Le comportement électoral traduit ponctuellement une attitude politique lors d’un scrutin et peut être analysé à partir de deux types de variables explicatives : les facteurs socio-politiques inhérents aux électeurs, et les facteurs contextuels.
1. Les variables explicatives socio-politiques du comportement électoral
Le degré d’intégration sociale
Émile Durkheim désignait l’intégration sociale comme l’insertion d’un individu dans un groupe, génératrice de liens sociaux, économiques et politiques entre les personnes qui composent la société. Or, les travaux de Pierre Bréchon ont montré qu’une faible intégration constituait un facteur permanent de l’abstention et de la non-inscription sur les listes électorales.
Les vecteurs de l’intégration sociale. Les formes de sociabilité variant selon l’âge (plus forte prégnance des études jusqu’à 25 ans, du travail entre 30 et 65 ans, du voisinage au-delà), les ruptures du lien social liées à une crise des instances d’intégration pèsent sur le comportement électoral. Le lieu d’habitation (fort contrôle social dans les communes rurales, politisation et comportement abstentionniste « dans le jeu » dans les communes urbaines ; vote d’extrême droite dans les zones d’habitation groupé) et la territorialisation (abstention et vote « hors système » dans les zones péri-urbaines) jouent par ailleurs un rôle croissant depuis les années 1980.
L’impact de la socialisation politique
La socialisation politique primaire, c’est-à-dire la transmission d’une culture politique et l’apprentissage d’un rôle politique avant l’âge adulte, surtout lorsqu’elle résulte de la famille, joue un rôle majeur dans la construction d’un intérêt pour la politique. Parce que l’intériorisation de valeurs, normes, attitudes politiques forge un cadre de repères inséré dans celui – plus large et extrêmement structurant et durable – des références morales (par exemple valoriser le principe de laïcité), elle va conditionner un phénomène largement majoritaire : l’héritage politique. Selon des enquêtes récurrentes du CEVIPOF, les deux tiers des français votent comme leurs parents, et cette proximité est encore plus forte entre époux.
Les travaux d’Annick Percheron ont montré que quatre facteurs, classés par ordre décroissants, expliquaient la forte reproduction des préférences partisanes : l’intérêt des parents pour la politique, la force de leurs préférences partisanes, l’homogénéité des choix entre conjoints, et leur visibilité pour les enfants. Par ailleurs, les taux de reproduction sont plus élevés à gauche qu’à droite, et lorsque les parents votent pour les extrêmes. En dehors de ce phénomène de transmission, les résultats agrégés pour la France montrent que les français se disent majoritairement peu intéressés par la politique, mais intéressés par l’élection présidentielle, rituel républicain au cœur de la démocratie représentative.
La socialisation politique, primaire, puis secondaire (s’ajoute le rôle joué par les pairs au travail qui influence les comportements comme voter ou s’abstenir, et celui des médias qui influence les opinions), couplée avec la reproduction sociale, explique également largement le sentiment de compétence politique, significatif de rapports de domination.
Mais celui-ci s’appréhende également au niveau macro-sociologique d’une culture politique nationale. Les deux politistes américains Gabriel Almond et Sydney Verba ont tenté, dans un ouvrage « développementaliste» devenu classique (The Civic Culture, 1963), de suggérer la supériorité d’un modèle national – fonctionnant comme cadre cognitif de la compétence -, celui développant une « culture politique civique » orientée vers la participation. Cette thèse a été critiquée par Bertrand Badie aux motifs qu’il n’est pas rigoureux de hiérarchiser les cultures politiques nationales et que l’hypothèse d’un consensus de valeurs et de croyances dans une population – fut-elle orientée vers la participation - est contestable.
2. Les variables contextuelles du comportement électoral
La perception des enjeux de l’élection
Trois types de scrutins obtiennent des taux de participation relativement élevés, pour des raisons différentes. Les scrutins nationaux – élections présidentielle et législative – s’inscrivent dans le cadre de ce que Bernard Manin nomme « l’âge de la démocratie du public », c’est-à-dire une configuration dans laquelle les citoyens, de plus en plus informés, obligent les partis à s’adapter en traduisant les enjeux d’une élection à l’aulne de leurs préoccupations concrètes (Principes du gouvernement représentatif, 1995). L’explicitation des cadres de la perception des enjeux de la part de l’électeur éclaire la réception positive d’une majorité de l’électorat de thématiques au cœur de l’offre politique, qui semblaient répondre aux attentes concrètes des citoyens inquiets des effets négatifs d’une globalisation subie : l’immigration comme danger (élection présidentielle de 2007, referendum sur le Brexit en juin 2016), le chômage comme problème complexe (présidentielle de 2012), la recherche pragmatique de solutions inédites (présidentielle de 2017).
