Le numérique transforme le travail
L’essor du numérique n’est pas sans conséquences sur le travail et son organisation. D’abord, les technologies de l’information et de la communication (TIC) telles que l’ordinateur portable, le smartphone ou internet ont favorisé le développement du télétravail en permettant au salarié de travail à distance. Le télétravail est source d’opportunités pour le salarié qui bénéficie davantage d’autonomie et de gains de temps, notamment en évitant des trajets quotidiens. Il présente également des avantages pour l’employeur car il accroît principalement la flexibilité du travail, réduit l’absentéisme et diffuse l’utilisation des outils numériques. Cependant, le télétravail contribue à brouiller les frontières entre le travail et le hors-travail : la délimitation entre la sphère privée et la sphère professionnelle devient plus complexe à établir lorsque le salarié travail à domicile. Par ailleurs, l’usage des TIC accroit la disponibilité des travailleurs sur des temps auparavant consacrés au hors travail, ce qui peut conduire à une augmentation de la charge et de l’intensité du travail.
La diffusion des TIC brouille également les frontières entre l’emploi salarié et l’emploi indépendant. En effet, le développement des plateformes numériques qui mettent en relation directe des travailleurs et leurs clients, telles qu’Uber, modifie les relations d’emploi. Ce phénomène d’ubérisation, permis par le numérique, renforce le phénomène de polarisation des emplois. On parle de polarisation des emplois lorsque la part des emplois intermédiaires dans l’emploi total diminue au profit de celles des emplois très qualifiés et peu qualifiés. Les TIC ont contribué à la substitution du capital au travail, notamment pour les emplois intermédiaires. La robotisation et le traitement informatique des données permettent par exemple de remplacer le travail effectué par certains opérateurs de production et secrétaires. De plus, le numérique accroit l’écart entre emplois très qualifiés qui nécessitent souvent une maîtrise des TIC et emplois peu qualifiés dont la part a nettement augmenté dans le secteur des services depuis les années 2000.
Un rôle intégrateur remis en question par les mutations du travail
Pour les sociologues, le travail constitue un élément essentiel de l’intégration sociale. D’abord parce qu’il donne accès à un revenu qui permet à l’individu d’accéder à la consommation, au logement et aux loisirs, véritable reconnaissance matérielle selon Serge Paugam. Ensuite parce qu’il confère une reconnaissance symbolique en donnant un statut et un rôle social à l’individu. L’emploi donne également accès à la protection sociale qui protège les individus face aux risques sociaux.
Cependant, le marché du travail a connu de profondes mutations à partir de la fin des années 1970. Le ralentissement de la croissance économique s’accompagne de la montée d’un chômage persistant. Depuis les années 1980, la part des emplois précaires dans l’emploi total augmente et le phénomène de polarisation des emplois se développe. Chômage, précarité et polarisation de l’emploi remettent ainsi en question l’intégration par le travail, fondée sur la norme d’emploi typique.
Document 1 : Le télétravail brouille les frontières entre le travail et le hors travail
Le télétravail est rentré dans le code du travail avec la loi du 29 février 2012. Selon l’article 46 de la loi de simplification du droit du 22 mars 2012 , « le télétravail est une forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les TIC*dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci ». […]
Comme toute innovation en matière d’organisation du travail, le télétravail demeure porteur d’opportunités mais aussi de risques et d’abus. Les avantages reconnus du télétravail pour le salarié et pour l’entreprise sont nombreux : autonomie, gain de temps, liberté d’organisation, réduction du temps de transport, de la fatigue et des coûts liés aux trajets domicile-travail, meilleure concentration, gain de productivité, diffusion de nouvelles technologies, baisse de l’absentéisme, meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, image de l’entreprise. Toutefois, […] l’envahissement du travail dans la vie personnelle est un phénomène jugé préoccupant par de nombreux spécialistes en raison de la généralisation des TIC et des exigences de disponibilité qu’elles génèrent pour le salarié. Les TIC permettent d’être toujours connecté, de rester en contact avec l’environnement professionnel et d’être joignable 24h sur 24h. Elles facilitent le travail hors mur et notamment après la journée de travail. Les TIC peuvent notamment permettre de gérer l’imprévu et l’urgent. Ceci aurait des effets néfastes sur la santé physique et mentale des individus (stress, fatigue, burnout).[…] Le risque peut [également] venir de la famille qui peut solliciter le télétravailleur durant ces heures de travail à domicile. Les télétravailleurs à domicile peuvent vivre un sentiment de déséquilibre en tentant de gérer les exigences de leur travail à côté des attentes de leur famille. Des répondants signalent que du fait de leur présence au domicile, leur famille a de très fortes attentes à leur égard et les trois quarts des répondants se plaignent que des membres de la famille ne perçoivent pas leur travail comme un véritable travail.
