Question 3. Comprendre qu’il existe des socialisations secondaires (professionnelle, conjugale, politique) à la suite de la socialisation primaire.

Synthèse

Déroulé du chapitre :

Question 1. Comprendre comment les individus expérimentent et intériorisent des façons d’agir, de penser et d’anticiper l’avenir qui sont socialement situées et qui sont à l’origine de différences de comportements, de préférences et d’aspirations.

Question 2. Comprendre comment la diversité des configurations familiales modifie les conditions de la socialisation des enfants et des adolescents.

Question 3. Comprendre qu’il existe des socialisations secondaires (professionnelle, conjugale, politique) à la suite de la socialisation primaire.

Question 4. Comprendre que la pluralité des influences socialisatrices peut être à l'origine de trajectoires individuelles improbables.

 

Conforme au programme officiel (BO)

Il existe des socialisations secondaires (professionnelle, conjugale, politique) à la suite de la socialisation primaire.

Socialisation professionnelle

Le sociologue américain Everett C. Hughes (1897-1983) rappelle que le travail n’est pas seulement une transaction économique où l’individu échange sa force de travail contre un salaire. Le travail est au cœur de la construction de l’identité des individus.

L’engagement professionnel est constitutif d’une présentation de soi et d’un rapport au monde. En effet, avoir une place dans le processus de production c’est bénéficier d’un revenu et d’une couverture sociale ; mais aussi d’un statut, c’est-à-dire une place dans une échelle de prestige qui est déterminée collectivement. La profession exercée ne fournit donc pas seulement des avantages matériels (salaires, primes, avantages en nature) mais aussi des biens sociaux et symboliques.

Pour Everett C. Hughes, le métier choisi (enseignant, boucher, secrétaire, gardien de la paix, expert-comptable, etc.) donne une identification « irrévocable ». L’individu ferait corps avec son métier. De surcroît, dans certaines institutions (médicale, militaire, scolaire, religieuse, agricole), la sphère privée est absorbée par la sphère professionnelle.

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La socialisation professionnelle peut se définir comme l’ensemble des étapes qui permettent à un professionnel de le devenir à part entière. Pour reprendre le vocabulaire d’Everett C. Hughes (1897-1983), le profane devient un initié.

Le processus de socialisation professionnelle est donc une transmission de valeurs, de normes et de savoirs propres à une catégorie professionnelle qui suppose aussi une projection de soi dans l’avenir professionnel visé. La socialisation (études, stages, obtention de permis, etc.) prépare les étudiant(e)s à devenir des personnels soignants, des graphistes web, des enseignants, des managers, des artisans, etc.

Notons que les individus acquièrent progressivement les savoirs et les savoir-faire qui seront à l’origine du travail technique et relationnel. Toutefois, ils s’approprient des pratiques, un vocabulaire technique, des gestes communs, etc. et les restituent dans leurs emplois en fonction de leurs propres conceptions de leur métier.

On peut donc définir les identités professionnelles comme « des manières socialement reconnues, pour les individus, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail et de l’emploi. »

Pour le sociologue français Claude Dubar (1945-2015), la notion d’identité professionnelle ne désigne pas les catégories officielles qui servent à classer les individus (cf. catégories socioprofessionnelles de l’Insee), ni les appellations qui servent à se désigner soi-même car elles sont extrêmement diverses. Ainsi, pour un même poste, une personne peut se désigner comme « prof », « professeur(e) », « enseignant(e) », « instit », « instituteur(rice) », « professeur des écoles », etc.

Il souligne que les identités professionnelles sont des formes identitaires (ou configurations Je-Nous) repérées dans le champ des activités de travail rémunérées.

Ainsi, Claude Dubar invite à penser l’identité autour de trois dimensions : le moi, le nous et les autres. L’identité est donc un processus de construction collectif, c’est le fruit des interactions entre ces trois paramètres (soi, autrui, nous).

Le concept d’identité est caractérisé à la fois par une définition de « soi par soi », et de « soi par les autres ». L’identité professionnelle est une composante de l’identité de la personne. Elle renvoie à trois éléments principaux :

  • le monde vécu du travail ou les conditions de travail.  
  • les relations de travail ou le sentiment d’appartenance à des groupes. 
  • les trajectoires professionnelles ou la perception de l’avenir.

