Melchior vous propose ce décryptage pédagogique de l’article de Bruno Jacquier « Donald Trump peut-il réduire le déficit commercial américain ? », Altitude investment solutions, Stratégie et thématiques, 25 novembre 2024.
Résumé
Depuis le 01 janvier 2024, le déficit des transactions courantes américain s’élève à 660 milliards de dollars, dont 84 milliards au cours du seul mois de septembre. Faut-il s’en soucier ? Donald Trump peut-il y remédier ?
Apparemment, un solde commercial positif suggère un pays en bonne santé, en situation de domination concurrentielle. A contrario, un solde négatif évoque une économie en souffrance sur le marché international. Mais la réalité est plus complexe : si l’emploi des qualificatifs « positif » et « négatif » est correct d’un point de vue comptable, il n’implique aucune évidence à propos de la santé d’une économie, et cela parce que le déficit commercial est le résultat de la conjugaison de quatre facteurs que l’on peut diviser en deux catégories bonne et mauvaise.
Dans la catégorie « bonne », on peut citer la demande qui excède les capacités de production. Lorsqu’une économie se développe, sa demande intérieure pour certains biens de production ou de consommation bondit, et avec elle ses importations. Toujours dans la même catégorie, on peut évoquer l’achat à l’étranger de ressources ou de biens intermédiaires moins chers que sur le marché national (ce qui sera d’autant plus faisable que la monnaie est forte), qui permet d’abaisser les coûts de production, et donc au bout du compte d’accroître les ventes et les marges. Pour n’en donner qu’un exemple, lorsque General Motors importe ses freins du Canada, le constructeur américain génère un déficit commercial pour les Etats-Unis, mais ces importations l’aident finalement à rendre les véhicules produits moins chers et donc à vendre davantage (amélioration de la compétitivité-prix).
Dans la catégorie « mauvaise », on trouve la position concurrentielle défavorable sur le marché international, qui est elle-même le fruit d’une productivité insuffisante (dont les facteurs sont multiples, mais où la désindustrialisation joue probablement un rôle important). La production étrangère bon marché ou de meilleure qualité fait que les importations viennent supplanter la production domestique, contribuant ainsi à détruire des emplois et à faire croître le taux de chômage du pays. Un autre facteur entrant dans cette catégorie est la flambée des prix. Si les biens et les services produits sur le territoire national sont relativement plus chers en comparaison internationale, les exportations sont freinées et les importations favorisées. Il est à noter qu’une appréciation importante de la monnaie nationale aboutit au même résultat.
Pour en revenir maintenant au cas des Etats-Unis, l’économie investit plus qu’elle n’épargne (voir graphique ci-dessous). Elle finance ses investissements en mobilisant une partie de l’épargne étrangère. C’est ce que Ben Bernanke, l’ancien président de la FED, définissait en 2005 comme le « Global Saving Glut ». Ce phénomène explique que le déficit commercial des Etats-Unis a pu s’accompagner d’une croissance plus dynamique que celle de la zone euro ou du Japon (voir le point d’éclaircissement plus bas).
Mais dans un sens plus négatif, il apparaît que ce déficit est principalement dû aux échanges de biens (- 881 milliards) tandis que les services affichent une nette balance positive (+221 milliards). Et contrairement aux idées reçues, le déficit commercial américain ne s’explique pas par le poids de la facture pétrolière. Il concerne avant tout les biens manufacturés, et traduit un manque de compétitivité non seulement vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la zone euro, du Canada, du Japon, de la Corée du Sud, ….
Pour résorber ce déficit, Donald Trump promet d’augmenter les droits de douane, en particulier avec la Chine, ce qu’il a déjà fait au moment de sa première présidence. Cependant, à l’époque, le déficit ne s’est pas résorbé, parce que cette situation s’explique avant tout par le fait que les Américains vivent au-dessus de leurs moyens et vont continuer à importer des voitures étrangères, des médicaments et des produits de haute technologie émanant de leurs partenaires commerciaux. Pour y remédier, il faudrait prendre des mesures pour augmenter l’épargne privée aux Etats-Unis, ce que Trump hésitera à faire, vu le risque associé de ralentissement économique important aux Etats-Unis et dans le monde entier. On peut donc s’attendre à une chute du dollar au fur et à mesure que le déficit commercial américain s’accroît (voir l’extrait pour la classe).
Les + de l’article
Comprendre les raisons du déficit commercial américain.