[…] La gestion de la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle se révèle donc plus complexe pour le télétravailleur. En configuration de télétravail, la frontière est en effet poreuse : interférences, interruptions, et intrusions rapides entraînent des ruptures de tâches, des pertes de concentration. Les TIC (le smartphone par exemple) seraient un frein puissant au maintien d’une frontière satisfaisante entre les deux sphères. Ils peuvent être générateurs de culpabilité en cas de non disponibilité par rapport à l’entreprise pour les salariés ou encore générateurs de pression forte à l’acception de réponses à un appel professionnel sur le temps hors travail, durant les loisirs par exemple.
*TIC = Technologies de l’information et de la communication.
Dumas, Marc, et Caroline Ruiller. « Le télétravail : les risques d'un outil de gestion des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle ? », Management & Avenir, vol. 74, no. 8, 2014, pp. 71-95.
Questions
1. Qu’est-ce que le télétravail ? Qu’est-ce qui a permis son essor ?
2. Quels sont les avantages du télétravail ?
3. Quel est l’inconvénient majeur du télétravail pour le salarié ?
4. Quelles peuvent-être les conséquences pour le télétravailleur ?
5. Quelles pistes peut-on envisager pour réduire de tels risques ?
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Réponses :
1. Qu’est-ce que le télétravail ? Qu’est-ce qui a permis son essor ?
Le télétravail désigne la possibilité d’exercer son activité professionnelle en dehors du lieu de travail officiel. Son essor a été favorisé par le développement des technologies de l’information et de la communication telles que le smartphone, l’ordinateur portable, internet etc.
2. Quels sont les avantages du télétravail ?
Le télétravail présente des avantages tant pour le salarié que pour l’entreprise :
3. Quel est l’inconvénient majeur du télétravail pour le salarié ?
Le télétravail ne présente pas que des avantages pour le télétravailleur. Dans la mesure où le salarié travaille à domicile, il affaiblit les frontières entre sphères professionnelle et privée. En l’absence de séparation physique entre le foyer et le lieu de travail, il devient difficile de délimiter les temps consacrés à l’activité strictement professionnelle. Le travailleur est alors soumis à une double charge mentale : sa disponibilité professionnelle augmente autant que sa disponibilité familiale. Le télétravail,favorisé par l’essor des TIC, contribue donc à brouiller les frontières entre le travail et le hors travail.
4. Quelles peuvent-être les conséquences pour le télétravailleur ?
Dans certaines situations, le télétravail augmente l’exposition aux risques psychosociaux. Lorsque l’intensité du travail et l’exigence de disponibilité augmentent, le télétravailleur est davantage soumis au stress, à la fatigue et au risque de burnout.
5. Quelles pistes peut-on envisager pour réduire de tels risques ?
Les solutions envisageables sont multiples et consistent principalement à rétablir une frontière entre le travail et le hors-travail. Il peut s’agir par exemple de respecter des horaires de hors travail (c’est l’idée du droit à la déconnexion), de former les managers et les télétravailleurs pour une meilleure organisation ou encore d’alterner les jours de télétravail et ceux en présence sur le lieu de travail.
Document 2. Quels sont les effets de l’ubérisation sur l’emploi ?
Source : reportage France Télévisions – France24 – 04/03/2020
Questions
1. Quelle est la particularité de l’entreprise Uber ?
2. Quel est l’objet du litige entre Uber et son chauffeur ?
3. Quel est l’enjeu de la décision prise par la Cour de cassation en mars 2020 ?
4. En quoi peut-on parler aujourd’hui d’un phénomène d’ubérisation ?
5. Quelles sont les conséquences de l’ubérisation sur l’emploi ?
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Réponses :
1. Quelle est la particularité de l’entreprise Uber ?
Uber est une entreprise américaine fondée en 2009 grâce à l’essor du numérique. Elle exploite une application mobile qui met en relation des conducteurs indépendants qui utilisent leur propre véhicule et des utilisateurs de services de transport. Pour chaque course, Uber prélève une commission et verse le montant restant au chauffeur.