Socialisation conjugale

Le sociologue François de Singly souligne l'ambivalence des formes de l'individualisme contemporain qui traversent l'institution familiale.

Par exemple, les parents doivent à la fois promouvoir l'épanouissement personnel des enfants (liberté) et imposer les normes d’une réussite scolaire (contrainte). Les familles doivent donc trouver la «bonne distance» entre des relations affectives intenses et une intervention autoritaire.

François de Singly refuse de découpler « socialisation primaire » et « socialisation secondaire » : pour l'adulte, la famille demeure un foyer de socialisation !

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Étudiant des jeunes couples de classe moyenne ou supérieure âgés de moins de 30 ans, il interroge les « petites choses de la vie quotidienne » (choix de la musique ou du programme télévisé, utilisation du téléphone portable, partage des espaces communs, etc.) pour identifier une « socialisation par frottement ». Il montre ainsi que les règles de la vie commune qui s’imposent à un moment ne sont ni stables ni définitives : l’habitude n’élimine pas les surprises et les changements !

Il présente donc une société contemporaine qui hésite entre individualisme et vie commune.

François de Singly explore aussi les rencontres amoureuses, la mise en couple, la vie conjugale et les séparations afin de mieux comprendre les conjugalités contemporaines. Il souligne les enjeux identitaires et de reconnaissance de soi qui sont impliqués dans ces expériences.

Pour lui, l’accroissement du nombre des divorces peut ainsi s’expliquer par :

  • la multiplicité et la diversification des attentes des partenaires ;

  • l’installation puis le rejet d’une routine propre à la vie commune ;

  • l’importance de l’injonction sociale de rester soi-même et de penser d’abord à soi.

La vie conjugale contemporaine doit donc être mise en relation avec l’affirmation d’un processus d’individualisation dans la vie privée et le mouvement d’émancipation des femmes.

Notons que ce type d’analyse, qui interroge les modalités de l’expérience féminine de la séparation conjugale, permet de mettre en évidence l’importance de la construction identitaire. Toutefois, elle minore voire occulte les conditions matérielles qui favorisent ou freinent les séparations.

Socialisation politique

La socialisation désigne l’ensemble des processus par lesquels la société construit les individus et l’ensemble des apprentissages qui influencent leurs trajectoires individuelles. Distinguer une socialisation politique comme processus spécifique, c’est prendre en compte des pratiques et des représentations qui s’accomplissent dans un domaine particulier : l’univers politique (ses valeurs, ses pratiques, ses institutions).

Notons que pour comprendre le comportement politique des électeurs (vote partisan, abstention, votes par défaut, vote nul, etc.) on peut privilégier les méthodes quantitatives (cf. exploitation des résultats des élections) ou les enquêtes qualitatives (histoires familiales, études de l’ancrage social des individus).

Les individus voteraient pour des candidats sur des enjeux politiques mais en fonction de leur histoire familiale (socialisation primaire) et de la manière dont ils ont été politisés (socialisation primaire et secondaire). Toutefois, le vote ne résume pas la vie politique française.

La transmission familiale de préférences électorales (candidat(e)s, partis, opinions, identifications partisanes, etc.) et de comportements politiques (voter, s’abstenir, assister à des débats et autres réunions politique, etc.) pendant l’enfance participe à la socialisation politique des individus.

Les travaux de la sociologue Annick Percheron (1937-1992), portant sur l’univers politique des enfants, montrent le poids de la socialisation primaire dans la capacité à ses positionner au sein du clivage gauche/droite. La famille transmet des préférences idéologiques aux enfants et son influence est d’autant plus forte que les deux parents ont les mêmes opinions affirmées.

Dans la France des années quatre-vingt, les parents transmettent des préférences politiques : ce sont d’ailleurs les valeurs qu’ils transmettent le mieux après les valeurs religieuses.

Toutefois, la socialisation politique ne se résume pas à la transmission familiale des préférences électorales. D’abord, si la socialisation primaire a des effets politiques, elle est aussi extra-familiale. L’école, les groupes de pairs, le voisinage instille des normes et des valeurs qui peuvent renforcer ou interroger les visions du monde proposée dans le cercle familial (parents, fratrie).

Ensuite, les expériences de représentation (élection des délégués de classe, participation aux conseils municipaux d’enfants, etc.) ou de vie associative (scoutisme, activités syndicales, etc.) sont des lieux de transmission de dispositions au militantisme et facilitent les « carrières » politiques.

