Synthèse
Déroulé du chapitre :
Question 1. Quels sont les facteurs de structuration et de hiérarchisation de l'espace social ?
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la structure socioprofessionnelle qui se donne à voir en France est encore proche de celle héritée de la Révolution Industrielle. Cependant, au cours des décennies qui suivent, elle se transforme profondément.
1) Un monde de l’emploi qui se féminise, tout en étant caractérisé par une “double ségrégation” des femmes
Depuis le début des années 1960, l’Europe est marquée par une forte féminisation de l’emploi.
Les indicateurs de cette entrée massive des femmes sur le marché de l’emploi sont multiples. Il s’agit par exemple de la part des femmes dans la population active. En 1962, en France, les femmes représentaient ainsi 33,6 % des actifs. En 2014, sur 100 actifs, 45,8 en moyenne sont des femmes. La part des femmes dans l’emploi s’accroît elle aussi. Ainsi, en 1963, sur 100 actifs en emploi, 34 en moyenne sont des femmes, alors qu’en 2014, sur 100 actifs en emplois, 48,2 en moyenne sont des femmes. Les taux d’activité féminins eux aussi s’élèvent. En 1962, seulement 40 à 45 % des femmes ayant entre 30 et 50 ans étaient déclarées actives. En 2017, la proportion de femmes actives à ces âges est supérieure à 80 %.
Pour autant, cette entrée des femmes dans le monde du travail ne doit pas masquer le maintien de fortes disparités. Les femmes sont effet touchées par la ségrégation verticale et la ségrégation horizontale sexuées.
La ségrégation horizontale entre hommes et femmes dans la sphère professionnelle signifie que les femmes sont massivement concentrées sur certaines professions et catégories socio-professionnelles, dont la place dans la hiérarchie sociale est subordonnée. Elles sont en effet massivement présentes parmi les employés. C’est ce qui est parfois appelé le “plancher collant”, cette tendance des femmes à être “retenues” dans des professions et des postes subalternes.
A cela s’ajoute une ségrégation verticale sexuée, qui fait que les femmes voient leurs carrières ralenties par rapport à celles des hommes. Elles peuvent moins facilement accéder aux postes à responsabilités. Ici, la métaphore utilisée est celle du “plafond de verre”. Le Bureau International du Travail le définit en 1997 comme “les barrières invisibles, artificielles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités”.
2) Le développement de l’emploi salarié, tertiarisé et de plus en plus qualifié
La structure des emplois se modifie considérablement après la Seconde Guerre mondiale. Il se produit un “déversement” sectoriel, en raison notamment de la dynamique des gains de productivité, qui réduit les besoins en main-d’oeuvre dans certains secteurs dont l’offre excède la demande, tandis que la structure de la demande elle-même se modifie, faisant émerger de nouveaux besoins.
En France, en 1949, l’agriculture concentrait encore 30 % de la population active. En 2017, l’agriculture ne représente plus que 2,6 % de la population active en emploi. Le secteur primaire s’est donc “déversé” vers les autres secteurs d’activité.
Le secteur industriel connaît, dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, une évolution contrastée. Caractérisée dans un premier temps par de forts gains de productivité et une demande fortement élastique au revenu (les ménages français, s’enrichissant pendant les Trente Glorieuses, s’équipent massivement, notamment en appareils électroménagers) l’industrie voit ses effectifs augmenter jusque dans les années 1970. Ensuite, la France, à l’instar des autres pays développés, connaît un mouvement de désindustrialisation. En 1974, selon l’INSEE, à son apogée, le secteur industriel comptait 5,6 millions d’emplois et représentait 25,4 % de l’emploi total. En 2017, on en compte 3,7 millions, représentant 13,8 % de l’emploi total. Par aileurs, la combinaison entre des gains de productivité encore élevés dans le secteur manufacturier et une demande des ménages qui se porte de plus en plus vers les services marchands a amené à une baisse des besoins en produits manufacturés, au profit des services. Enfin, avec l’essor de l’Etat-Providence, le secteur des services non-marchands s’est lui aussi développé, créant un “appel d’air” vers les professions du service public.
Cette transformation de la structure par secteurs d’activité est accompagnée d’un processus de salarisation. Celui-ci n’est pas propre à la dernière moitié du XXème siècle puisque les prémices sont perceptibles dès le XIXème siècle, mais l’accélération est nette. En 1954, l’emploi salarié représente 64,8 % de l’emploi total, en 1962, 71,7 %, en 2018, 89,5 %.
Mais, en s’accroissant, l’emploi salarié mute aussi fortement depuis 1945. Si les effectifs d’ouvriers augmentent jusqu’aux années 1970, avant de décroître, les emplois salariés non ouvriers, eux, se développent sans discontinuer. Il s’agit notamment des emplois d’encadrement dans le secteur industriel, mais aussi des emplois dans le secteur public. Cela a engendré une transformation en profondeur de la répartition de la population active française entre les différents groupes socio-professionnels, avec un gonflement net des classes moyennes et supérieures salariées mais aussi le développement du groupe des employés.
Enfin, il est à noter que l’emploi devient de plus en plus qualifié, avec notamment le développement des nouvelles classes supérieures et moyennes salariés, incarnées par la montée en puissance du groupe des cadres et de celui des professions intermédiaires.
3) Chômage et précarité de l’emploi, deux réalités qu’il ne faut pas occulter…
La classification socio-professionnelle de l’INSEE telle qu’elle est aujourd’hui conçue n’est pas un outil adapté pour rendre compte d’autres importantes transformations de la structure socioprofessionnelle. C’est ainsi que le chômage, masqué par le codage de l’individu dans sa profession précédente ou dans la catégorie “fourre-tout” des “Autres personnes sans activité professionnelle” n’est pas réellement mis en exergue par cet outil. Pourtant, le phénomène concerne une part croissante des actifs en France. En 1968, sur 100 actifs, on en dénombrait en moyenne 2,5 au chômage. En 1980, le taux de chômage s’élève à 5 % et n’est jamais redescendu sous cette barre. Dans les années 1990, plus d’un actif sur dix est touché. Le début des années 2000 voit le taux de chômage décroître pour atteindre 7 % en 2008, mais les effets de la crise des subprimes se font sentir ensuite, et le taux de chômage se “réinstalle” à près de 10 % entre 2014 et 2016. Il baisse à nouveau, pour atteindre 8,1 % en 2019.
Mais, pour les actifs en emploi, la situation elle aussi se dégrade, avec le développement de l’emploi atypique à partir des années 1980 (CDD, intérim, emploi à temps partiel forcé). En 1980, la précarité ne concernait que 5 % des salariés. En 1990, elle en touche 7,7 %. Depuis la fin des années 1990, ce sont plus d’un salarié sur dix qui se trouvent impactés.