2. Quel est l’objet du litige entre Uber et son chauffeur ?
Il s’agit de déterminer s’il existe un contrat de travail entre l’entreprise Uber et son chauffeur, auquel cas ce dernier est considéré comme salarié et non comme travailleur indépendant.
3. Quel est l’enjeu de la décision prise par la Cour de cassation en mars 2020 ?
La Cour de cassation a reconnu l’existence d’un lien de subordination entre Uber et son chauffeur. Concrètement cela signifie qu’il existe bien un contrat de travail et que le chauffeur est reconnu comme salarié. Ce dernier doit donc bénéficier d’un ensemble de droits déterminés par le code du travail qui encadre la relation d’emploi en France.
4. En quoi peut-on parler aujourd’hui d’un phénomène d’ubérisation ?
On peut parler d’un phénomène d’ubérisation dans la mesure où le modèle mis en place par Uber s’étend à de nombreux secteurs. L’ubérisation désigne l’ensemble des plateformes numériques qui mettent directement en relation des travailleurs et des clients. C’est par exemple le cas de la plateforme Airbnb pour le service d’hôtellerie, de Blablacar pour le covoiturage, d’Uber Eats ou encore de Deliveroo pour la livraison de plats cuisinés.
5. Quelles sont les conséquences de l’ubérisation sur l’emploi ?
L’ubérisation réduit la frontière entre le travail salarié et indépendant. En ce sens, il est possible d’affirmer que le numérique transforme les relations d’emploi.
Document 3. Un risque de polarisation des emplois
La transition numérique est en marche. Des médias à l’automobile en passant par le tourisme, l’agriculture ou la santé, c’est désormais toute l’économie qui devient numérique. […] L’emploi numérique n’est pas constitué que d’ingénieurs informatiques ; ce sont aussi les chauffeurs de VTC, les emplois logistiques de la vente en ligne, les particuliers qui offrent des prestations touristiques, des travaux de réparation, etc. L’économie numérique n’exclut donc pas du tissu productif les travailleurs moins qualifiés. En revanche, elle tend à les déplacer de métiers routiniers, facilement automatisables, vers des tâches qui reposent sur des interactions humaines, pour lesquelles le robot ou l’ordinateur ne sont pas de bons substituts.
Il en résulte une polarisation du marché du travail. Tandis que les professions intermédiaires, situées au milieu de la distribution des salaires, tendent à se raréfier, l’économie numérique crée principalement deux catégories d’emplois : d’une part, des emplois bien rémunérés, à dimension managériale ou créative, requérant une qualification élevée ; d’autre part, des emplois peu qualifiés et non routiniers, largement concentrés dans les services à la personne, qui sont peu rémunérés car leur productivité reste faible.
Ce phénomène est perceptible dans toutes les économies avancées. En France, on observe depuis 1990 une réduction du poids des catégories socioprofessionnelles intermédiaires dans la population active et une hausse conjointe des catégories très rémunérées ou peu rémunérées. […] La France se distingue toutefois par sa difficulté à créer ces emplois peu qualifiés : la moitié de la différence entre le taux d’emploi aux États-Unis et en France s’explique par un déficit d’emploi dans le commerce et l’hôtellerie-restauration, secteurs intensifs en main d’œuvre peu qualifiée. Les causes sont connues : en dépit des politiques continues de diminution du coût du travail, celui-ci reste élevé pour les entreprises au niveau du SMIC (en particulier dans les zones où la productivité est plus faible), tandis que le droit du travail fait de la décision d’embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) une décision risquée, notamment dans le cas d’un travailleur sans diplôme et sans expérience.
Colin, Nicolas, et al. « Économie numérique », Notes du conseil d’analyse économique, vol. 26, no. 7, 2015, pp. 1-12.
Questions
1. Qu’est-ce que la polarisation des emplois ?
2. Pourquoi le numérique accentue-t-il le phénomène de polarisation des emplois ?
3. En quoi la France se distingue-t-elle des autres pays ?
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Réponses :
1. Qu’est-ce que la polarisation des emplois ?
La polarisation des emplois désigne le phénomène de hausse des emplois peu qualifiés d’une part et des emplois très qualifiés d’autre part au détriment des emplois intermédiaires. Les emplois se concentrent ainsi vers deux pôles dont les revenus et les conditions de travail ont tendance à s’écarter toujours plus.
