabilités (maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage). Lorsque la prestation est réalisée dans le pays du client, on parle de onshore ; lorsqu’elle est exécutée dans un pays proche, on emploie plutôt l’expression nearshore ; enfin l’offshore désigne des prestations réalisées dans un pays éloigné et généralement à bas coût.
L’offshore, qui signifie en anglais « au large », a évoqué dans son sens premier l’exploitation de pétrole au large des rivages. Aujourd’hui, il se traduit par le terme délocalisation et concerne à la fois des prestations de service et les délocalisations industrielles. Ce phénomène inclut les délocalisations d’activités, c’est-à-dire le fait de fermer une activité dans un endroit pour la transférer dans un pays tiers (les clients de cette activité restant dans le pays d’origine) et les non-localisations d’activités, c’est-à-dire le fait d’installer ex nihilo dans un pays une activité dont le client se situe dans un autre pays. De manière plus précise encore, le rapport d’information de la commission des finances du Sénat du 22 juin 2005 sur « La globalisation de l’économie et les délocalisations d’activités et d’emploi » identifie trois formes d’offshore : le transfert d’un site vers un pays étranger (délocalisation pure), le regroupement à l’étranger d’activités de service disséminées sur plusieurs sites en France (délocalisation diffuse), et les localisations d’activités à l’étranger alors qu’elles auraient pu l’être en France.
L’offshore dans l’informatique ne s’est pas développé avec la crise. Au niveau macroéconomique, les deux facteurs qui sont à l’origine de l’offshore sont la mondialisation et l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En effet, le développement des échanges internationaux et la possibilité de dématérialiser et de transmettre les informations instantanément ont amené dès le début des années 1990 bon nombre d’entreprises à entamer des processus de délocalisation. Cependant, par le fait de la crise économique et de la pression sur les prix exercée par les clients, l’offshore a permis de limiter le poids de la masse salariale : les effectifs onshore diminuent dans toutes les SSII alors que le nombre de salariés dans les pays à bas coût de main-d’œuvre augmente sensiblement. L’offshore indien présente notamment de nombreux avantages pour sortir de la crise.
De Grenoble à Bangalore
Capgemini est l’une des plus importantes SSII mondiales. Elle a été créée le 1er octobre 1967 à Grenoble par Serge Kampf sous le nom de Sogeti (Société pour la gestion de l’entreprise et le traitement de l’information). Depuis 1967, le groupe Capgemini, comme beaucoup de ses concurrents, s’est constitué à travers de multiples acquisitions dans tous les secteurs d’activité liés aux services informatiques. Près de 40 acquisitions de grandes ou petites entreprises ont été réalisées en 40 ans. Sur ces dernières années, la croissance et les performances de l’entreprise ont été remarquables, puisque le chiffre d’affaires est passé de 5 730 millions d’euros en 2003 à 8 371 millions d’euros en 2009, en même temps que le résultat net évoluait sur la même période de - 197 millions d’euros à + 178 millions d’euros.
Aujourd’hui, Capgemini propose à ses clients des prestations organisées autour de quatre activités :
- le conseil en stratégie qui a pour ambition d’aider les entreprises à améliorer leurs performances économiques grâce à une connaissance approfondie de leurs métiers et de leurs processus ;
- l’intégration de systèmes et applications informatiques, qui permet de planifier, de concevoir, diriger et développer les projets de systèmes et d’applications informatiques ;
- l’infogérance, ou outsourcing, qui est la gestion externalisée des systèmes d’information dans une perspective de réduction des coûts des entreprises, activité très développée dans le monde anglo-saxon, mais encore assez peu en France ;
- les services informatiques de proximité qui proposent aux entreprises clientes un accompagnement et un savoir-faire informatiques.
L’objectif majeur de Capgemini est maintenant de s’imposer au niveau mondial comme un acteur incontournable dans les métiers du conseil et des services informatiques. Pour y parvenir, l’entreprise doit s’allier un peu partout dans le monde avec les meilleurs constructeurs technologiques et éditeurs de progiciels, et notamment avec les ressources situées en Inde. Ce pays a en effet développé une spécialisation productive orientée vers les services informatiques : 1,5 million de salariés travaillent dans le secteur des technologies de l’information et les services informatiques représentent 6,4 % du PIB (pour un peu moins de 2 % en France).