De plus, l’école transmet une culture civique, soit est un type de culture politique qui encourage les élèves à s’impliquer dans la vie publique et avoir confiance dans leurs représentants. Cette culture civique a une dimension affective (cf. minutes de silence lors d’un drame national ou organisation de débats conflictuels en classe), une dimension cognitive (cf. connaissances des institutions républicaines) et une dimension évaluative (jugement sur la capacité des acteurs à remplir leurs objectifs).

Les agents de socialisation secondaire sont essentiellement l’école, les médias, les groupes de pairs, les partis politiques, etc. La socialisation secondaire peut modifier les valeurs ou attitudes politiques acquises dans la socialisation primaire et il reste une marge de décision personnelle lié au libre-arbitre et aux expériences individuelles.

Comprendre le socialisation politique c’est aussi intégrer les socialisations secondaires liés à l’expérience professionnelle, la participation à des mouvements sociaux ou les évènements politiques.

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Le sociologue peut alors étudier comment se constitue le sentiment de compétence politique qui influence la participation électorale et l’engagement politique. Il soulignera le rôle de l’âge, du genre, de la classe sociale dans la politisation des individus ou les effets de génération. Selon l’Ined, une génération est un ensemble des individus nés pendant une période donnée, en général une année civile. Ce critère permet de distinguer un processus de socialisation « à » l’engagement ou « par » l’engagement politique.

Toute socialisation est datée. Les événements politiques peuvent transformer durablement les individus : la guerre d'Algérie ou Mai 68 sont deux moments historiques qui ont modifié les valeurs de nombre de leurs contemporains.

Aujourd’hui encore, les événements vécus, comme les manifestations pour la liberté d’expression et contre le terrorisme en janvier 2015 ou les manifestations des « gilets jaunes » à partir de novembre 2018 marquent durablement leurs participants. De même, la participation à des « manifestations pour le climat » aura certainement des effets sur l’engagement politique de certains jeunes.

L’identification partisane, c’est la volonté de se reconnaître à un parti politique. Un partisan peut être un adhérent (membre du parti), un militant (membre actif) mais aussi un simple sympathisant qui peut éventuellement financer le parti, voter pour lui ou reconnaître sa proximité en diffusant certaines de ses idées. En France, les transformations dans la socialisation familiales, la multiplication des formes de socialisation, la hausse du niveau d’éducation, le manque de confiance dans les organisations et le personnels politiques, etc. entraînent une plus grande flexibilité des attaches partisanes.

Plus largement, Olivier Ihl souligne que les expériences politiques (campagnes électorales, mouvement social, intervention militaire, action d’individus charismatiques, etc.) sont des «opportunités de socialisation» dont la compréhension nécessite de prendre en compte les discours et les pratiques des journalistes, des enseignants, des autorités politiques et judiciaires, etc.

La socialisation politique a une dimension locale : les cultures politiques sont enracinées dans un territoire (pays, région, département, commune, quartier).

La socialisation politique est une socialisation nationale comme l’illustre l’importance, en France, du clivage gauche/droite pour se positionner sur l’échiquier politique et qui permet aux individus de s’affirmer/s’opposer politiquement notamment sur une échelle de valeurs fondamentales (cf. liberté/égalité/fraternité) ou d’options politiques prioritaires (création de richesse ou réduction des inégalités).

Lors de la Révolution Française, les membres de l’Assemblée Constituante qui étaient favorables au roi avait pris l’habitude de se placer à droite de l’hémicycle, tandis que ses opposants s’installaient à gauche. Dans d’autres pays, d’autres clivages jouent ce rôle : Démocrates/Républicains, conservateurs/travaillistes, sociaux-démocrates/libéraux, etc.

Enfin toute culture politique est indissociable de l’évolution culturelle. D’une manière générale, la hausse des niveaux d’éducation, la baisse des taux de fécondité, l’affaiblissement des influences directes de la religion, la mondialisation et la démocratisation des flux d’information, ont des effets sur les cultures politiques.

Notions

Processus permettant de s'identifier à une organisation productive et e maîtriser un rôle en milieu du travail
Processus qui se traduit pour les deux conjoints par l'intériorisation d'un monde commun, c'est à dire d'un univers partagé de référence et d'action.
Processus durant lequel un individu intériorise les valeurs et normes de la société , et développe ses opinions et attitudes politiques.

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