2. Pourquoi le numérique accentue-t-il le phénomène de polarisation des emplois ?
Les TIC, en raison de leurs faibles coûts et des gains de productivité qu’elles engendrent, ont entraîné une substitution du capital au travail. Cette substitution du capital au travail s’est principalement effectuée au niveau des emplois intermédiaires pour lesquels les tâches peuvent être exécutées grâce aux TIC. C’est par exemple le cas des opérateurs de chaînes de production. Pour les travailleurs les moins qualifiés, cette substitution s’est traduite par un déplacement de la main d’œuvre vers le secteur des services pour lequel il est plus difficile de substituer le capital au travail. Enfin, pour les travailleurs les plus qualifiés, le développement du numérique constitue une opportunité. Formés aux nouvelles technologies, le numérique augmente leur productivité et rend plus difficile la substitution du capital au travail.
3. En quoi la France se distingue-t-elle des autres pays ?
Si la France connait un phénomène de polarisation des emplois, celui-ci semble moins marqué que pour d’autres économies. Le marché du travail français, caractérisé par l’existence d’un salaire minimum et d’une norme d’emploi en CDI, freine le mouvement de polarisation par le bas à savoir le développement d’emplois peu qualifiés.
Document 4. Evolution des parts de l’emploi peu qualifié, intermédiaire et très qualifié entre 1993 et 2010
Graphique . Evolution des parts de l'emploi peu qualifié, intermédiaire et très qualifié 1993 et 2010
Questions
1. Faites une phrase avec les données pour la France.
2. Quelle observation principale peut-on tirer de ce graphique ?
3. Quels sont les pays ou la polarisation des emplois est la plus forte ?
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Réponses :
1. Faites une phrase avec les données pour la France.
De 1993 à 2010 en France, la part des emplois intermédiaires a diminué de 8 points de % tandis que celles des emplois qualifiés et peu qualifiés ont augmenté d’environ 5%.
2. Quelle observation principale peut-on tirer de ce graphique ?
Entre 1993 et 2010, en plein essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la part des emplois intermédiaires a diminué significativement pour l’ensemble des pays étudiés tandis que les parts des emplois peu qualifiés et très qualifiés augmentent.
3. Quels sont les pays ou la polarisation des emplois est la plus forte ?
Le phénomène de polarisation des emplois est particulièrement marqué en Finlande, en Espagne et en Irlande ou la part des emplois intermédiaires chute 15 points de % en moins de 20 ans. En France, la polarisation des emplois apparait plus modérée.
Document 5. Le travail est source d’intégration sociale
Parce qu'il offre un statut social et un revenu, l'emploi n'a jamais été autant valorisé. […] Le revenu tiré de l’emploi permet à la fois de se libérer de l’emprise de la pauvreté et de choisir librement son destin. Ainsi, les familles monoparentales sont aujourd’hui bien davantage frappées par la pauvreté monétaire que le reste de la population […] En outre, dans un contexte de pouvoir d’achat quasi stagnant depuis une bonne dizaine d’années, être deux à travailler dans un couple permet d’augmenter le pouvoir d’achat du ménage en moyenne bien davantage que le supplément de gain que peut espérer obtenir un seul travailleur. Du coup, cela a accentué la pauvreté relative de ceux qui n’étaient pas dans cette situation : ménages composés d’une seule personne adulte, couples où les deux conjoints sont inactifs ou au chômage, couples " traditionnels " composés d’un seul actif. Dans une société où la norme est que chacun des adultes du couple exerce un emploi, ne pas être en couple ou vivre dans un couple où ce n’est pas le cas devient un handicap.
L’aspect revenu n’est pas le seul facteur, même s’il joue un rôle important, trop souvent minoré. Car l’emploi permet aussi à ceux qui y ont accès de " faire leur vie ", d’avoir une place reconnue dans la société et d’y tenir un rôle qui ne se réduit pas à des tâches domestiques. Quand il s’agit de se présenter dans un groupe, les gens disent rarement, voire jamais, " j’aime la danse " ou " je suis une passionnée de cinéma ". En revanche, ils nomment presque toujours leur profession. Non qu’ils en soient forcément fiers, mais elle indique qu’ils tiennent une place sociale reconnue, même si elle est modeste. A l’inverse, les chômeurs se présentent rarement comme tels, sauf sont le goût de la provocation : ils indiquent leur métier, ajoutant parfois " en recherche d’emploi ". Et plutôt que d’avouer qu’elles sont " sans profession ", ce qui serait un aveu d’inutilité sociale, les femmes préfèrent se dire " mères de famille " ou à la rigueur " femmes au foyer ", transformant leur non-emploi en rôle positif, de crainte d’être taxées d’inutilité sociale.