Les scrutins municipaux quant à eux bénéficient de ce que l’historien Maurice Agulhon a nommé la « coulée démocratique » : les enjeux nationaux se traduisent en termes lisibles dans les élections locales, par ailleurs fondées sur des relations de proximité (La République au village, 1970).
Les types d ‘élection
Le degré de participation varie selon trois types d’élection : il reste élevé à l’occasion des élections présidentielles et municipales, d’un niveau moyen pour les élections législatives, principal vecteur d’une « crise de la représentation », et d’un niveau faible pour les scrutins infra-nationaux et européens.
Les référendums, dont il faut distinguer la forme plébiscitaire pratiquée par le général De Gaulle, ont connu sous la V° République des taux de mobilisation électorale très contrastés selon les enjeux perçus par les électeurs : ainsi, le passage au quinquennat présidentiel en 2000 n’a mobilisé que 30% des inscrits alors qu’inversement la question de l’adoption du traité constitutionnel européen a mobilisé environ 70% de ceux-ci.
Document 1. Âge, intégration sociale et vote : élections présidentielle et législative de 2017
Questions
1. Parmi les inscrits, quelle est la proportion des 18-20 ans qui a voté à tous les tours des élections de 2017?
2. Comment expliquer que l’abstention est plus importante pour les 25-29 ans que pour les 18-24 ans?
3. Comment évoluent l’abstention et le vote intermittent selon la tranche d’âge? Quels éléments d’explication pouvez-vous apporter, en lien avec l’intégration sociale ?
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1.Parmi les inscrits, quelle est la proportion des 18-20 ans qui a voté à tous les tours des élections de 2017?
Moins de deux inscrits sur dix ont voté aux deux tours des élections présidentielle et législative de 2017. C’est le taux le plus bas selon le critère des classes d’âge.
2.Comment expliquer que l’abstention est plus importante pour les 25-29 ans que pour les 18-24 ans?
Les 25-29 ans ont un taux d’abstention de 25%, contre 20% pour les 18-24 ans. Les premiers représentent la classe d’âge la plus fragile sur le plan socio-économique, avec des taux de précarisation de l’emploi et de chômage deux fois plus élevé que la moyenne nationale. En revanche, les 18-24 ans se mobilisent un peu plus pour le vote qui représente un rituel d’entrée dans l’âge adulte.
3. Comment évoluent l’abstention et le vote intermittent selon la tranche d’âge? Quels éléments d’explication pouvez-vous apporter, en lien avec l’intégration sociale ?
Le vote intermittent décroît constamment après 24 ans, du fait du processus continu de la socialisation politique tout au long de la vie. En revanche, l’abstention, également en baisse continue, remonte à partir de 75 ans. L’isolement consécutifs aux problèmes de santé et de dépendance pèsent sur l’exercice du droit de vote.
Document 2. Âge, sociabilité et intégration sociale
Questions
1.Décrivez l’évolution des sources de sociabilité sur l’ensemble de la vie. Quel rôle celles-ci jouent-elles dans la structuration d’un milieu social intégrateur ?
2. Quel rôle joue le travail entre 34 et 64 ans?
3. Comment interpréter l’augmentation du rôle joué par le voisinage après 54 ans?
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1.Décrivez l’évolution des sources de sociabilité sur l’ensemble de la vie. Quel rôle celles-ci jouent-elles dans la structuration d’un milieu social intégrateur ?
Le réseau de sociabilité lié aux études joue un rôle prépondérant jusqu’à 35 ans, avant d’être dépassé par celui des collègues de travail pendant la majeure partie de la vie active. Le milieu social que l’individu se crée se transforme et résulte d’un partage équilibré entre les sources de sociabilité vers 50 ans.
2.Quel rôle joue le travail entre 34 et 64 ans?
Durant cette période de la vie, comme l’avait déjà observé Émile Durkheim à la fin du XIX° siècle, le rôle intégrateur du travail est prépondérant. De ce fait, la dégradation et la segmentation du marché de l’emploi en France depuis le milieu des années 1980 explique que le taux d’abstention est plus important chez les chômeurs.