- S’interroger
Les termes clés
Déficit commercial : Le solde de la balance commerciale est la différence entre la valeur des exportations et celle des importations de biens. Quand la valeur des exportations est supérieure à la valeur des importations, on parle d’excédent commercial. Inversement, lorsque la valeur des exportations est inférieure à celle des importations, on parle de déficit commercial. Il ne faut pas confondre la balance commerciale et la balance des transactions courantes, qui regroupe balance commerciale et balance des invisibles. Les invisibles font référence aux échanges de services, aux échanges liés aux revenus du travail et financiers, et aux différents dons publics et privés.
Déficits jumeaux : Les déficits jumeaux (twin deficits) désignent la coexistence dans une économie d’un déficit public et d’un déficit extérieur (voir le point d’éclaircissement). Depuis 20 ans, la France cumule de façon chronique ces deux déficits (et de façon intermittente depuis 50 ans). Aux Etats-Unis, le phénomène est apparu dans les années 1980 sous la présidence Reagan, avec l’application de l’Economic Recovery Act (août 1981), programme de réduction d’impôts combiné à une augmentation des dépenses publiques qui a conduit à une forte progression du déficit budgétaire fédéral (5% en 1985) . Sur la même période, le déficit extérieur s’est aussi fortement creusé (voir le point d’éclaircissement plus bas). Depuis, les Etats-Unis ont connu plusieurs épisodes similaires, y compris dans la période actuelle.
Equilibre Ressources-Emplois : L’équilibre Ressources-Emplois est un indicateur agrégé de la Comptabilité nationale. Les ressources sont les biens et services dont dispose une économie, c’est-à-dire la production et les importations. Les emplois sont les utilisations des biens et services produite et importés : consommation intermédiaire, consommation finale, formation brute de capital fixe, variation des stocks par rapport à l’année précédente, et exportations.
D’où l’équation suivante : P + M = CI + CF + FBCF + Variation stocks + X
D’après la comptabilité nationale, on sait que (voir plus haut) :
P + M = C + G + I + X (avec G= dépenses gouvernementales)
Voir la notion : Equilibre Emploi-ressources
Le point d’éclaircissement : Déficit public, déséquilibre épargne-investissement et solde de la balance commerciale
Mais on peut aussi écrire que :
P = C + S + T (avec S = épargne et T = taxes)
D’où :
X -M = S + (T -G) – I
Les importations de biens et de services sont tirées par la demande intérieure, c’est-à-dire par la somme des dépenses de consommation et d’investissement (C + I). Un déficit public accroît la demande, et donc les importations : on considère généralement que, compte-tenu d’un état donné de la compétitivité, la croissance des importations est égale à celle de la demande intérieure, diminuée d’un taux fixe correspondant à l’ouverture des économies aux échanges. Par ailleurs, le déficit public entraîne aussi une augmentation des salaires et des coûts, ce qui se traduit par une dégradation de la compétitivité-prix, et donc une baisse des exportations. Dans ces conditions, l’augmentation du déficit public se solde par une dégradation du solde commercial, d’où l’observation de « déficits jumeaux’ (voir plus haut).
Et l’autre point à considérer est que si une économie connaît un déficit commercial, cela peut être parce qu’elle investit plus qu’elle n’épargne, et cet excès d’investissement est financé en sollicitant l’épargne étrangère.
L’extrait pour la classe préparatoire : Déficit commercial et taux de change : une relation à double sens
« Sur les marchés financiers, le déficit commercial a son importance. Il est, par exemple, une variable significative dans nos modèles économétriques pour anticiper l’évolution du cours du dollar. Ce n’est pas la variable la plus importante mais elle a son intérêt. Une balance commerciale déficitaire peut signifier que la demande domestique excède les capacités de production (voir plus haut), que l’économie est en plein essor. Dans ce cas précis, à l’instar de la période 1975-1999, un déficit commercial va de pair avec un afflux de capitaux vers les Etats-Unis et, in fine, une appréciation du dollar. En revanche, si le déficit commercial devient trop important, ce qui est le cas depuis 2000 puisqu’il dépasse les 3% du PIB (et notamment sur la période 2000-2007 et maintenant depuis 2021), les investisseurs estiment qu’il est la conséquence d’une perte de compétitivité à l’international. Les capitaux fuient, la relation s’inverse, et le dollar chute en même temps que le déficit s’accroît ».
Les sujets qui font débat
Les déficits jumeaux peuvent-ils compromettre la croissance américaine ?
Les Etats-Unis peuvent-ils continuer à bénéficier d’un « financement sans pleurs et sans heurts ? »