Ce rôle socialement valorisant de l’emploi est nouveau. Longtemps, le travail (au sens économique du terme, c’est-à-dire rémunéré) a été déconsidéré, voire méprisé, surtout s’il était manuel, qu’il impliquait de se salir les mains et d’effectuer des efforts physiques. Dominique Méda a montré que le retournement s’est fait essentiellement au XIXe siècle, donc de façon très récente. Encore au début du XXe siècle, Thorstein Veblen, un socio-économiste américain d’origine suédoise, expliquait que, pour les classes dominantes, le fin du fin consistait à afficher que l’on n’avait pas besoin de travailler pour vivre, que l’on pouvait dépenser son temps à aller au théâtre, à offrir des réceptions ou à courir les salons. Bref qu’il fallait surtout consommer le temps de façon improductive et le montrer, y compris en cantonnant l’épouse au foyer, contrairement aux classes laborieuses, où le travail féminin était indispensable à la survie familiale. Aujourd’hui, travailler moins est mal vu et les cadres se sont fait un devoir de prolonger leurs journées de travail à l’infini ou d’emporter de quoi s’occuper à la maison durant les fins de semaines. Une condition pour être bien vu par leur employeur et accéder à davantage de responsabilité.
Denis Clerc, « De l’emploi au statut social », Alternatives économiques, Hors-série n°69, 04/2006.
Questions :
1. Rappelez ce qu’est l’intégration sociale.
2. Présentez les deux arguments mis en avant par l’auteur qui montrent que le travail est source d’intégration sociale.
3. Quels autres arguments peut-on également mettre en avant ?
4.Comment le rôle intégrateur du travail a-t-il évolué ?
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Réponses :
1. Rappelez ce qu’est l’intégration sociale.
L’intégration sociale désigne le processus par lequel les individus établissent des liens sociaux et adoptent les valeurs d’un groupe social plus large, généralement la société.
2. Présentez les deux arguments mis en avant par l’auteur qui montrent que le travail est source d’intégration sociale.
L’auteur met en avant deux raisons pour lesquelles le travail est source d’intégration sociale. En premier lieu, l’emploi donne accès à un revenu qui permet de participer à la vie sociale en accédant à la consommation, au logement et aux loisirs. Ensuite, l’emploi permet d’accéder à un statut social reconnu par tous et donne ainsi un rôle social à l’individu.
3. Quels autres arguments peut-on également mettre en avant ?
L’accès au revenu et au statut social ne sont pas les seuls aspects intégrateurs du travail. Le lieu de travail constitue généralement un espace de sociabilité au sein duquel l’individu interagit avec ses collègues. En outre, le travail donne accès à un ensemble de droits sociaux, notamment en termes de protection sociale, qui protègent les individus des risques sociaux et de l’exclusion sociale.
4.Comment le rôle intégrateur du travail a-t-il évolué ?
Occuper un emploi n’a pas toujours été valorisant au sein de la société française. Jusqu’au 20e siècle, l’oisiveté constituait un moyen de se distinguer et d’afficher un statut social supérieur. De nos jours, c’est au contraire l’inactivité qui est stigmatisante pour l’individu.
Document 6. Des transformations du marché du travail qui fragilisent l’intégration
Produit de la conjonction structurelle de facteurs multiples (épuisement des gains de productivité, saturation de la norme de consommation, mutations sectorielles, pression internationale, etc.), la crise qui clôt la période des Trente Glorieuses consacre le déclin du régime de croissance fordiste d’après-guerre. Bien qu’elle ne soit pas cumulative comme en 1929, la dépression a des effets directs durables sur le marché du travail. Le chômage entame une course à la hausse à partir de la seconde moitié des années 1970. […] Inégale selon les périodes, la création d’emplois n’a pas été suffisante pour empêcher le chômage de s’installer durablement dans le paysage français. Les études ne manquent pas pour signaler les inégalités selon l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le diplôme, la catégorie socioprofessionnelle, la région, etc., face à la privation involontaire d’emploi. Cette dernière a accru par ailleurs les différences de statut et de protection sociale.