3.Comment interpréter l’augmentation du rôle joué par le voisinage après 54 ans?
A partir de 50 ans, le voisinage, dont le lieu s’est stabilisé, joue un rôle croissant dans la structuration d’un milieu social. A partir de la retraite, il devient la source de sociabilité la plus importante, avec la baisse en importance des réseaux liés aux études et au travail.
Document 3. La crise du rôle intégrateur du travail
Il existe une corrélation forte entre la place occupée dans la division du travail et la participation aux réseaux de sociabilité et aux systèmes de protection qui couvrent un individu face aux aléas de l’existence. D’où la possibilité de construire ce que j’appellerais métaphoriquement les « zones » de cohésion sociale. Ainsi, l’association travail stable- insertion relationnelle solide. À l’inverse, l’absence de participation à toute activité productive et l’isolement relationnel conjuguent leurs effets négatifs pour produire l’exclusion, ou plutôt la désaffiliation (…). Il s’agit moins de placer des individus dans ces zones que d’éclairer les processus qui les font transiter de l’une à l’autre, par exemple passer de l’intégration à la vulnérabilité, ou basculer de la vulnérabilité vers l’inexistence sociale.
Source : Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, 1995.
Questions
1. Pourquoi Robert Castel préfère-t-il parler d’un processus de désaffiliation dans les sociétés post-industrielles depuis les « trente piteuses » plutôt que d’exclusion sociale ?
2. Quel lien peut-on établir entre les documents 1, 2 et 3 pour expliquer que le taux d’abstention le plus élevé concerne la classe d’âge 25-29 ans ?
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1.Pourquoi Robert Castel préfère-t-il parler d’un processus de désaffiliation dans les sociétés post-industrielles depuis les « trente piteuses » plutôt que d’exclusion sociale ?
Pour le sociologue, l’exclusion n’est pas un état, mais le terme d’un processus qui plonge dans les conditions de segmentation du marché du travail depuis les « trente piteuses ». La vulnérabilité opère comme un cercle vicieux, un processus par étapes que Robert Castel nomme « désaffiliation ».
2.Quel lien peut-on établir entre les documents 1, 2 et 3 pour expliquer que le taux d’abstention le plus élevé concerne la classe d’âge 25-29 ans ?
La forte augmentation du rôle joué par le travail dans les réseaux de sociabilité à partir de 25 ans, conjugué à la grande vulnérabilité des jeunes sur le marché de l’emploi, expliquent en partie le taux d’abstention record de 25% aux deux tours des élections présidentielle et législative de 2017, dans cette tranche d’âge.
Document 4. L’intérêt pour la politique, lié à la socialisation
Questions
1. L’intérêt pour la politique, qui détermine en partie le taux de participation électoral, est en partie lié au degré de confiance accordé aux institutions politiques. Qu’observe-t-on dans le document, huit mois après l’élection présidentielle de 2017 ?
2. Quel est le taux de confiance accordé à la Présidence de la République? En quoi ce taux est-il contradictoire avec le faible taux d’abstention observé lors de l’élection présidentielle de 2017 ? Comment expliquer ce décalage ?
3. Quels sont les groupes sociaux susceptibles d’éprouver un désintérêt pour la politique, et pour quelles raisons ?
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1.L’intérêt pour la politique, qui détermine en partie le taux de participation électoral, est en partie lié au degré de confiance accordé aux institutions politiques. Qu’observe-t-on dans le document, huit mois après l’élection présidentielle de 2017 ?
On observe que les français font d’autant moins confiance aux institutions politiques, que leur niveau est perçu comme étant éloigné de leurs problèmes concrets quotidiens. Ainsi, les taux de confiance accordé au G20 et au gouvernement sont respectivement de 19% et 20%, alors qu’il est de 54% pour le conseil municipal.
2.Quel est le taux de confiance accordé à la Présidence de la République? En quoi ce taux est-il contradictoire avec le faible taux d’abstention observé lors de l’élection présidentielle de 2017 ? Comment expliquer ce décalage ?
Le taux de confiance accordé à l’institution présidentielle est de 23%, alors que le taux de participation à l’élection présidentielle de 2017 était de 74,56% au second tour. Cet écart s’explique par les enquêtes d’opinion montrent de façon récurrente que les français s’intéressent peu à la politique, mais beaucoup à l’élection présidentielle, pivot des institutions de la V° République ; par ailleurs, ils ont été peu convaincus par les mesures prises durant la première année du quinquennat du Président Macron.