Avec la crise, le déplacement du centre de gravité de Capgemini vers l’Inde s’est accéléré. Le groupe a ouvert récemment un nouveau site d’activités consacré au « développement de projets et à l’outsourcing » à Bangalore, qui s’ajoute au site de Bombay. L’entreprise française rejoint ainsi d’autres grandes entreprises mondiales comme AOL, Yahoo, Oracle, Hewlet-Packard, Microsoft, Intel, IBM ou même Google qui ont tout récemment consolidé leur présence en Inde, attirées à la fois par les coûts salariaux réduits, la pénurie relative de personnel informaticien dans les pays riches, et la bonne compétence des ingénieurs locaux.
Le renforcement de Capgemini en Inde se traduit par l’évolution des effectifs de l’entreprise. En juin 2009, l’Hexagone était encore le premier pays du groupe avec 20 682 salariés contre 19 950 en Inde. Mais en mars 2010, la tendance s’est inversée : la filiale indienne totalisait 23 353 collaborateurs alors que l’effectif en France n’avait quasiment pas changé. Sur l’ensemble de l’année 2010, Capgemini a ainsi recruté 15 000 collaborateurs en Inde.
Evidemment, cette forte croissance n’est pas sans poser question. Alors que les syndicats craignent une perte d’expertise en France dans certains domaines comme les services financiers ou l’externalisation, on peut aussi redouter des difficultés pour faire adhérer les salariés nouvellement recrutés en Inde à la culture d’entreprise. Mais globalement, la stratégie semble payante pour l’entreprise puisque le groupe Capgemini a connu une forte croissance de son chiffre d’affaires au cours du premier trimestre de l’année 2011. Sur cette période, le chiffre d’affaires consolidé est de 2 350 millions d’euros, soit une progression de 14,5 % par rapport au premier trimestre de l’année 2010.
A qui profite l’offshore ?
Des inconvénients non négligeables
Il existe certains risques classiques en matière d’externalisation. Tout d’abord, celle-ci présente des coûts cachés invisibles au départ (ou en tout cas non imputés) qui peuvent réduire ou annihiler l’avantage économique prévu au départ. Ces coûts cachés sont le coût du transport, de la gestion du personnel, de la variation du cours des devises, ou encore de la perte de la qualité du produit entraînant une moindre compétitivité, voire une régression de la part de marché. Ensuite, on peut penser que l’externalisation implique une perte de substance au sein de l’entreprise par la disparition de la confidentialité d’informations sensibles, par la diminution de la maîtrise des informations, par le transfert de connaissances fondamentales, ou encore par l’absence de contrôle effectif des opérations. Enfin, la fiabilité et la pérennité des partenaires externes ne sont pas toujours assurés (risque de réputation). Ces risques expliquent les mouvements de réinternalisation (ou backsourcing) qui sont déjà avérés dans certains pays y compris la France, dans les domaines de l’informatique, des centres d’appel ou des compagnies d’assurance. D’une manière générale, le backsourcing est fréquent lorsque les entreprises se sont contentées de se décharger des opérations jugées problématiques et des processus inefficaces dans le pays de départ, dans l’espoir de les voir s’améliorer sous d’autres cieux. Si le backsourcing est toujours possible, il présente lui aussi un coût, car les opérations transférées ne sont pas toujours réversibles à l’identique en cas de réinternalisation.
En abandonnant maintenant la perspective de l’entreprise pour adopter une perspective plus macroéconomique, il est évident qu’un des reproches les plus immédiats adressé aux pratiques d’offshoring est de supprimer des emplois dans le pays de départ. Par exemple, pour rester dans la sphère de l’informatique, à niveau de compétence égal, un informaticien occidental coûte 6 à 8 fois plus cher que son homologue indien (dans un pays émergent, le coût annuel d’un développeur confirmé varie entre 5 000 et 15 000 euros, alors que dans les pays occidentaux, ce même coût se situe entre 40 000 et 100 000 euros). L’externalisation supprime donc maintenant des emplois qualifiés dans les pays riches, ce qui a des conséquences sur le volume de l’emploi, mais aussi sur les dépenses d’indemnisation du chômage, etc. Si on se place maintenant du côté du pays d’accueil, on peut aussi considérer que l’offshore ne diffuse pas toujours ses bienfaits. En Inde, l’offshore s’est jusqu’à présent concentré autour de certains pôles comme Bangalore par exemple. De ce fait, dans les provinces éloignées, la diffusion des bénéfices de l’informatique et de la communication est faible. Le sous-développement perdure, et s’aggrave même peut-être, s’il consacre l’émergence d’une économie profondément dualiste, où coexistent un secteur moderne tourné vers la mondialisation et un secteur traditionnel centré sur l’économie de subsistance.