Le constat d’ensemble est similaire lorsqu’on observe l’évolution et la morphologie des «formes particulières d’emploi». […] On considère désormais comme typique un emploi à durée indéterminée et occupé à plein temps auprès d’un employeur unique qui est lui-même l’utilisateur direct des compétences du salarié. Les formes particulières d’emploi, l’intérim au premier chef, font leur apparition sur le marché du travail avant, il est vrai, que les symptômes de la grande crise des années 1970 ne s’imposent à toutes et à tous avec la force de l’évidence. Mais, les difficultés économiques persistant, la précarisation de l’emploi gagne du terrain au fil des années et des décennies qui suivent. La part de l’intérim, des contrats à durée déterminée, des stages et contrats aidés par les pouvoirs publics et de l’apprentissage dans l’emploi salarié double ainsi entre 1982 et 2002. Elle atteint son acmé en 2000 avec un taux de 12 % (contre 6 % en 1982). Dix-sept ans plus tard, nous en sommes à plus de 15 %. […] Depuis la fin des années 1970, les formes particulières d’emploi qui ont le plus vivement progressé dans le secteur privé sont l’intérim et les contrats à durée déterminée bien plus encore. En 2017, à elle seule la part des contrats à durée déterminée dans l’emploi salarié atteint 12 %, ceux de moins de trois mois représentant même 5 % du total.
[…] Le travail à temps partiel, qui concerne un peu moins de 19 % de la population active occupée en 2016 (contre 9 % en 1982), a également contribué au mouvement d’érosion de la norme d’emploi fordiste. Aujourd’hui, cette forme d’emploi alimente une partie de la pauvreté laborieuse, situation propre aux personnes en incapacité de tirer du produit de leur travail un revenu suffisant pour subsister.
[…] Que ce soit par le biais du chômage ou de la précarité, le refoulement des personnes aux marges du marché du travail a toujours des effets sur leur mode d’intégration sociale, […] la privation d’emploi se traduit par une déconnexion des intéressés des rythmes dominants de la vie sociale, une privation des points de repères spatiaux de l’existence et une sape de l’identité personnelle. Serge Paugam procède à des constats similaires à l’occasion de son étude sur les salariés de la précarité. Elle dilue non seulement les attaches avec le monde du travail mais elle gâte également les relations conjugales et familiales, elle dégrade les revenus et les conditions de vie, elle incite au repli sur soi et ses proches plutôt qu’à l’engagement associatif ou politique, etc.
Michel Lallement, « Quarante ans d’institution de l’emploi », Travail et Emploi, Dares, 2019.
Questions :
1. Distinguez formes d’emplois typique et atypique.
2. A quelles transformations le marché du travail français fait-il face dès le milieu des années 1970 ?
3. Qu’est-ce que la « pauvreté laborieuse » ?
4. Quelles sont les conséquences de ces transformations du marché du travail ?
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Réponses :
1. Distinguez formes d’emplois typique et atypique.
La notion d’emploi typique désigne le modèle de référence de l’emploi salarié à temps plein, en contrat à durée indéterminée (CDI), offrant des garanties et des perspectives de carrière. A l’inverse, les emplois atypiques regroupent les contrats à durée déterminée (CDD), intérims, apprentissage et contrats aidés. Ces formes particulières d’emploi sont précaires et offrent souvent des rémunérations plus faibles et des garanties sociales moindres.
2. A quelles transformations le marché du travail français fait-il face dès le milieu des années 1970 ?
Le choc pétrolier de 1973 marque la fin des Trente Glorieuses et le début du ralentissement de la croissance économique, qui s’accompagne dès les années 1980 d’une augmentation d’un chômage de masse et de longue durée. En 1993, la barre symbolique des 3 millions de chômeurs est ainsi franchie en France. Par ailleurs, cette même période est marquée par le phénomène de précarisation de l’emploi. La part d’emploi précaire a presque triplé depuis le milieu des années 1980.
3. Qu’est-ce que la « pauvreté laborieuse » ?
La pauvreté laborieuse désigne les travailleurs pauvres, c’est-à-dire les personnes qui tout en ayant travaillé une partie de l’année vivent dans un ménage dont les revenus ne suffisent pas à offrir à ses membres un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté monétaire, généralement fixé à 60% du revenu médian.