3.Quels sont les groupes sociaux susceptibles d’éprouver un désintérêt pour la politique, et pour quelles raisons ?
Les groupes sociaux disposant d’un faible capital culturel et ayant un sentiment d’incompétence politique sont prédisposés à un désintérêt pour la politique, phénomène amplifié par une faible intégration sociale (précarité, chômage) ou un isolement géographique (zones péri-urbaines). La célèbre enquête dans la classe populaire anglaise du sociologue britannique Richard Hoggart (la culture du pauvre, 1970) a bien montré le lien entre le sentiment vécu d’une incompétence politique et la méfiance à l’égard des institutions.
Document 5. L’évolution de la perception des enjeux de l’élection présidentielle depuis 2012 : la volatilité électorale
Questions
1. Comment a évolué la perception des enjeux de l’élection présidentielle par les électeurs progressivement depuis 2012 ?
2. Quelles sont les raisons de la volatilité électorale pendant la campagne présidentielle autour de la candidature de François Fillon ?
3. Quels sont les indices, dans le texte de Brice Teinturier, d’une remise en cause par les électeurs du clivage Gauche/Droite comme enjeu important de l’élection?
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1.Comment a évolué la perception des enjeux de l’élection présidentielle par les électeurs progressivement depuis 2012 ?
L’opposition traditionnelle entre la gauche et la droite n’est plus perçu comme un enjeu central. En revanche, le projet du candidat, sa personnalité et la conjoncture sont les critères que les électeurs substituent au clivage partisan.
2.Quelles sont les raisons de la volatilité électorale pendant la campagne présidentielle autour de la candidature de François Fillon ?
Deux types de raisons se sont cumulées. D’une part le projet de François Fillon de réforme du système de santé a été perçu comme ultra-libéral et de nature à remettre en cause un service public auquel les Français sont très attachés ; d’autre part, la personnalité du candidat a été entachée d’une suspicion de corruption, thème sur lequel l’homme politique était particulièrement intransigeant.
3.Quels sont les indices, dans le texte de Brice Teinturier, d’une remise en cause par les électeurs du clivage Gauche/Droite comme enjeu important de l’élection?
Trois indices traduisent cette remise en cause : le très faible score de Benoît Hamon (6,4%) représentant l’un des deux plus grands partis politiques français, la montée en puissance du candidat « hors-système » Jean-Luc Mélenchon (19,6%), et l’élection d’Emmanuel Macron qui se présentait comme un candidat hors des partis traditionnels.
Document 6. La perception des enjeux liés au brexit
Lors de sa campagne pour briguer un second mandat de Premier ministre, David Cameron avait promis d'organiser, au plus tard en 2017, un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Promesse tenue, après un Conseil européen consacré à la question au mois de février 2016 : le chef du gouvernement a annoncé que le référendum aurait lieu le 23 juin 2016. Avec 51,9% des voix, c'est le camp du "Leave" qui l'a emporté le jour du scrutin. La participation a été supérieure à 72%, un record pour le pays. David Cameron, qui avait fait campagne pour le maintien du pays au sein de l'Union européenne, a choisi de démissionner quelques jours après le résultat. Il a été remplacé par l'ancienne ministre de l'Intérieur Theresa May. Le Royaume-Uni s'apprête donc à quitter l'Union européenne - un processus qui devait s'achever le 29 mars 2019, après deux ans de négociations complexes entre le pays et les vingt-sept autres États membres... mais qui a été prolongé une première fois au 12 avril, puis au 31 octobre, pour essayer d'éviter une sortie du pays sans accord.
Source : touteleurope.eu, 12/04/2019.
Questions
1.Les électeurs britanniques se sont-ils fortement mobilisés lors du référendum sur le Brexit organisé au Royaume-Uni en juin 2016 ? Comparez le résultat avec le taux de participation des électeurs britanniques aux élections européennes de 2014 (Cf. doc.5/ Question 1 : Comment interpréter la participation électorale ?)
2.Quels étaient les principaux enjeux identifiés par les leaders politiques et les électeurs pro-Brexit ?
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1.Les électeurs britanniques se sont-ils fortement mobilisés lors du référendum sur le Brexit organisé au Royaume-Uni en juin 2016 ? Comparez le résultat avec le taux de participation des électeurs britanniques aux élections européennes de 2014 (Cf. doc.5/ Question 1 : Comment interpréter la participation électorale ?)