Mais aussi des avantages évidents
Incontestablement, l’avantage qui apparaît en premier est le coût, dans la mesure où le développement informatique offshore est localisé dans les pays où les niveaux de salaires sont très inférieurs à ceux pratiqués en France. Or, dans les pays émergents, la qualité de la formation des ingénieurs en informatique a beaucoup évolué ces dix dernières années, les moyens techniques nécessaires à l’enseignement étant désormais accessibles à tous et les matières informatiques (programmation notamment) enseignées partout. A qualification égale ou sensiblement équivalente, l’avantage salarial lié à l’offshore est encore très important. A titre d’illustration, en Inde, alors que le revenu moyen par habitant est de 48 euros par mois (en croissance annuelle moyenne de 14 % toutefois), l’entreprise Capgemini rémunère en moyenne ses collaborateurs entre 800 et 1 000 euros. Même s’il s’agit là d’un revenu bien plus de 10 fois supérieur au revenu moyen par habitant, il ne représente tout de même que 25 % du revenu moyen des collaborateurs de qualification analogue en France. Ces charges salariales réduites sont capitales pour la survie de l’entreprise, parce qu’elles permettent de pratiquer des tarifs de plus en plus compétitifs sur un marché très concurrentiel, d’amplifier le recrutement sans mettre en situation de risque la stabilité financière de l’entreprise, et d’optimiser continuellement le niveau de formation des employés.
D’autres avantages sont rattachés aux bénéfices que l’on trouve à la sous-traitance du développement informatique. Celle-ci est la source d’une flexibilité accrue puisque l’entreprise qui externalise s’affranchit de la contrainte de la gestion d’une équipe de production, et aussi d’une réactivité elle aussi accrue, notamment par la mise en concurrence des sous-traitants spécialisés. L’externalisation permet également de valoriser les informaticiens français, déchargés des travaux de programmation jugés peu valorisants pour accéder à des fonctions à haute valeur ajoutée, orientées vers la définition des besoins, l’analyse, le conseil, la maîtrise d’ouvrage, la formation des utilisateurs. Grâce à l’externalisation également, les entreprises peuvent aussi se recentrer sur leur métier de base. Confier par exemple la programmation et l’écriture de lignes de code aux entreprises sous-traitantes donne plus de temps pour définir une stratégie informatique, analyser les besoins des utilisateurs, former le personnel à des données et des situations inédites.
Quant aux conséquences sur le pays d’accueil, si on a évoqué plus haut le risque de dualisme, les avantages de l’offshore sont cependant là aussi bien visibles. D’abord, l’offshore apporte des devises permettant de sortir du « cercle vicieux de la pauvreté ». Ensuite, l’informatique offshore engendre un développement de la formation et de l’instruction qui diffuse à tous les secteurs de l’économie. Enfin, l’offshore crée dans les pays concernés une classe moyenne qui est appelée à jouer un rôle essentiel dans le décollage économique. En effet, dans les pays pauvres, un obstacle au développement est l’existence d’une minorité de riches qui achètent beaucoup à l’étranger et d’une majorité de pauvres dépourvus de pouvoir d’achat. La nouvelle classe moyenne par ses dépenses de consommation joue un rôle d’entraînement sur le reste du pays en achetant des voitures, construisant des maisons, éduquant ses enfants.
Comme tous les grands bouleversements, l’offshore n’a pas que des aspects positifs, mais il présente cependant l’avantage majeur de relancer la croissance et de faire en sorte que le monde soit moins inégalitaire. D’une part, en réduisant le coût de production des services informatiques, l’offshore accélère la croissance mondiale et crée des emplois. D’autre part, en créant des emplois à haute valeur ajoutée dans les pays émergents, l’offshore apporte une contribution importante au développement. Comme le dit Paul Hermelin, directeur général de Capgemini, il semble bien que l’avenir soit à l’offshore.
Questions sur l’étude de cas
1- Quelles sont les principales SSII mondiales ?
2- Quelles sont les grandes activités de l’entreprise Capgemini ?
3- Qu’est-ce que l’outsourcing ?
4- Pourquoi les SSII ont-elles développé les centres de service ?
5- Quelles sont les principales formes de l’offshore ?
6- Pourquoi l’offshore dans l’informatique s’est-il développé à partir des années 1990 ?
7- Qu’est-ce que le backsourcing ?
8- Comment peut-on expliquer le backsourcing ?
9- Quels sont les avantages et les inconvénients de l’offshore pour les pays émergents ?
10- Pourquoi peut-on dire que l’offshore permet de valoriser le travail des informaticiens des pays développés ?