4. Quelles sont les conséquences de ces transformations du marché du travail ?
Le développement du chômage de masse persistant et de la précarité remet en question le rôle intégrateur du travail. Non seulement les individus sont davantage exposés au risque de perte de revenus mais ils subissent également une fragilisation du statut social conféré par le travail.
Document 7. Évolution du risque de pauvreté au travail
Questions :
1. Que mesure le taux de risque de pauvreté au travail ?
2. Comment a évolué le risque de pauvreté au travail en France entre 2008 et 2018 ?
3. Cette évolution est-elle régulière ? Comment l’expliquer ?
4. Quel lien peut-on établir entre polarisation des emplois et risque de pauvreté ?
5. Comment se situe le risque de pauvreté au travail en France au regard des autres pays européens ?
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Réponses :
1. Que mesure le taux de risque de pauvreté au travail ?
Le taux de risque de pauvreté au travail mesure la proportion d’individus qui occupent un emploi mais qui sont tout de même menacés de pauvreté, c’est-à-dire d’avoir un niveau de vie inférieur à 60% du revenu médian. Il s’agit de la pauvreté laborieuse ou des travailleurs pauvres.
2. Comment a évolué le risque de pauvreté au travail en France entre 2008 et 2018 ?
En 2018, selon Eurostat, sur 100 actifs occupés français, 7,1 sont menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale.
3. Cette évolution est-elle régulière ? Comment l’expliquer ?
Entre 2008 et 2012, le taux de risque de pauvreté au travail en France augmente de 1,5 point de % pour atteindre 8% des actifs occupés. Cela s’explique notamment par la crise des subprimes de 2008 qui accentue le chômage et la précarisation de l’emploi.
4. Quel lien peut-on établir entre polarisation des emplois et risque de pauvreté ?
L’augmentation de la part des emplois non qualifiés au détriment de la part des emplois intermédiaires accroit le risque de pauvreté au travail. En effet, les emplois non qualifiés sont généralement les emplois les moins rémunérés et les plus précaires.
5. Comment se situe le risque de pauvreté au travail en France au regard des autres pays européens ?
La France affiche un risque de pauvreté moins élevé qu’en Allemagne où le phénomène de polarisation des emplois est particulièrement marqué. L’Espagne, l’Italie et la Grèce sont des pays particulièrement touchés par l’augmentation du chômage après la crise de 2008. Ainsi, en 2008, le risque de pauvreté au travail est presque deux fois plus élevé en Espagne qu’en France.
Exercice 2. Fréquence du télétravail selon la catégorie socioprofessionnelle
Questions
1. Faites une phrase avec la donnée entourée.
2. Quel constat général peut-on établir sur la pratique du télétravail en France ?
3. Quelle catégorie socioprofessionnelle pratique le plus le télétravail ?
4. Comment expliquer ce constat ?
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Réponses :
1. Faites une phrase avec la donnée entourée.
En 2017, selon une étude de la Dares, sur 100 salariés français, 3 déclarent pratiquer le télétravail au moins un jour par semaine.
2. Quel constat général peut-on établir sur la pratique du télétravail en France ?
La pratique du télétravail reste minoritaire en France dans la mesure où seulement 4,2% des salariés déclarent pratiquer un télétravail occasionnel et moins d’1% des salariés déclarent pratiquer le télétravail de manière intensive, c'est-à-dire plus de 2 jours par semaine.
3. Quelle catégorie socioprofessionnelle pratique le plus le télétravail ?
Ce sont les cadres qui pratiquent le plus le télétravail. Ils sont 3,5 fois plus nombreux que les professions intermédiaires et 55 fois plus nombreux que les ouvriers à pratiquer le télétravail de manière régulière.
4. Comment expliquer ce constat ?
Ce constat s’explique d’abord par le fait que les emplois cadres sont des emplois plus qualifiés qui nécessitent davantage l’utilisation et la maîtrise des TIC. Par ailleurs, contrairement aux ouvriers qui réalisent un travail d’exécution, le travail des cadres peut plus facilement être effectué à distance. Enfin, les cadres sont ceux qui bénéficient le plus d’autonomie et de flexibilité dans leur organisation du travail ce qui facilite la mise en place du travail à distance.