Le taux de participation au référendum du Brexit a été de 72%, un record pour le Royaume-Uni. En comparaison, ce taux était de 36% pour les élections européennes de 2014. Une très grande majorité des électeurs britanniques se sont sentis concernés par ce scrutin, cependant, les résultats du vote ont divisé la population en deux camps à peu près égaux.
2.Quels étaient les principaux enjeux identifiés par les leaders politiques et les électeurs pro-Brexit ?
Les principales revendications étaient centrées sur la trop grande contribution au budget de l’UE, la législation communautaire trop contraignante, la libre-circulation des citoyens dans l’espace communautaire, notamment en provenance d’anciens pays de l’Est (Pologne, Hongrie, Roumanie..) qui aurait fait passé en dix ans la proportion d’immigrés dans la population totale britannique de 9% à 13%.
Document 7. Types de vote : le référendum est-il démocratique ?
A la fin du XIXe siècle, certains promoteurs du référendum emploient d’abord ce terme – qui fait son entrée dans le Larousse en 1890 – sans craindre de confusion avec l’idée césarienne du plébiscite. Cette dernière va pourtant durablement marquer les esprits. D’autant qu’elle fut ressuscitée, à sa manière, par le général de Gaulle, après son retour au pouvoir en 1958. L’article 3 de la Constitution de la Ve République dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
« De Gaulle en a fait un usage intensif pour accroître sa légitimité. Sans le référendum, il n’aurait pas pu modifier la Constitution [en 1962, pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel]. Et c’était pour assujettir le Parlement », note Mme Cohendet, qui souligne que l’usage du référendum a joué « un rôle énorme dans la présidentialisation du régime ». « Moi ou le chaos », résumait alors l’opposition pour dénoncer cet usage plébiscitaire du référendum : derrière la question qui portait officiellement sur une politique publique, il s’agissait en pratique d’un vote de confiance – ou de défiance, comme ce fut le cas en 1969 – à l’égard du chef de l’exécutif.
Cette histoire très singulière par rapport à d’autres démocraties – au premier rang desquelles la Suisse, qui a pleinement intégré, de longue date, l’usage du référendum d’initiative populaire – a nourri en France une profonde méfiance envers une procédure jugée comme un instrument de manipulation au service du pouvoir.
Source : Jean-Baptiste de Montvalon, Le référendum peut-il être politiquement correct ?, lemonde.fr, 23/02/2019.
Questions
1. Quelle différence doit-on faire entre référendum et plébiscite ? de quelle nature était le référendum sur la suppression du Sénat soumis aux électeurs par le général De Gaulle en 1969 ?
2. Pourquoi l’auteur de l’article pense-t-il que le référendum en France s’inscrit dans une tradition non-démocratique ?
3. Le mouvement des « Gilets jaunes » a revendiqué l’idée d’introduire le référendum d’initiative populaire (RIC). Cette pratique serait-elle différente de ce que prévoie la constitution de la V° République ? Consacrerait-elle une évolution plus démocratique ?
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1.Quelle différence doit-on faire entre référendum et plébiscite ? de quelle nature était le référendum sur la suppression du Sénat soumis aux électeurs par le général De Gaulle en 1969 ?
Le plébiscite est la procédure privilégiée du césarisme, pratique du pouvoir théorisée par Napoléon III, où le peuple est présumé unanime pour légitimer le chef. Il s’agit donc d’une forme dévoyée de référendum, c’est-à-dire d’un vote direct du corps électoral.
2.Pourquoi l’auteur de l’article pense-t-il que le référendum en France s’inscrit dans une tradition non-démocratique ?
Parce que, au-delà des plébiscites utilisés par Napoléon 1er et Napoléon III, le Général De Gaulle a eu, en 1962 et en 1969, un usage plébiscitaire du référendum.
3.Le mouvement des « Gilets jaunes » a revendiqué l’idée d’introduire le référendum d’initiative populaire (RIC). Cette pratique serait-elle différente de ce que prévoie la constitution de la V° République ? Consacrerait-elle une évolution plus démocratique ?
Le référendum populaire pourrait s’organiser dans le cadre de l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958. Cependant, des politistes comme Gérard Grunberg et Bernard Manin ont relevé de graves limites qui rendraient cette procédure faussement démocratique : 1) elle traduit des questions complexes en choix binaires. 2) La délibération collective est faible. 3) Il n’y a pas de corrections possibles, comme dans une procédure parlementaire. 4) La question soumise aux électeurs est difficile à formuler clairement et honnêtement.