Exercice 3. Disqualification sociale
J'ai élaboré le concept de disqualification sociale dans mes recherches sur les formes contemporaines de la pauvreté dans le prolongement des travaux de Georg Simmel au début du XXème siècle sur le statut des pauvres. L'objet d'étude qu'il propose n'est pas la pauvreté ni les pauvres en tant que tels mais la relation d'assistance entre eux et la société dans laquelle ils vivent. La disqualification sociale correspond à l'une des formes possibles de cette relation entre une population désignée comme pauvre en fonction de sa dépendance à l'égard des services sociaux et le reste de la société.
J'ai par la suite élargi le concept de disqualification sociale au monde du travail en examinant et comparant les formes de l'intégration professionnelle. À partir d'une enquête auprès d'un échantillon diversifié de salariés, laquelle a abouti à la publication du Salarié de la précarité, j'ai pu constater que le processus de disqualification sociale ne commence pas obligatoirement par l'expérience du chômage, mais que l'on peut trouver dans le monde du travail des situations de précarité comparables à l'expérience du chômage, au sens de la crise identitaire et de l'affaiblissement des liens sociaux. Rappelons ici, brièvement, que la précarité des salariés a été analysée en partant de l'hypothèse que le rapport au travail et le rapport à l'emploi constituent deux dimensions distinctes de l'intégration professionnelle, aussi fondamentales l'une que l'autre. C'est ainsi que le type idéal de l'intégration professionnelle a été défini comme la double assurance de la reconnaissance matérielle et symbolique du travail et de la protection sociale qui découle de l'emploi. La première condition est remplie lorsque les salariés disent qu'ils éprouvent des satisfactions au travail, et la seconde, lorsque l'emploi qu'ils exercent est suffisamment stable pour leur permettre de planifier leur avenir et d'être protégés face aux aléas de la vie. Ce type idéal, qualifié d'intégration assurée, a permis de distinguer, par déduction, et de vérifier ensuite empiriquement, trois types de déviations : l'intégration incertaine (satisfaction au travail et instabilité de l'emploi), l'intégration laborieuse (insatisfaction au travail et stabilité de l'emploi) et l'intégration disqualifiante (insatisfaction au travail et instabilité de l'emploi). L'intégration disqualifiante affecte alors les deux sources du lien social : la protection du fait de l'instabilité de l'emploi, la reconnaissance du fait de l'insatisfaction au travail.
«Le lien social : entretien avec Serge Paugam », Entretien réalisé par Anne Châteauneuf-Malclès pour le site ses.ens-lyon.fr, publié le 06/07/2012.
Questions :
1. Qu’est-ce que la disqualification sociale selon Serge Paugam ?
2. En quoi le travail et l’emploi donnent-ils accès à l’intégration assurée d’après Serge Paugam ?
3. Le processus de disqualification sociale ne touche-t-il que des chômeurs ? Pourquoi ?
4. A l’aide du tableau suivant, caractérisez les différents types d’intégration non assurée.
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Réponses :
1. Qu’est-ce que la disqualification sociale selon Serge Paugam ?
La disqualification sociale désigne un ensemble de situations pour lesquelles l’intégration sociale est défaillante. On la définit comme le processus d’affaiblissement ou de rupture des liens sociaux au sens de la perte de la protection et du lien social.
2. En quoi le travail et l’emploi donnent-ils accès à l’intégration assurée d’après Serge Paugam ?
Lorsque le travail et l’emploi donnent accès à une pleine intégration, on parle d’intégration assurée. Cette intégration repose sur la reconnaissance et l’accès à la protection sociale. Pour Serge Paugam, le travail donne accès à une double reconnaissance : d’abord matérielle lorsqu’il garantit un certain niveau de revenu à l’individu et symbolique parce qu’il lui confère un statut social. L’emploi donne lui accès à la protection sociale.
3. Le processus de disqualification sociale ne touche-t-il que des chômeurs ? Pourquoi ?
Serge Paugam met en avant le fait que la disqualification ne concerne pas uniquement les individus exclus du marché du travail ou les chômeurs. Il s’agit d’un processus qui touche les individus dès lors que le travail et l’emploi ne garantissent plus reconnaissance et protection sociale. Ainsi, les individus en situation d’emploi précaire sont également menacés par la disqualification sociale.
4. A l’aide du tableau suivant, caractérisez les différents types d’intégration non assurée.