Exercice 3. ** La perception des enjeux lors d’élections nationales
La critique de la démocratie ne signifie pas du tout que les Français seraient tentés par un régime autoritaire. Il existe, certes, une forte demande d’ordre et de leadership, mais la société est aussi très individualiste et éprise de libertés. Les enquêtes démontrent avant tout que les Français s’estiment insuffisamment consultés. Le vote tous les cinq ans ne constitue pas une réponse adéquate ni suffisante à la crise de la représentation. Un nombre croissant de citoyens veulent au contraire être associés à l’élaboration de la loi tout au long de son parcours : en amont, lors de sa conception, mais aussi en aval, pour en contrôler l’application et y apporter d’éventuels amendements.
Question.
Qu’est-ce que la « crise de la représentation » ? Comment les français analysent-ils ce phénomène, et quelles solutions envisagent-ils ?
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Qu’est-ce que la « crise de la représentation » ? Comment les français analysent-ils ce phénomène, et quelles solutions envisagent-ils ?
La crise de la représentation désigne le constat qu’un écart important et croissant se creuse entre les aspirations des citoyens et l’offre politique résultant de la démocratie représentative. Le diagnostic opéré par les français lors d’enquêtes d’opinions et de votes lors de scrutins nationaux prend en compte l’impuissance des dirigeants à lutter contre le chômage et différentes formes d’insécurité, et la mauvaise représentation sociologique de la population. Les solutions avancées par le mouvement des « Gilets jaunes », puis dans le débat public – plus au sens large que dans sa version institutionnalisée par le gouvernement – consistent à introduire plus de démocratie directe et délibérative, et à réorienter les politiques publiques vers une lutte plus efficace contre les inégalités économiques et sociales.
Exercice 4. *** L’exploration de nouvelles formes de référendums
Des propositions de référendums « améliorés » sont avancées. Elles visent à redonner de la vigueur à la procédure tout en corrigeant ses écueils. Le collectif Mieux voter a ainsi suggéré d’instaurer un « préférendum ». « Plus question de logique binaire et réductrice : il s’agirait d’évaluer un ensemble d’options alternatives soumises au référendum, à l’aide des fameuses mentions prévues par le jugement majoritaire (« excellent », « bien », « passable », « insuffisant », « à rejeter »), expliquent les auteurs, qui estiment que « la délibération en amont du référendum en serait profondément transformée et moins sujette aux phénomènes de polarisation excessive de l’opinion et de manipulation ». Dans le même ordre d’idées, un article de Pierre-Etienne Vandamme, chercheur à l’Université catholique de Louvain (Belgique), met en avant une autre pratique : le « vote justifié », qui soumet aux électeurs « un bulletin sur lequel sont proposées plusieurs justifications publiques possibles pour le choix qui est à effectuer ».Cette procédure, explique l’auteur en substance dans sa contribution à la revue Participations, permettrait de « stimuler la délibération publique », en amont et en aval du vote.
Source : Jean-Baptiste de Montvalon, Le référendum peut-il être politiquement correct ?, lemonde.fr 23/02/2019.
Questions
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Ces propositions ont été formulées dans le cadre d’un questionnement critique du référendum considéré en général comme trop simplificateur, et suite à la revendication du mouvement « Les Gilets jaunes » d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) qui serait autonome d’une procédure parlementaire. Quels points communs ont ces deux propositions ?
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Ces propositions vous paraissent-elles de nature à prendre en compte les critiques ad
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Ces propositions ont été formulées dans le prolongement de la revendication du mouvement « Les Gilets jaunes » d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) qui échapperait à la procédure parlementaire. Quels points communs ont ces deux propositions ?
Ces deux propositions ont en commun de chercher à combiner dans une même procédure la logique de démocratie directe et la procédure de démocratie participative.
Ces propositions vous paraissent-elles de nature à prendre en compte les critiques adressées par les politistes Gérard Grundberg et Bernard Manin dans le document 7/ question 3 ci-dessus ?
Pour ces auteurs, le référendum est a priori une procédure faussement démocratique : car elle traduit des questions complexes en choix binaires et ne permet pas une délibération collective. Les propositions formulées dans le texte permettent d’améliorer ces deux lacunes. Reste la composante « initiative populaire », qui dessaisirait le parlement de son rôle, et qui rencontre une vive opposition de la part d’une majorité de la classe politique.